Avec sa silhouette élancée, son afro coloré et ses larges lunettes de vue couvrant son visage fin, Keyza Nubret est reconnaissable à mille lieux. Sans doute, vous demandez-vous qui est donc cette femme dont nous faisons mention ? C’est normal. Femme de l’ombre, mais surtout femme d’engagement et de conviction, la guadeloupéenne est la directrice de l’Agence K's Communication mais aussi Collaboratrice parlementaire auprès du Président de la Délégation aux Outremer de l'Assemblée nationale, vice-présidente du CREFOM, de la FAPE et membre du CM98. Keyza Nubret est notre Judith Smith à la française. Lors de notre récent passage dans la capitale, nous l’avons rencontré dans son bar favori, le Petit-Gorille.
La femme dont il est question à travers ces lignes pourrait être comparée au personnage d’Olivia Pope. Comme le personnage de la série Shonda Rhimes, c’est une femme de l’ombre qui cultive volontiers la discrétion, bien que cela ne l’empêche pas d’être présente sur les réseaux sociaux. Notre Judy Smith à la française vient de la Guadeloupe et, depuis vingt ans, elle est dans l’ombre de nombreuses personnalités des Outre-mer dans la Capitale. Avec sa taille élancée, son afro coloré et ses larges lunettes de vue qui lui couvre le visage, Keyza Nubret est distinguable à mille lieux.
Femme de l’ombre, mais surtout femme d’engagement et de conviction, la guadeloupéenne est la directrice de l’agence K's Communication avec laquelle elle fait des relations presse, relations publiques, de la coordination d’événements ainsi que du conseil en communication. Enfin, vous l’aurez compris, Keyza est une experte en communication qui a surtout le mérite d’être collaboratrice parlementaire à l’Assemblée nationale et experte sur les questions politiques des Outre-mer, mais aussi vice-présidente du CREFOM, de la FAPE et membre active du CM98. Lors de notre récent passage dans la capitale, nous l’avons rencontré dans son bar favori, le Petit-Gorille. Une belle rencontre autour d’un plat de frites, de quoi réchauffer le corps et les cœurs en cette période hivernale.
The Link Fwi : Bonjour Keyza Nubret. Bienvenue sur The Link Fwi. Premièrement, qui êtes-vous ? D’où venez-vous ?
Keyza Nubret : Bonsoir à tous vos lecteurs ! Qui je suis ? Tout d’abord, je suis une guadeloupéenne, née en Guadeloupe et ayant grandi dans ce bel archipel. Actuellement, je vis entre la Guadeloupe et la France hexagonale, plus exactement à Paris où je suis établie depuis plus de vingt ans. J’ai monté l’agence K’s Communication grâce à laquelle je fais des relations presse et des relations publiques. J’ai également fondé une web-série axée sur la Politique qui se nomme L’Écrin Politique et qui est diffusée sur la chaîne Youtube AGENCEKSCOM et l’Instagram ecrin.politique. A travers cette émission, je mets en lumière des personnalités de la diaspora, qu’elles vivent dans l’Hexagone ou dans les territoires des Outremer. Je suis aussi une militante active associative. Je suis co-fondatrice et vice-présidente du CREFORM (le Conseil Représentatif des Français de l’Outre-mer) et de la FAPE (l’association Français à Part Entière), ainsi que militante du CM98 (Comité Marche 98) co-fondé par le professeur Serge Romana, présidé par le virologue Emmanuel Gordien et qui a permis qu’en France, il y ait une politique mémorielle concernant la question de l’Esclavage.
TFLWI : Quel est votre parcours ? Avez-vous fait des études dans le domaine de la Communication ou c’est de fil en aiguille que vous avez intégré ce milieu ?
Keyza Nubret : A vrai dire, j’ai toujours été éclectique si je puis dire. J’ai commencé par la Danse, en intégrant l’Académie Internationale de la Danse à Paris. Ensuite, je me suis dirigée vers une école de Commerce dans laquelle j’ai étudié le Marketing international. Mais, avant cela, je suis partie en République Dominicaine où j’ai fait du commerce international. De plus, je suis allée à Miami, à l’Université de Miami, où j’ai étudié l’Anglais. Par la suite, j’ai fait des études toujours en Commerce international à l’ESICAD (l’École de Commerce et de Gestion) à Montpellier. Puis, je suis retournée en Guadeloupe où j’ai travaillé dans l’entreprise familiale que beaucoup de guadeloupéen(ne)s connaissent puisqu’il s’agissait de salles de sport et de fitness, le Shape up Nubret. En parallèle, j’organisais déjà des événements, notamment les Championnats de Fitness en Guadeloupe. J’ai aussi créé le concept de Mister Guadeloupe ainsi que les premiers championnats de gymnastique sportive puisque je représentais la Fédération française de gymnastique en Guadeloupe. Forte de toutes ces expériences, je me suis installée dans l’Hexagone avec ma fille.
The Link Fwi : Est-ce que la Communication était déjà une de vos passions et si non, pourquoi avoir fait le choix de la communication ?
Keyza Nubret : J’ai toujours aimé ça. M’occuper des gens, les mettre en lumière. Leur donner le courage de réaliser leurs objectifs. J’étais déjà une passionnée de tout ce qui a trait au Sport et à la Culture. J’ai toujours trouvé qu’il y avait de véritables talents chez nous et qu’ils méritaient d’être mis en lumière, d’être plus connus.
TLFWI : Justement, quelles sont vos expériences dans ce domaine qui vous passionnait ?
Keyza Nubret : Dans les relations presses, j’ai eu la chance de travailler avec des sportifs de haut niveau originaires de nos territoires. Il y a eu entre autres, Lilian Thuram, William Gallas, Naman Keïtta. Sur le plan des événements, j’ai répondu à des appels d’offre pour certains marchés. J’ai travaillé notamment avec la Mairie de Paris. J’ai aussi l’occasion de travailler sur des avant-premières de films parmi lesquels ceux de Jean-Claude Barny et, dernièrement, j’ai organisé l'avant-première du film de Gessica Généus, FREDA, de Gilles Elie-dit-Cosaque, Cédrick Isham. J’ai également travaillé sur le festival Le Mois Kréyol initié par Chantal Loïal et celui de Coline-Lee Toumson. Je peux aussi parler du Carnaval Tropical organisé avec la Mairie de Paris. Parmi mes clients, il y a des professionnels comme Christian Collineau de Montaguère, propriétaire de la boutique Christian de Montaguère. De plus, quand le livre Le Gotha Noir de France a été monté, c’est moi qui me suis occupée de trouver les personnalités qui pouvaient figurer dans cet annuaire prestigieux. J’ai participé à des campagnes électorales comme la première campagne de Valérie Pécresse auprès de Babette de Rozière. Je fais également beaucoup de consultations avec des sociétés qui aimeraient organiser des salons de professionnels à professionnels et qui souhaiteraient toucher les membres de la diaspora.
The Link Fwi : Comment une guadeloupéenne comme vous est-elle parvenue à devenir une communicante. N’est-ce pas trop difficile ? Comment êtes-vous entrée en contact avec toutes ces personnalités politiques ou sportives ultramarines ?
Keyza Nubret : Pour tout vous dire, tout s'est fait au fil des événements. J'ai très rapidement commencé à travailler et j'ai très rapidement été recommandée. Ce sont les clients qui m'ont recommandé. Je suis active et réactive, je ne crains pas de décrocher mon téléphone. La première fois que je rencontre mon client, je passe du temps avec lui pour comprendre ses besoins. Je lui explique ce que je suis en mesure de faire et j'y vais. Je suis toujours assez franche.
TLFWI : Comment avez-vous eu l’idée de faire de cette passion une aventure entrepreneuriale ?
Keyza Nubret : Comme vous le savez, je suis née dans une famille d’entrepreneurs. Nous sommes tous des entrepreneurs. Mon grand-père l’a été, mon père également. Cela a toujours fait partie de mon milieu, si je puis dire. J’ai vu comment cela se déroulait, cela m’a beaucoup appris. L'aventure entrepreneuriale a commencé quand j’étais jeune. Mon frère et moi achetions des tenues de sport et de fitness tendances aux Etats-Unis pour les revendre dans la salle de nos parents. Nous vendions aussi des abonnements, des tenues de judos etc. Quand tu veux entreprendre, tu as une idée, tu essaies, tu vois si cela marche. Cela t’apprend que des choses peuvent fonctionner tandis que d’autres non. Être entrepreneur, c’est être indépendant et c’est aussi savoir que tu es toujours sur un fil. De plus, nous, entrepreneurs, nous sommes des générateurs d’idées. Nous sommes toujours animés par l’envie de développer diverses choses, de toujours créer. Vous savez, n’importe qui peut créer son entreprise. Il faut avoir une grande confiance en soi et y allez étape par étape. Après, je ne suis pas fainéante et je ne fais pas semblant de travailler. Mon père m'a expliqué que l'autonomie était l’’arme de la Liberté. Dès notre plus jeune âge, il nous a mis au travail. Notre argent de poche, c'était une paie, une contribution aux heures de travail que nous avions effectué. Il nous a aussi appris à ne compter sur personne d'autre que nous. Lorsque j'étais étudiante à Montpelier, je travaillais à l'OFUP (l’Office universitaire de presse) et je donnais des cours de fitness. A Miami, je défilais et je faisais des photos. Et oui, je faisais 55 kg ! ( rires)
The Link Fwi : Vous êtes dans la communication mais pourquoi ne pas avoir continué dans le domaine du sport comme vos parents ?
Keyza Nubret : Mon entrée dans la Communication coïncide avec la naissance de ma fille. J’ai remarqué qu’être dans le domaine des salles de sport consistait à se consacrer énormément aux gens, sans pause. Comme on dit, c’est du lundi au lundi. J’avais envie de passer plus de temps avec ma fille et donc de faire un métier dans lequel je pouvais avoir une coupure ou travailler de chez moi. Lorsque je travaillais en salle de sport, j’étais tout le temps dans les salles et peu à la maison. Il faut ouvrir la salle le matin tôt. La fermer le soir tard. Tous les jours en plus. Aujourd’hui, je peux préparer de chez moi mes rendez-vous ou aller au bureau avec ma fille. J’ai passé mon enfance, mon adolescence et même les débuts de ma vie de femme adulte dans les salles de sport de ma famille. J’avais donc envie de changement. Il faut aussi souligner que l’ambiance dans les salles de sport a beaucoup changé. Il n’y a plus ce lien social comme par le passé. Je me souviens qu’à l’époque, à Grand-camp, la salle de mon père était plus qu’une salle de sport : c’était un véritable lien social. Les familles pouvaient laisser leurs enfants là et faire leurs activités en toute sécurité, sachant que leurs enfants allaient aussi faire des activités physiques. En ce qui me concerne, j’ai adoré m’en occuper avec ma famille mais, après la naissance de ma fille, j’ai eu l’envie de faire mon propre chemin. Ensuite, j’ai toujours aimé coordonner des événements, faire des relations presse. Je trouve que c’est important pour mettre en avant les personnalités des Outre-mer, notamment dans l’Hexagone.
TLFWI : Justement, selon vous, ces personnalités manquent-elles de visibilité en France Hexagonale ?
Keyza Nubret : Cela s’est amélioré mais je trouve qu’elles mériteraient d’être plus présentes dans les médias. Il y a encore trop souvent des gens qui parlent à notre place alors qu’elles ne sont pas ultramarines ou ne connaissent pas ou peu nos territoires. Et puis, vous savez que bien que si vous êtes originaire d’Outre-mer mais que vous vivez dans le 95, à mon avis, vous n’avez pas le même regard qu’une personne résidant à la Martinique, en Guyane, en Guadeloupe, à La Réunion, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie. Votre regard d’ultramarin vivant en Hexagone n’est pas le même que ceux qui vivent dans ces territoires. L’ultramarin vivant dans l’Hexagone n’a pas les mêmes envies, les mêmes attentes, les mêmes problèmes que nos compatriotes restés au pays. Quand vous êtes un Guadeloupéen ou un Martiniquais et que vous vivez dans le 20ème arrondissement de Paris, votre envie sera de mieux vivre dans votre environnement, de ne pas être agressé le soir ou, parce que vous êtes noir, de ne pas rencontrer du racisme, que votre quartier soit propre et vivable. Alors que si vous êtes un Guadeloupéen demeurant Saint-François, votre problématique sera l’approvisionnement en eau.
Après, c’est vrai qu’il y a l’attache créée par ce cordon ombilicale qui nous rattache à notre territoire de naissance. On a aussi la famille et les amis qui vivent là-bas mais on ne vit pas ce que les gens de là-bas vivent au quotidien. Moi, en tant qu’ultramarine, je trouve que les artistes des Outre-mers n’ont pas suffisamment accès aux lieux publics existants pour présenter leur art. Ils n’ont pas accès aux lieux culturels publics mis à la disposition d’autres artistes hexagonaux. Dès que ce sont des ultramarins, on a envie de les ramener un peu plus loin en Île-de-France. Les radios publiques ne jouent pas leur rôle de diffuseur auprès des artistes des Outremer. Qu’il soit acteur ou musicien, c’est toujours plus compliqué pour un artiste de jouer dans Paris intramuros. Autre exemple, quand vous être un artiste des Outre-mers, vous ne faites pas que du Zouk ! Vous pouvez faire du Jazz, du chant lyrique, de la Dance hall, vous pouvez avoir des projets culturels et avoir besoin d’un lieu de diffusion dans Paris centre. Moi, ce que je remarque, c’est que les projets culturels venant des ultramarins, qu’ils soient de l’Hexagone ou de nos territoires, ont du mal à se diffuser dans les lieux publics parisiens. Donc, quand on me parle de faire un Cité des Outre-mers dans Paris, honnêtement, cela me laisse perplexe… Tout simplement parce que je trouve que c’est ghettoïser encore une fois les ultramarins. Un artiste Jazz créole va intéresser tous les amateurs de Jazz créole et ce n’est pas une question d’origine. On peut aussi venir de la Guadeloupe et aimer le Classique. De même, on peut venir de la Bretagne et aimer le Jazz créole parce que l’on a des amis originaires de la Guadeloupe et de la Martinique qui vous ont fait découvrir cette déclinaison du Jazz. Ce que je veux dire par là, c’est que les artistes ultramarins souhaiteraient pouvoir bénéficier des mêmes lieux de diffusion que ceux des autres Français et ne pas avoir un lieu spécifique consacré aux cultures des Outremers afin de ne pas avoir uniquement des spectateurs ultramarins qui ne seront pas forcément intéressés par ce que l’artiste fait. Il ne faut pas nous ghettoïser ! Les talents ont besoin de terrain pour s'exprimer. De même, et cela remonte à l’époque de Darling Légitimus, le Cinéma n'ouvre pas assez ses portes aux comédiens, aux acteurs et aux auteurs des Outre-mer. Il y a tellement d'histoires à raconter sur l'Histoire de la France et celle des habitants des Outre-mer qui naviguent entre l’Hexagone et les régions. En plus, quand tu vois que ce sont des ultramarins eux-mêmes qui demandent cette Cité des Outremers, je trouve cela ridicule. Je vais peut-être me répéter mais, nous, les ultramarins, nous sommes des Français à part entière. Nous devons avoir accès aux mêmes lieux que les autres et refuser les ghettos. Le budget qu'ils vont mettre pour la création de la Cité et de sa gestion, c'est n'importe quoi ! Encore des cacahuètes juste pour payer quelqu'un qui aura le pouvoir de ne rien faire avancer, excepté celui de nous obliger à faire semblant. C’est le prix de leur bonne conscience. Il me semble bien que les Outre-mer en ont ras le bol des « états généraux de ceci », des « assises de cela », des « plans 1,2,3,4 ». La France ne connaît ni ne reconnait toujours pas ses enfants. La France adore les Noirs quand ils sont américains. Elle a du mal avec les siens.
The Link Fwi : Êtes-vous plus centrée sur la communication politique ou la communication événementielle, organisation de fête ou réception comme c’est très courant ?
Keyza Nubret : Je suis dans la Communication à 360° et les relations publiques. J’ai eu l’opportunité de faire de la communication institutionnelle, de m’occuper des relations entre le président de la Délégation des Outre-mer de l'Assemblée nationale et la société civile, les associations, la diaspora et, plus globalement, l'écosystème parisien.
TLFWI : Vous êtes cheffe d’entreprise en Communication, attachée parlementaire, vice-présidente du CREFOM et membre active du CM98 ? Question, comment arrivez-vous à avoir autant de casquettes ?
Keyza Nubret : Déjà, comme vous le mentionnez, je suis cheffe d’entreprise. Donc, le gros de mon activité y est consacré. Certes, je travaille avec la Délégation des Outre-mers à l’Assemblée nationale, mais nous ne sommes pas des fonctionnaires. Ce n’est donc pas un travail de fonction publique. Ensuite, en ce qui concerne le CREFOM, il s’agit d’une association. Mais, rassurez-vous, sur l’ensemble de ces activités, je ne suis pas toute seule. J’ai des collaborateurs. Je suis organisée et j’arrive à gérer mon emploi du temps.
The Link Fwi : Est-ce difficile d’être une femme, notamment une femme noire dans les domaines de la Communication dans la capitale et, plus largement, dans l’Hexagone ?
Keyza Nubret : Je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme, plus encore, une femme noire mais je dirais que tout pour moi a été difficile. Tout mon parcours, tout ce que j’ai réalisé et obtenu n’a pas été fait facilement. Après, ce n’est pas une question que je me pose. J’aime ce que je fais. J’essaie de le faire du mieux possible et j’avance. Je ne me dis pas que c’est difficile car déjà, dans la vie d’une femme entrepreneur, peu importe sa couleur de peau, ce n’est pas facile. Ensuite, en tant que femme noire, il peut y avoir des difficultés, certainement. De manière générale, tant dans ma vie professionnelle que privée, tout a été difficile. J’ai donc l’habitude de la difficulté que j’aborde sous un angle positif car cela me permet de progresser.
TLFWI : Justement en parlant du CM98, qu’est-ce qui vous a poussé à intégrer cette association qui se bat depuis 1998 pour la conservation de la mémoire de nos aïeux esclaves ? Quelles sont ses actions pour que nos lecteurs sachent ?
Keyza Nubret : Le CM98 est un collectif d’associations qui, en 1998, ont décidé de mettre en place un événement digne d’entrer dans l’Histoire. Il s’agissait d’une grande marche dans Paris destinée à dire qu’il fallait que la France mette en place une politique mémorielle autour de la question de l’Esclavage et que les Outre-mers n’étaient pas nées en 1946 avec la Loi sur la Départementalisation. Me concernant, ce qui m’a beaucoup plu dans cette association, c’est lorsque j’ai rencontré le président de l’époque, Serge Romana. Ensemble, nous avons longuement parlé de sa démarche et de tous les projets de l’association. Il n’y a pas que la politique mémorielle. Il y a aussi ce qu’ils ont nommé “ Anchoukaj”, une section dans laquelle des bénévoles travaillent sur les arbres généalogiques de concert avec les Archives Nationales pour aller chercher le numéro de matricule de nos ancêtres. Derrière tout ceci, il y a un travail formidable, consciencieux et colossal. Lors de ma rencontre avec eux, ils organisaient un événement au Trocadéro et ils avaient besoin d’un soutien important. Comme je connaissais bien Lilian Thuram, je lui en ai parlé. Evidemment, il a adhéré et soutenu fortement et financièrement. L’objectif était de continuer cette mobilisation autour de la politique mémorielle en France. Depuis, je continue à militer et à être force de proposition.
The Link Fwi : Selon vous, est-ce que nos compatriotes hexagonaux comprennent-ils ce combat ?
Keyza Nubret : Pour être honnête, il y a une partie qui le comprend et qui lutte. Une autre partie n’est pas forcément dans le combat mais n’est pas non plus désintéressée. Néanmoins, la majorité des ultramarins installés ici dans l’Hexagone ont besoin qu'il y ait une représentation dans l'espace public de l'existence de notre Histoire, de celle de nos aïeux.
TLFWI : A partir de maintenant, nous allons parler de Politique. Vous qui êtes en quelque sorte au cœur de l’actualité vu votre position, pensez-vous que, de nos jours, nous assistons à une libéralisation de la parole raciste en France ? Et pourquoi est-ce à chaque élection que l’on constate une augmentation de cette parole raciste ?
Keyza Nubret : Je pense que si aujourd’hui la parole raciste se démocratise, cela veut dire qu’elle a toujours été dans la pensée. De ce fait, si de nos jours, les langues se délient aussi facilement, c’est que la personne qui l’exprime se sent de plus en plus à l’aise pour exprimer sa pensée profonde. La France a toujours été de Droite. Elle l’est encore et le sera pour longtemps. Le fait qu’il y ait des personnes qui soient racistes ou qui émettent des paroles racistes, prouve bien qu’elles l’ont toujours été. Nous connaissons l’Histoire de la France. Nous savons comment elle s’est construite. Il y a toujours eu, dans l’Histoire française, un regard condescendant vis-à-vis de certaines populations qui ont été colonisées. Il y a eu une certaine « politesse » pour ces populations que l’on a fait venir au sortir de la Seconde guerre mondiale pour reconstruire la France. Je rappelle que si aujourd’hui en France, la population est multiculturelle, c’est dû au fait qu’elle a par le passé colonisé des pays. Elle a déporté un certain nombre de populations originaires d’Afrique pour les mettre en esclavage et elle a par cela créé une France multiculturelle. Beaucoup le savent mais font mine de l’ignorer. Ces mêmes personnes savent que nous, les non caucasiens, avons grandement participé à la Libération de la France durant le deuxième conflit mondial. Malgré cela, ça les dérange quand ces non- caucasiens commencent à avoir un peu trop de pouvoir ou de visibilité. Selon moi, c’est une situation qui existera toujours. Néanmoins, c’est à nous, Français non caucasiens, de nous faire respecter ! Le seul pouvoir que nous avons en tant qu’êtres humains dans cette société, c’est le Suffrage universel. Le vote blanc ne compte pas. Si on ne vote pas, si on ne se défend pas, nous pouvons être atterrés ou critiquer, cela ne va pas faire avancer les choses. Se faire respecter n’a pas de prix. Nous sommes Français. Il y aura toujours des propos racistes, voire haineux, de tous bords, à notre égard. Il faut se défendre, ne pas se laisser atteindre psychologiquement par le racisme.
The Link Fwi : Les médias mettent-ils trop l’accent sur ces candidats de l'extrême pour avoir de l’audimat ou vendre des journaux. Ne font-ils pas le jeu de l'Extrême-droite justement en se rendant complices de la montée du racisme ?
Keyza Nubret : C’est juste du buzz. Cela permet aux gens de ne pas s’intéresser à l’essentiel. Si on passe deux heures à la télé à débattre sur une petite phrase dite par l’invité politique, cela créé du buzz et évidemment, on ne parle pas de l’essentiel, des problématiques qui touchent notre société. A savoir, quels impôts paierons-nous en fin d’année ? Quel sera notre salaire à la fin du mois ? Est-ce que l’on va pouvoir continuer à vivre dans un pays libre ? Quelle sera la politique de la santé ? Celle du logement ? Ensuite, il est important de comprendre qu’on ne peut pas se laisser insulter tout le temps. Pour ce faire, c’est le législateur qui doit mettre en place certaines choses pour qu’il y ait un respect. Les racistes peuvent ne pas apprécier certaines personnes, certaines couleurs de peau, mais ils doivent à tout le monde un certain respect. Vous savez, une fois que je rentre chez moi, si je ne veux pas regarder tel ou tel programme, je peux tout simplement changer de chaîne ou carrément l’éteindre. Je ne vais quand même pas me mettre à regarder des personnes qui m’insultent et me méprisent toute la journée. Lorsque je me rends dans un lieu public ou institutionnel, je vais vouloir que l’on me respecte. Vous n’êtes pas obligé de m’aimer mais vous me devez le respect. Sachez que ce dernier (le respect) s’impose et nous devons nous aussi l’imposer à l’autre qui est en face de nous. Je pense que nous avons suffisamment de personnes non caucasiennes qui sont élues dans les Parlements, Assemblée Nationale et Sénat et qui peuvent voter des lois ou des projets de loi qui vont dans ce sens afin que nous soyons tous respectés puisque nous sommes dans un pays où la Fraternité fait partie de notre devise nationale et qu’elle figure sur chaque bâtiment public. S’il y a des personnes qui ne sont pas respectueuses et fraternelles, mettons en place des lois avec des condamnations, des amendes à payer. Si des personnes usent de mots qui sont dans le négationnisme, dans la haine, faisons-les condamner. Je pense que les non caucasiens ont des outils pour se faire respecter et qu’ils vont voter. J’insiste sur le fait de voter puisqu’aux siècles précédents, les femmes se sont battues pour avoir le droit de vote. Si aujourd’hui, on ne le fait pas, il faut savoir que l’on donne le pouvoir aux autres. Le jour où le vote blanc sera vraiment reconnu, on y aura recours. Mais, pour l’heure, ce n’est pas le cas. On ne peut pas s’être battu pour obtenir le droit de vote pour les femmes, pour les esclaves affranchis à l’Abolition et se permettre de ne pas l’utiliser.
TFLWI : Avec la loi sur l’obligation vaccinale, on a pu voir que les Outre-mers, principalement les Antilles-Guyane, ont refusé catégoriquement de s’y soumettre. Comprenez-vous leur refus ?
Keyza Nubret : Les Antilles-Guyane ne sont pas les seuls territoires a avoir refusé le pass sanitaire et ensuite le pass vaccinal. On a bien vu qu’ailleurs sur le territoire hexagonal, des personnes continuent de manifester contre cette obligation. C’est vrai que c’est exacerbé en Guadeloupe ou à la Martinique car, quand tu bloques un ou deux axes routiers principaux, tu as bloqué la totalité de l’île . En France, ce n’est pas pareil. Quand tu as une manifestation contre l’obligation vaccinale des soignants, ça ne bloque tout le pays. Evidemment, le fait de bloquer les routes pénalise les entreprises locales principalement les petites entreprises. Bien sûr, les blocages et la colère de nos compatriotes attirent les médias nationaux qui sont en quête de buzz, ce qui n’est pas intéressant pour nous et notre image. Mais ce que les autres pensent de nous, dîtes-vous que ce n’est pas grave. Laissons-les penser.
The Link Fwi : Pensez-vous qu’à la différence des hexagonaux qui s’exécutent, qu’il y a aux Antilles-Guyane et dans les Outre-mers, une véritable défiance vis- à-vis de la parole de l’Etat central ?
Keyza Nubret : Mais qui vous a dit que dans l’Hexagone, tout le monde obéit ? Sachez qu’en France hexagonale, il y a plein de gens qui ne sont pas vaccinés. Il y a plein de salariés de la Fonction publique qui ne le sont pas. Même dans la presse, il y a des personnes qui s’y opposent. Après, il faut aussi remettre dans le contexte. Ici, à Paris ou même dans d’autres villes de Province, le moyen de locomotion principal, c’est quoi ? C’est le transport en commun, le métro, le RER, le tramway, le bus. Une forte proportion de la population prend les transports. En Guadeloupe comme à la Martinique, il n’y a pas de métro ou de RER. Les populations se déplacent en voiture. Ce qui fait que, si elle (la population) refuse de se faire vacciner, cela ne l’empêche pas de se déplacer à la différence de ceux qui vivent à Paris, Lyon ou Marseille. Si on vous dit que pour se déplacer, il faut un vaccin, comment ferez-vous ? Même si vous êtes contre le vaccin, tout vous pousse à vous conformer à la décision de l’Etat. Cela ne veut pas forcément dire que vous approuvez ! Comme aux Antilles, il y a eu énormément de manifestations. Les informations ne vous montrent que ce que les médias veulent vous montrer. Pour moi, ces personnes qui refusent le vaccin, je ne les appelle pas “ antivax”. Ce sont juste des personnes qui doutent de ce produit. Puis, il faut toujours remettre dans le contexte. Cela faisait des décennies voire un siècle que la Guadeloupe et la Martinique n’avaient pas connu un pic de mortalité aussi soudain. Les gens ne savaient pas quoi faire. Le Gouvernement pareil. Un moment, on nous dit de faire ci, puis de faire ça. De prendre telle ou telle chose. Sauf qu’il faut rappeler à ceux qui liront cet article que la Covid-19 a touché l’ensemble de la planète et que personne ne maîtrise ce virus. C’est la raison pour laquelle, je permets aux gens de douter. Si les gens veulent se faire vacciner, qu’ils le fassent. Après, je suis contre la violence envers ceux qui veulent se faire vacciner tout comme je fustige la violence faite contre ceux qui refusent de le faire. Chacun doit être libre de ses choix ainsi que de ses décisions. Je connais des amis, même antillais, qui ne comprennent pas pourquoi les gens au pays, ne veulent pas se faire vacciner. Le refus de ces personnes ne me choque pas, surtout qu’elles ont aussi des arguments. C’est argument contre argument et nous ne saurons qui a eu raison qu’à la fin de tout cela.
The Link Fwi : Quel bilan faites-vous de la présidence qui s’achève ?
Keyza Nubret : J’avoue que j’ai voté Macron en 2017 car je voulais que l’on arrête avec ces clivages Droite/Gauche dans la Politique. Cependant, en tant qu’ultramarine, en ce qui concerne les Outremers, je suis assez déçue. Il y a une méconnaissance des spécificités des territoires, que ça soit dans le dialogue ou dans la manière de faire. Je trouve également qu’il n’y a eu aucun respect pour les élus des outremer. Je n’avais jamais vu un manque de respect pareil. Après, c’est mon ressenti. Ces dernières années, j’ai constaté qu’il y a un véritable mépris vis-à-vis des Noirs. Je dis cela car, quand je suis en France hexagonale, je ne suis plus la guadeloupéenne, mais je deviens l’ultramarine et, plus encore, dans certains regards, je deviens la femme noire. Dans mes médias, ce mépris perceptible, dans l’attitude, est devenu banal. Quand je prends l’affaire Dinart et que je constate qu’il n’a jamais été reçu par la Ministre des Sports alors que nos territoires permettent à la France de franchir les podiums… De plus, malgré leurs palmarès, nos sportifs sont régulièrement insultés. Je n’ai pas trouvé que le Gouvernement ait été d’un réel soutien pour ces sportifs des Outremers et afro descendants.
TLFWI : Qu’avez-vous pensé du résultat des élections présidentielles et du score du Rassemblement nationale dans les Outre-mer ?
Comme à l'accoutumée, les spécificités sociales, géographiques et historiques de ces territoires ont surpris les opinions publiques par la radicalité exprimée par ce vote en faveur du Rassemblement national. Dès l'annonce des résultats du premier tour, ça a été le carnaval des chroniqueurs et responsables politiques émus, choqués ou plongés dans une sidérante incompréhension. Comment ? Des régions majoritairement "Noirs" votant massivement pour une candidate dont le fond de commerce est le racisme et la xénophobie ? Ces gens sont-ils devenus fous ? Sont-ils inconscients à ce point ? Comment en est-on arrivé là ? Il est urgent de mesurer le degré de désespérance de ce vote. Bien évidemment, la majorité des populations des Outre-mer ne partage ni ne valide l'idéologie de l'Extrême-droite. Ce vote est un vote sanction et éminemment contestataire qui trouve ses racines dans le sentiment profond et récurrent d'abandon dans lequel les ultramarins ont la sensation d'être relégués. Qu'en est-il du procès des responsables du Chlordécone ? Qu’en est-il du classement en « catastrophe naturelle » des îles touchées par l'invasion des algues Sargasses ? Qu’en est-il de la dotation en équipements permettant un meilleur approvisionnement d'eau ou d'électricité dans les confins les plus reculés de ces régions ? Le vote en faveur du Rassemblement national lors du 2ème tour, tout comme celui pour Jean-Luc Mélenchon lors du 1er, n’est que la résultante de la colère des ultramarins qui ont le sentiment de demeurer entièrement à part. Je ne les juge pas mais toute cette situation est d’une grande tristesse…
The Link Fwi : En tant qu’ultramarine quelles sont vos attentes sur ce nouveau quinquennat ?
Keyza Nubret : Si on doit parler d’attentes en tant qu’ultramarine, c’est que j’aurais aimé que les territoires ultramarins, bien que je déteste ce mot, soient considérés au même titre que les autres territoires de France, en tenant compte de leurs spécificités. Là, je vais parler notamment de la Guadeloupe et de la Martinique que je connais bien. Il faut permettre à ces territoires de se développer économiquement. Qu’ils ne soient pas uniquement des territoires de consommation qui reçoivent des conteneurs de marchandises venant de l’extérieur. Il faut permettre à ces territoires de s’auto-alimenter en évitant de faire venir des marchandises venant de l’extérieur et souvent de mauvaise qualité. Voilà mon attente : que la Guadeloupe puisse s’auto-alimenter suffisamment. C’est une décision qui nous revient. Les produits que l’on nous achemine sont trop chers : arrêtons de les consommer. Je prends l’exemple de Rosa Parks. Elle a décidé un jour de rester assise. Elle a ainsi réveillé les consciences des Noirs des Etats-Unis qui payaient pour monter dans des bus dans lesquels leur étaient réservées les places à l’arrière. Nous aimons citer en exemple des personnalités venant de l’étranger et pourtant, nous ne copions pas leurs actions. Nous voyons que ce que nous consommons est trop cher. Pourquoi, dans un premier temps, ne pas consommer plus local ? Faire travailler les locaux ? Ensuite, lorsque l’on me parle des problématiques de l’eau en Guadeloupe, ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas trouver une solution, même temporaire, pour que les familles ne puissent pas en souffrir. La question de l’eau, des réparations, n’a pas été retenue. Il va falloir que les territoires ultramarins fassent le bilan, qu’ils pèsent le pour et le contre entre ce qui avait été promis et ce qui n’a pas été réalisé. De plus, il leur faudra faire comprendre au candidat élu qu’il ne peut pas arriver avec de fausses promesses. Je pense que les élus de chaque territoire doivent vraiment plancher sur ce qu’ils souhaitent pour leur région. Il ne faut pas que ce soit eux qui arrivent avec des plans, qu’ils prennent les décisions pour nous. Il faut donc que la Guadeloupe se demande ce qu’elle veut et ce que le peuple veut vraiment.
TLFWI : Avant de conclure cet échange des plus instructifs, êtes-vous présente sur les réseaux sociaux ?
Keyza Nubret : Oui, vous pouvez suivre premièrement Ecrin Politique sur instagram : ÉCRIN POLITIQUE (@ecrin.politique) • Photos et vidéos Instagram :
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The Link Fwi : Merci beaucoup Keyza Nubret.
Keyza Nubret : Très heureuse d’avoir été interviewée par vous. J’ai apprécié.
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