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Un vent de renouveau sur la politique guadeloupéenne. La fin des dynasties politiques.

  • ELMS
  • 30 juin 2020
  • 9 min de lecture

Dimanche, comme leurs compatriotes de l'Hexagone, les guadeloupéens étaient appelés aux urnes pour le second tour des Elections Municipales. Un deuxième tour qui aura tenu en haleine de nombreuses communes qui au final ont opté pour le changement et la fin des dynasties politiques qui régnaient depuis plusieurs décennies sur le territoire.



Lundi matin, la Guadeloupe s'est réveillée avec un air de changement. Au lendemain de ce second des élections municipales qui, s'est tenu dans des conditions particulières du fait de la pandémie de Coronavirus, un vent de renouveau souffle sur le territoire. En effet, quatre mois après le premier Tour, les français et plus spécifiquement les guadeloupéens étaient appelés à se rendre aux urnes afin d'élire leur nouveau maire.


Dimanche, l'abstention a été moins forte qu'au premier tour de Mars. Selon les sondages, le taux de participation s'élève à 56,5% soit 10 points de plus qu'au 1er Tour. Mais, bien loin des 70% enregistrés lors du second tour de 2014. Toujours selon les sondages, c'est à Terre-de-Haut (une des îles de l'archipel des Saintes) que l'on a le plus voté, 89,90% de taux de participation. Tandis que Pointe-à-Pitre, est la commune où l'on a le moins voté, avec, 47,73% de taux de participation.


A la fin de cette soirée électorale, six maires sortants ont été réélus lors de ce second tour : Christian Baptiste à Sainte-Anne,Jeanny Marc à Deshaies,Claudine Bajazet à Sainte-Rose,Marie-Yveline Ponchateau à Baillif,Edouard Delta à Anse-Bertrandet;Jean-Claude Maes à Capesterre de Marie-Galante, avec le résultat le plus serré de ce scrutin, puisque seulement 8 voix séparent Jean-Claude Maes de sa principale adversaire, Betty Besry.


Ce deuxième tour a certes confirmé certains avantages du premier tour mais, il a aussi été source de surprises car, sur les vingt communes qui étaient en élection ce dimanche, 14 ont changé de maires. Cependant, jusqu'à tard dans la nuit, elle aura tenu en haleine plusieurs de ces communes, tant les scores entre les candidats étaient serrés. Au final, à la fin des dépouillement, le paysage politique local a été en grande partie remodelé. Pour cette élection, les guadeloupéens et guadeloupéennes ont opté pour le changement total.


La fin des dynasties politiques et une nouvelle ère politique :


S'il y a bien une chose à laquelle, les guadeloupéens et guadeloupéennes se sont habitués, c'est l'omniprésence des grandes familles politiques. Elles font parti du décors politique local depuis 55 ans, 40 ans voire 30 ans. Elles ont régné sans partage sur leurs communes et parfois sur l'ensemble du territoire guadeloupéen, administrant la commune comme des chefs(cheffes) de village. Comme le disait dans 97Land, Pierre-Yves CHICOT, maître de conférences à l’université des Antilles, citant les travaux de Max Weber. La succession en politique en Guadeloupe sur le mode de la transmission du pouvoir par le nom, traduit une forme de privatisation du pouvoir. Ce «  régime patrimonial » selon la définition de Weber se caractérise par la confusion entre les domaines public et privé.


Fred Deshayes, lui aussi maître de conférences en droit public à l’université des Antilles, rajoute : « Le constituant de la troisième République avait cru bannir l’hérédité dans la dévolution du pouvoir. Certes aucun mandat politique n’est acquis par filiation, chacun doit subir l’épreuve du suffrage universel, mais l’évidence est là, le fils, ( la fille ), le petit-fils, le neveu ( s’ asseoient ) dans le siège de l’ancêtre ( en Guadeloupe ). »


Pourtant, il aura suffit d'une élection ( sans doute l'élection de trop) pour que nombre d'entre elles perdent le pouvoir qu'elles détenaient depuis plusieurs décennies. Alors qu'on peine encore à la croire, des villes jadis considérées comme leurs bastions sont passées aux mains de l'opposition historique. Il s'agit d'un véritable séisme dans le paysage politique local. Un changement lié sans doute au contexte social, économique et sanitaire.


Basse-Terre :


L'histoire contemporaine du chef-lieu de la Guadeloupe était intrinsèquement liée à la personne de Lucette-Michaux-Chevry. Tout au long de sa carrière, l'ancienne mairesse, entrée en politique en 1957 a brigué tous les mandats électoraux possibles. Elle fut tout à tour conseiller municipal de sa ville natale Saint-Claude, conseiller général, présidente du Conseil Général de la Guadeloupe, maire de Gourbeyre, députée, présidente du Conseil Régional, sénatrice, secrétaire d'Etat à la Francophonie, ministre de l'Action Humaine et des Droits de l'Homme du Gouvernement Balladur. Depuis vingt-cinq, la " Dame de Fer" comme on la surnommait, régnait sans partage sur Basse-Terre. Elue maire de la Capitale, une première fois en 1995, elle briguera de nouveau le siège de maire en 2008 pour revenir en 2014 où elle fut réélue mais, elle démissionna au profit de sa fille Marie-Luce Penchard, ancienne ministre des Outre-mers sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Dimanche soir, face à l'adversaire de toujours, le cardiologue André Attalah, c'est une page de l'histoire de la ville qui s'est tournée. Le socialiste déjà en tête lors du premier tour avec 32,66% des suffrages exprimés face à la Vice-présidente du Conseil Régional. Pour ce second tour, il a été renforcé par l'alliance avec Brigitte Rodes ( 3e) et Sonia Pétro (4e). A la fin du décompte très tendu, André Attalah remporte le scrutin avec 2588 voix ( 54,26% des voix) face Marie-Luce Penchard qui comptabilise 2182 voix soit 45,74%. C'est une nouvelle défaite personnelle au niveau local pour l'ancienne Ministre des Outre-mers qui en 2012 s'était inclinée face à Victorin Lurel, le ténor de la gauche guadeloupéenne lors des élections législatives de 2012. En 2015, elle accéda au poste de vice-présidente du Conseil Régional grâce à une alliance avec le GUSR de l'actuel président Chalus. C'est donc un coup dur pour le tandem mère-fille. Soulignons que les seules fois où Marie-Luce Penchard s'était imposée dans l'échiquier politique local, c'est grâce aux interventions visibles ou en sous-main de sa mère et grâce à son vaste réseau d'influence tant au niveau local que national. Cette fois, les basse-terriens ont préféré tourner la page du népotisme de la corruption et de la mauvaise gestion, pour donner une nouvelle image à leur ville pour les six prochaines années.




Saint-François :




Une nouvelle page s'ouvre dans la cité balnéaire du sud Grande-Terre. Confrontée à une crise sanitaire sans précédent, la ville dont l'économie repose principalement sur le tourisme et l'agriculture vivait depuis quelques années aux rythmes des tours d'eau. Une situation qui a beaucoup fragilisé le maire sortant, Laurent Bernier, devenu président de l'office pour l'eau, le SIAEAG après des années de corruption de la part de son ancien président Armelius Hernandez (condamné depuis). Laurent Bernier n'est autre que le petit-fils de Lucien BERNIER, ancien maire de la commune et président du Conseil Général de la Guadeloupe de 1973 à 1976, avant de retrouver son poste de Mars 1979 à 1982. Il est au sommet de son influence. Battu aux municipales de 1989, il décédera quelques jours plus-tard. La famille Bernier est sans doute l'une des plus influentes du paysage politique local. Néanmoins, dimanche, les saints-franciscains peu importe l'origine ont aussi fait le choix de l'alternance politique. Cette fois, c'est Bernard Pancrel, avocat de profession, qui siégera en Mairie durant les six années à venir. Le maire sortant était arrivé en tête au premier tour avec 33,86% des suffrages, tandis que Bernard Pancrel obtenait 22,67% des suffrages. Pour ce second tour, l'avocat s'est associé à l'autre opposant de Bernier Jean-Luc Périan, ancien PPDG qui avait 14,79% des voix. Au final, à l'issu d'un dépouillement très serré, sur les 11 770 inscrits, 6412 votants soit 54,48%, Bernard Pancrel s'est imposé avec 2521 voix ( 40,88%) et Laurent Bernier s'est incliné à 2206 voix ( 35,77%) et Sophie Péroumal 1140 voix soit 23,35%.




Gosier :




Certains le disaient jeune, incapable de gérer une ville, d'autres pointaient du doigt sa récente condamnation pour atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans et l'appelaient " pédophile". Pourtant, malgré les attaques de tous bords, le jeune " incorruptible " s'est pourtant imposé dimanche soir au Gosier. Apparu sur la scène politique en 2010 en conduisant la liste " Pou Gwadloup an nou ay ! " née du mouvement politique et collectif les " Inkoruptibles", il s'était peu à peu fait une bonne place au sein de l'appareil politique local en devenant conseiller régional. En 2015, il fit campagne aux côtés de Victorin Lurel pour les régionales. C'est principalement au Gosier qu'il se fit remarquer de part sa farouche opposition à Jacques Gillot (ancien maire de la ville, puis ancien président de la Conseil Général) puis à son successeur Jean-Pierre Dupont ( qui ne s'est pas représenté). Cédric Cornet remporte la mairie du Gosier avec 4724 voix (49,97%), loin devant Jean-Claude Christophe (2365 voix - 25,02%), Patrice Pierre-Justin (1402 voix - 14,83%) et Jocelyne Virolan (962 voix - 10,18%). En remportant les élections municipales au Gosier, Cédric Cornet, représentant de la jeunesse, de l'alternance et l'espoir du changement profond a balayé les trente et une années de règne du clan Gillot. Un clan qui aura fait couler beaucoup d'encre, tant la corruption fut forte durant ces trois décennies. Le jeune maire doit sa victoire à l'exaspération des habitants face à la crise de l'eau, aux scandales politico-judiciaires liéés aux " scandales de l'eau" et à la crise environnementale liée aux échouages des sargasses de plus en plus récurrentes sur le littoral de la ville balnéaire. Il a surtout profité de la division plus qu'apparente de l'ancienne majorité municipale. A plusieurs reprises, le jeune élu a promis aux électeurs un mandat sans toucher d'indemnités pour tous les élus du Conseil municipal et d'imposer la démocratie participative au Gosier. Espérons qu'il tienne parole.



Capesterre-Belle-Eau :



Le vent de changement a soufflé sur la grande ville du sud-Basse-Terre. Joël Beaugendre, à la tête de sa commune depuis 25 ans, s'est incliné face à l'étoile montante de la politique guadeloupéenne, le jeune Jean-Philippe Courtois. Alors que beaucoup doutaient de sa capacité à vaincre le lion de Capesterre, du fait de son extrême jeunesse, 35 ans, Pipo comme on le surnomme dans sa commune, a su convaincre les électeurs qui, lassés de la léthargie dans laquelle était plongée leur ville et de la corruption de l'équipe sortante, réclamaient le changement. Analyste biologiste de profession, marié et père d'un enfant, il n'en est pas à son coup d'essai. Apparu dans le paysage politique en 2010 sous la bannière des " Inkoruptibles", il a toujours été opposant à Joël Beaugendre. En 2014, il se présente contre le cacique capesterrien mais échoue. Cette fois, ce fut la bonne, le vice-président du GUSR ( Guadeloupe Unie, Solidaire et responsable) est devenu le 26e maire de la ville de Capesterre-Belle-Eau. Sa victoire est sans appel. Il l'emporte avec 3544 voix soit 44,49%, tandis que le maire sortant obtient 2814 voix soit 35,33% et Hugues-Philippe Ramdini n'obtient que 1608 voix soit 20,19%. Déchu, Joël Beaugendre va tout de même rester à la tête de la CASBT. Proche de Lucette Michaux-Chevry, membre éminent de la droite guadeloupéenne, au cours de sa longue carrière politique Joël Beaugendre a été maire mais aussi député. C'est à Capesterre-Belle-Eau qu'il inscrit le plus son empreinte, régnant sans partage sur la cité agricole. En 2014, le plafond de verre se fissure pour l'ancien docteur populaire, mis en cause dans une affaire de financière douteuse, est placé en détention provisoire. Depuis, c'est la descente aux enfers pour lui, avec plusieurs procès et gardes-à-vues. Mis à la retraite par les électeurs, il aura sans doute rendez-vous prochainement avec la justice toujours pour des affaires financières pour lesquelles il reste mis en examen.



Pointe-à-Pitre :





L'ancienne capitale économique de la Guadeloupe fut sans doute la plus grande surprise de ces élections. Comme dans la plupart des bastions des dynasties politiques, un vent nouveau s'est levé. Ancienne ville portuaire prospère, la ville commerçante n'est plus que l'ombre d'elle. Dents creuses, insalubrité, incendies, violence, déficit budgétaire abyssal, services publics en décrépitudes, chômage sont devenus le lot quotidien des pointois. Pourtant, durant des années, ils ont continué à faire confiance à une famille, les Bangous représentée par le père Henri et ensuite le fils Jacques. Ensemble, ils ont régné sans partage sur la ville portuaire des caraïbes. Membre actif du Parti Communiste français durant ses études et fondateur du Parti Communiste Guadeloupéen ( 1958) puis fondateur du PPDG ( Parti Progressiste Démocratique Guadeloupéen) en 1991, Henri Bangou entre en politique en 1959 avant de renverser son mentor Hector Dessout en devenant maire de la ville en 1965, fauteuil qu'il a occupé jusqu'en 2008 avant de céder la place à son dauphin de fils, Jacques, élu en 2009, puis en 2014. L'élection de 2020,fut l'élection de trop pour le tandem père-fils qui a régné sur la cité commerciale durant 55 ans. Flirtant avec les démêlés judiciaires. Cette fois; les pointois et pointoises ont dit " STOP". Il s'en est fallu de peu. Jusqu'au dernier moment, le résultat a été indécis. Finalement, c'est l'opposant de toujours, l'écologiste, Harry Durimel, ancien président fondateur de Caraïbe Ecologie Les Verts et actuel président du R.E.V ( Rassemblement Ecologiste et Volontariste) qui l'a remporté. Avocat de profession, Durimel est devenu extrêmement populaire du fait d'avoir été le premier à dénoncer le scandale du chlordécone dès 2002. Il remporte la mairie de Pointe-à-Pitre avec 2245 voix ( 42,69%) devant Jacques Bangou ( 2110 voix soit 40,12% des voix) et Loïc Martol ( 904 voix, 17,19% des voix). Cette élection marque la fin d'une dynastie mais pas la fin de leur influence sur les affaires de la ville puisque, seules quelques dizaines de voix séparent le nouveau maire de son prédécesseur. Point positif, en élisant un maire écologiste, Pointe-à-Pitre suit la voie empruntée par des grandes métropoles Hexagonales qui ont désormais, depuis dimanche, des maires écologistes ou des conseillers municipaux presque totalement écologistes.




Ces victoires ne signifient en rien la fin totale de ces dynasties politiques. Au contraire, elles gardent une certaine influence de près ou de loin sur le paysage politique guadeloupéen à l'image de Dominique Larifla qui aura réussi à récupérer sa commune en faisant élire son fils spirituel Guy Losbar, président du GUSR, vice-président du Conseil Régional et potentiel futur président de la Région Guadeloupe. Désormais, dans l'ombre, elles n'attendent qu'une chose, revenir sur le devant de la scène en pointant les manquements des nouvelles équipes en place, afin revenir aux affaires. Il faudra donc à ces nouveaux démontrer aux électeurs qu'ils ont fait le bon choix. Puis, rien ne dit que, de nouvelles familles politiques n'apparaîtront pas dans les années futures.










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