Reine-Uger : “ Mon beau-frère m’a brisé à vie. Il a pris ma vie. J’ai décidé de briser le silence."
- ELMS
- 24 sept. 2022
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 oct. 2022
Reine Uger, 64 ans est une mère de cinq enfants et même grand-mère d’apparence tranquille. Pourtant, depuis plus de cinq décennies, la grand-mère Guadeloupéenne cache un terrible secret. Celui d’avoir été abusée sexuellement par son beau-frère, la mari de sa sœur aînée alors qu’elle n’avait que douze ans. S'en sont suivies des années de violence sexuelle, d’abus en tout genre. Alors qu’elle n’a que dix-sept ans, elle tombe enceinte pour son bourreau et a donné naissance à un fils. Dans ce cercle familial restreint, elle passe du statut de victime à coupable d’avoir réveillé les pulsions du mari de sa sœur et donc d’avoir brisé leur mariage. Elle témoigne

Le sujet que nous allons aborder, est dans la ligne de droite des thématiques que nous avons l’habitude de relayer tant il est d’une importance capitale. En effet, depuis nos débuts, nous avons à cœur d’aborder des thématiques sociales et sociétales qui concernent les Outremers. Ainsi, à travers les lignes de cet article et les minutes de visionnage de la vidéo auxquelles vous aurez consacré de votre temps, nous traitons de l’inceste et des violences sexuelles au sein des familles Guadeloupéennes mais plus spécifiquement au sein des familles antillaises et ultramarines. L’inceste est l’un des plus grands tabous de nos sociétés créoles mais, il est très important d’en parler afin que le poids des mots apaise les maux des victimes et que se rompe la chaîne de la culpabilité qui entrave le corps et l’esprit.
Combien sont-ils à avoir subi ces violences ? Combien osent réellement parler ouvertement et dénoncer ? Sans doute beaucoup plus qu’on ne le pense. De notre côté, sommes-nous prêts à les écouter ?
Bien souvent anciennes, la souffrance reste malgré tout présente et vive pour celui ou celle qui a eu a les subir. Du point de vue des conséquences, elles sont nombreuses : dépressions récurrentes, tentatives de suicide, addictions à l’alcool aux drogues, troubles du sommeil, troubles alimentaires, stratégie d’évitement. De plus, les violences sexuelles vécues dans l’enfance ont aussi une incidence sur la vie de famille, le travail ou même dans l’intimité sentimentales ou sexuelles des victimes. Ainsi, quatre femmes sur dix rapportent des douleurs, notamment du vaginisme. Un homme sur trois ont des troubles de l’érection. Trois victimes sur dix rapportent une absence totale ou une baisse de libido ce qui peut entraîner une absence de vie sexuelle. Par ailleurs, beaucoup de femmes ayant subi des violences sexuelles dans la famille n’ont pas pu avoir d’enfants.
L’institut National des enquêtes démographiques à travers sa récente étude datée de 2020 et menée auprès de 27 000 personnes âgées de 20 à 69 ans affirme que 6,7 millions de Français(çaises) affirment avoir déjà été victime d’Inceste. Selon cette enquête, un homme sur huit (13%) et près d’une femme sur cinq ( 18%) affirment avoir subi des violences psychologiques, physiques ou sexuelles, y compris l’inceste au sein de la sphère familiale, avant d’atteindre l’âge de 18 ans. Plus de 4% des femmes disent avoir subi des violences sexuelles au sein de leur famille et dans l'entourage proche, contre 1% des hommes. 1,5 % des filles subissent des viols ou tentatives de viols, pour 0,3 % des garçons.
D’après un sondage IPSOS daté de 2020, l’association Face à l’Inceste a déclaré qu’un Français sur dix avoue avoir été victime d’inceste, soit 6,7 millions de personnes. 32% des personnes sondées connaissent au moins une victime d’inceste. 23% confirment connaître une ou plusieurs victimes d’agressions sexuelles perpétrées par un membre de leur famille durant l’enfance. Tandis que 29% disent l’avoir été eux-mêmes. Selon le sondage, 46% des personnes interrogées connaissent donc un ami (une amie) ou une connaissance. 29% avoue l’avoir été elle-même, 28% ont connaissance d’une personne de leur famille l’a été. 9% ont évoqué les violences qu’ont subi leur conjoint. 9% sont les enfants d’un père ou d’une mère victime d’inceste.
Bien souvent, les femmes sont les plus exposées aux violences sexuelles au sein de la famille. En effet 78% des victimes sont des femmes et 22% des hommes.
En une décennie, les chiffres de l’inceste ont triplé, sans doute, le fruit d’une libération de la parole dû au mouvement #Meetoo. Il est vrai qu’en 2009, seuls 2 millions de français(çaises) avouaient avoir été victimes. En 2015, ils étaient 4 millions à parler de leurs abus. En 2021, on parle donc de 6,7 millions de Français(çaises) victimes d’inceste. Des chiffres qui pourraient bien augmenter vu qu’en un an, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants ( Ciivise) a recueilli plus de 16 414 témoignages de victimes.
Sur le plan du droit, deux avancées ont été enregistrées ces dernières années. En 2016, sous la pression des associations de victimes, le mot inceste fait son entrée dans le code pénal. Il désigne les viols et agressions sexuelles commises sur un mineur par un ascendant, un frère ou une sœur, mais aussi par un oncle, une tante, un neveu ou une nièce « si cette personne a sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Sont également concernés les conjoints concubins ou pacsés de ces adultes ainsi que le tuteur ou la personne ayant l’autorité parentale. L’inscription a surtout un effet symbolique ; la loi sanctionnait déjà, avant cette date, les relations sexuelles au sein de la famille.
Et les Antilles-Guyane dans tout ça ?
Aux Antilles-Guyane peu osent briser le silence pour dénoncer celui ou celle qui les a brisés à tout jamais. Ils sont nombreux à souffrir dans leur chair. Contrairement aux apparences, nombreuses sont ces personnes qui ont été la proie d’un bourreau, bien souvent membre de la famille et qui pourtant, par peur de représailles, de voir se briser le noyau familial. Puis, les années passent, le silence devient pesant voire étouffant. Des années de silence qui se transforment en enfer pour les victimes dont le malheur a été de naître, côtoyer ou de grandir avec ce bourreau qui leur était si proche.
Les raisons de ce silence ou du moins de cette sous-représentation des victimes ultramarines dans les statistiques nationales sont là encore diverses. Pour les sociologues et même les psychologues reposent sur premièrement le poids familial qui est beaucoup plus fort que dans l’Hexagone avec une proximité effective entre la victime et son agresseur du fait de l’étroitesse du territoire et des liens familiaux. La personne agressée peut donc craindre de voir se briser sa famille au cas où elle parlerait. Comme le soulignait dans son rapport à l’Assemblée Nationale, Josette Augustin : “ dans les territoires étroits et fermés, l’anonymat est difficile, les femmes n’osent pas porter plainte pour violences conjugales ou pour des faits d’inceste, de peur d’être stigmatises par le voisinage, l’entourage ou les amis.
D’autre part, le poids de la religion qui est fortement ancrée dans les mœurs locales, une religion vectrice de morale sociale avec des valeurs de respect envers son père, sa mère et les autres membres de la famille, sans oublier les idées véhiculées par des préceptes magico-religieux. De plus, dans certaines familles, l’inceste est même en héritage au sens où, il se transmet sur plusieurs générations au point qu’il en devient banal. Toutefois la douleur est bien présente pour celui ou celle qui l’a vécu. Quelques-uns(es) sortent du silence et parlent.
C’est le cas de Reine Uger 63 ans est une mère de cinq enfants et même grand-mère d’apparence tranquille. Pourtant, depuis plus de cinq décennies, la grand-mère Guadeloupéenne cache un terrible secret. Celui d’avoir été abusée sexuellement par son beau-frère, la mari de sa sœur aînée alors qu’elle n’avait que douze ans. S'en sont suivies des années de violence sexuelle, d’abus en tout genre. Alors qu’elle n’a que dix-sept ans, elle tombe enceinte pour son bourreau et a donné naissance à un fils. Dans ce cercle familial restreint, elle passe du statut de victime à coupable d’avoir réveillé les pulsions du mari de sa sœur et donc d’avoir brisé leur mariage. Elle témoigne.
The Link Fwi : Bonsoir Reine, soyez la bienvenue sur The Link Fwi. Vous êtes récemment passée sur une chaîne de télévision locale, parler de votre histoire, mais plus précisément les abus sexuels que vous avez subi durant votre adolescence. Pourquoi avoir entrepris cette démarche d’en parler publiquement ?
Reine Uger : Avant de parler, laissez-moi me présenter. Je suis Reine Uger Amélie. Je réside dans la Ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Quand j’étais petite, vers l’âge de sept ans, ma mère m’a placée chez ma grande sœur et son défunt mari afin que je puisse poursuivre ma scolarité. Les premières années chez ma sœur ce sont bien passées, j’allais à l’école, j’étais une petite fille comme toutes les petites filles aux âges que j’avais. Chez eux, comme ma sœur enseignante était très souvent occupée, je faisais donc presque tout, la vaisselle, mettre le couvert, le nettoyage. Les choses ont changé lorsque j’ai eu douze ans. Mon beau-frère a commencé à me faire des attouchements au niveau de ma poitrine, de mon sexe. A chaque fois qu’il venait, je le repoussais comme je le pouvais. Malgré mes supplications, il ne s’arrêtait pas et continuait ses actes. Un jour, alors que nous étions dans la cuisine et qu’il voulait encore me toucher, je l’ai menacé de tout dire à ma grande sœur. Sans que je m’y attende, il a pris un couteau, m’a regardé droit dans les yeux et m’a menacé de me tuer et de tuer ma sœur par la même occasion si j’osais le dire. A ses mots, je peux vous dire que j’ai eu très peur. Dès lors, je me suis laissé faire. Les agressions et viols ont continué jusqu’à ce que je tombe enceinte à mes seize ans. Bien évidemment, c’était lui le père. Ma sœur savait tout, elle ne disait rien. Elle gardait le silence. Elle ne m’a jamais protégée contre son mari et jusqu’à ce jour, elle ne m’adresse plus la parole. Elle sait que mon fils est celui de son mari. Les quelques fois où j’ai voulu aborder le sujet, elle ne m’a jamais écouté. La seule chose qu’elle m’a dite “ Dieu va arranger ça “.
Une fois, j’ai demandé une réunion de famille, chez ma mère avec tous mes frères et sœurs, là encore, elle n’a pas voulu m’entendre et m’a empêché de parler. J’étais tellement dans des émotions que j’ai fait un malaise. Ma belle-sœur m’a aidé à me relever. Je n’ai pas abandonné, je lui en ai parlé à plusieurs reprises en passant par des membres de notre famille tel que mon neveu qui le lui a dit, elle n’a pas parlé. Actuellement, je passe dans divers plateaux télévisés ou radios, je n’ai toujours pas sa réaction. Elle fait silence.
Au cours de tous mes suivis psychologiques, tous les professionnels qui m’ont accompagné et qui le font encore, m’ont dit clairement que ma sœur est fautive de ce qui m’est arrivé. Elle est même coupable puisqu’elle savait tout mais elle ne s’en jamais occupée. Elle voyait quand son mari partait avec dans ses escapades dans les bois. Les huit enfants qu’elle a eu avec cet homme souhaitaient venir avec nous et le faisaient comprendre, celui-ci refusait que les enfants nous accompagnent et elle, elle se taisait. Cinquante-deux ans après les faits, elle a la même position, elle ne s’en occupe pas.
TLFWI : Mais avant que ces faits ne surviennent, comment était votre enfance ?
Reine Uger : Oh oui, dans la famille c’était la misère. La pauvreté. Je me souviens, petite, je voulais une poupée qui était en vogue à cette époque, je ne l’ai jamais eu. La première fois que j’ai eu l’occasion d’acheter une poupée, c’est quand j’ai travaillé à la mairie de Morne-à-l'Eau. Quand j’allais en classe, je n’avais pas de quoi manger, même un morceau de pain. Quand je sortais des cours à midi, je me rendais souvent près d’une voisine qui me donnait une tranche de fruit-à-pain et qui versait par-dessus un peu d’huile. Ensuite, elle les posait sur un feu comme c’était très courant. Nous étions vraiment très pauvres. Après, nous n’étions pas les seuls, c’était une autre Guadeloupe. Il n’y avait pas toutes ces aides sociales comme de nos jours. Je peux dire que tout ce dont je rêvais, je ne l’ai jamais eu du fait de la pauvreté dans la famille. En plus avec ce qui m’est arrivé, je n’ai jamais pu travailler, donc je n’ai jamais pu assouvir mes envies.
The Link Fwi : Cette question va peut-être vous paraître gênante , mais vous souvenez-vous de la première fois qu’il vous a violé, comment s’est-il pris ?
Reine Uger : Comme je l’ai évoqué en début d’interview, les faits remontent cinquante-deux ans, donc je ne me souviens pas en détail de cette toute première fois où il a abusé de moi. C’est comme si le choc m’empêchait de me souvenir de cette première fois mais une chose est sure, il venait et s’était récurrent.
TLFWI : Étiez-vous seuls vous et lui où votre sœur, votre famille était aux alentours ?
Reine Uger : Oui ! Afin qu’il soit seul avec moi, il mettait ses enfants hors de la maison, leur disait de jouer sur le balcon. Puis, il s’enfermait avec moi dans leur chambre où il s’adonnait à son vice. Néanmoins, les enfants voyaient que quelque chose n’allait pas. Ils constataient qu’il s’enfermait avec moi dans la chambre et que l’on restait de longues minutes la porte close. Une fois qu’il avait terminé, il ouvrait la porte et partait faire ses activités.
The Link Fwi : Aujourd’hui, êtes-vous en contact avec votre sœur ou même leurs enfants ?
Reine Uger : Alors, je n’ai aucun contact. Ils ne me parlent pas. Je ne sais rien d’eux. Quand ils font des fêtes, je ne suis pas conviée. Je n’ai aucune photo d’eux et eux pareil. C’est comme si entre nous, il existait un fossé séparé par un pont cassé.

TLFWI : Combien de temps ces abus ont-ils duré ?
Reine Uger : Les faits ont débuté quand j’avais douze ans et ont pris fin à mes seize ans, une fois que l’on a découvert ma grossesse. D’ailleurs à ce sujet, je ne savais même pas que je l’étais vu mon âge et ma méconnaissance des choses. C’est un cousin qui a alerté ma mère en lui signifiant que des personnes racontaient m’avoir vu enceinte. A l’annonce de cette nouvelle, ma mère est venue me récupérer chez ma sœur et au final, je suis restée chez ma mère où j’ai donné naissance à mon fils.
The Link Fwi : Vous dites que votre sœur était au courant des actes sexuels répétés mais êtes-vous vraiment sure qu’elle l’était ? L'a-t-elle su bien après et comment ?
Reine Uger : Elle le savait. Elle était témoin des agissements de son mari. Quand il partait avec moi “ en promenade “ dans les bois ou quand on dormait, certains soirs, alors que je dormais près d’elle et lui qui dormait à part dans une autre chambre, se levait, me réveillait pour abuser de moi, en sa présence pourtant elle gardait le silence. Elle ne m’a jamais défendu. Quand je sortais des classes et qu’elle venait me chercher, je la regardais avec tristesse, elle détournait son regard du mien. J’étais sous sa responsabilité et elle n’a jamais rien fait pour que mon calvaise s’arrête. A ce jour, je demande à la voir, à lui parler. Elle refuse. C’est un poids pour moi. Malgré mes interventions dans la presse, elle n’a jamais daigné me répondre. Son silence est pesant. Je pense que pour elle, je ne suis rien. (pleurs) Dans la famille tout le monde sait ce qui m’est arrivé il y a cinqaunte deux ans. En plus, vu mes nombreuses interventions dans la presse, la Guadeloupe toute entière est informée, la Martinique pareil, la Guyane et la France pareil. En plus, à cette période, en 1975, dès que tu faisais quelque chose de mal, toute la Guadeloupe le savait.
TLFWI : A vos explications, pour votre sœur, vous êtes passée du statut de celui de victime à la coupable des perversions de votre beau-frère ? C’est l’impression que vous avez Reine ?
Reine Uger : Effectivement, c’est mon impression. Jusqu’à présent. Cinq décennies après, je me sens briser. Cela a détruit ma vie. C’est ce qui m’a poussé à passer sur différents médias y compris le vôtre car, je fais ça pour toutes les victimes d’inceste, d’abus sexuels dans les familles. Il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense. A travers mon action, je pense aux femmes, aux hommes, aux jeunes femmes, aux jeunes hommes, aux petites filles et aux petits garçons. J’ai trop souffert. Il y a des moments où je me demande “ qu’est-ce que je fais encore sur terre ?” Je veux pas que ce que j’ai subi, eux, le subissent à leur retour. Il faut les protéger.
The Link Fwi : Vous êtes tombée enceinte de votre bourreau, était-ce difficile pour vous d’accepter que vous portiez l’enfant de celui qui vous faisait du mal ? Par quel processus êtes-vous passée pour accepter cet enfant ?
Reine Uger : comme je l’ai expliqué, je ne savais pas que j’étais enceinte. Il est vrai que mon ventre poussait mais vu mon âge, je ne savais pas comment cela se passait. J’étais très jeune. Je ne m’occupais que d’aller à l’école ou au catéchisme. J’ai accouché dans de grandes difficultés. J’ai eu vraiment très mal. C’était ma première grossesse. On m’a accouché par forceps. Ensuite, je suis revenue chez ma mère. A la question si j’ai accepté l’enfant, je ne préfère pas y répondre de peur de ne blesser mon fils. Il aura trop mal.
TLFWI : De son côté, votre bourreau, comment l’a t’il pris ? S’est-il défendu ? Quelle fut sa réaction ?
Reine Uger : Il n’a pas dit que c’était lui le père de mon enfant. Vous savez il y avait en ce temps-là un jeune homme un peu déshérité qui vivait sous le même toit et qui travaillait pour lui. Il m’a dit de dire que c’était ce jeune qui était le père de mon fils. N’ayant pas lui-même de quoi subsister et étant complètement sous la coupe de mon agresseur, le jeune homme a accepté d’endosser la responsabilité et moi de même, j’ai indiqué que le père de mon fils était cet employé. Cependant, quand l’enfant a grandi, les similarités avec mon agresseur étaient bien perceptibles. Ils se ressemblent l’un et l’autre.
Les années passant, alors que j’étais chez moi, ( pas chez ma mère), je suis tombée sur une émission de télévision qui traitait de ce problème que sont les violences sexuelles dans les familles. Cette émission a été comme un déclic. Je me suis dit que moi aussi je devais parler afin de me libérer. Je me suis donc rendu au tribunal ensuite à la police où j’ai décidé de porter plainte contre mon beau-frère.
The Link Fwi : Vous aviez quel âge à ce moment là où vous avez décidé de franchir le pas de la plainte ?
Reine Uger : Je devais avoir trente-cinq ou trente-six ans quand j’ai porté plainte contre lui. C’était un 19 mai 1993. Je suis tombé sur un policier très à l’écoute qui a su me rassurer, m’indiquant que je pouvais tout lui dire. Une fois mon récit terminé. Il m’a ordonné de rentrer chez moi, m’a indiqué les démarches à faire comme coucher sur papier les faits qui me sont arrivés et d’envoyer ce courrier au procureur de la République. Ce que j’ai fait. Ils ont accepté ma lettre, et ils m’ont même répondu.
TLFWI : Justement, la justice vous a-t-elle écouté, accompagné dans votre quête de vérité ?
Reine Uger : Je ne peux le nier, j’ai eu droit à l’aide juridictionnelle en prenant un avocat. Ce dernier n’a rien fait pour moi. Durant deux ans, j’ai entrepris des démarches auprès de lui, mais il n’y a rien eu de sa part. Le temps est passé jusqu’au jour, où il y a eu une journée des avocats. Je m’y suis rendu. J'ai été reçu par une avocate qui a bien voulu prendre mon affaire. Là encore grosse déconvenue. Elle n’a rien fait avec mon dossier. Sachez que j’ai eu au moins douze aides juridictionnelles. J’ai l’impression qu’ils prennent juste l’argent mais ne font pas grand-chose pour nous les victimes. A leur demande, j’ai fait un test d’ADN salivaire qui a été envoyé dans l’Hexagone. Ces tests n’ont jamais été plus loin. Mon médecin qui devait réceptionner les tests m’a indiqué que le laboratoire a fait les tests mais que les avocats n’ont jamais été plus loin, ils n’ont jamais transmis mon dossier et les résultats au juge. J’ai eu moins vingt avocats. J’ai pris rendez-vous avec un autre avocat qui m’a aussi demandé de réaliser un test ADN avec mon fils. Ils ont convoqué mon beau-frère afin que lui aussi réalise ce test, malgré les nombreux courriers recommandés, il ne s’est jamais présenté. Il a eu le temps de mourir en 2015, je n’ai jamais eu de suite ou même des réparations.
The Link Fwi : Aucune procédure judiciaire n’a été plus loin ?
Reine Uger : Ce n’est jamais allé très loin. De plus, mon beau-frère a tout nié. Son avocat m’a montré une lettre qui encore plus blessé. J’ai cru que j’allais mourir en me jetant de mon balcon tant il m’accusait. Je rappelle que j’étais une enfant. Il a tout nié et à tout mis sur ma responsabilité, moi qui étais une enfant de douze ans et lui, un homme de quarante-six ans pour qui j’ai eu un enfant issu de ces violences.
Du côté de la justice maintenant, quand j’ai voulu poursuivre l’affaire, ils m’ont dit qu’il y avait prescription mais que je pouvais prendre un avocat pour demander des dommages et intérêts. Ainsi, comme je l’ai dit, j’ai eu droit à plusieurs avocats qui à chaque fois, n’ont rien fait pour moi.

TLFWI : Malgré ces faits, vous avez fait votre vie, vous avez eu d’autres enfants. Aujourd’hui, vous avez 64 ans, vous êtes une mère comblée mais aussi une grand-mère, comment se reconstruit-on en tant qu’adulte après avoir subi ces abus ? Comment êtes-vous arrivée à construire votre vie de femme ?
Reine Uger : Pour être honnête avec vous, je n’étais pas prête à faire d’autres enfants. Je peux dire que “ l’on m’a forcé “ à le devenir. Je ne voulais pas d’autres enfants mais bon voilà, je me suis mise en couple et faut remplir son devoir conjugal. Les enfants sont nés. J’ai accepté. Personnellement, je ne l’aurais pas fait. D’autre part, depuis mes agressions sexuelles, je ne ressens aucun désir sexuel, aucune attirance pour un homme. Je ne sais même pas comment faire plaisir à un homme ni même me faire plaisir. Si Dieu existe, je demande à ce que, lorsque je mourrai, que je voudrais renaître afin de mener la vie que j’aurais voulu avoir. Toute ma vie a été brisée. C’est comme si vous aviez devant vous une morte vivante. En général, les gens s’attardent à l’extérieur mais on ne voit pas de l’intérieur mes souffrances. Au fond de mois, j’ai cette impression que je ne suis rien dutout. Je fais semblant pour tout. J’ai prendre l’exemple de la tortue avec sa carapace. Je suis comme ça, je me suis mis ma carapace et je me protège de tout. Personne ne le voit. Du moins, en apparence je vais bien en intérieur je me porte bien. Je suis une personne qui rit beaucoup mais au plus profond de moi, je suis malheureuse.
Je le redis, je veux que mon témoignage permette de délier les langues et que plus jamais aucun petit garçon, aucune petite fille n’ait à subir ce que j’ai vécu. Tous ces bourreaux nous détruisent à vie ! Aussi, je veux faire sortir ce poids qui me pèse depuis toutes ces années.
The Link Fwi : Avez-vous été suivie par un professionnel ( psychologue notamment ). L’êtes-vous encore à ce jour ?
Reine Uger : Je suis suivie depuis 1993. Mes séances chez le psychologue et le psychiatre sont devenues des choses du quotidien pour moi. J’en ai besoin. Je prends également des médicaments à vie. Par exemple, il n’y a pas si longtemps, je n’étais vraiment pas bien. Je suis restée huit jours et huit nuits sans dormir. Durant toute cette période, mes yeux ne se fermaient pas. Chaque fois que je m’allongeais sur le lit, je tremblais. Impossible pour moi, de trouver le sommeil. Par deux fois, je me suis rendues à la Clinique, conduite par ma fille. Une fois sur place, le médecin a constaté mon état de panique, a remarqué que mon cœur battait très vite même trop vite. Il m’a administré des médicaments pour me calmer. Il n’y a pas si longtemps, je suis allée en consultation chez mon généraliste qui m’a prescrit une analyse de sang et il a lui aussi constaté que mon cœur battait trop vite. Il m’a fait prendre rendez-vous chez le cardiologue, qui au aussi vu la vitesse à laquelle mon cœur va. Il m’a d’ailleurs fait la remarque “ madame, votre cœur bât comme quelqu’un qui fait du footing “ or, je ne fait pas de sport à laquelle. Il m’a également donné des médicaments que je devais prendre tous les jours, matin, midi et soir. Ce médecin a reconnu que mes problèmes cardiaques étaient liés à mon viol.
Assez souvent, je suis tenté par arrêter les séances chez le psychologue, mais je constate que j'en ai besoin. Je pleurs beaucoup moins qu’avant mais, la douleur est encore présente. C’est un poids qui va me suivre toute ma vie.
TLFWI : Justement Reine, quel serait votre message pour toutes ces victimes qui n’osent pas en parler ?
Reine Uger : J’ai pris du temps à poser des mots sur mes maux. J’ai pris du temps à dénoncer l’homme qui m’a fait mal et qui m’a brisé mais j’ai réussi à parler. Mon conseil pour toutes ces personnes qui ont eu à subir ou qui subissent ce genre de violence, que peu importe le temps que vous prendrez, vous devez dénoncer vos agresseurs. Il y a beaucoup de cas d’inceste chez nous et peu osent le dire. Parlez ! Pour les inciter, j’ai pris la décision de mener le combat. J’irai sur différents médias pour traiter de ce problème de société

The Link Fwi : Vous êtes loin d’être la première personne à subir des violences sexuelles au sein de la famille, mais vous avez décidé de parler. Beaucoup n’ont pas le courage d’en parler. Selon pourquoi est-ce plus difficile d’en parler en Guadeloupe et dans les Outremers que dans l’Hexagone ?
Reine Uger : Je pense que oui. Pour tout vous dire, je pense que j’aurais été en France, je ne pense que j’aurais été dans l’état dans lequel je me trouve. La parole se libère un peu plus là-bas. Sinon après mon passage sur la chaîne locale, j’ai été contactée par une femme, elle aussi victime d’inceste mais cette fois, ces actes ont été commis par deux de ses oncles et que sa nièce lui affirme avoir elle aussi été abusée par l’un des oncles agresseurs. Nous nous sommes vues. Une chose est sure, ce combat est devenu le mien. Je veux que les victimes arrêtent de se cacher. Je suis capable de monter au plus haut sommet de l’Etat pour que les choses évoluent.
Vous avez été victime d’inceste ? Vous souhaitez en parler ? Il existe une ligne téléphonique pour témoigner : 0 805 802 804 depuis la métropole, et 0 800 100 811 depuis l’Outre-Mer. Les proches de victimes peuvent également appeler.
(2) Mail : temoignages@ciivise.fr ou par courrier Ciivise, 14, avenue Duquesne, 75 007 Paris. Ou répondre au questionnaire sur le site de la Ciivise : ciivise.fr
S'il est encore difficile d'avoir des données précises, des associations viennent en aide à ces victimes, comme Guadav France victimes 971 qui fournit un accompagnement juridique, psychologique, social.
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