Lovelie Stanley Numa nous raconte le difficile métier de journaliste en Haïti.
- ELMS
- 5 nov. 2022
- 20 min de lecture
Attaqués, intimidés, kidnappés, emprisonnés et même assassinés, disons-le, partout dans le monde, le journalisme est un métier à haut risque. Il y a des pays où la situation est vraiment plus dangereuse que d’autres pour les professionnels de l’information. Haïti fait partie de ces territoires où être journaliste équivaut à une mort certaine. Lovelie Stanley Numa est une journaliste Haïtienne, passionnée par son pays et par son métier. Fondatrice d’Impulse Webmedias, journal indépendant en ligne, elle nous raconte son parcours et le difficile métier de journaliste dans son pays qui traverse actuellement de grands troubles liés à l’insécurité.

Haïti, pays mythique entré dans l’histoire pour avoir été le premier pays noir indépendant suite à une rébellion menée par des esclaves africains. Premier pays à avoir dit non à la “ domination blanche” et à avoir refusé l’injustice raciale. Lumière dans la pénombre de la colonisation, pendant très longtemps Haïti a fait figure d’exemple pour nombres de nations opprimées désireuses de s’émanciper de quelconque domination occidentale. Pourtant, la Première République Noire a payé le prix de sa liberté chèrement acquise aux français, aux britanniques, aux espagnols et aux Etats-Unis. Deux cent dix-huit ans après ce haut fait d’armes, l’ancien pays précurseur de la liberté des peuples noirs esclavagisés n’est plus que l’ombre de lui-même. Depuis la fin du régime autoritaire des Duvaliers père et fils, François et Jean-Claude, la nation haïtienne lutte constamment pour sa survie.
Entre les cyclones destructeurs et les tremblements de terre meurtriers comme celui de 2010 de magnitude 7,0 à 7,3 dont le bilan est de deux cent quatre-vingt mille morts, trois cent mille blessés et 1,3 millions de sans-abris. Depuis cet événement tragique, le pays caribéen peine à se relever. Pire, il s’enfonce dans une crise sociétale sans précédent.
En effet, l’autre grand problème de la première république noire est bien entendu le mal développement. Pourtant le pays regorge de potentiels. A ce jour, le revenu d’un haïtien issu de la classe populaire est estimé à 3$ par jour. Cette pauvreté est accentuée par une économie en berne voire paralysée suivie d’une inflation galopante. Basée sur des données de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique ( IHSI) ( Inflation - Haiti Economie ) le taux d’inflation en Haïti est passé de 24,60% en novembre 2021 à 24,70% en décembre 2021. Tandis qu’en juillet 2022, l’inflation est établie à 30,5%. Ce qui a pour conséquences un accroissement des grandes difficultés pour les ménages haïtiens, déjà touchés par la précarité et le chômage endémiques. Disons-le clairement, l’économie haïtienne est en panne.
Autre difficulté rencontrée par les Haïtiens, le prix des carburants. Evalué il y a peu à 250 gourdes soit 2$ le gallon. Un prix astronomique pour un pays dont on connait les difficultés économiques quotidiennes d’une population qui peine à se nourrir correctement. La situation s’est même aggravée puisque le gouvernement a pris la décision de ne plus subventionner le carburant et même de l’augmenter de 128%, le faisant passer à 4$ le gallon. Une décision prise sous conseil du FMI (Fond Monétaire International) mais jugée inacceptable pour la classe populaire haïtienne obligée de recourir au système D. Une image revient souvent, celle de ces stations-services prises d’assaut par ces foules d’haïtiens, à moto, à pied, en voiture à attendre sous le soleil de longues heures que les stations-services n’ouvrent. Une image devenue malheureusement récurrente, signe visible de cette grave crise économique que traverse la nation caribéenne. Résultat, Haïti est régulièrement secouée par des manifestations d’ampleur qui virent souvent à l’émeute durement réprimée par les forces de police de la PNH (Police Nationale Haïtienne).
L’autre calamité d’Haïti est bien évidemment l’instabilité politique. Depuis son indépendance, la République caribéenne a connu de nombreuses tentatives de déstabilisation politique, des coups d’état sanglants ainsi que des renversements de régimes, même les plus démocratiques. Nous pouvons même parler d’un vrai fléau pour son développement. Comme la note sur le site Exemplaire, l’auteur Eric Sauray, avocat et auteur en 2006 de “ Haïti, une démocratie en perdition “ Depuis son indépendance, obtenue en 1804 après plus de dix ans de guerre contre l’armée française, Haïti n’a que rarement connu la sérénité. Dès 1806, le tout premier chef de l’Etat haïtien, l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, est assassiné, ouvrant la voie à une guerre civile de treize années.” Les origines de ces troubles politiques sont nombreuses. Elles proviennent soit de l’intérieur même du pays, à savoir, la haute classe bourgeoise mulâtre, blanche ou syro-libanais à la tête d’industrie et de grandes fortunes, soit de l’étranger, notamment, les Etats-Unis qui ne se sont jamais cachés pour intervenir militairement chez leur voisin caribéen. Entre 1915 et 1934, Haïti a même été occupée par l’armée américaine. Une occupation restée dans les mémoires pour sa violence. Plus récemment, en 1991, Jean-Bertrand Aristide, tout premier Président démocratiquement élu dans l’Histoire d’Haïti est renversé par un Coup d’Etat, là aussi, soutenu par le gouvernement des Etats-Unis via la puissante CIA. Encore plus récemment, l’histoire s’est une nouvelle fois écrite dans le sang avec l’assassinat le 7 juillet 2021 du président Jovenel Moïse. A ce stade nul ne peut dire et si un jour on connaîtra le ou les commanditaires et les raisons de ce nouvel attentat contre la jeune démocratie haïtienne.
Le constat est là, la plus longue période de stabilité qu’a connu la république haïtienne est le fait de la dictature des Duvalier, qui ont régné sans partage sur l’ancienne “ Perle des Antilles” de 1957 à 1986 : à sa mort en 1971, le père, François Duvalier, transmet le pouvoir à son fils Jean-Claude, ainsi que le contrôle d’une milice redoutable, les Tontons Macoutes qui ont, le temps de leurs règnes respectifs, terrorisé la population. Un règne là aussi, soutenu par les Etats-Unis, alors engagé dans une lutte d’influence à travers le monde, avec le grand rival soviétique. Certains aiment à dire qu’Haïti est une colonie des Etats-Unis. Une colonie qui ne dit pas son nom.
Entre pauvreté grandissante, économie entravée, instabilité et violence politique, l’autre affliction d’Haïti est bien entendu la violence orchestrée par les gangs qui se disputent le territoire de Port-au-Prince. Le pays francophone des Grandes Antilles connaît depuis environ une décennie une situation d’insécurité grandissante et alarmante.
Vingt-cinq ans après le retour de la démocratie. Douze ans après le terrible tremblement de terre de 2010, Haïti semble plonger de plus en plus dans le chaos. Pauvreté extrême, violence, kidnapping et guerre des gang sont le lot quotidien des Haïtiens. Mais il en va sans dire que, depuis la mort du président Jovenel Moïse tué par un commando armé, la situation déjà très difficile, est devenue incontrôlable. Les forces de la PNH (Police Nationale Haïtienne) peinent à endiguer le problème des 162 gangs et leurs 3000 membres actifs. Deux grosses organisations criminelles se démarquent de leurs rivaux pour leur extrème brutalité, le G9 Fanmi e Alyé dirigé par un ancien policier répondant au nom de Jimmy Cherizier alias Babekyou ( Barbecue) surnom qui lui vient du fait qu’il brule ses victimes alors qu’elles sont encore en vie. L’autre gang, tout aussi violent, c’est le 400 Mawozos qui contrôle la route principale menant de l’aéroport. Dans leur guerre de territoire, ils sèment la mort et le chaos. Cela donne à la population un sentiment d'abandon de la part des autorités.
En effet, la lutte pour le contrôle des territoires que se font ces gangs politisés et proches de certains partis politiques, a des accents de guerre civile qui ne dit pas son nom. Longtemps cantonnés dans les zones très défavorisées du bord de mer de Port-au-Prince, les groupes armés ont grandement accru leur emprise à travers la ville et certains gagnent même l’intérieur du pays depuis l'automne 2020. Multipliant assassinats et enlèvements crapuleux. Ils n'ont pas de peine à recruter massivement parmi les jeunes chômeurs des quartiers défavorisés des villes et communes de la partie francophone d’Hispaniola. La Cellule d’Observation de la criminalité ( COC) du Centre d'Analyse et de Recherche en Droits de l'Homme (CARDH) a recensé depuis janvier 2022, deux cent quatre-vingt-dix enlèvements d'Haïtiens ; 36 étrangers de neuf pays, bien que les estimations seraient de quarante depuis le mois de janvier à ce jour ainsi que 15 enlèvements collectifs.
Face à toute cette violence, ils sont des milliers à fuir leurs habitations pour se réfugier dans des zones de la Capitales encore sécurisées. Des réfugiés dans leurs propres pays.
En première ligne de cette flambée de violence, les journalistes tentent tant bien que mal de faire leur travail. Toutefois, leur métier n’est pas sans risque. Entre les menaces à leur intégrité physique qui débouchent bien souvent à des enlèvements ou des tentatives d’assassinats voire carrément des assassinats. Les gangs ne sont pas la seule menace. Même la police assassine les professionnels de l’information. Nul ne va sans dire qu’en Haïti, être journaliste est un métier à très haut risque. Pour nous en parler, nous avons donné la parole à la journaliste Haïtienne Lovelie Stanley Numa, fondatrice du média en Ligne Impulse Medias journal indépendant qui fait un véritable travail de terrain dans ce pays en proie à ses propres démons.
The Link Fwi : Bonjour Lovelie, bienvenue sur The Link Fwi, vous êtes une journaliste haïtienne et vous vivez toujours en Haïti. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’être journaliste mais surtout une journaliste dans un pays aussi troublé qu’Haïti ?
Lovelie Stanley Numa : Bonjour, merci de me donner la possibilité de m’exprimer à travers votre média. Je voudrais remercier vos lecteurs et lectrices ainsi que tous les internautes qui liront cette interview. Comme vous l’avez dit, je suis Lovelie Stanley Numa, je suis journaliste, je suis une femme et je suis également la fondatrice du média en ligne Impulse Web Medias. Le journalisme est un domaine transversal qui nous permet d’aller à la rencontre du public et comme vous le savez, l’objectif ultime de ce métier est de fournir aux citoyens les faits qui leur permettent de mieux connaître et mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Le journalise est pour moi plus qu’un métier mais une passion. Je l’aime parce qu’à travers lui, je peux mieux comprendre les différentes facettes de la vie. A savoir la politique haïtienne ainsi que la géopolitique dans son ensemble. De plus, j’aime surtout développer cette proximité avec les gens parce que nous traitons des sujets qui font partie de leur quotidien.
TLFWI : Comment êtes-vous devenue journaliste ? Avez-vous fait des études dans le domaine ou êtes-vous complètement autodidacte ? D’ailleurs, comment devient-on journaliste en Haïti ? Les études sont-elles les mêmes qu’en France ou dans le monde francophone, à savoir des écoles de journalisme ou des cours de journalisme à l’université ?
Lovelie Stanley Numa : Non, je ne suis pas une autodidacte. J’ai étudié le journalisme à l’ISMA. Il faut savoir qu’en Haïti, il y a la faculté des Sciences Humaines où vous pouvez faire une licence en quatre ans mais il y a aussi des écoles de journalisme. Les études de journalisme dans mon pays durent entre dix-huit et vingt-quatre mois.

The Link Fwi : Avez-vous fait vos études en Haïti ou êtes-vous parti dans un autre pays pour étudier ?
Lovelie Stanley Numa : J’ai fait toutes mes études en Haïti mais j’ai participé à des assises internationales, j’ai couvert ces rencontres internationales que ça soit en Europe ou en Afrique. J’ai aussi travaillé en Haïti mais depuis 2019, je suis également correspondante dans mon pays de l’émission “ Alors on dit quoi ? “ de la RFI.
TLFWI : Une question que pourrait se poser nos lecteurs et lectrices, est-ce que c’est difficile d'exercer le métier de journaliste en Haïti ? Mais surtout est-ce difficile d’être une femme journaliste en Haïti ? Quels sont les risques que vous encourez ?
Lovelie Stanley Numa : Pour tout vous dire, au regard de nos actualités et de notre histoire, il est très difficile d’être un ou une journaliste en Haïti surtout quand vous êtes quelqu’un d’honnête. J’ajoute qu’il y a une sorte de rétention d’information émanent des autorités. Ce n’est pas tout le monde qui a accès à l’information. De nos jours, les journalistes, hommes comme femmes ne sont pas libres d’accéder à divers endroits du pays car, tout simplement, les gangs sèment la terreur. Les cas s’enchaînent et sont de plus en plus nombreux. Il y a eu le cas de Néhémie Joseph, journaliste de Radio Panic FM également correspondant de Radio Méga à Mirebalais. Il a été assassiné un après-midi du jeudi 10 octobre 2019 dans cette même ville. Il était déjà menacé du fait de ses positions hostiles au régime politique en place.
Néanmoins, l’année 2022 est une année noire pour notre profession. En quelques semaines voire quelques mois, nous avons perdu six confrères. Je peux citer la disparition du photojournaliste Vladimir Legagneur qui était partit en reportage photo sur Grand-Ravine, commune située à l’entrée sud de Port-au-Prince et qui est bloquée depuis environ trois ans. Au début de l’année 2022, deux autres journalistes ont été assassinés notamment un le 6 janvier 2022 à la Boule 12 par le gang du chef surnommé Ti Makak opérant dans la zone, pour ce fait les victimes sont John Wesley Amady et Wilgens Louissaint. Le 23 février 2022, il y a eu l’assassinat de Maximilien Lazare qui couvrait une manifestation d’ouvriers qui réclamaient simplement de meilleures conditions de travail. On attribue cet acte à une action de répression de la part de la PNH( Police Nationale). Je peux aussi parler des meurtres de deux journalistes à Cité Soleil, le 11 septembre 2022, il s’agissait de Tayson Latigue et Frantzsen Charles dans l’exercice du métier. Il y a encore plus récemment la tentative d’assassinat contre le grand journaliste Roberson Alphonse ou encore la mort de Romelson Vilsaint qui a été tué devant un poste de Police. Acte commis par les forces de Police Nationale. Il a été tué au moment où il venait en aide à un de ses confrères, le journaliste Robest Dimanche qui est reporter de la radio Zénith FM. Ce dernier avait été arrêté par les forces de l’ordre lors d’un mouvement de protestation organisé par des militants de la « Base 47 » qui réclamaient la libération de plusieurs de leurs camarades arrêtés par les forces de l’ordre.
Donc vous voyez, si ce ne sont pas les gangs qui tentent de nous ôter la vie, ce sont les policiers qui abusent de leur pouvoir pour commettre ces crimes. Aussi, ce que je dois souligner c’est que ces journalistes, à l’exception de Vladimir Legagneur, sont tous des journalistes web. Ils travaillaient tous pour des médias en ligne assez suivis en Haïti.
The Link Fwi : Est-ce que vous, vous êtes menacée en tant que femme journaliste ? Est-ce difficile d’être une femme et d’évoluer dans ce domaine si risquer ?
Lovelie Stanley Numa : Ce sont des choses que je n’aimerais pas en parler. Depuis juin 2019, j’ai des menaces suite à mes révélations concernant l’assassinat du journaliste Rospide Pétion que l’on surnommait Douze. J’ai été l’une des journalistes actives pour l’organisation des manifestations, des marches pacifiques pour dénoncer cet assassinat et réclamer justice pour la famille de la victime. Ensuite, lors des mouvements de contestation qui ont suivi les révélation du scandale Pétrocaribe, je faisais partie de ce groupe de jeunes activistes qui demandaient justice et que l’argent détourné soit rendu à la population. Malheureusement, comme vous le savez, quand vous demandez quelque chose,et que ce n’est pas en faveur des politiques, vous vous faites des ennemis bien souvent très hauts placés. En tant que journalite en Haïti, nous sommes toujours menacés, car, nous dérangeons.
TLFWI : Est-ce difficile d’être une femme et d’évoluer dans le domaine du journalisme en Haïti ? Êtes-vous respecté comme vos confrères, les hommes ?
Lovelie Stanley Numa : En Haïti, comme dans beaucoup de pays dans le Monde, nous les femmes nous devons constamment faire nos preuves. Je ne vais rien vous apprendre, mais nous vivons dans une société très sexiste. Nous subissons des avances, des propositions indécentes, que ça soit dans les médias ou même de la part de certains membres du gouvernement, des parlementaires, des hauts fonctionnaires et même des défenseurs des droits de l’homme. Même si nous sommes compétentes, nous les femmes faisons face à de nombreux défis. C’est ce qui explique d’ailleurs la sous-représentation des femmes dans les médias nationaux haïtiens.

The Link Fwi : Si vous le voulez bien passons à des sujets plus d’ordre politique. Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse, quelle est la situation d’Haïti ? Quelle est la situation sociale, politique, économique ? Et où en est-t'on de l’enquête sur le meurtre de votre président ?
Lovelie Stanley Numa : Sincèrement, je dois vous dire que bien avant la disparition tragique du président Moïse, la situation en Haïti était déjà très difficile pour le peuple. Je peux même dire qu’elle n’était pas si différente de celle d’aujourd’hui. Après son assassinat, elle s’est même empirée. Il est vrai que même quand il était au pouvoir et vivant, nous connaissions déjà de l’insécurité faite de violence, de kidnappings, sans oublier le chômage de masse et même de l’instabilité politique... L’économie nationale était dans l’impasse. Par exemple la route de Martissant qui donne accès à quatre provinces et quatre autres départements. Il était déjà difficile pour les habitants de se déplacer. Les gens vivaient sous la coupe des gangs. Pour se protéger des tirs, ils devaient déjà courir pour s’abriter. Il y avait même eu des personnes tuées après avoir tenté de traverser cette route. Plusieurs massacres de civils non-armés avaient eu lieu. Figurez-vous que le bâtonnier de l’ordre des avocats en Haïti avait lui-même, été assassiné sur cette même route. Un assassinat qui s’est déroulé non-loin de la maison de l’ancien président Moïse, tué dans sa maison personnelle.
En ce qui concerne, la situation actuelle, depuis trois à quatre mois, il y a des soulèvements populaires qui ont lieu partout dans le pays. La population réclame simplement de meilleures conditions de vie. Elle dénonce surtout l’augmentation du prix des carburants sur le marché nationale. Une situation qui s’est aggravée lorsque le gouvernement a pris la décision de ne plus subventionner l’essence. Une décision qui n’a pas été acceptée par la population. Des barrages sur les routes ont été dressés. Une situation récurrente. On va dire que presque chaque semaine, il y a un blocage. Les écoles n’ont pas pu accueillir les petits écoliers. Or la rentrée des classes devaient se faire le 5 septembre. Une rentrée scolaire reportée du fait de la rareté du carburant, qui selon est volontaire, basée sur de la spéculation. Je dis ça parce que, les stations sont officiellement vides mais, on trouve du carburant au marché noir. On trouve du gaz ou de l’essence en pleine rue. Il y a aussi la cherté de la vie. Tout comme dans le monde, avec l’inflation qui augmente, en Haïti, pareil, nous subissons cette augmentation. Ce qui a des conséquences graves sur le peuple. Pourquoi ? Parce que notre consommation dépend essentiellement des produits importés. Vous voyez, il n’y a pas que les gangs qui sèment la terreur dans nos rues, il y a l’instabilité politique, l’inflation galopante, la pauvreté etc tous ces éléments qui paralysent les activités quotidiennes des Haïtiens.
TLFWI : Rentrons dans le vif du sujet. Où en est-on dans l’enquête sur la mort de Jovenel Moïse ? Rappelons qu’il s’agit d’une enquête internationale donc pas seulement Haïtienne. Certains membres du commando venaient de la Colombie, des complices se trouvaient en République Dominicaine, il y a eu aussi des arrestations en Jamaïque. A t-on trouvé les commanditaires ? Ou bien l’enquête piétine ? Que disent les premiers éléments de l’enquête.
Lovelie Stanley Numa : Alors, pour tout vous dire, l’enquête sur l’assassinat du président Jovenel Moïse piétine, tout comme toutes les enquêtes pour meurtres qui ont eu lieu durant son mandat qui a connu une fin tragique et même durant les mandatures précédentes. Depuis, que je suis née, que je suis une femme consciente, je n’ai jamais entendu parler d’une enquête qui a été menée à bien en Haïti. Il y a vingt ans, le grand journaliste Jean Leopold Dominique a été assassiné. Jusqu’à ce jour, aucun coupable n’a été trouvé et l’enquête sur sur sa mort tragique se poursuit. Sans oublier toutes les autres enquêtes sur des meurtres politiques qui ont eu lieu il y a bien des années, encore aujourd’hui, elles continuent. Le père de la nation haïtienne, l’Empereur Jean-Jacques Dessaline tué il y a deux-cent seize ans n’a jamais été bouclée. Qu’en est-il de Jovenel Moïse tué en juillet 2021. Bien avant lui, d’autres présidents Haïtiens ont perdu la vie tragiquement, là aussi, les enquêtes n’ont jamais été conclues. Tout cela pour vous dire que l’enquête piétine voire patine.
Le monde entier en a parlé. On sait que ceux qui ont exécuté le président Moïse sont des mercenaires Colombiens en complicité de sa garde rapprochée, de plusieurs policiers et gradés de la PNH. Plusieurs d’entre eux sont en prison d’autres sont encore en cavale. Beaucoup de personnes sont accusées sauf les vrais coupables. Certaines personnes sont en prison aux Etats-Unis. Une personne a été désignée comme cerveau des opérations. Il s’agit d’un certain Jean-Félix Badio qui reste activement recherché par la police mais qui est toujours en fuite. Malgré cela, ce dernier a pu déposer une plainte devant la justice contre des personnalités du pays pour des allégations contre sa personne. Il reste introuvable pour répondre de la justice de ce qu’il sait sur l’assassinat du président Moïse. Cependant, il s’est manifesté via ses avocats pour poursuivre des personnes en justice Parmi ces accusateurs, il y a un défenseur des Droits de l’Homme et trois autres journalistes. Il n’y a pas de réelle volonté de la part des autorités judiciaires et gouvernementales pour faire avancer les choses. Le nom de l’actuel Premier ministre Ariel Henry, est cité mais celui-ci refuse de se présenter aux juges. Je préfère m’arrêter là...
The Link Fwi : Question, Ariel Henry est encore en poste, n’a t-il pas une sorte d’immunité qui le protège ? Ou peut-il répondre aux questions de la justice de votre pays ?
Lovelie Stanley Numa : Ariel Henry n’est pas légitime. En Haïti, tout le monde sait comment il a accédé au pouvoir. Il a tout l’appui inconditionnel de la Communauté internationale. Malgré les contestations populaires et le désaveu d’une grande partie de la classe politique haïtienne, il est soutenu par la Communauté internationale et notamment les Etats-Unis. Le peuple haïtien ne soutient pas sa politique !
The Link Fwi : Actuellement, on voit un retour du choléra, comment expliquez-vous le retour de la maladie ? Premièrement d’où vient ce choléra en Haïti ?
Lovelie Stanley Numa : Le monde entier sait que le choléra vient des casques bleus népalais qui était présent en Haïti. Il s’est déclaré à partir d’octobre 2010. Chose incroyable, il fait son retour, en octobre 2022, en pleine crise multidimensionnelle et surtout que l’on parle d’un envoi d’une force militaire internationale sous mandat de l’ONU. En outre, je dois vous avouer que, j’ai été la première journaliste en Haïti à avoir publié des informations faisant état d’un retour du Choléra en Haïti à travers mon média en ligne Impulse Web Médias par un Tweet. J’ai été menacée, contrainte d’effacer cette information sur mon Twitter parce que je ne devais pas citer le nom de l’institution en question. Même des confrères de la presse haïtienne ne voulait pas croire en mon information. Pourtant, ils savent très bien que le jeune média que je dirige est un média très crédible et professionnel. Résultat, en moins de vingt-quatre heures, le Ministère de la Santé Publique a dû publier un communiqué évoquant les premiers cas de choléra en Haïti et depuis, l’ensemble de la presse caribéenne, internationale en parlent.

TLFWI : Est-ce qu’il y a des victimes ?
Lovelie Stanley Numa : Bien sûr qu’il y a des victimes. Le Choléra actuellement touche en grande majorité les enfants et les jeunes. Toutefois, nous pouvons nous questionner sur la présence du virus dans des zones difficiles d’accès, dans des quartiers populaires et pauvres, que des zones tenues par des gangs armés qui sèment la mort et la terreur.
The Link Fwi : Si nous comprenons bien, il y a tant de questions et peu de réponses.. Justement, l’autre problème de votre pays, ce sont les gangs. Comment Haïti est-elle arrivée à cette situation d’instabilité sécuritaire ? d’Où viennent ces gangs ? Quelle est la situation en ce moment ?
Lovelie Stanley Numa : Justement, pour comprendre les raisons qui font qu’Haïti soit arrivée à cette situation intenable pour les populations. Il faut demander à certains politiciens, certains anciens parlementaires, certains entrepreneurs Haïtiens. D’ailleurs, ils sont accusés par la presse, d’autres membres de la société civile, de fournir des armes à ces jeunes afin de protéger leurs propres intérêts et terroriser ceux qui s’opposent à eux et maintenir le statut quo au niveau politique intérieur. Ces gangs viennent des quartiers pauvres de Port-au-Prince et de sa région. Des quartiers où l’Etat est complètement absent. Ce sont des quartiers où il n’y aucune infrastructure de base malgré la présence de grandes industries du pays. Dans ces endroits, les hommes comme les femmes les peuplant sont sans repères. Pour beaucoup, ils ne savent ni lire ni écrire. Ils n’ont donc pas accès à l’éducation ou à une quelconque formation professionnelle. Ils ne voyagent pas et pire encore, ne mangent même pas à leur faim. Il faut donc se demander, comment arrivent-ils à posséder un tel arsenal, fusils d’assaut et toutes ces armes de très grands calibres ou des munitions en grande quantité, que l’on retrouve dans des zones de guerre et avec lesquelles ils terrorisent ceux qui leurs ressemblent, des miséreux comme eux. Ces jeunes n’agissent pas seuls. Ils ont des “ bosses”, des chefs qui pilotent leurs actions. Haïti n’est pas un pays qui fabriquent des armes et pourtant on retrouve des armes de guerre. Une grande majorité d’entre elles proviennent des Etats-Unis. Il y a également des membres de la diaspora haïtienne installées dans ce pays qui sont actifs dans ce lucratif marché des armes. Disons-le, à qui profite ce crime ?

TLFWI : Face à la violence des gangs et à l’appel de l’actuel gouvernement d’Ariel Henry, les Etats-Unis et le Mexique souhaitent envoyer une force armée conjointe pour éliminer les gangs, la Russie et la Chine étaient plutôt très sceptiques. Les Haïtiens au pays et à l’étranger ainsi que plusieurs hommes politiques haïtiens refusent l’envoi d’une force armée conjointe. Pourquoi refusez-vous l’aide internationale ? Que voulez-vous réellement
Lovelie Stanley Numa : Je ne crois pas que nous soyons contre une aide internationale. Ce que nous ne voulons pas c’est que des militaires étrangers foulent les pieds de notre territoire national. Nous avons besoin d’un réel accompagnement coordonné et structuré de notre police et de notre armée par des formations continuent. Nous souhaitons que notre police et notre armée soient équipées par du matériel moderne et adapté. En plus, le Gouvernement a commandé ce matériel moderne afin de traquer les gangs jusqu’à ce jour, il n’y a quelques engins blindés qui ont été livrés. Nous voulons donc que les équipements commandés nous soient apportés car jusqu’à présent notre police n’a pas les moyens nécessaires pour combattre ces groupes armés qui eux ont des armes modernes. J’ajoute, nous ne voulons pas de militaires étrangers car tout simplement, la Communauté Internationale sait très bien comment résoudre le problème d’insécurité en Haïti. Vous n’êtes pas sans savoir que toutes les missions des Nations Unies ont échoué en Haïti. C’est donc au peuple haïtien de résoudre ses problèmes. Une simple union nationale et je pense que vous verrez le résultat.
The Link Fwi : En attendant, l’Organisation internationale a voté une résolution contre ces bandes armées comme l’interdiction de voyager, le gel de leurs avoirs à l’étranger, un embargo ciblé sur les armes que l’on retrouve sur le terrain pensez-vous que ça soit suffisant ?
Lovelie Stanley Numa : Mais, vous savez les jeunes de ces gangs n’ont jamais voyagé. Ce sont des jeunes qui ont pour la plupart la vingtaine. Ils ne savent pas lire ou écrire. Ils n’ont donc pas la possibilité de faire tout ça. Le mieux serait de trouver, de sanctionner, d’arrêter tous les chefs et leurs supérieurs qui les alimentent qui leur donnent des ordres etc. D’autre part, il serait intéressant que les membres de la Police Nationale d’Haïti de trouver les moyens nécessaires de travailler dans de bonnes conditions. Avant tout, nous devons nettoyer la PNH de tous ses mauvais éléments, policiers et gradés corrompus. Certains sont complices de ces bandes armées. Je crois que la Communauté Internationale sait comment appréhender les choses.

TLWI: Face à cette violence armée, des déplacés internes, peut-on dire qu’Haïti vit une situation de guerre civile ? Et quelle serait la solution selon vous pour qu’Haïti sorte de la crise sociale, économique, politique et sécuritaire ?
Lovelie Stanley Numa : Non. Il n’y a pas de guerre civile en Haïti et nous ne le souhaitons pas non plus. Certains quartiers sont devenus des zones de non-droit. La police manquant de moyens a du mal à intervenir dans ces endroits laissés à la merci des gangs. C’est ce désordre qui se manifeste dans plusieurs régions du pays mais, je dois vous dire, sincèrement vu les frustrations de la population si rien n’est fait, nous arriverons à une éventuelle guerre civile. Maintenant en ce qui concerne ce que nous devons faire pour améliorer la situation. Je dirais qu’il faudrait que les gangs armés soient neutralisés avant même de penser à autre chose. Par ailleurs, l’éducation doit être la clé. L’accès à la santé aussi. Le système sanitaire aussi. Nous devons régler les problèmes de base. Bannir l’impunité. Implanter l’Etat de droit. Retourner à la terre afin que nous soyons capables de nous nourrir et d’exporter mais aussi faire bouger l'économie nationale en faisant des appels d’offres. Mettre à point les infrastructures routiers pour favoriser un meilleur déplacement des citoyens. Encadrer les jeunes à tous les niveaux. Encourager les investissements étrangers. Mettre un programme de crédit. Réformer notre police et notre armée pour une meilleure sécurité nationale afin de défendre nos frontières terrestres et maritimes. Surveiller les ports contre l’arrivée de drogue ou d’armes de guerre et j’en passe. Vous voyez tant de choses doivent être faites.
The Link Fwi : Malgré ces nombreuses décennies, malgré l’absence d’autorité étatique, les Haïtiens sont résilients et Haïti tient encore. Comment expliquez-vous que votre pays soit encore debout ? Comment expliquez-vous cette fierté haïtienne ?
Lovelie : Selon moi, Haïti ne va pas mourir malgré toutes ces afflictions. En ce qui concerne la résilience du peuple Haïtien, justement elle repose sur le fait que nous sommes HAÏTIENS. Premier peuple noir ayant tracé le chemin de la liberté. Nous sommes un peuple spécial pour un pays très spécial, même nous, nous refusons de le reconnaître et de l’accepter. D’autant plus, selon ma conviction, nos ancêtres sont encore là, à nos côtés pour limiter les dégâts. Nous sommes la première République noire. Nous sommes filles et fils de l’Empereur Jean-Jacques Dessaline. En bon créole nou sé pitit Dessaline, celui qui a défié la Grande Armée napoléonienne le 18 novembre 1803 à la Bataille de Vertières au Cap Haïtien. Nous avons justement de tirer notre force de notre histoire pour avancer. Ce sursaut collectif, cette conscience nationale qu’il nous faut dégager et rappeler les sacrifices de nos ancêtres et agir en conséquence afin de sauver cette indépendance Haïtienne qui est en péril de nos jours. Haïti renaîtra de ses cendres.
TLFWI : C’est très beau ce que vous venez de dire. Nous sentons l’amour que vous portez à votre pays. Merci beaucoup Lovelie Stanley Numa. Merci d’avoir répondu à nos questions.
Lovelie Stanley Numa : C’est moi qui vous remercie. J’espère que mon interview sera utile afin que vos lecteurs et lectrices puissent comprendre la situation dans laquelle se trouve mon pays. Merci.
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