En l'espace de quelques années, So Aguessy est devenue une valeur sûre de l'art contemporain guadeloupéen. Malgré son jeune âge, la guadeloupéenne peut se targuer d'avoir un parcours artistique riche et exceptionnel. Ainsi, à sa façon, elle marque de son empreinte ce milieu d'ordinaire dominé par les hommes. Ses origines sont sa principale source d'inspiration, elle nous en dit plus dans cette interview.
Il est fini le temps où l'art guadeloupéen et plus spécifiquement l'art des Antilles-Françaises n'étaient pas vendeurs. Il faut dire qu'à l'époque, ils étaient peu à parvenir à la reconnaissance du marché international. Faute sans doute à une manque de visibilité de nos territoires ce qui entraînait une certaine méconnaissance de la part des commissaires ou des organisateurs d'expositions internationales. Depuis, les choses ont changé, rien qu'au niveau local, les expositions se sont multipliées. Du côté de l'international, la participation d'artistes guadeloupéens ou martiniquais à des salons, des foires ou autres résidences s'est véritablement accrue. Dans une moindre mesure, les politiques culturelles menées par les collectivités locales favorisent également cette mise en lumière de ces talents bien de chez nous.
Parmi la nouvelle génération d'artiste on retrouve So Aguessy Raboteur. En l'espace de quelques années, la jeune artiste guadeloupéenne est devenue une valeur sûre de l'art contemporain guadeloupéen et antillais. Malgré son jeune âge, elle peut se targuer d'avoir un parcours artistique riche et exceptionnel. Ainsi, à sa façon, elle marque de son empreinte ce milieu d'ordinaire dominé par les hommes. Son thème de prédilection, la question des identités qui émane de ces nombreuses origines. Elle nous en dit plus dans cette interview.
The Link Fwi : Bonjour, So Aguessy soit la bienvenue sur The Link Fwi : Premièrement peux-tu te présenter pour ceux et celles qui ne te connaissent pas ? D’où viens-tu, quel âge as-tu ?
So-Aguessy : Hello ! Premièrement merci de m'avoir invité pour cette interview. Alors, qui suis-je ? So Aguessy Raboteur aussi connue sous le pseudonyme de So. Je suis une Artiste Designer. Je suis née en 1988 à Pointe-à-Pitre donc en Guadeloupe, mais j’ai fait beaucoup l’aller-retour entre la France et la Guadeloupe depuis ma naissance et j’ai finalement décidé de venir m’installer en Guadeloupe il y a 4 ans. Alors, je fais de l'art depuis ma tendre jeunesse et je pense que depuis toujours, je savais que c'était la voie que je voulais emprunter.
TLFWI : D’où vient ta passion pour l’art, quand et comment as-tu développé ton talent pour ce domaine ?
S.A : A vrai dire, ma passion pour l’art, je l’ai depuis mon plus jeune âge. J’ai le souvenir de dessiner depuis ma plus tendre enfance. Cela a donc été une évidence. Ainsi, comme je l'ai évoqué précédemment, je savais que c'était la voie que je voulais emprunter, car j'ai toujours voulu devenir artiste.
The Link Fwi : Quelles furent les réactions de tes parents ? Ont-ils approuvé tes choix ou étaient-ils sceptiques ?
So Aguessy : Les réactions furent disons assez partagées; au sens où mon père étant un doctorant universitaire, il n’était pas d’accord au début sur le choix de mon orientation en école d’art. Pour lui, les études universitaires étaient très importantes, mais quand il a vu que j'avais une certaine acuité, il a compris et du coup, aujourd'hui il est très fier de mon travail. Ma mère en revanche est une artiste. Elle n'en a pas fait carrière mais elle dessine depuis toute jeune. Elle a donc tout de suite voulu que je développe ma fibre artistique en me poussant à faire des études dans ce domaine.
TLFWI : Justement quel est ton parcours artistique ? Es-tu passé par des écoles d’art ou es-tu simplement autodidacte ?
S.A : J’ai commencé très tôt mon cursus dans le domaine artistique, en commençant par un CAP de Dessinateur d’exécution graphique, ensuite un Bac Artisanat des Métiers d’art, puis une préparatoire aux concours d’entrée des Beaux-arts. Ce qui m’a permis d’intégrer l’Ecole Supérieure de Beaux-Arts de la ville du Mans puis L’école Supérieure d’art et de Design du Havre. Avec ses différentes spécialisations en Art, en Design Graphique et design d’espace j’ai appris une multitude de techniques comme la photographie, la peinture acrylique la peinture numérique, la sculpture etc.
The Link Fwi : Comment qualifierais-tu ton art ? Justement, peux-tu nous expliquer ce qu’est le Graphic Art ?
So Aguessy : Je définis mon travail comme étant du « Graphic’art », c’est la juxtaposition de différentes techniques d’expressions plastiques. L’art numérique utilise des logiciels de création d’images associées à des techniques de représentation dites classiques à savoir : la peinture acrylique, les crayons de couleurs, les stylos à billes, les aérosols de peintures etc. Ma technique expérimente différents supports, différents médiums, différents matériaux ainsi que différentes échelles de création. La production issue de ce mélange qui est le résultat de ces différents outils et moyens techniques, donne un résultat final que je considère être à mon image « bien-tissé », autrement dit bien mixé.
TLFWI : Quels sont les artistes, peintres ou graphistes qui t’ont inspiré et qui t’inspirent encore aujourd’hui ?
S.A : Alors, ce sont surtout des peintres parmi eux, Jenny Saville, Philip Pasqua qui m'inspire beaucoup. Après, il y a des artistes de Guadeloupe dont j'apprécie vraiment le travail, tels que Richard-Viktor Sainsily, Marielle plaisir et Eddy Firmin. Ils sont une partie des artistes qui m’inspirent aujourd’hui. Il y en a d'autres mais ceux que j'ai cité sont ceux qui suscitent le plus mon admiration et donc ce sont les principaux.
The Link Fwi : On sait que tu as plusieurs origines : Béninoise-Nigériane et juive polonaise du côté maternel et Indien Caraïbe du côté paternel, sont-elles une force pour toi et une source d’inspiration pour la réalisation de tes œuvres ?
So Aguessy : Il y a quelques mois, j'ai compris que mon travail était tourné sur cette identité plurielle qui font de moi ce que je suis aujourd'hui. Je travaille beaucoup sur les portraits tout simplement parce que les portraits sont une vitrine sur les origines et je travaille essentiellement sur cette quête identitaire si je peux dire cela ainsi. Donc, oui, c’est justement par rapport à mes origines multiples que je travaille sur l’identité et la pluri culturalité à travers mes portraits. Je me reconnais un peu comme étant issue « d’appartenances plurielles » ou « d’hybridation ethnique ». Je questionne l’identité́ dans notre société́ qui est un sujet aussi personnel qu’impersonnel puisque nous sommes (quasi) tous issus d'une diversité donc avec des origines différentes.
TLFWI : Quels sont les thèmes qui te sont chers et que tu abordes à travers tes toiles ?
S.A : Je travaille sur les portraits qui sont à mes yeux une porte ouverte sur les origines et à cette quête d'identité. J'aborde aussi l’humain et son enveloppe corporelle qui m’inspirent, car c’est à partir de lui que la question d’identité́ prend racine. C’est donc naturellement que j’ai commencé́ à travailler sur le portrait, et c’est à travers lui que je cherche à questionner mon héritage culturel.
The Link Fwi : En tant que femmes et surtout en tant qu’artiste quel regard portes-tu sur la Guadeloupe et la société guadeloupéenne ainsi que la place des femmes dans notre société ?
So : Dans cet ordre, premièrement Noire, secondement, Femme, et troisièmement, Artiste. C’est dans cet ordre que je ressens ma condition en tant qu’individu dans notre société. Et c’est également dans cet ordre que je me construis.
En tant que Noire, mes origines sont le premier fondement de ma personne, et c’est ce qui explique mon retour sur mon île natale en Guadeloupe. La Guadeloupe qui s’est construite sa propre identité culturelle avec différentes populations du monde. C’est une richesse qui résonne en moi.
Comme toute femme et Artiste j’ai des petites histoires vraies. Pendant mes expositions rencontrer des visiteurs qui ne m’avaient jamais vu et ils me disaient très surpris : « Ah So, c’est vous ?! J’aime beaucoup votre travail c’est très puissant, j’étais sûr que vous étiez un homme ! » Ou encore : « c’est très marqué et expressif, j’étais sûr que c’était le travail d’un Homme… »
TLFWI : Est-ce difficile d’être une femme dans le milieu artistique en Guadeloupe et plus spécifiquement aux Antilles ou même ailleurs, en France par exemple ?
S.A : Je pense qu’être une femme quel que soit le milieu ou le domaine c'est compliqué, ce qui veut dire qu’il faut se battre pour l’équité. D'ailleurs, les chiffres nous montrent que la femme n'a pas encore véritablement sa place et pourtant, on a autant de femmes artistes que d'hommes. En tant que femme, il faut être conscient du contexte de notre société patriarcale, ce qui ne facilite pas l’égalité et la parité Homme/Femme, mais j'ai espoir que cela change dans le futur.
The Link Fwi : Quel regard portes-tu sur le milieu artistique guadeloupéen et antillais ?
So Aguessy : En Guadeloupe, je trouve qu’il y a beaucoup de talents et la liste des artistes de qualité est longue. Je trouve qu’il y a un manque énorme de structures de qualité tels que des lieux d'expression, des salons d'exposition, ou d'ateliers d'artistes pour permettre la diffusion, les échanges artistiques et favoriser les rencontres entre le public et les artistes. Il y a encore beaucoup de choses à faire.
TLFWI : Combien de temps faut-il pour réaliser un tableau ? Par exemple ta toile : origine de la décence combien de temps as-tu passé dessus ?
So : En ce qui concerne le temps de réalisation d’une toile, il varie en fonction de plusieurs facteurs, la complexité, la taille et l’inspiration. Si l’inspiration est fluide la création va vite. Dans le cas contraire, je vais faire des pauses, puis je vais revenir sur la toile. Je travaille aussi sur plusieurs toiles en même temps, donc le temps de création peut varier entre 1 mois, 2 mois ou beaucoup plus. Pour l’origine de la décence, j’ai pris environ 1 mois.
The Link Fwi : Et d'où vient ton inspiration pour la réalisation de "l'origine de la décence " ?
So Aguessy : Petit retour à mes cours d'histoire de l'art ( rires) où j'ai découvert l'artiste Gustave Courbet et que j'ai vraiment beaucoup aimé. Quand j'ai découvert cette toile, elle m'a dans un premier temps choqué. Par la suite, je me suis dit que j'allais faire un jour ou l'autre une sorte de toile réponse tellement je l'ai apprécié. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu faire cette oeuvre là, " l'Origine de la décence" donc il s'agissait de rendre hommage à l'artiste et réadapter son travail en fonction de ma vision. A savoir, celle d'une femme du XXIe siècle. A travers cette toile, je traite de ce rapport à la nudité que les femmes de notre époque ont, par rapport aux réseaux sociaux mais aussi ce regard que l'on porte sur la femme de nos jours, à savoir la femme objet mais qui en même temps prend son indépendance. Cette ambiguïté avec le fait de se dévoiler, donc la notion de l'acceptation mais en même temps, il y a l'usage de filtres sur les réseaux sociaux donc au final on se cache. Je trouve que nous vivons dans un siècle de contradiction et je pense que cette toile parle de cela.
TLFWI : Quelles sont les expositions auxquelles tu as participé, que ça soit en solo show ou en duo ?
S.A : La liste s'allonge (rires) non mais pour les expositions majeures ; j’ai fait le premier cycle d’exposition Éclats d’île à Paris avec Krystel Ann Art, la Clio Art Fair à New York. J'ai aussi participé à plusieurs Pool Art Fair en Guadeloupe et en Martinique, la Off en Guadeloupe et récemment Beautiful woman of art BWoA en Guadeloupe.
The Link Fwi : Avec l’actuelle pandémie de la COVID-19, l’année 2020 a été assez particulière, le monde entier s’est un peu mis sur pause, comment as-tu vécu l’arrêt de toutes ces activités notamment au niveau professionnel et artistique ?
SO : En effet, l’année 2020 a été une année très particulière et je dirais même, elle a été très complexe pour tout le monde mais aussi pour moi. Le confinement que nous avons vécu a été un moment de grands chamboulements et de questionnements. Si bien que je n’ai pas créé pendant cette période, je n'étais pas dans l'optique de créer, j'étais plus renfermée sur moi-même à me poser des questions existentielles. Par contre, lors du déconfinement, j’ai réussi à me remettre à la création. D'ailleurs, j'ai vécu ce reconfinement comme un retour à la « vraie vie » malgré les conditions sanitaires. Après, faire des expositions ou les créer ce n'est pas facile, donc tout se fait au ralenti, les expositions également. Il y a pleins de contraintes mais, malgré tout on continue d'exister et je continuerai de faire ce que je fais de mieux, créer.
TLFWI : Tu es très présente sur les réseaux sociaux, ces outils sont-ils importants pour toi dans la poursuite de tes objectifs ? Comment les utilises-tu ?
So Aguessy : Ah oui les réseaux sociaux numéro 1. Avec la pandémie, ils me permettent de rester connecter avec les personnes qui me suivent et qui apprécient mon travail. Aujourd’hui encore plus qu’avant pour moi c’est une nécessité de partager ma vie artistique avec les abonnés, car certaines expositions s’annulent avec la crise sanitaire. Ce climat d’incertitude n’est pas évident donc je garde encore plus qu’avant le contact avec ma petite communauté.
The Link Fwi : Quelle est ton actualité du moment ?
S.A : Mes actualités du moment commencent par la réouverture de la Galerie boutique UKA dans le centre commercial Destrelland ce qui me permet d’exposer avec d’autres artistes. D’ailleurs prochainement le lieu accueillera l’exposition BWoA Beautiful Woman of Art qui avait eu lieu à la galerie L’art s’en mêle au mois de mars. Ce sera l’occasion de se rattraper pour ceux qui n’avaient pas eu le temps de voir cette exposition qui regroupe 9 femmes Artistes.
TLFWI : Participeras-tu à d'autres événements, as-tu de nouvelles expositions de prévues ?
SO : Oui, j’ai d’autres expositions et événements prévus pour les prochains mois, dès que c’est validé je mets les infos sur mes réseaux comme toujours !
The Link Fwi : Merci So Aguessy pour cet agréable moment passé en ta compagnie.
So Aguessy : Merci pour l’invitation et cette interview, heureuse d’avoir découvert l'équipe derrière The Link Fwi.
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