Chaque homme ( ou femme) nait pour réaliser de belles choses. Peu y arrivent mais quelques-uns sont parvenus à marquer l'histoire de leur territoire et même plus largement, ils ont marqué l'histoire de l'Humanité. Par moment, leurs actions sont avant-gardistes et bien souvent elles érigent leurs auteurs au rang de Grands Hommes. Toussaint Louverture fait partie de ceux qui se sont dressés pour dire non à un système qui, jadis voulait que l'homme noir soit au même rang que les meubles ou les animaux de la ferme.
L'homme Toussaint a eu un destin exceptionnel. Né dans l'esclavage sur une plantation de St Domingue de la partie francophone d'Hispaniola, aujourd'hui nommée Haïti, il sorti de sa condition d'esclave pour prendre la tête d'une rébellion constituée d'esclaves.
Dans la droite ligne des idées des lumières, il défia les trois plus grands empires de l'époque pour défendre une idéologie : la Liberté et l'égalité de tous les Hommes peu importe la couleur et l'origine ethnique. Un homme donc à contre-courant de ses contemporains.
Tantôt chef de guerre, diplomate, chef d'État, voire dictateur. Le combat qu'il mena de 1791 à 1802 fut terrible ; finalement capturé, il fut incarcéré au fort de Joux, dans le Jura, où il mourut le 7 avril 1803. Portrait de ce grand homme caribéen.
Un esclave devenu propriétaire d’exploitation sucrière :
François-Dominique Toussaint Louverture. Un nom imprégné de mythe. Adulé par les uns, personnage controversé pour les autres. Celui qui fut d’abord appelé Toussaint de Bréda (du nom de son lieu de naissance) est en effet né esclave, au début des années 1740. Comme le rappelle le média spécialisé Hérodote , il commence par travailler dans une plantation de cannes à sucre de Saint-Domingue, l’actuel Haïti, alors dans le giron de la couronne de France. Sur la plantation, par rapport aux autres esclaves Toussaint bénéficie d’une situation quelques peu privilégiée puisque son parrain affranchi lui enseigne les rudiments de la médecine, la lecture et l’écriture (somme toute phonétique). Adulte il fait partie de la minorité des « nègres de grand’case » au service personnel du propriétaire ou, dans le cas échéant, de son gérant Mr Bayon de Libertat qui gère Bréda, une sucrerie proche de Cap-Français. T Quelques décennies plus tard, le jeune Toussaint devient cocher et bénéficie de ce qu’on appelle la « liberté de savane », une liberté de fait autorisée dans le privé mais pas officialisée. Puis, en 1776, il est affranchi. À près de 30 ans, le voilà donc un homme libre. Après s’être marié à une femme noire elle aussi affranchie, il devient à son tour propriétaire d’une plantation sucrière. Avec un paradoxe, pour qui connaît son destin futur : à l’époque Toussaint est le propriétaire « de quelques esclaves », explique la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Selon certains historiens, Toussaint Louverture était un maître d'esclave brutal. Pour le reste, François Toussaint est un modèle d’émancipation. « En 1789, il sait lire, écrire » et « il s’est enrichi », complète la Fondation.
Un soutien de l’Espagne…
1789, justement. Les termes des débats politiques qui agitent alors la Métropole parviennent jusqu’à Saint-Domingue, où les esclaves noirs ne tarderont pas à se soulever contre le Royaume de France. Toussaint les rejoint en temps que médecin et participe aux négociations de paix qui échouent en décembre du fait de l’Assemblée coloniale qui refuse d’amnistier les insurgés. Toussaint reprend la tête de la révolte des esclaves en formant une petite troupe qu’il se charge d’entrainer.
Détentrice de la partie est de l’île sur laquelle se situe Saint-Domingue, la couronne d’Espagne, alors en guerre contre la France, voit dans ce soulèvement un bon moyen de nuire aux intérêts de sa voisine. En 1793, Madrid apporte donc son soutien aux rebelles. Et Toussaint, l’un de leurs leaders, prend du galon.
. A la fin de l’année il se lance dans une offensive victorieuse qui permet aux Espagnols de contrôler quasiment tout le Nord de l’île. Toussaint Louverture se sent alors l’âme du libérateur et prône ouvertement l’abolition de l’esclavage.
… puis de la France :
Mais soudain la situation change : le commissaire Sonthonax, représentant la Convention, proclame justement l’abolition de l’esclavage ! Toussaint se retrouve dans la situation paradoxale de combattre les Français abolitionnistes aux côtés des Espagnols et des Anglais (qui viennent de débarquer) esclavagistes…
Mais, en 1794, quelques mois après avoir proclamé « la liberté générale à Saint-Domingue », la République française, la première du nom, vote un décret abolissant l’esclavage. La décision de la Convention convainc Toussaint de revenir dans le giron français. Combattant désormais sous la bannière tricolore, ses 4 000 soldats portent alors des coups fatals aux Espagnols, qui finiront par capituler. Les Anglais, qui ont également des vues sur Saint-Domingue, feront bientôt de même. Entre-temps, comme le rappelle le Musée de l’Armée, Toussaint est devenu général, puis général en chef des armées françaises de Saint-Domingue. C’est aussi à cette époque que l’on commence à l’appeler : « Toussaint Louverture », un surnom original qu’il doit à sa faculté à réaliser des percées dans les lignes ennemies, lors des nombreuses batailles qu’il doit ou a dû mener.
Conflit avec la France de Napoléon :
Une fois les Espagnols et les Anglais boutés hors de l’île, Toussaint Louverture, leader désormais incontesté de Saint-Domingue, s’en nomme lui-même gouverneur à vie, avec droit de regard sur l’identité de son successeur.
Il exerce alors son pouvoir « en maître absolu », regrette la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Par ailleurs, il « encourage les planteurs à revenir et oblige ses frères de couleur à travailler dans les plantations ».
A la fin de l’année 1799 des envoyés du Premier Consul Napoléon Bonaparte viennent confirmer Toussaint Louverture dans son commandement de l' armée de Saint Domingue. Ils constatent que les Blancs se sont plus ou moins ralliés à Toussaint (sans grande conviction) et que les Noirs ne reconnaissent généralement pas les fonctionnaires de la métropole. Sur place les proches de Toussaint n’ont de cesse de brandir le danger d’un massacre des populations blanches, une manière de le présenter comme l’unique rempart capable de canaliser ses confrères.
Seul maitre il se lance dans la reconquête complète de l’ile et mène une sanglante campagne contre les métis du général Rigaud qui pouvaient représenter une menace. Cette campagne est marquée par de nombreuses exécutions sommaires. En 1801, sous la menace d’un massacre des Blancs il pousse Roume de Saint-Laurent à signer une autorisation d’invasion et il occupe la partie espagnole et se rend seul maitre de l’île. Bien que cette invasion respecte le traité de Bâle de 1795 elle ne pouvait qu’inquiéter la métropole qui voyait ainsi le pouvoir grandir entre les mains d’un seul homme. Le temps que l’information arrive en métropole les gouvernements français et espagnols s’étaient mis d’accord pour que cette invasion n’ait pas lieu… C’est trop tard. Roume est quant à lui emprisonné par Toussaint qui écrit à Napoléon : « Quelles que soient les calomnies que mes ennemis aient lancées contre moi en vous écrivant, je m'abstiendrai de toute justification. »
Conscient que la guerre a accru son charisme, il confisque une partie des revenus des plantations pour acheter des armes aux Anglais et aux USA. Il confisque les plantations abandonnées et les confie à ses lieutenants, créant autour de lui une nouvelle élite issue de l’esclavage. Cependant, s’il lutte bien contre l’esclavage Toussaint ne manque pas de le remplacer immédiatement par le travail forcé de ses confrères Noirs dans les plantations.
D'ailleurs sur le plan extérieur, il passe des accords avec les États-Unis et, pire que tout, avec le grand rival britannique. Il relance l'économie de l'île exsangue Surtout, en 1801, il proclame unilatéralement l’indépendance de Saint-Domingue.
Il refuse le général Michel qui avait été envoyé pour lui servir de second, ce dernier rentre en France et reste mesuré envers Toussaint. Il demande même à Napoléon de lui écrire une lettre pour le rallier complètement. Le 8 juillet 1801 il va plus loin encore en publiant une constitution qui le nomme gouverneur général à vie avec possibilité de désigner son successeur. Le but de Toussaint est de proclamer ouvertement son appartenance à la sphère française et à la cause abolitionniste, tout en réclamant d’avoir les mains libres et d’établir un pouvoir personnel. En France, le 1er Consul commence à s'inquiéter de l'hégémonie de son alter égo noir. Il redoute une volonté indépendantiste de Toussaint Louverture. Napoléon, ne peut laisser ce général faire de Saint-Domingue sa propriété privée, ni remettre en cause son autorité alors que la paix avec l’Angleterre lui laissait peut-être l’espoir de rétablir un empire colonial.
Pour faire revenir le territoire sous l’autorité française, « Bonaparte envoie alors une troupe de vingt-cinq mille hommes », explique le Musée de l’Armée. A la tête de cette expédition, le général Leclerc le beau-frère du 1er Consul. L'objectif de la mission est de ramener Toussaint dans le giron des intérêts français, de maintenir l’abolition de l’esclavage dans la partie française et de laisser le retour de l’économie servile dans la partie espagnole. D’ailleurs l’expédition de Leclerc se veut avant tout une force d’intimidation, il n’a guère intérêt à engager le combat car il se trouve en infériorité numérique ou du moins dans un rapport de force assez équivalent mais sur un terrain à l’avantage de l’adversaire. Cette expédition est vue d’un bon œil par les Anglais qui ont toujours peur des mouvements indépendantistes dans les colonies.
Napoléon adresse un courrier à Toussaint où il le flatte et l’invite à rentrer dans le droit chemin : « Assistez de vos conseils, de votre influence et de vos talents le capitaine général. Que pouvez-vous désirez ? La liberté des Noirs ? Vous savez que, dans tous les pays où nous avons été, nous l'avons donnée aux peuples qui ne l'avaient pas. De la considération, des honneurs, de la fortune ? Ce n'est pas après les services que vous avez rendus, que vous pouvez rendre dans cette circonstance, avec les sentiments particuliers que nous avons pour vous, que vous devez être incertain sur votre considération, votre fortune et les honneurs qui vous attendent […]. Comptez sans réserve sur notre estime, et conduisez-vous comme doit le faire un des principaux citoyens de la plus grande nation du monde ».
Comme le relate le site Histoire pour tous, " En arrivant en vue de l’île (29 janvier 1802) Leclerc fait le choix audacieux de débarquer ses troupes en plusieurs points de l’île, il divise ainsi ses forces mais oppose à Toussaint divers fronts en cas d’affrontement. Les généraux Noirs comme Christophe s’opposent à son débarquement, ce dernier incendie Cap-Français avant de se replier. Une fois sur la terre ferme Leclerc écrit à Toussaint pour qu’il vienne « éclairer » son armée, ne recevant aucune réponse il le déclare hors la loi. Le général Rochambeau bat Toussaint à la bataille de la Ravine-à-Couleuvres et l’armée du général Noir se réfugie dans les montagnes pour mener une guérilla couplée à une politique de la terre brulée. Ils espèrent ainsi user l’armée napoléonienne qui est fortement affaiblie par les maladies tropicales (2000 morts environ dus aux maladies dans les trois premiers mois de l’expédition). Leclerc doit établir une hygiène stricte au sein de l’armée pour ne pas voir ses effectifs fondre..."
Des batailles violentes ont lieu au quatre coins de l'île. Des affrontements qui conduisaient souvent à des massacres, comme le relate Leclerc dans son échange épistolaire avec son beau-frère de Consul, (bien que du côté français, des actes violents étaient aussi commis ) :
« Vous ne pouvez vous faire une idée des horreurs commises dans ce pays. Plus de 1 000 Blancs, Noirs ou mulâtres ont été égorgés par les ordres de Toussaint, de Dessalines et de Christophe. Dans nos expéditions nous avons trouvé plus de 6 000 hommes, femmes et enfants qu'ils avaient emmenés avec eux dans les bois et qu'ils se préparaient à assassiner »
Mais les combats qui sont alors engagés aboutissent à la défaite de Toussaint Louverture et des siens. Toussaint se rend le 6 mai 1802. Leclerc choisi de réintégrer les généraux Noirs dans leurs fonctions antérieures. Cette décision permet à Leclerc de calmer le jeu avec les officiers Noirs. Toussaint quant à lui, se retire sur sa plantation où il mène une vie paisible mais espionné et dénoncé par Dessalines, les français constatèrent qu'il continuait d'échanger avec une grande partie de son armée restée dans le maquis.
« Victime du froid ».
Toussaint Louverture est ensuite arrêté. Il est embarqué à bord du Héros. C’est alors qu’il aurait prononcé la fameuse phrase : « En me renversant, vous avez seulement abattus le tronc de l’arbre de la liberté de Saint-Domingue ; ses racines repousseront, car elles sont nombreuses et profondes ». Cette phrase fut parfois vue comme une prophétie tellement elle fut clairvoyante. En Août 1802, Napoléon rétabli l’esclavage et le général Leclerc doit faire face à un nouveau soulèvement des anciens compagnons de Toussaint Louverture.
Pris de fièvre jaune il succombe le 2 novembre 1802, laissant la place au général Rochambeau qui contrairement à son prédécesseur n’hésitât pas à faire un usage généralisé de la terreur pour arriver à ses fins : torture, meutes de chiens dressés pour la chasse au Noir, exécutions sommaires et noyades collectives qui ne sont pas sans rappeler le comportement de la République envers les troupes vendéennes en 1793.
Pour autant, ne fut pas à la hauteur des attentes. Ne maîtrisant pas le terrain et pas entrainé à faire face à une guérilla, les français sont défaits à la bataille de Vertières.
Quant à Toussaint Louverture il arrive à Brest le 23 juillet 1802 : il est dégradé et déporté en France au fort de Joux (Doubs) sous un climat peu hospitalier à l’homme des Caraïbes. Mal chauffé, mal nourris et mal soigné, « Victime du froid et du dénuement, il ne tarde pas à tomber malade ». Il meurt le 7 avril 1803.
. « Victime du froid et du dénuement, il ne tarde pas à tomber malade et à mourir », conclut Hérodote. Son souvenir restera lui bien vivant. Et Saint-Domingue finira, quelques mois plus tard, par devenir définitivement indépendante, sous le nom d’Haïti.
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