Saïna Manotte rend hommage aux personnes dibout.
- ELMS
- 26 juil. 2022
- 11 min de lecture
Il y a deux ans, alors que la France dans son ensemble sortait du très dur confinement, Saïna Manotte sortait son tout premier album " Ki moun mo sa ", un album treize titres qui n'a pas démérité. Deux ans après, la chanteuse guyanaise a réitéré l'exploit en publiant son deuxième album " Dibout", une ode aux personnes dibout.

Les heures sombres des confinements, des couvre-feux sont désormais loin derrière nous bien que les cas de coronavirus continuent de progresser. Durement touché, le monde de la culture renaît de ses cendres. La saison estivale est vraiment chaude pour le public mais c'est aussi l'occasion pour les organisateurs de soirées ou de spectacles de se refaire une santé financière. Pour les artistes, tous styles confondus, même s'ils sont nombreux à avoir produit, écrit des singles ou des albums complets, le retour des concerts sans jauge de public est une véritable bouffée d'oxygène, car, tout simplement, ils peuvent revivre cette belle sensation que de monter sur scène. Monter sur scène, performer devant des foules entières, être en contact avec leurs fans, leur avait manqué.
Durant ces heures troubles de l'humanité, nombreux sont les artistes qui ont profité pour écrire, composer, enregistrer des titres voire des albums complets, afin de faire patienter les auditeurs. C'est le cas de Saïna Manotte. Au fil des années, elle a su imposer son style et sa voix dans le coeur des mélomanes et autres férus de musique aux accents épicés. Saïna Manotte est loin d'être une novice dans le milieu musical. Très active sur les réseaux sociaux, elle s'est justement fait connaître grâce à ses reprises guitare-voix-piano des plus grands tubes de la variété française d'hier à aujourd'hui. Souvent accompagnée de son époux Maxime Manot'. ( Maxime Bureau).
Pour revenir rapidement sur son parcours. En 2016, la jeune femme reçoit les lindors « Révélation de l’année » « auteur de l’année » et « artiste de l’année ». Dès lors, elle s’investit totalement dans la musique et délivre des titres profonds en créole et en français. Dans la foulée, en 2017, elle sort son premier EP « Poupée Kréyol » suivi en 2018 de son deuxième EP « Poupée Kréyol 2 » deux projets qui ont reçu un très bon accueil de la part du public. Le 8 mars 2020, Saïna Manotte a été la plus jeune guyanaise à recevoir le prix Femme de Culture à l’Encre.
Dans la foulée, en mai 2020 la chanteuse originaire de Guyane-Française nous avait gratifié en plein confinement, de son tout premier album studio " Ki moun mo sa ", un album treize titres composé et écrit à quatre mains qui n'a pas démérité. Deux ans après, la chanteuse guyanaise réitère l'exploit en publiant son deuxième album, " Dibout " une ode aux personnes dites dibout " debout " comprenez fortes. Comme pour son premier opus, Saïna Manotte a fait le choix du français et du créole guyanais pour l'écriture de ses textes pour son deuxième effort studio. Sur les quatorze chansons, il y a déjà des tubes. Nous pouvons citer notamment " Toujou dibout " en featuring avec le chanteur guadeloupéen Misié Sadik, ou encore " Ta priorité " et même " Men mo "
De passage en Guadeloupe pour sa toute première date dans l'archipel, nous l'avons rencontré pour parler de son nouveau projet qui ne passe pas inaperçu.
The Link Fwi : Bonjour Saïna Manotte, bienvenue sur The Link Fwi. Contente d'être en Guadeloupe et surtout contente d'être déconfinée ?
Saïna Manotte : Je suis très ravie mais vraiment très ravie d'être en Guadeloupe, de profiter de ses paysages magnifiques, de sa gastronomie et de sa population. Au final, je me sens un peu chez moi, ici en Guadeloupe, puisque je suis de la Guyane. Sinon, je suis très contente d'être déconfinée et de pouvoir laisser la culture s'exprimer, ainsi que la musique et d'être en concert en Guadeloupe, en ce qui me concerne.
TLFWI : Premièrement pour ceux et celles qui ne te connaîtraient pas. Qui es-tu ? Qui est Saïna Manotte et quel est ton parcours musical ?
Saïna Manotte : Je suis une femme créole, fière de sa culture, éprise de ses racines. D'ailleurs dans mon parcours musical, j'ai étudié vraiment la musique créole pendant mon master. C'est durant mon Master que je me suis dis que les musiques créoles de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, la Ka sé ko, le gwoka, le bélè, étaient tellement riches et tellement belles qu'il fallait pouvoir le transmettre aux générations. Biensûr, il y a des groupes traditionnels qui font ce travail mais nous ne sommes pas tous sensibles aux sonorités traditionnelles. Ce qui n'est pas mon cas, j'aime beaucoup la musique créole. Dès qu'il y a des tambours qui sonnent, je me mets à danser. Cependant, je sais que dans les radios, ou dans les oreilles des populations plus jeune, la musique moderne trouve plus facilement son chemin, c'est comme cela que j'ai décidé de mélanger la musique moderne et la musique traditionnelle. Du coup c'est ce qui donne cette musique avec laquelle je mets en valeur ma culture de façon moderne. Voilà qui je suis, si je devais me résumer.

The Link Fwi : Ce n'est pas la première fois que l'on te reçoit sur notre média, la première fois c'était pour parler de ton tout premier album " Ki moun mo sa ", sortit il y a deux ans. Cette année, tu as publié ton deuxième album " Dibout " . Comment se sont passés l'écriture, le choix des thèmes, la composition. D'où est venue l'idée de ce nouvel album ?
Saïna Manotte : Alors " Dibout " vient de témoignages que j'ai recueillis autour de moi. Il y a eu le confinement, évidemment donc pour moi, en tant qu'artiste, ça a été un peu difficile, j'ai traversé des annulations de dates, des festivals annulés, ce n'était vraiment pas facile. Je suis restée chez moi, comme tout le monde. Je broyais du noir. Puis, je me suis dit que " Saïna, tu ne peux pas rester là comme ça, à te sentir mal. Il faut que tu traverse ça mais debout. Toutefois, j'ai constaté qu'il y a des gens qui ont connu des choses pires. Ils traversaient des moments encore plus difficiles, comme la perte de leur emploi ou la perte d'un proche. Certains sont sortis de relations abusives voire ont subi des violences conjugales. Toutes ces personnes autour de moi avaient un point commun, c'est qu'elles arrivaient au bout, elles traversaient ce tunnel, elles se sont relevées. Alors, je me suis dit que toute cette résilience autour de moi. Toutes ces femmes et ces hommes autour de moi qui sont arrivés à traverser des épreuves en gardant le menton relevé, c'est beau, j'ai envie d'écrire là-dessus. C'est donc comme cela que m'est venu le thème " dibout" parce que je sais que des épreuves, il y en aura encore. Mais avec ces chansons, on pourra se dire, " on a déjà traversé pleins de choses difficiles, nous l'avons fait. Nous pouvons le refaire et an nou rété dibout, parce que le meilleur est devant nous.

TLFWI : Combien de temps cela t'a t-il prit pour réaliser cet album, écriture, composition, enregistrement compris ?
Saïna Manotte : Alors quasi deux ans puisque quand j'ai sorti mon album " Ki moun mo sa " qui était plus axé sur la question d'identité, le fait de célébrer les racines créoles, les rythmes traditionnels, tout ce qui fait que nous sommes un peuple, l'album a été très bien accueilli si bien qu'à peine publié, les gens ont commencé à me demandé quand je sortirais le prochain ? Personnellement, j'ai ce besoin d'écrire, j'écris donc tout le temps. Dès que j'ai l'occasion, j'écris, c'est comme une thérapie quelque part pour moi. Ainsi donc, j'écrivais déjà les titres du suivant, ce qui m'a permis d'avoir beaucoup de chansons pour ensuite choisir les chansons que je voulais garder pour l'album. Aussi, c'est à force d'écriture, de discussions avec les personnes autour de moi que le thème de l'album puisque c'est un album conceptuel, basé donc sur la résilience. C'est à force de travailler ces chansons que je me suis laissé vraiment le temps d'avoir une vraie direction comme choisir les meilleurs titres. L'écriture a été faite de mon côté, et à la composition, j'ai travaillé avec Maxime Manotte mon mai et partenaire de travail. D'autres personnes se sont rajoutées comme Alex Cabit, ce guitariste est fabuleux. Dès qu'il prend sa guitare, il fait danser tout le monde. On le retrouve sur le titre " Ta priorité" le single que l'on vient de sortir. C'est un album qui s'est construit sur le long terme parce que je voulais vraiment avoir une direction claire.

The Link FWI : Tu nous a parlé d'Alex Cabit, mais sur cet album on retrouve également des collaborations avec Misyé Sadik et Goldn.B. Justement comme cela s'est-il passé ? Est-ce toi qui a eu l'idée de faire ces collaborations ?
Saïna Manotte : Je suis allée vers Misyé Sadik parce que c'est un artiste que j'admire beaucoup et que j'écoutais déjà plus jeune. Pour moi, c'était donc l'occasion un honneur de collaborer avec lui. Il a tout de suite accepté, ça s'est fait naturellement. Pour ce qui est de Goldn.B, sachant qu'elle est guyanais comme moi, nous nous étions déjà côtoyées. Nous avions déjà fait des scènes ensemble et nous disions qu'il faudrait que nous fassions un titre ensemble. Pour cet album, cela été l'occasion. Ce que j'ai aimé dans ces collaborations, c'est qu'ils ont apporté une touche plus urbaine, plus hip hop, plus dance-hall à l'album. Me concernant, j'étais plus sur des rythmes plus chaloupés, plus zouk(s), plus traditionnels avec bien entendu des rythmes de tambour. Néanmoins, je voulais aller plus loin que l'album précédent. Pour ce faire, même sur ma façon de poser, j'ai adopté des flows un peu plus trap, plus hip hop et le fait d'avoir collaboré avec eux, cela a apporté cette touche urbaine que je voulais. Raison pour laquelle je suis vraiment ravie de ces collaborations là.
TLFWI : Est-ce que ça a été un travail à distance ou tu es venue sur place ou bien ce sont eux qui ont fait le déplacement à Paris ?
Saïna Manotte : Ce n'était pas du tout la même façon de fonctionner avec les deux. Pour ma collaboration avec Misyé Sadik, nous avons travaillé à distance puisque lui étant en Guadeloupe et moi sur Paris, nous nous envoyions nos textes. Nous étions régulièrement en contact pour savoir si cela nous plaisait l'un l'autre. Nous échangions très souvent sur la façon de poser la voix sur le couplet, nous avons fonctionné de la sorte jusqu'à ce que nous étions le rendu que nous voulions et nous nous sommes rencontrés après trois mois. Je me suis partie en Guadeloupe pour réaliser le clip de " Toujou Dibout " C'était en février que l'on a fait ce clip et c'était une aventure humaine fabuleuse. Ensuite, nous avons eu beaucoup d'occasions de le chanter sur scène, donc cela a été une chance de partager toutes ces scènes ensemble. Tout a commencé par la distance, puis ensuite, nous nous sommes vus. Pour ce qui est de Goldn.B, comme je l'ai dit, nous nous connaissions déjà, nous avons eu la chance toutes d'être sur Paris au même moment, donc nous avons enregistré ce titre en studio ensemble. Nous avons fait tout de A à Z, en commun.

The Link Fwi : Comme pour Ki moun mo sa, nous retrouvons des textes chantés en français et en créole, est-ce pour toi de toucher les deux publics, francophones, créolophones ?
Saïna Manotte : Au delà d'une volonté quelconque, c'est tout simplement naturel. Je suis Guyanaise, je suis une femme guyanaise, créole. Je parle aussi bien créole que français. Mes parents m'ont élevé comme tel, en me parlant en créole et en français. Ce sont donc mes langues natales tout simplement. C'était donc naturel pour moi d'écrire dans ces langues. Je ne me voyais pas écrire en anglais ou en brésilien ou en patois jamaïcain. Je suis qui je suis, je parlais français et créole. Ce sont des langues que j'aime. J'aime lire des roman en français, j'aime écouter de la musique en créole et je voulais démocratiser le créole. J'attends de pouvoir lire un tas de romans en créole.
TLFWI : Ton album est plutôt dansant pourtant, tu abordes thèmes tels que la violence conjugale, la déception amoureuse, la mort, cela te tenait à coeur d'en parler de cette façon ?
Saïna Manotte : Oui, parce que comme je le disais, je me suis nourri de témoignages. C'est un album qui est fait de réalités de choses que j'ai vu autour de moi. Je ne voulais pas faire un album qui pousse au suicide. L'album parle de résilience. Il s'appelle Dibout. Il dit que l'on peut traverser toutes les épreuves en se tenant debout. En créole guyanais, on dit " To pé vansé kouché, to pé vansé djokoti,to pé vansé dibout " Personnellement, j'ai fait le choix d'avancer debout et c'est ce que je souhaite à chaque personne. Je voulais donc parler de nos réalités, de la vie puisque ce sont des choses qui étaient autour de moi. Je souhaitais que l'on garde en tête que l'on peut traverser ça et avoir quelque chose de plus beau derrière. 'C'est pour cela que l'album est dansant au final parce que je trouve cela beau de traverser ces épreuves là, et se rendre compte que derrière, il y a mille choses magnifiques à faire.

The Link Fwi : En ce qui concerne les interludes, elles sont mélancoliques, était-ce là encore voulu ?
Saïna Manotte : Ces interludes sont justement les témoignages que j'ai recueillis. Il y a une partie de mon histoire mais aussi beaucoup d'histoires autour de moi que j'ai volontairement mêlé pour une histoire à partir de différents parcours de vie. Ce sont des histoires vraies. Quand je parle du deuil, c'est que quelqu'un autour de moi a vécu ça. Lorsque j'évoque les abus, c'est que quelqu'un a vécu ça et toutes ces femmes sont debout malgré tout.
TLFWI : Il y a eu beaucoup de témoignages ?
Saïna Manotte : Trop malheureusement. Trop de témoignages morbides. Trop. C'est pour cela que j'ai fait cet album. J'espère que je n'aurais plus à faire d'album qui dénonce ce genre de choses. J'espère que l'on n'aura plus à parler de ça et que ça n'existera plus.

The Link Fwi : Et ce sont des femmes de la Guyane ou d'ailleurs ?
Saïna Manotte : Ce sont des amies, toutes origines confondues. J'ai des amies de partout dans le monde aujourd'hui. Il y a bien entendu des femmes créoles mais aussi des femmes françaises de l'Hexagone et des femmes qui vivent à l'étranger.
TLFWI : Toi qui parle de femmes dibout quel...
Saïna Manotte : Femmes et hommes. C'est vrai que je parle de femmes dans les interludes mais il y a aussi des histoires d'hommes. Il y a des gens qui ont perdu leur entreprise, ou leur emploi à cause des restrictions sanitaires. J'ai des amis qui avaient des entreprises de sport ou des associations sportives ou spécialisées dans la danse, vous imaginez bien que lorsque le président Macron a décidé qu'on ne pouvait plus des sports de contact en salle, ils ont tout perdu. Aujourd'hui, ce sont des femmes et des hommes qui se reconstruisent qui font totalement autre chose, qui repartent de zéro.
Après, je ne pense pas qu'il y ait une définition simple pour une femme debout. Je pense qu'une femme qui s'assume dans sa féminité, qui la vit comme elle le veut et qui arrive à trouver sa place dans la société sans sentir mal, c'est cela être une femme dibout parce qu'il y a beaucoup d'expériences que nous vivons en tant que femmes. Là, je parle des femmes ou indirectement, pas forcément de façon frontale mais nous sommes rabaissées à cause du fait d'être une femme. Lorsque l'on arrive à se dépatouiller de ça ou lorsqu'e l'on lutte contre ça, pour moi on est une femme Dibout.

The Link Fwi : Avec la sortie de ton album, tu as entamé une tournée dans l'Hexagone, dans les Outremers etc, où a-t'elle commencé et jusqu'où te mènera t'elle ?
Saïna Manotte : Ah le Dibout Tour ! Peut nous mener partout. La tournée a commencé en Guyane avec des petites dates là-bas. Nous avons joué à Abidjan en Côte d'Ivoire. Il y a eu la Martinique. En ce moment, nous sommes en Guadeloupe. Il y a une date déjà de prévue à Paris. Ensuite, de nouveau en Guyane. Enfin voilà, ça bouge beaucoup. J'espère pouvoir repartir en Afrique prochainement, plus précisément au Sénégal, mais également au Brésil. Voilà ce dont on parle concrètement, ce sont des projets qui sont déjà entamés.

TLWI : Où pouvons-nous acheter " Dibout " et où pouvons-nous l'écouter ?
Saïna Manotte : Dibout tou patou, tout koté (rires). Je suis sur les réseaux sociaux, Instagram, sur Facebook Mo jis asi Tik Tik (rires). Je suis vraiment partout. Puis, l'album Dibout est aussi disponible en physique sur mon site internet www.sainamanotte.com Tous mes réseaux sociaux sont à mon nom. Il y a même le vinyle. Pleins de formats pour écouter Dibout.
The Link Fwi : Un dernier mot pour nos abonnés de la Guadeloupe, de la Guyane, la Martinique ?
Saïna Manotte : Rété dibout, dibout doubout, parce que c'est comme cela que l'on dit ça en Guadeloupe : " an nou rété doubout ".

Comments