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Patricia Braflan-Trobo : “ je ne veux pas combattre les extrémismes. Je montre les incohérences"

  • ELMS
  • 25 sept. 2021
  • 32 min de lecture

Longtemps épargnées par l’actuelle pandémie de Coronavirus, la Guadeloupe et la Martinique se sont retrouvées confronter à la réalité d’une crise sanitaire majeure. Des flots de malades quotidiens, des centaines de personnes déclarées positives, des urgences Covid-19 surchargées et des soignants débordés au bord du burn out. Autant d’images qui nous ramènent au tout début de l’épidémie lorsqu’elle avait débuté en Chine avant de toucher l’Italie, la France et le reste de l’Europe. Durant les deux mois de Grandes Vacances, les deux îles françaises de la Caraïbe ont connu une véritable hécatombe. Disons-le, cette quatrième vague du variant Delta a frappé durement les deux territoires. Pour les spécialistes, la classe politique et les intellectuels, seule la vaccination pourrait freiner cette hémorragie. Pourtant, ils sont confrontés au scepticisme des Guadeloupéens et des Martiniquais qui trainent du pied pour se faire vacciner. Comme ailleurs dans le Monde, l’un des inconvénients de cette politique vaccinale proviendrait des réseaux sociaux et principalement de la messagerie instantanée WhatsApp sur laquelle sont relayées continuellement des informations officielles mais surtout de nombreuses Fake-news. Ce qui rend la situation ambiante insoutenable. Pour comprendre ce scepticisme et la situation délétère, nous avons rencontré la sociologue Patricia Braflan-Trobo qui a accepté de répondre à nos questions.








Tristes Grandes Vacances ! Les mois de Juillet et Août 2021 resteront marqueront l’histoire contemporaine de la Guadeloupe et de la Martinique. Pourtant, elles avaient si bien commencé. Pas de pluie, pas de cyclone. Les plages étaient bondées et les touristes avaient même fait leur grand retour pour le plus grand bonheur des professionnels du tourisme qui craignaient une saison touristique morose. En somme, l’atmosphère était à la fête pour les deux îles françaises de la Caraïbe qui avaient connu deux confinements au cours de l’année. Voilà que la Covid-19 a joué les trouble-fête. L’ambiance festive a de nouveau laissé place à un climat bileux. Ainsi, le relâchement de la fin du mois de Juin a fait place au retour du confinement stricte.

Du côté des hôpitaux, c’est la panique. Le flot de malades est quotidien. Les unités Covid-19 aménagées dans les principaux hôpitaux et cliniques des deux territoires sont saturées avec des personnes sous respirateurs. Au plus fort de la crise de la quatrième vague, on comptabilisait des dizaines de décès par jour soit des centaines de personnes décédées chaque semaine. Autant de scènes dignes des films de guerre ou ceux ayant pour thème, une pandémie. Ce qui joue sur le moral des personnels soignants qui sont au front.

Malgré le scepticisme et le doute quant à la liste des personnes malades décédées et lue quotidiennement sur les ondes des radios locales, cela donne froid dans le dos. Cet indicateur sociologique, nous révèle l’ampleur de cette quatrième vague. Au plus fort de la crise sanitaire, ce sont bien 80 et 100 noms tous les jours (même si beaucoup ne sont pas morts du Covid-19) qui étaient lus lors des avis d’obsèques à rallongent qui parfois atteignaient les deux heures de lecture. De mémoire de présentateurs, ils n’avaient jamais lu autant de noms dans un bulletin nécrologique. Malgré l’apparente embellie de ces derniers jours, les bulletins préfectoraux annoncent des chiffres de contamination toujours très élevés, avec des hôpitaux sous tension.

Ce bilan quotidien, nous rappelle vraiment celui d’un conflit armé. Sauf que cette fois, l’ennemi est invisible et redoutable. Autant d’images qui nous replongent au début d’images qui nous replongent au début de la pandémie, en Chine ou encore, dans les centres hospitaliers d’Italie. Sans doute que les Guadeloupéens et les Martiniquais se sentaient épargnés vu la situation géographique et l’insularité de ces territoires mais, n’empêche, ils ont été rattrapés par la réalité.

Pour les spécialistes, la classe politique et les intellectuels, seule la vaccination pourrait freiner cette hémorragie et permettre d’éviter les formes graves. Pourtant, ils sont confrontés au scepticisme des Guadeloupéens et des Martiniquais qui trainent du pied pour se faire vacciner.

A l’image de l‘Hexagone, en Guadeloupe comme à la Martinique, la politique vaccinale divise et des tensions entre les citoyens sont apparues. En effet, depuis le début de cette quatrième vague, la Guadeloupe et la Martinique vivent dans un climat anxiogène avec deux camps qui s’opposent. D’un côté : les antivax, groupe hétérogène constitué des membres les plus extrêmes de la branche anticoloniale, des membres de la mouvance Kamite et rastafari mais surtout de citoyens lambda, à savoir “ monsieur et madame tout le monde”. En face, les pro-vaccins qui sont soient des intellectuels, des membres de la classe politique, des artistes, des leaders d’opinion ainsi que des figures majeures de la lutte indépendantiste. C’est par les réseaux sociaux que ces deux groupes distinctifs échangent, partagent des informations, des audios, des vidéos, des photos, des liens Youtube ayant pour thème : la vaccination et notamment l’obligation vaccinale imposée par le pass-sanitaire dont le texte de loi a été publié le 15 Septembre 2021. Bien souvent, les antivax les plus virulents usent de la violence, de la menace, des insultes et du mépris vis-à-vis de celles et ceux qui choisissent de se faire vacciner. Autres cibles privilégiées, les médias vus comme des portes voix de l’Etat en invitant les Guadeloupéens et les Martiniquais à le faire.



Pour comprendre la situation délétère actuelle dans laquelle Guadeloupe et Martinique sont confrontées, nous nous sommes tournés vers la sociologue Guadeloupéenne Patricia Braflan-Trobo. Grâce à son œil d’experte, l'autrice de " l'Estime de soi des Noirs" nous a éclairé sur les raisons de cette division. Très active sur Twitter où elle combat les idées reçues et véhiculées par les antivax. Par ailleurs, à travers son texte “ Pwopagand a blan pa toujou bon pou nèg”, la sociologue est aussi montée au créneau pour dénoncer l’actuelle division qui se joue. Elle interpelle et questionne sur les motivations des antivax qui inondent la toile avec leurs messages, leurs vidéos, leurs audios provenant pour beaucoup de groupes d’extrême droite française dont la figure majeure est Floriant Philippot.




The Link Fwi : Bonjour madame Braflan-Trobo, soyez la bienvenue sur The Link Fwi, vous n’êtes plus à présenter, avec votre regard de sociologue, comment expliquez-vous cette situation de division entre les pro-vaccins et les antivaccins ?

Patricia Braflan-Trobo : Avant de répondre à votre question, je vous remercie de me recevoir. Je suis ravie de connaître ce média que je ne connaissais pas. Vous savez, j’aime beaucoup les jeunes, notamment ceux qui font bouger les choses et je suis partante quand l’initiative est positive.

Pour revenir au sujet de l’interview, premièrement, je n’appelle pas à la vaccination. L’important est de dire que moi, j’ai fait le choix de montrer ceux que je nomme les imposteurs et les manipulateurs. Beaucoup ont surfé sur la vague antipass, anti vaccination obligatoire pour les soignants et pour certains travailleurs et corps de métiers pour faire un amalgame et faire leur propagande anti vaccination. C’est ce que j’ai choisi de dénoncer et aussi de dire que l’on peut être pro-vaccination et antipass sanitaire, donc on peut être vacciné et être anti-vaccination obligatoire. A ce sujet, ma position m’a donné raison puisque l’on a vu un certain nombre de personnes, comme c’est le cas du syndicaliste Jean-Marie Nomertin de ma CGTG ou encore Lita Dahomey de Combat Ouvrier et, ils ont confirmé ce que je disais. On peut être anti-vaccination obligatoire, antipass sanitaire tout en étant soi-même vacciné. Ce qui me posait problème est la façon dont la population faisait cet amalgame. Il faut dire que dès que les prises de position ont commencé, les gens ont retenu “ contre la vaccination “ et véhiculaient l’idée que la vaccination était obligatoire pour tout le monde. Selon moi, cela a réduit énormément de personnes en erreur. Beaucoup se sont retrouvés en réanimation. Ce fut le cas de personnes que je connais et qui m’ont dit qu’ils n’avaient pas compris et qu’ils regrettaient. Ce n’est pas de leur faute, disons-le ainsi. Concernant les pro ou les anti-vaccin, cette division est normale. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes face à un phénomène absolument nouveau et révolutionnaire. Je parle ici de la maladie. Elle est nouvelle, soudaine et elle est brutale. Il y a à peine deux ans, nous vivions normalement. Nous n’étions pas inquiets et elle nous est tombée dessus. Autre chose qui a été révolutionnaire, c’est l’arrivée du vaccin. Malheureusement, avec ce vaccin, il y a eu des erreurs de communication de la part du Gouvernement et de la part de certains chercheurs en disant que ce n’était pas un vaccin. Evidemment, en entendant cela, les gens ont eu peur à la fois de la maladie mais aussi peur de cette nouvelle thérapie donc du vaccin. J’ai entendu les chercheurs dirent que c’était pourtant une recherche déjà entamée depuis un moment mais que face à l’ampleur de la maladie, les Gouvernements ont mis des milliards de $ ou d’€ sur la table, le rêve de tous les chercheurs qui en temps normal ont dû mal à trouver des financements pour leurs études, pour faire avancer la recherche. Résultat cela a donné un vaccin. Vous savez, si on regarde la définition du mot vaccin, s’en est un. Après, je ne suis pas chercheur, cela m’est égal. Que ça soit une piqure, une injection peu importe, ce qui est important c’est que du moment que l’on empêche aux gens de mourir ça me va. Quand on voit que l’on a plus de morts non vaccinés, que de morts vaccinés, je demande aux gens simplement de faire leur calcul. Après si quelqu’un me dit qu’il préfère aller en réanimation, me réveiller avec des séquelles, six mois après. Honnêtement, je respecterais son choix. Tout comme une personne qui me dit, qu’elle a plus peur du vaccin que du coronavirus, là aussi j’accepterais.

J’ai en tête l’exemple d’une amie qui me disait qu’elle souhaitait faire vacciner sa belle-mère qui a des comorbidités mais qui a peur du vaccin. Je lui ai conseillé de ne pas la faire vacciner, parce que la dame a peur. Vous savez, avec la peur, on peut créer quelque chose de plus grave. C’est l’âge où les personnes ( âgées) sont très fragiles au niveau cardiaque et de ce fait le simple fait du processus de sortir pour aller prendre un vaccin, elle aura peur. Donc, je lui ai conseillé de la laisser et peu importe si sa belle-mère développe la maladie, on en verra l’évolution. Ce n’est vraiment pas la peine d’empirer les choses.

Pour moi, cette scission entre pro et anti-vaccins est tout à fait normal car, elle provient de tous ces phénomènes et cela me pose strictement aucun problème.

TLFWI : Sur votre site, vous avez pris la “ Plume “ avec un texte dans lequel vous pontez du doigt plusieurs faits : La grande diffusion sur les réseaux sociaux de messages, vidéos, audios émanent de sites douteux ou véhiculés par des personnages ayant des liens avec l’extrême droite française ou européenne et le refus du vaccin par les Guadeloupéens ou Martiniquais d’origine afro-descente alors que “ les blancs installés chez nous le font “ Selon vous est-ce la faute de ces messages ou ces personnalités si aujourd’hui la société Guadeloupéenne se divise ?

Patricia Braflan-Trobo : Je crois qu’il y a un autre élément que nous n’avons pas abordé et selon moi, il ne faut pas l’oublier. Je ne sais pas si vos lecteurs et lectrices s’en souviennent, mais il y a eu un coup de com au Conseil Régional avec le Président de la Région et le docteur Henri Joseph, à propos d’une pseudo trouvaille qui aurait été faite et qui permettrait à la Guadeloupe de faire partie de ces pays qui font de la recherche sur le Covid-19. Au final, il y a peu, le Dr Henri Joseph a démenti et a dit qu’au final, il n’y a jamais eu de trouvaille. Je ne voudrais pas m’avancer mais, à mon avis, quelque chose avait sans doute été trouvée mais, que rien n’était sûr et qu’il s’agissait encore une fois d’une stratégie de communication. Les personnes que je connais qui travaillent dans le domaine de la recherche, même les étudiants que j’ai me disais que ce n’était rien. Que rien n’avait été trouvé. Quand on fait de la recherche et quand on sait ce que c’est que de trouver un médicament, on sait très bien qu’à ce stade de la recherche, il n’y a pas lieu de faire de communication et encore de faire de grande messe lorsque cela a été fait. Je pense que là aussi, cela a induit la population ( afro-descendante) en erreur. D’ailleurs, on a pu le constater que tout le monde s’est précipité sur les strocks de virapic. La population a vu le virapic comme le remède et la solution miracle pour contrer le Coronavirus. Malheureusement, la réalité nous l’a encore prouvé. Bien que vous preniez tous les remèdes nécessaires, virapic, atoumo etc, le virus s’il doit vous terrasser, il le fera. De plus, je vous renvoie au journal télévisé de Martinique 1ère, dans lequel on montrait une marchande de Rimèd Razyé installée sur le marché de Fort-de-France qui disait qu’elle a ses deux doses et qu’elle était même prête à prendre une troisième. Je pense que comme beaucoup, j’étais époustouflé. Je me suis dit, que si cette dame qui vend des rimèd razyé a pris son vaccin donc lorsque je vois que des personnes parlent de privilégier les rimèd razyé, cela interpelle. Par ailleurs, il faut que nous le disions, la majorité des personnes qui ont été au CHU, en réanimation sont des personnes d’origine afro-descendante.

On me dire toutes les théories existantes sur le vaccin, le Gouvernement, le président Macron, les Big Pharma, le complot mondial des riches voulant exterminer le peuple. Je n’ai qu’une seule question que je pose, : “ Ki moun ka mò ? “, “ Qui meurt ? “ C’est ce qui m’a choqué. En ce qui concerne, la question des “ blancs “ qui se vaccinent, je suis partis d’un constat tout simple. Tous les samedis matin, je fais mon marché à Pointe-à-Pitre. Il y avait un vaccinodrome à Paul Chochon. Lorsqu’il a été installé. La première fois, je vois une masse de personnes d’origine européennes devant les grilles. Au début, je me suis interrogé sur les raisons de cet attroupement surtout de cette catégorie de la population et c’est là que j’ai fait le rapprochement. Cela a duré trois samedis. Ainsi, entre les personnes qui ont pris leur vaccin et ceux qui meurent, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose à dire. Effectivement, en discutant avec des amis-ies- ils m’ont confirmé ma réflexion. Que les personnes d’origine européenne se vaccinaient plus que nous. Quelqu’un travaillant dans le vaccinodrome, m’a affirmé qu’elles venaient en famille prendre le vaccin. Il n'y a pas que les européens qui le font, les autres minorités de la Guadeloupe se rendent aussi au vaccinodrome. Je savais que ça choquerait les gens mais, il fallait que je le dise. Des Guadeloupéens-nes meurent du Coronavirus, je ne suis pas là pour me faire aimer ou pas. Il fallait que je pointe du doigts nos incohérences. Puis, il y en a qui surfent sur ça.

Au plus fort pic de la quatrième vague, j’ai constaté que les gens m’envoyaient des vidéos de Florian Philippot, même des personnes qui ont toujours milité pour la cause indépendantiste m’envoient ces vidéos. J’ai cru que je rêvais. Par contre, depuis mon texte, je peux vous dire que je ne reçois plus aucun message, aucune vidéo de ces personnes. (rires)

The Link Fwi : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire ce texte nommé “ Vi a nèg ka konté “ ?

Patricia Braflan Trobo : Vous savez moi, je suis sur les observations. Je suis parti sur une question simple “ Qui meurt “. “ Ki moun ka mò ? “ Par ailleurs, j’ai reçu des appels de connaissances m’informant que telle ou telle personne que nous avons en commun est décédée. J’ai aussi perdu des connaissances. Une fois, j’ai reçu un appel pour me dire qu’une personne avec qui je dansais au Gwoka, est morte de la covid-19. De plus, nous avons, nous antillais, nous Guadeloupéens, nos indicateurs sociologiques parmi lesquels, les avis d’obsèques. Même à ce sujet, il y a eu des polémiques. Beaucoup y voyaient un complot pour terroriser la population afin qu’elle aille se vacciner. D’autres parlaient de mensonges et sont même allés jusqu’à la violence verbale contre l’animatrice. Cela faisait un moment que je n’écoutais plus les avis d’obsèques, mais quand j’ai constaté l’hémorragie avec à chaque fois entre quatre-vingt et quatre-vingt-dix noms dans ces avis d’obsèques, cela interpelle. Toutes ces personnes qui y voient un complot, selon moi, elles veulent tout simplement combattre le président Macron, le Gouvernement etc. Elles utilisent la crise Covid-19 pour mener leur propagande. A un moins, le problème était les sargasses, ces personnes parlaient des problèmes des sargasses, puis il y a eu la question des radars, elles ont parlé des radars. Là-dessus, j’ai pris des faits et en tant que femmes Guadeloupéenne et sociologue, je ne pouvais pas laisser cela continuer et rester silencieuse. Il fallait que d’autres voix s’élèvent. Il se trouve qu’après moi, d’autres personnes sont aussi montées au créneau. Je ne sais pas si c’est moi qui aie suscité une réaction mais enfin, il n’empêche qu’il fallait leur montrer qu’ils n’étaient pas les seuls à pouvoir s’exprimer et à analyser la situation et nous allons montrer sur quoi vous bâtissez vos arguments et nous allons les démonter. Puis quand on me sort des vidéos de personnes se disant spécialistes mais qui vivent aux Etats-Unis et disent de ne pas se faire vacciner. Ma question est, est-ce que vous les connaissez ? Nous ne savons rien d’elles. Nous ne savons pas si ce sont des acteurs recyclés en scientifiques, parce qu’ils ont mis une blouse blanche et se sont donnés des titres. Evidemment moi, j’ai fait des recherches sur quelques-uns et ce sont des charlatans tout simplement. De plus, ils disent aux gens de ne pas se vacciner, vous les écoutez mais chez eux, ils ont des hôpitaux aux quatre coins de leurs villes. Ils peuvent être pris en charge à n’importe quel moment. Allons plus loin. Je vais faire mon côté complotiste. Si ça se trouve ce sont des occidentaux qui ont pour projet d’exterminer les populations africaines et afro-descendantes en ne les faisant pas vacciner. Vous voyez, on partage tout et n’importe quoi sans savoir les desseins de ces gens-là. Me concernant, j’écoute mon médecin traitant, j’écoute ma pharmacienne. Je connais ces gens-là, je sais qui ils sont et comme je le dis, il faut que nous revenions à l’endogène, à nous-mêmes et comme dirait Likibè “ Nou ka viré poul an nich an nou “

TLFWI : De votre regard de sociologue, pensez-vous que ce scepticisme soit avant tout une défiance vis-à-vis de Paris, vu les problématiques historiques et surtout comprenez-vous ce scepticisme, certains parlent des problèmes du CHU ?

Patricia Braflan-Trobo : Selon moi, et ça ne tient qu’à moi, il y a beaucoup de personnes qui n’ont jamais mené de lutte dans leur vie et, avec ce vaccin, elles ont trouvé une opportunité et là encore, je ne critique pas, de rentrer en résistance. Pour eux, ils et elles sont des Delgrès et des Ignace du vaccin. Je dis cela sans me moquer. Vous imaginez, il y a même eu des rumeurs selon lesquelles, j’étais payé entre 1400 et 1700€ pour inciter les Guadeloupe à se faire vacciner. Je ne sais pas ce qui m’a le plus insulté, est-ce le montant ? Ou est-ce le fait que je sois payé ? Je me suis dit, si les gens pensent que je me vends pour 1700€, c’est qu’il y a un vrai problème. Vous imaginez les délires dans lesquels les personnes sont capables de rentrer. (rires). Le nombre de textes que j’ai publié, le temps qu’ils trouvent mon prix, on passera des jours. Autre chose, et pour moi c’est ce qui est grave est le fait qu’ils vous disent qu’ils ne veulent du vaccin des français ou de l’européen mais quand ils sont malades et vont chez le médecin, ils sortent la carte vitale. A ce que je sache, la Carte vitale n’est pas guadeloupéenne mais bel et bien française. De plus, parmi ces opposants au vaccin, beaucoup critiquent l’Etat mais, la grande majorité d’entre eux sont fonctionnaires, donc leur employeur est l’Etat français. Aussi, quand les non vaccinés ont le Covid forme grave, où vont-ils ? Au CHU qui est un hôpital français et si je vais plus loin pour ceux où l’état empire, ils sont transportés dans l’Hexagone et comme on dit en créole, “ yo an vant a bèt la “ Vous voyez les contradictions ? C’est pourquoi, dans tous mes tweets, dans tous mes posts sur les réseaux sociaux, je mets en avant ces incohérences. Je souligne tous ces propos qui ne sont, non seulement pas en cohérence avec les actions mais aussi avec les conséquences qu’ils génèrent parce que, si je vous donne une illustration de tout cela. Qu’est-ce qu’il s’est passé avec le refus de la vaccination ? Nous avons eu un afflux de médecins venant de l’Hexagone, et qui une fois leur mission terminée, ils ont déclaré soit sur les réseaux sociaux soit dans les grands médias nationaux qu’ils n’avaient jamais vu cela, certains parlaient de maltraitance vis-à-vis de la population et beaucoup pointaient du doigt l’insalubrité de l’hôpital etc. Tout ceci porte un coup moral aux soignants et, cela dit qu'eux-mêmes ne sont pas à la hauteur aussi, puisqu’ils sont tombés malades et qu’ils ne sont pas vaccinés. Vous n’êtes pas vaccinés pour faire votre travail mais ce même Etat français que vous critiquez est obligé d’envoyé des soignants en renfort. Encore une fois comme je l’ai dit, ce sont toutes ces incohérences que j’ai pointé du doigt et contrairement à ce qui a été dit, je n’ai jamais appelé à la vaccination. Il faut que nous comprenions que lorsque nos services sont saturés, les hôpitaux les plus proches de nous pour les évacuations des personnes les plus touchées se trouvent à 7000 km. Quand vous avez 400 000 habitants sur une île et que vous avez autant de personnes malades au CHU qui ne peut accueillir tout le monde ça interpelle. Après, il y a des gens qui disent qu’il fallait construire depuis longtemps le nouvel hôpital. Sauf qu’en discutant avec un ami qui est cadre de santé, il me disait que quel que soit le CHU, il n’aurait jamais pu absorber autant de malades. Il nous faut être conscient que lorsque nous tenons des discours, il faut qu’ils soient en cohérence avec les éléments présents sur notre territoire. Raison pour laquelle, je parle d’un combat endogène car, nous devons rester avec les éléments sociologiques, culturels et économiques qui nous sont propres.

The Link Fwi : Pensez-vous que cette vindicte populaire et toute cette méfiance soient basées sur le fait que les Guadeloupéens et les Martiniquais aient peur de ce virus que même les Etats et les plus éminents scientifiques ne parviennent pas à maîtriser ?

Patricia Braflan-Trobo : Incontestablement. Les gens ont peur de ce virus mais j’ai l’impression qu’il y en a qui ont moins peur de la mort que du virus ou du vaccin et à vrai dire, je ne comprends pas d’où vient cette peur après, comme je le dis, chacun sa psychologie, chacun son approche des choses. Cependant, je crois que la violence et la soudaineté des choses font que les gens sont complètement tétanisés. Ils sont nombreux qui n’arrivent pas à comprendre comment en 2021, alors que la science est très évoluée, les choses n’arrivent pas si vite. Pour eux, le Coronavirus aurait déjà dû être régler. Sauf que cela montre les limites de l’homme et celles de la recherche. Les choses avancent lentement mais surement. Par exemple, nous avons un vaccin, ce que nous n’avions pas lors des premières vagues. Il y a deux personnalités que j’ai en mémoire, Manu Dibango et Pape Diouf, tous deux décédés des suites de la Covid-19. Je crois que s’ils avaient eu le choix du vaccin, ils l’auraient pris sans hésiter. C’est vrai que certains prendront l’exemple de Jacob Desvarieux qui avait reçu trois doses de vaccin, sauf que Jacob était déjà très malade. Il était très immunodéprimé. Tout le monde le sait et lui-même ne le cachait pas. Je crois que la peur vient de tous ces éléments. A savoir le virus, mais également la rapidité avec laquelle le vaccin a été trouvé et distribué. Beaucoup ont aussi dénoncé tous ces conflits d’intérêt entre les chercheurs et les grands laboratoires et puis, il faut le dire, le milieu complotiste a des moyens de communication à sa disposition qui sont phénoménaux. Lorsque j’entends qu’un sociologue qui a pignon sur rue chez nous te dire que quand une personne va se faire vacciner ont lui fait signer une décharge, alors que cette décharge est visible sur des sites complotistes. Je l’ai moi-même trouvée sur ces sites. Ce sont des sites antivax qui ont créé cette fameuse décharge, qui l’ont mise en ligne et qui ont propagé cette rumeur et lui, ( le sociologue) appuie ses dires et affirme que cette décharge existe. Là c’est pour montrer la force de ces réseaux complotistes. Leurs paroles passent avant celles de scientifiques reconnus, parce qu’ils n’ont pas les moyens, qu’ils sont dans les laboratoires. Ils n’ont pas le temps de monter toutes ces vidéos qui circulent. Donc les gens baignent énormément là-dedans et malheureusement, cela prend le pas sur la raison et la réalité est là devant nous. Ce sont des Guadeloupéens afro-descendants qui meurent le plus de la Covid-19 en Guadeloupe.


TLFWI : Plusieurs personnalités locales issues des milieux musicaux, intellectuels, scientifiques, politiques sont insultées, menacées par cette partie de la population. Quelle est votre pensée face à cela ?

Patricia Braflan Trobo : Ce que j’aime avec les réseaux sociaux est le fait que tout ce qui se dit dessus reste sur les réseaux sociaux. N’étant pas sur les réseaux sociaux, il paraîtrait que j’ai été vraiment insulté mais je ne m’en préoccupe pas car, pour moi, les réseaux sociaux restent ce qu’ils sont. Par contre ce qui est important est de savoir comment la population a accueilli ça. Il y en a qui disent qu’au moins ces personnalités ont eu le mérite de prendre la parole et de souligner ce qui se passe.

Que nous soyons insultés, ce n’est vraiment pas grave. Le plus grave selon moi est le fait de se dire dans dix ans “ où étaient ces personnalités au moment où ça s’est passé ? “ “ Où était Patrician Braflan-Trobo ? “, “ Où était Luc Reinette ? “, “ où était Serge Romana “ et “ Emmanuel Gordien “ etc Pour le moment, les gens sont dans diverses émotions. Dans quelques années, lorsque l’on fera le bilan de ce qui s’est passé, je ne pense pas que l’Etat français sera mis en cause. Quand on demandera des comptes, l’Etat dira qu’il a mis des vaccins à la disposition de la population et que dans l’Hexagone, les gens ont pris le vaccin et ne meurent pas, tandis que vous, vous avez fait le choix de ne pas vous vacciner et que vous risquez la mort donc ne venez pas dire que nous n’avons rien fait pour vous. Bien que l’Hôpital manquait de moyens, vous aviez des vaccinations à disposition. C’est cette réflexion qui m’a poussé à me faire vacciner. Quand j’ai vu les premières conséquences du variant Delta, je me suis dit “que le CHU n’aurait jamais pu absorber toutes ces personnes, donc tant qu’à faire, si je dois développer le Covid, il vaudrait mieux que je n’aille pas en réanimation. C’est donc ce calcul assez simple que j’ai fait et qui m’a poussé à me faire vacciner. Il fallait que ces personnalités prennent la parole, disent ce qu’elles ressentent mais vous savez, les réseaux sociaux restent les réseaux sociaux et je suis complètement indifférente à cela.


The Link Fwi : Qui sont ces antivaccins et coronasceptiques ? Pouvez-vous nous dresser un portrait de ces personnes très actives sur les réseaux sociaux ?

Patricia Bralfan-Trobo : Alors, au début ils se disaient antivaccins maintenant, ils se prétendent Antipas sanitaires, donc anti vaccination obligatoire. Vous constatez donc le changement de discours et c’est très important, il fallait que nous les poussions jusqu’à leur retranchement. En Guadeloupe et en Martinique, les antivaccins sont des personnes qui, selon moi, ont besoin d’une tribune pour exister. Les chefs de files de ces mouvements se sont présentés aux élections, ont perdu, qui n’ont strictement aucune représentation politique et, ces personnes ont fait de l” anti-système” leur cheval de bataille. Vous savez où ils l’exposent ? ( anti-système) sur les réseaux sociaux. Cependant qu’est-ce qui est plus système que les médias sociaux ? Qu’est-ce qui fait plus gagner de l’argent aux entreprises à la tête de ces applications ? Donc qu’est-ce qui fait le plus gagner de l’argent au capitalisme ? Ce sont les réseaux sociaux. A mon avis, lorsque l’on se revendique anti-système, on sort des réseaux sociaux. J’ai fait ce constat. Ce sont des gens qui cherchent à exister. A l’époque c’était les radars. Puis ce fût le tour des sargasses. D’ailleurs, important de le souligner, la majorité des syndicats ont revu leur position. Mêmes les plus virulents, ils ont changé leur positionnement. Certains démentent même les propos qu’ils tenaient il y a peu de temps. Encore une fois, les discours ont changé et selon moi, les antivaccins, ce sont des personnes qui n’ont pas de visibilité autre que ce combat. Aujourd’hui, c’est le vaccin, demain ce sera sans doute un autre sujet de discorde. Ils vont donc surfer sur toutes les vagues pour juste exister. Après ce qui m’intéresse, ce sont toutes ces personnes qui meurent en Guadeloupe et non ces antivaccins.

On peut me dire tout ce que l’on veut sur Macron, l’Etat, les défaillances de notre système de santé mais la Guadeloupe n’est pas le seul territoire à connaître ces problèmes. Des hôpitaux en France évoquent également ces mêmes problèmes. Sauf que dans l’Hexagone, ceux qui ont fait le choix de la vaccination, ne meurent pas ! Me concernant, je ne cesserai de pointer du doigt ces incohérences et pour moi, ces militants antivaccins sont des manipulateurs et de par leurs actions, ils entraînent à la mort des personnes qui les ont écoutés. Pour moi, toutes ces personnes qui sont décédées auraient pu être éviter. Je connais des personnes qui ont attrapé la Covid-19 qui sont passées par la réanimation et qui aujourd’hui, me disent qu’elles regrettent d’avoir écouté tous ces messages. Je ne connais pas une personne qui a fait un Covid et qui dit ne pas vouloir se vacciner. Nous les Guadeloupéens nous ne sommes pas des kamikazes et encore moins des gens suicidaires. Nous nous sommes toujours battus pour la vie car nous sommes les descendants de peuples esclavagisés et nos ancêtres ce sont toujours battus pour la vie et nous ont transmis. La révolte de 1802 et le sacrifice de Delgrès est quelque chose de particulier. Encore une fois, je le dis, les Guadeloupéens aiment la vie et quand toutes ces personnes se voient mourir étouffer, c’est sur cela que l’on a envie d’exister ? Je dis non ! Ce n’est pas possible.


TLFWI : Quand ils ont été créés, les réseaux sociaux ont été pensés pour rapprocher les individus, sauf qu’avec cette pandémie, nous constatons qu’ils divisent. Selon vous, sont-ils devenus des outils de division et de propagation de haine ? Quelle est votre vision en tant que sociologue ?

Patricia Braflan-Trobo : Je vais vous dire une chose. Tous les instruments que vous mettrez à la disposition des êtres humains seront détournés. On n'y peut rien. Par contre, pour moi, ce qu est important c’est de rester éloigner le plus longtemps possible des réseaux sociaux. A un moment, j’étais sur Facebook mais j’ai quitté car j’ai trouvé cela sans intérêt. Je suis sur Twitter très récemment. Les quelques personnes qui sont venues m’insulter dessus ont été bloquées très rapidement. A ce sujet, je ne plaisante pas dessus parce que j’estime qu’utiliser son anonymat pour venir insulter des gens qui ont leur nom, leur opinion, c’est notamment mon cas, je trouve cela déplorable. Je trouve qu’il y a une barrière à imposer. Actuellement, on parle de gestes barrières mais je pense que l’on peut aussi l’employer avec les réseaux sociaux. Il faut donc mettre en quelque sorte une barrière entre soi et les outils numériques. Me concernant, ce sont les gens qui viennent me dire que j’ai été insulté car c’est tellement loin de moi vu que je n’y vais pas, je n’y suis pas au quotidien, je ne les regarde peu donc tout ceci ne m’intéresse pas. J’ai été insulté par quelqu’un il y a peu de temps mais je n’y ai pas prêté attention. En plus, je suis quelqu’un qui aime beaucoup l’humour, je fonctionne beaucoup avec l’humour et à mon avis, certains les prennent pour ce qu’ils sont, des déversoirs de haine. Par ailleurs, ce que je veux dire c’est que, tout ce qui se dit ou se passe sur les réseaux sociaux doit rester dessus. N’oublions pas qu’après cette crise, il va falloir vivre ensemble, donc ceux qui injurient, méprisent ou menacent aujourd’hui, il ne faut pas qu’ils oublient que la vie continue et évidemment vous ne savez jamais ce qui peut se passer dans la vie. Evitons d’hypothéquer l’avenir. Il faut que les gens comprennent que c’est du virtuel.

Cependant, dans une moindre mesure, effectivement, ils rapprochent. C’est mon cas. Sur Twitter, nous sommes une petite communauté d’actifs à débusquer les imposteurs, cela nous a rapproché. J’ai aussi un groupe d’amis qui diffusent tout ce que je capte comme incohérences. Je les partage et eux les relaient. Sur ce point, on peut dire que les réseaux sociaux rapprochent et nous sommes nombreux à utiliser ces moyens de communication pour faire reculer l’obscurantisme. Très récemment, vous avez fait l’interview du Professeur Emmanuel Gordien. Il y a aussi d’autres spécialistes de médecine tels que Serge Romana, dr Pichon, ou encore Germain Botin qui sont très présents sur Facebook. Ils utilisent ce réseau social pour démonter les thèses complotistes. On m’envoie souvent des captures d’écran relevant leurs posts. Pour conclure à ce sujet, les deux se font, ils divisent pour ceux qui le veulent et ils rapprochent pour ceux qui les utilisent pour bien communiquer, mais en ce qui concerne la haine diffusée dessus, pour moi, c’est sans intérêt.

The Link Fwi : Pourtant, le refus de la vaccination ne concerne pas uniquement la Guadeloupe, même dans l’Hexagone ou ailleurs dans le Monde, ils sont nombreux à ne pas vouloir le vaccin. Puis quand on regarde, les médias nationaux ou européens parlent d’inefficacité du vaccin face à ces nouveaux variants, au final. Sans oublier les nombreuses tergiversations du Gouvernement au sujet de la vaccination qui au départ parlait d’une dose, puis deux enfin trois et maintenant ils parlent de quatre doses de vaccin, le refus de ce vaccin n’est-il pas légitime ?

Patricia Braflan-Trobo : La force des antivax et antipass sanitaire repose sur le fait qu’ils ont beaucoup de certitudes, mais dans la vraie vie, ceux qui combattent ce virus sont incapables d’en avoir parce que nous sommes vraiment en train de vivre quelque chose de singulier où la science se fait avec l’évolution de la maladie. Personnellement, je fais confiance à la science et tous ceux qui, soi-disant, anti tout, s’ils tombent, se cassent la jambe, ils ne diront jamais, ne m’amener pas à l’hôpital et qu’ils ne veulent pas voir un médecin, car ils ne savent pas quelle anesthésie qu’on va leur donner... Donc ils savent faire confiance quand il le faut. Pour ce virus, je crois que la science est en train d’avancer et cherche des solutions. Aussi, vous pouvez aussi pointer du doigt le monopole des Big Pharma, je n’en disconviens pas. Néanmoins pour les personnes qui sont très immunodéprimées si elles ont besoins d’une deuxième dose, d’une troisième dose voire d’une quatrième et même d’une cinquième dose pour mieux combattre ce virus, pourquoi pas. Je pense que le jour où la science nous dira que nous n’avons plus besoin de vaccin, ce sera je pense une avancée dans la maîtrise du virus. Très récemment, je lisais que l’Institut Pasteur recherchait des volontaires pour tester l’efficacité d’un suppositoire pour traiter la Covid-19. On a aussi les anticorps monoclonaux qui sont administrés à certaines personnes en réanimation sont des avancées en matière de recherche sur le traitement Covid. Il est vrai qu’au début le Gouvernement a comme je le dis “ beugué “, en communicant trop vite donc cela a perdu les citoyens mais je pense que l’on doit faire confiance à la science. Par exemple quand j’ai des questions ou des doutes, j’en discute avec mon médecin ou avec la pharmacienne. Par moment, ils peuvent ne pas avoir la bonne réponse. Vous savez, lorsque vous allez chez le médecin, vous lui posez des questions, il peut avoir plusieurs hypothèses. Il vous donne un médicament avec un spectre assez large pour toucher la maladie dont vous souffrez. La médecine selon moi, n’est pas une science exacte. Ainsi, la science est en train d’avancer avec cette maladie qui est nouvelle pour tout le monde. En tout cas elle est nouvelle sous cette forme, car il y avait déjà eu par le passé des coronavirus mais pas sous cette forme-là. De ce fait, je le répète, il faut faire confiance à la science et nous ne devons pas écouter les médecins Facebook et WhatsApp. Rendez-vous compte, la dernière fois, j’ai vu qu’un ancien avocat de joueurs de football s’est érigé en leader antivaccin. Entre ma pharmacienne ou mon médecin et lui, à qui je vais faire confiance ? Evidemment aux professionnels de santé. J’irai voir mon médecin d’abord.

Ensuite, je le dis souvent, si Pfizer avait besoin de territoires pour faire de la publicité, il devrait prendre la Guadeloupe et la Martinique sans problème. Parce que, qui meurent le plus en ce moment dans nos îles ? Ce sont évidemment les non-vaccinés. Lorsque vous avez à la Martinique, quatre cent morts de la Covid-19 rien que pour le mois d’Août. Elles étaient toutes non vaccinées. Du coup, quand on me parle de l’inefficacité des vaccins, c’est trop facile, c’est de la bonne propagande et je voudrais souligner à ces personnes que le nombre de maladies et de virus qui ont été éradiqués grâce à la vaccination, je ne veux pas rentrer dans ces débats mais je le redis, laissons la science aux scientifiques. Vous avez vu, il faut constamment trouver des arguments pour contrer l’actuelle propagande des complotistes et autres antivax et leur dire d’arrêter d’induire les gens en erreur. Puis, je suis sûre que s’ils ont un cancer, ils ne refuseront aucun traitement et iront à l’hôpital afin de suivre une chimiothérapie qui je souligne est un traitement particulièrement lourd à supporter. Il faut donc que nous gardions notre esprit critique et c’est mon rôle en tant que sociologue. A propos de complotisme, certains y voit un rôle de l’Etat mais pourtant, le smartphone que nous avons, est en permanence connecté, nous partageons du contenu, photos, vidéos etc donc, nos données sont stockées et l’Etat comme ils le disent sait tout ce que nous faisons. C’est pareil pour les achats que nous effectuons avec notre carte bleue. On sait à la minute près dans quel magasin tu t’es rendu, donc ne me dites pas que l’on va t’injecter une puce à travers ce vaccin pour te suivre, tu as déjà une puce dans ton portable, dans ta carte bleue et même sur ta carte vitale. Là, nous sommes déjà à trois puces et j’en oublie quelques-unes. Revenons donc à des choses beaucoup plus rationnelles.

TLFWI : Ce scepticisme des Antillais à l’égard de la vaccination n’est-il pas fondé sur le fait qu’auparavant, l’Etat a délibérément menti à ses citoyens notamment concernant le Chlordécone ?

Patricia Braflan-Trobo : Alors oui c’est sûr que le scandale du Chlordécone avec toutes les approximations, les vérités cachées, cela n’a pas aidé effectivement. Depuis, il y a une méfiance qui s’est installée entre les citoyens des Outremers plus particulièrement de la Guadeloupe, de la Martinique et le Gouvernement. Cependant, il faut savoir aussi que les antivax et les agitateurs “ anti-tout “ ont aussi surfé sur ce scandale pour assoir leur légitimité antivaccin, anti-pass sanitaire et anti vaccination obligatoire. Cela s’est particulièrement vu à la Martinique, où le scandale du Chlordécone a réveillé des blessures du passé et a rendu la population très virulente et cela s’est rajouté à tous les éléments de la communication défaillante du Gouvernement par rapport à cette vaccination.

The Link Fwi : Grâce aux réseaux sociaux, plusieurs groupes très politisés comme Moun Gwadloup, Sentinelles Guadeloupe et le créateur de la page polémiste “ La Pause sans filtre “ se sont érigés en porte-paroles des antivax, au point qu’ils sont plus écoutés que les militants et partis nationalistes historiques. Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse d’un tournant pour le milieu nationaliste avec une nouvelle génération qui détrône les anciens ? Ne font-ils pas le lit de l’extrême droite ?

Patricia Braflan-Trobo : Je ne pense pas que la classe politique ou les partis nationalistes antillais se fassent remplacer. Je dirais que ce sont des groupuscules qui répondent à un besoin. Au sens où, cela ne se traduit pas par des victoires électorales. Vous parlez de Sentinelles Guadeloupe, aux dernières élections régionales, ils n’ont même pas atteint les 3% des suffrages exprimés, je crois qu’ils ont à peine fait deux milles voix. Pour moi, ce sont des groupes qui sont avant tout des exutoires pour des personnes qui se nourrissent de la haine, de la colère et de la frustration de la population qui pourtant lors des élections, soit elle s’abstient soit, pour ceux qui se rendent aux urnes, ne votent pas pour eux. Les dernières élections régionales nous l’ont clairement montré. Du coup, dépités par les résultats, ces chefs de files du mouvement antivax prennent en quelque sorte leur revanche en s’érigeant comme des porte-paroles de la contestation, juste pour avoir une visibilité. Ils se rendent compte que c’est un discours qui a ses limites que ça soit dans la sphère politique dans la réalisation. On peut être “ anti tout “ mais, que proposez-vous ? Quels sont vos objectifs ? Allez-vous bâtir une société de “ l’anti” dont les fondements sont la haine ? Que construisons nous ? A quel moment il y a des propositions et que l’on est pour ? Je ne dis pas qu’il ne faille pas être dans la confrontation mais le peuple sait à qu’il veut faire confiance et vers qui il se tourne, lorsqu’il s’agit d’exprimer sa volonté par le vote. Puis, comme j’aime à le dire, en France jusqu’à preuve du contraire, ce sont les élus qui ont le droit au chapitre. En tant que sociologue qui a étudié les mouvements sociaux, ils ont leur place dans la société car ils jouent un rôle important dans la conduite des politiques publiques. C’est capital que les personnes puissent exprimer leur mécontentement sauf qu’il faut que cela se traduise en réalité politique et jusqu’à présent, le champs politique reste occuper par des politiciens traditionnels.

Aux dernières élections régionales, c’est la liste NOU qui a créé la surprise. Par contre, malgré la forte abstention, le président Ary Chalus, qui est vu comme l’homme du système a été réélu largement par la population guadeloupéenne. A la Martinique, c’est pareil. On a vu le retour de Serge Letchimy à la tête de la CTM. On peut donc dire que ces mouvements de contestation sont importants mais ils ne mettent pas en danger les hommes et les femmes politiques en place.






TLFWI: Pensez-vous que les fake news soient des entraves à la bonne marche de la vie politique et à la direction à prendre pour traiter la crise sanitaire ?

Patricia Braflan Trobo : Incontestablement ! Je pense qu’il y a des personnes qui ne vivent que par les fakes news et beaucoup en sont mortes à cause de ces fausses informations. Dans les sociétés en général, il est clair que les mauvaises informations induisent en erreur. Il y a quelque temps de cela, je regardais un reportage sur la Russie, où il y a eu des élections, le pouvoir en place a créé deux candidats fantoches qui portaient le même nom que le troisième candidat qui avait des chances d’être élu. Le pouvoir a donc mis des homonymes pour brouiller l’esprit des citoyens votant afin de faire perdre l’opposant. Là où je veux en venir, c’est que oui, cela peut être un danger. Chez nous, en Guadeloupe comme à la Martinique, au plus fort de la quatrième vague, cela a été grave. Nous avons eu des centaines de morts en moins d’un mois. Pour moi, cela a été très grave car, la société antillaise est très connectée sur les réseaux sociaux ainsi, les gens se partagent énormément de choses. Les réseaux sociaux ont un impact et le fait d’avoir partagé ces informations sans fondement a eu un impact dramatique. Des personnes sont décédées. Des familles sont en deuil, c’est un drame humain.


The Link Fwi : Vous êtes-vous-mêmes très active sur les réseaux sociaux notamment Twitter, sur lequel vous relayez, informations, statuts sur le covid-19 et images drôles d’antivax, est-ce un moyen pour vous de combattre tous ces extrémistes et les idées véhiculées par eux ?

Patricia Braflan-Trobo : Honnêtement, je ne veux pas combattre les extrémismes. Ce n’est pas mon rôle et encore moins mon combat. Je veux surtout montrer les incohérences dans les discours de ceux qui veulent manipuler la population en l’emmenant dans ce que moi je nomme, l’autogénocide. Quand vous menez un combat et que vous vous rendez compte qu’il y a des morts que dans votre camp et que vous ne changez pas la stratégie, c’est que vous êtes un leader négatif et dangereux pour votre population. Vous menez un combat comme le vaccin, contre l’Etat, contre madame Denux, contre le Préfet mais qui meurent ? Nous sommes bien d’accord que ce sont des Guadeloupéens et des Guadeloupéennes qui décèdent. Me concernant, je combats l‘obscurantisme à la petite cuillère. Vous avez vu ces prisonniers palestiniens qui se sont échappés de leur prison en creusant un tunnel durant des mois voire des années ? Moi je dis que c’est avec une petite cuillère que nous allons détruire ce mur de l’obscurantisme et nous sommes déjà en train de le faire, puisque nous constatons qu’ils ont changé de discours. Avant ils se disaient antivaccins, maintenant, ils nient et affirment qu’ils sont pour les vaccins mais contre le pass sanitaire. Selon moi, c’est une très grande victoire et les gens savent. Je crois qu’aux Antilles, il y a de nombreux vaccinés célèbres mais s’ils parlaient, les choses bougeraient. Vous savez, les Guadeloupéens sont un peuple qui a un manque d’estime de lui, il a perpétuellement besoin de héros. Et bien souvent quand vous êtes dans cette quête, ce sont des héros négatifs qui apparaissent. Ils ne sont pas là pour faire grandir le peuple. Ils sont incapables de donner au peuple la bonne marche à suivre car ils pensent à leur image qu’ils se sont construits. Encore une fois, je le répète, ce qui m’importe est de savoir sur quelle base vous prenez la décision de vous vacciner ou de ne pas le faire mais encore une fois, je respecte totalement le choix et la liberté de tout un chacun. Personnellement, je n’aime pas que l’on me dicte ce que je dois faire, donc je me vois mal le faire à la population dans son ensemble.

TLFWI : Comprenez-vous le fait que les Guadeloupéens et les Martiniquais se retournent vers les “ rimèd razyé “, les remèdes traditionnels. En tant que sociologue comment traduisez-vous cela ?

Patricia Braflan-Trobo : Je me suis rendu compte de cela. Cependant, il y a un problème qui est apparu. Les personnes qui prennent ces remèdes traditionnels ; elles sont nombreuses à s’intoxiquer car, beaucoup ne connaissent pas les posologies. C’est un phénomène que les médecins sont en train d’observer. Ainsi, en rimèd razyé, c’est au gramme que le traitement se fait, donc au minimum de doses. Alors que culturellement, pour nous soigner et que ça aille plus “ vite “, nous aimons faire du surdosage et comme nous disons en créole “ nou enmé pran on pwagné, nou enmé mèt cink fèy”. Il n’y a donc pas de respect des mesures. Je l’ai évoqué au cours de l’interview, je suis quelqu’un qui utilise ces remèdes traditionnels. J'ai même ma marchande de “ Rimèd Razyé “ Je suis pour ces traitements traditionnels. Néanmoins, il faut que nous soyons conscients que les “ Rimèd razyé “ ont leur limite. Par exemple, j’ai un ami qui se retrouve dialysé et en réanimation parce qu’il a eu quelques symptômes de coronavirus. Il a été testé positif. Il a commencé son traitement à base de “ rimèd razyé” mais son état s’est dégradé au bout d’une dizaine de jours. Figurez-vous qu’il a été conduit au CHU, où il est allé en réanimation. Il a soixante-trois ans. Il travaillait dans le domaine médical et il a refusé de se faire vacciner. Selon ce que je sais et que l’on m’a dit, lorsque vous passez en réanimation, vous n’êtes plus la même personne. Je sais aussi qu’il y a eu des personnes qui ont utilisé les rimèd razyé mais elles ont aussi eu besoin d’oxygène. Sur cet exemple, on constate qu’il y a un apport de la médecine. Est-ce que, au nom de nos remèdes traditionnels, dont on ne maitrise pas totalement la posologie. Moi, par exemple, quand j’avais la toux, je prenais du tabak a jako et très récemment, j’ai découvert qu’il était aussi un sédatif. Je l’ai appris grâce à quelqu’un qui m’a dit que sa mère en prenait comme somnifère. Les rimèd razyé sont bons, il n’y a pas de doute là-dessus mais, on ne peut pas opposer “ Rimèd Razyé “ et médecine moderne conventionnelle. La Chine qui est pourtant un pays qui est très en avance depuis des milliers d’années sur les médicines naturelles traditionnelles, vaccine massivement sa population. Souvenez-vous qu’en Chine, un hôpital a été construit en dix jours. Ce qui veut dire que ces médecines locales, traditionnelles ont leur limite et qu’il faut faire confiance aux scientifiques.


The Link Fwi : Ne craignez-vous pas une radicalisation de cette partie de la population ?


Patricia Braflan-Trobo : Je ne pense pas. Nous n’avons pas une tradition guadeloupéenne ou plus largement, nous n’avons pas une tradition antillaise de la violence et de la radicalisation. Ce qui se déroule à la Martinique avec des centres de vaccination brûlés, des soignants venus de l’Hexagone hués et leurs bus caillassés est une chose de tout à fait exceptionnelle. Il y aura peut-être une à deux personnes qui pourraient passer à l’acte mais, à mon avis ce n’est pas dans notre culture. Encore moins, concernant les problématiques de santé. Je pense que nous avons conscience que nous sommes sur une île et même si la majorité de la population demeure très sceptique concernant la vaccination, je ne pense pas que la population approuve les actes de violence à l’encontre de personnes ou de centres de vaccination. Elles ne figurent pas dans nos pratiques. Les Guadeloupéens comme les Martiniquais ont une façon de protester spécifique. Il y aura des manifestations, des prises de parole, des coups de colère mais pas de violence. On est loin de ce qui s’est passé dans l’Hexagone avec des manifestations qui ont dégêné. Après, on peut aussi se dire que peut-être que les gens finiront par comprendre que la vaccination contre la Covid-19 deviendra quelque chose de normale et que ces mouvements vont se tasser d’eux-mêmes. Il faut attendre pour en tirer des conclusions mais, je ne pense pas qu’il y aura une radicalisation.



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