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" Jocelyne Beroard se raconte dans Loin de l'Amer " Interview.

  • ELMS
  • 9 oct. 2022
  • 28 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 nov. 2022


Kassav’, six lettres pour désigner un groupe qui depuis quarante-deux ans fait danser la planète entière. Créé en 1979 à l’initiative de Freddy Marshall et des frères Décimus : Pierre-Edouard et George, le groupe qui n’était au départ qu’un simplement projet expérimental avait l’envie de créer un nouveau style musical, révolutionna la musique antillaise, française, et même internationale. Dès sa création, Kassav’ mélangea tous les styles musicaux de la région Caraïbe pour en faire une nouvelle sonorité musicale : le Zouk. Pour nous en parler, nous sommes allés à la rencontre de Jocelyne Béroard, chanteuse charismatique et voix d’or de la formation antillaise qui s’est racontée dans sa première autobiographie : Loin de l’amer.





Kassav’ six lettres pour désigner un groupe qui depuis quarante-deux ans fait danser la planète entière. Créé en 1979 à l’initiative de Freddy Marshall et des frères Décimus, Pierre-Edouard et George le groupe qui n’était au départ qu’un simple prijet expérimental avec l’envie de créer un nouveau style musical révolutionna la musique antillaise, française et internationale.

Rejoins par la suite par un certain Jacob Desvarieux, véritable virtuose de la guitare, né à Paris mais ayant vécu à Marseilles puis à Dakar au Sénégal et même en Guadeloupe avant de retourner à Paris. C’est au cours d’une rencontre dans un studio pour lequel Jacob Desvarieux que les trois musiciens se sont rencontrés. C’est à partir de ce moment que l’alchimie est née. Pendant très longtemps, le noyau dur du groupe a été Jacob, George et Pierre-Edouard.


Derrière la création de ce groupe, il y avait une volonté de revendication identitaire. En effet, dès la création du groupe, il y avait une volonté de revendication identitaire de la part des fondateurs. Il faut dire que Kassav’ est un groupe de son temps. A la fin des années 1970 début 1980, les Antilles-Françaises comme l’ensemble de la planète étaient secouées par des contestations politiques, culturelles et sociales. C’est ce qu’a affirmé Jacob Desvarieux dans une interview accordée à Libération :

« A travers notre musique, nous interrogions nos origines. Qu’est-ce qu’on faisait là, nous qui étions noirs et parlions français ? [...] Comme les Afro-Américains des Etats-Unis, nous cherchions des réponses pour reprendre le fil d’une histoire qui nous avait été confisquée ».

Ainsi, dès le départ, Kassav' mélangea tous les styles musicaux de la région pour les réinventer à sa "sauce". Il faut savoir, avant la naissance du groupe, ils existaient principalement comme styles musicaux en Guadeloupe et en Martinique : le compas, musique traditionnelle originaire d’Haïti, le Gwoka ( et ses 7 variantes rythmiques), musique traditionnelle de la Guadeloupe, le Bèlè (et ses 11 variantes) musique traditionnelle de la Martinique, ainsi que la Mazurka, la valse créole et le chouval-bwa, musiques traditionnelles de la Martinique associées à la ville de Saint Pierre mais originaires d'Europe. Autres musiques majeures des îles, la Biguine, la Cadence-Lypso (Calypso et Cadence), créée par Exile One (de la Dominique) avec Gordon Henderson et interprétée par des groupes tels que Les Grammacks avec Jeff Joseph comme membre principal. Experience 7, fut le premier groupe Guadeloupéen à populariser ce style musical ( et devenu depuis une autre référence du Zouk) aux Antilles Françaises dans les années 1970. Par ailleurs, le Kadans fut repris à la sauce locale par Les Aiglons de Guadeloupe (avec pour chanteurs Alain et Pierre D'Alexis, Michel D'Alexis chef d'orchestre trombone à pistons, Michel Nerplat sax ténor, compositeur de leur plus grand succès Kuis La), Typical Combo de Guadeloupe (avec pour chanteurs le regretté Georges Plonquitte, Daniel Dimbas, Iver Abidos et plus récemment Rodrigue Marcel...).


De ces mélanges musicaux naquit le zouk et dès son commencement, le succès a été au rendez-vous.


Durant les premières années, la formation n’est pas très stable. Plusieurs chanteurs s’enchainent au sein de la formation. C’est lors de la sortie du second album de Kassav’ que Jocelyne Béroard intègre le groupe de zouk. Première en tant que choriste sur le titre “ Soleil “, titre qu’elle a repris dans l’album Vini pou en 1987. Riche de plusieurs expériences musicales en tant que choriste pour les plus grands noms de la musique africaine, jamaïcaine et même française, la chanteuse originaire de la Martinique, portée par le rythme entrainant du titre “ Lévé o Ka “ présent sur le premier album de Kassav’ : “ Love and Ka Danse “ est véritablement séduite par cette sonorité novatrice qui lui était familière. Une chose qu’elle savait, c’est avec Kassav’ qu’elle souhaitait performer.





En 1981, suite au départ de Christophe Zadire pour des raisons personnelles, Jean-Claude Naimro aux claviers et Jean-Philippe Marthély au chant rejoignent la formation antillaise. En 1982, c’est au tour de Patrick Saint-Eloi de rallier Kassav’ en devenant le crooner de la bande. A partir de ce moment là, Kassav’’ a trouvé sa stabilité.On compte ainsi, Jocelyne Beroard, Jean-Philippe Martelly et Patrick Saint-Eloi en tant que voix. Jacob Desvarieux à la guitare et au chant. Jean-Claude Naimro aux claviers. George Décimus à la basse. Claude Vamur à la batterie. Par ailleurs, le groupe fait appel à deux danseuses : Catherine Laupa et Marie-Josée Gibon mais aussi une section de cuivres composée en autre d’Hamid Belhocine au trombone. Dès très regretté Freddy Hovsepian ( lui aussi décédé en 2021) qui a fait la particularité et la richesse de la musique de Kassav’.

Malgré les nombreuses années, ponctuées par des départs, des arrivées et des décès, comme celui de Jacob Desvarieux, membre fondateur et même pilier du groupe, Kassav’ a su résister aux ravages du temps et continue de figurer comme une référence musicale mondiale. En effet, loin de se cantonner aux Antilles ( Guadeloupe, Martinique), les antillais de Kassav' ont rempli durant leur longue carrière commune, les plus grandes salles de France et d'Europe. Ils ont également enflammé les plus grands festivals de la World Music à travers le Monde. Ainsi, Jacob et ses amis ont exporté le zouk aux quatre coins de la planète, même vers des destinations insolites telles que le Japon, les pays du Pacifique, ( Nouvelle-Calédonie, Fidji, Vanuatu, Wallis-et-Futuna, Polynésie Française), L'Amérique du Sud ( Argentine, Chili, Brésil etc), l'Europe de l'Est et même l'URSS, devenant la première formation française à jouer dans l'ancien bloc soviétique.


Néanmoins, c'est en Afrique, que les musiciens antillais connaîtront leur plus grand succès. Du Cap-Vert au Sénégal, du Ghana à la Côte d'Ivoire, en passant par les deux Congos ( Brazzaville et RDC ), (d'ailleurs, le clip "Syé Bwa" a été tourné à Kinshasa (République démocratique du Congo, qui s'appelait encore Zaïre), sans oublier, l'Angola, le Mozambique, le Rwanda, la République Centrafricaine, l'Île Maurice, l'île de la Réunion etc. A chacun de leurs déplacements, les foules étaient là pour les accueillir, en véritable rock-stars. Jouant dans des stades face à des centaines de milliers de personnes venues pour danser sur les rythmes endiablés du zouk. Un style de musique devenu si populaire qu'en Angola, un musée du Zouk a vu le jour et c'est au Mozambique qu'a été créé le plus grand festival de Zouk du Monde. De plus, un style musical teinté de sonorités antillaises a émergé, la Kizomba.

Kassav’ c’est donc plus de quatre décennies d’histoire qui sont racontées par Jocelyne Beroard dans son livre autobiographique : “ Loin de L’Amer “. Profitant de son passage en Guadeloupe, elle est revenue sur les principaux événements qui ont marqué sa vie au sein de la formation musicale.





The Link Fwi : Bonjour Jocelyne Béroard bienvenue sur The Link Fwi, c’est un honneur pour nous de nous recevoir dans notre émission “ Rencontre avec “ pour parler de vous et surtout de votre livre, votre première autobiographie : “ Loin de l’amer “: Pourquoi l’avoir nommé “ Loin de l’Amer “ ?

Jocelyne Beroard : “ Il y a plusieurs explications. J’essaie de retrouver le cheminement dans ma tête. Je sais que la toute première fois que j’ai commencé à écrire je me suis décidé à faire un espèce de journal, en 1993, j’appelais ce journal, la pagaie d’or. Pourquoi la paguaie ? Tout simplement que nous étions souvent en galère et que je trouvais que si on pouvait donner à certains des Césars, nous, nous méritions la pagaie d’or, car, malgré les difficultés, nous arrivions à nous en sortir toujours. C’était assez drôle. Vingt ans après, trente ans après, Kassav’ s’est installé dans le paysage musical, on ne peut pas dire que c’était une belle galère. Il fallait donc trouver authose et j’essayais de trouver une ligne rédactionnelle et imaginer ce que je pouvais raconter, parce que premièrement je n’avais pas prévu de rester aussi longtemps loin de mon pays, loin des miens etc du coup je voulais un jeu de mots avec “ loin de la mer “ en référence à la mer de chez nous. Toutefois, le titre est apparu une fois que le livre était terminé. Tous mes idées et souvenirs étaient couchés sur le manuscrit et c’est de là que j’ai opté pour le mot “ l’amer” L’AMER “qui était un peu plus intense. Pourquoi l’amer ? Car, cela raconte que cette vie que je mène et que j’ai eu au sein de Kassav’ n’a pas été hyper facile ni hyper imaginée pourtant, nous, les membres de Kassav’ nous n’avons pas perdu du temps à être en colère ou à en vouloir aux autres. Malgré les difficultés, les coups, nous avons décidé de continuer à avancer et nous ne voulions pas que les sentiments négatifs nous maintiennent dans une position statique, tout simplement.



TLFWI : Vous avez été dans l’Hexagone, en Martinique, puis Guadeloupe pour la promotion, justement comment se déroule t’elle ? Dans combien de pays et territoires pensez-vous aller pour parler de cette belle autobiographie ?

Jocelyne Béroard : Pour la promotion du livre, tout dépendra de l’énergie que va développer l’éditeur. Très récemment, je lui ai envoyé un message lui disant “ allons-nous fermer les yeux sur les demandes en Afrique ? “ Il me semble que lorsque l’on édite un livre, on a envie de le vendre. Non ? Le vendre à Paris était sa priorité vu que c’est le territoire qu’il connaît le mieux. Le vendre aux Antilles-Françaises ( Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin) a été possible car, il a trouvé un partenaire qui travaille très bien parce que Fred Liméri qui est responsable de la partie édition/publication sur France-Antilles a fait une superbe promotion à la Martinique et en Guadeloupe et qui va continuer encore. Je suis actuellement en Guadeloupe, mais ma semaine est complètement chargée. Beaucoup de choses, telles que des rencontres, des dédicaces et des discussions sont prévues. Cependant, il faut savoir que j’ai beaucoup de demandes en Afrique, dans des langues différentes comme en anglais, en portugais, en espagnol etc. Il serait bon qu’il soit traduit car il y a des gens qui aiment Kassav’ à travers le monde. Pour rappel, Kassav’ a tourné dans plus de quatre-vingt pays et je ne vois pas pourquoi, nous devrions nous contenter de Paris et de nos deux pays, la Guadeloupe et la Martinique.

The Link Fwi : “ Loin de l’Amer” n’est pas seulement votre autobiographie mais c’est aussi une plongée complète dans l’Histoire complète de Kassav’ ce groupe mythique auquel vous appartenez depuis 1983. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de passer de la chanson à l’écriture d’un livre ?

Jocelyne Béroard : Quelques fois on dit des choses et on se retrouve un peu coincé (rires). Je me souviens, nous étions en 2013, nous étions en train de présenter l’album “ SONJE” et j’ai lancé l’idée “ il faut écrire l’histoire de Kassav’ “. Pourquoi ? Selon moi, c’est une histoire qui est fantastique. Premièrement, elle lie nos deux îles, la Martinique et la Guadeloupe. Deuxièmement, j’ai tellement entendu que parce que nous étions des noirs, vivant dans de petits territoires, nous ne savions rien faire, or nous les membres de Kassav’ nous sommes des noirs et nous avons réussi à faire de grandes-choses. D’autre part, nous devions faire constamment nos preuves et je pense qu’on a réussi. Puis, en général, quand une biographie est écrite, c’est quand la personne est décédée. Aussi, comme je le dis, qui peut raconter notre histoire mieux que nous ? C’est vrai que vous disiez que ce livre permettait de connaître la personnalité de chacun, certes mais, c’est vu par Jocelyne Beroard. Peut-être que les autres membres du groupe ne vont pas être d’accord sur certains points ou qu’ils vont découvrir un aspect qu’ils n’avaient pas perçu quand ils me parlaient ou qu’ils faisaient des trucs. Je peux dire ce que je reçois et perçois comme vibration émanant d’eux. Sans doute, ils n’ont jamais vu comment ils étaient du moins la façon dont je les présente, comme ils peuvent complètement contredire ce que je dis sur eux à travers ces lignes. Ce livre, c’est ma vision. C’est la raison pour laquelle je commence par mon histoire, de mon enfance à la Martinique, mon adolescence, mes débuts dans la musique et comment j’ai fait pour me retrouver dans ce groupe là et comment j’ai vécu dans ce groupe-là toutes ces années. Ce que j’ai appris avec ce groupe-là et comment j’ai travaillé avec eux. Après, il faut toujours vendre quelque chose, du coup, les éditeurs ont toujours des idées absolument extraordinaires quand il écrit “ Comment Kassav’ créa le zouk “ ça doit pouvoir attirer le public mais en fait c’est mon récit de vie qui se fond dans l’histoire de Kassav’. C’est donc ma vision qui est retranscrite. Ainsi, si Jean-Philippe, George ou Jean-Claude écrivent leur livre, ils donneront leur version de l’histoire de KASSAV’. Ils donneront le chemin par lequel ils sont passés avant Kassav’ et comment ils ont pu se sentir bien dans le groupe. Par exemple Jean-Claude ( Jean-Claude NAIMRO ndlr) dit souvent qu’il est un solitaire, mais comment a-t-il fait pour être avec un groupe. Il y a donc quelqu’un, quelque chose, une raison quelconque qui a fait qu’il soit resté toutes ces années avec Kassav’.

En fait, je crois que cette histoire quand elle démarrait, tous, nous avons été passionnés par les promesses que nous donnait ce projet musical. On se disait que c’est bien là qu’il faut que nous soyons car, cela nous émanait. Kassav’ c’est donc l’histoire extraordinaire de gens qui ne se connaissaient pas et qui pourtant se sont retrouvés pour un projet qui est devenu un grand rêve. Un grand rêve que nous l’avons partagé. Nous nous sommes donnés les moyens d’arriver au bout de ce rêve-là.





TLFWI : Est-ce que vous vous imaginiez en intégrant le groupe, qu’il aurait fait tant de choses, tant de tournées et surtout, qu’il aurait créé le dernier grand genre musical du XXe siècle ?

Jocelyne Béroard : Est-ce que nous nous imaginions cela ? Je crois que pas vraiment. Nous étions dans la recherche, dans le plaisir de faire de la musique ensemble. Nous ne perdions pas de vue le fait que nous devions trouver une formule ou une façon de et les musiciens ont vraiment mis toute leur énergie dans ça et moi à l’extérieur, je faisais pareil. J’y mettais toute mon énergie aussi. Chacun visait à être au niveau de l’autre. On considérait l’autre comme un artiste hors pair, pas un génie mais presque. Il fallait avoir de belles idées régulièrement. Je pense que c’est ce qui était intéressant, car cela nous motivait. Il y avait un catalyseur. Il y avait quelque chose d’extraordinaire qui nous mettait ensemble et qui permettait à ce que nous puissions travailler toutes ces années ensemble et que nous puissions aller au-delà de nos espérances même.

The Link Fwi : A la lecture du livre, on s’aperçoit que l’écriture est assez simple, ça se lit vite et puis on constate que chaque chapitre est en créole, avec des onomatopées bien de chez nous dans certaines phrases et puis chaque paragraphe fait référence à une de vos chansons et un élément de votre vie et celui de Kassav’ était volontaire de le faire ?

Jocelyne Béroard : C’est hyper volontaire ! (rires) Je vais vous dire quelque chose. J’ai voulu écrire simplement pour que tout le monde puisse lire et comprendre ce que je veux dire. Souvent, on écrit quelque chose et s’est compris de travers. Avec ce livre, là au moins c’est clair. Les chapitres sont cours, mais ils peuvent prendre le temps qu’ils veulent pour lire l’ouvrage. Il y a cinquante-trois chapitres, ils peuvent prendre une année pour tout lire. Un chapitre par semaine. (rires) Le soir avant d’aller dormir, trois pages. J’ai pensé à tout. Ecrire simplement pour que tout le monde comprenne. Ecrire des chapitres courts afin que le lecteur ne soit pas fatigué. Mettre de l’émotion dans ces lignes puisque j’ai vécu diverses émotions extrêmement fortes avec Kassav’. Mettre des choses plus drôles pour détendre le lecteur. C’est un livre qui est pensée comme une chanson. Il y a un déroulement, avec un moment des émotions qui vous gagnent.




Jocelyne Beroard sur scène au Stade de Baie-Mahault en 2019. Photo : ELMS Photography



TLFWI : Mais ce n’est pas pareil que d’écrire une chanson;

Jocelyne Béroard : Non, non, écrire une chanson est un peu plus court. (rires) Le style est différent. C’est vrai que l’on peut écrire un livre dit “ intellectuel “ mais seules les personnes qui sont habituées à lire des livres aussi longs le peuvent mais, je crois que nous, les membres de Kassav’ nous sommes à l’heure de la transmission. Tout le monde sait ce qui nous est arrivé l’année dernière. Le départ de Jacob. Des questions se posent, “ est-ce que Kassav’ va exister ? Quelle suite pour Kassav’ ? “. Mais à mon avis, si on veut que ce groupe perdure, nous devons transmettre aux enfants et aux jeunes qui n’ont pas connu Kassav’ depuis le début ce qu’est KASSAV’ Pourquoi la formation a été créée ? Par quel cheminement nous sommes passés. Il y a des jeunes artistes aujourd’hui, qui débarquent dans le milieu, ils pensent tout savoir, qu’ils ont des managers, des attachés de presse et que tout leur est venu comme ça. Cependant, à l’époque, lorsque nous avons commencé, nous n’avions pas de managers. On se débrouillait. On défrichait comme ceux qui était là avant nous, qui aspiraient à devenir des professionnels de la musique et qui pourtant face aux nombreux obstacles de cette période, ne sont pas arrivés à le devenir. Ils étaient obligés de travailler à côté parce que tout simplement, jouer dans les bals le samedi soir que ça soit en Guadeloupe comme en Martinique, ça ne te permettait pas de payer ton loyer et de nourrir tes enfants. Sauf que nous dans KASSAV’ nous avions l’envie de changer les choses. Nous souhaitions faire une musique qui permettent aux gens d’en vivre. Ce qui signifie, faire une musique qui puisse se jouer sur différentes scènes peu importe l’endroit dans le Monde et pas uniquement dans les bals du quartier ou en bas des paillottes de chez nous. Si on fait de la musique, on fait des concerts, nous pouvons aller plus loin, mais comment faire pour y arriver ? Qu’est-ce qui manquait à notre musique pour qu’elle aille plus loin ? Elle a tout, elle a du swing, elle l’a toujours été entrainante. Nous n’avons rien inventé. Elle a toujours swingé. Il fallait donc trouver un truc qui soit original, qui nous soit propre. Que l’on puisse identifier en disant, ça vient de cet endroit et non pas d’ailleurs. C’était un pari commun. Nous nous sommes mis ensemble, nous aimions ce que nous faisions. Plus que l’on le faisait, plus que nous y prenions plaisir, notamment voir les émotions que nous transmettions aux gens. Réussir ce pari, c’était pour nous faire réussir nos deux pays.



Jocelyne Beroard enfant. Photo privée.

The Link Fwi : Dans le livre, on plonge dans votre enfance. On est dans cette Martinique des années 1950/1960, au sortir de la guerre, on constate qu’il y avait pas mal d’aliénation.

Jocelyne Beroard : Mais carrément. Nous étions dans ce qu’on a appelé l’assimilation. A la fin de la Guerre, nous sommes passés de Colonies au statut de Département d’Outre-mer. Nous sortions de l’horreur de l’esclavage et de la colonisation. Il faut se souvenir que beaucoup de nos parents n’aimaient pas se souvenir de cette histoire, car il y a beaucoup trop de douleur. Toutes les personnes qui n’aiment pas regarder en face l’histoire de l’esclavage, savent qu’ils vont y rencontrer des souffrances. Toutefois, il faut les regarder en face et nous dire que de toutes les façons, l’histoire ne peut être effacée ni d’un côté ni de l’autre, ni même du troisième côté parce que n’oublions pas que c’était une histoire triangulaire et que le devoir de mémoire n’est pas uniquement pour nous. Il est pour le monde et, peut-être que si tout le monde fait ce devoir de mémoire, il y aura plus de respect entre les êtres humains. Pour moi, on ne peut pas vivre sans être conscient de son histoire et des choses que l’on doit réparer, de façon personnelle car, le tout n’est pas simplement de rejeter la faute uniquement sur l’autre, il est important de se poser des questions sur “ MOI “ faire son introspection. Se demander si quand je parle, je dis ce que l’autre a envie d’entendre ou est-ce que je dis des choses qui sont bonnes à dire pour faire avancer les choses, c’est tout. Me concernant, je ne prétends pas à changer le monde, loin de là. Néanmoins, me changer en premier lieu était déjà un gros travail (rires) alors peut-être que si je me change, sans doute que je vais inspirer d’autres personnes et que de là, les choses changeront.


TLFWI : On apprend dans votre livre que vous avez grandi dans une famille de six enfants avec des parents que vous qualifiez de bourgeois, à cheval sur le respect et l’éducation mais aussi grands amateurs de sports et de musique. Pouvez-vous nous parler de cette vie familiale ?

Jocelyne Béroard : En fait quand je dis “ famille bourgeoise” j’explique bien ce que cela veut dire chez nous. Une chose qu’il faut savoir est que lorsque nous arrivions à un certain niveau social, au sortir de l’esclavage, il y a à peu près une centaine d’année où il n’y a pas grand-chose qui change. Quand on regarde le film “ La Rue Case Nègre”, on voit bien que le gamin, personnage principal du film, lorsqu’il arrive au certificat d’étude et qu’il peut aller plus loin, ce n’était pas si évident d’y parvenir. Les routes étaient bloquées dès le départ. Il ne faut pas que toi, jeune afro-descendant tu deviennes trop intelligent, il y avait cette volonté de domination qui était encore très présente. Le combat était d’arrivé à monter dans l’échelle sociale et quand les gens arrivaient à un certain niveau, non seulement ils voulaient qu’on les reconnaisse, donc que l’on ait un maximum de respect pour eux, ils n’étaient plus des petites gens que l’on écrasait. Il fallait aussi parvenir à maintenir ce niveau social qu’ils ont eu du mal à atteindre. Ils avaient donc l’ambition de monter dans la société et d’y rester. De ce fait, les parents de l’époque avaient ce côté strict. Ils désiraient la réussite de leurs enfants, donc ils étaient intransigeants mais pour eux, il fallait obtenir ce respect et le conserver. Quand un enfant travaillait bien à l’école, partait faire ses études et sortaient major de sa promotion, le regard des gens changeaient. Elles le voyaient, comme on dit en créole comme “ on nèg ki savan, ki konnen anlo bagay”. L’histoire nous amène un peu dans ces phases-là. Personnellement, j’ai appris toutes ces choses avec Kassav’. A voir que l’effort n’est jamais vain. Chose que mes parents m’ont toujours dite. Ils ne m’ont jamais empêché d’avancer mais je devais toujours faire quelque chose et performer. “ Tu veux faire du pain ? “ Il faut que tu saches comment fabriquer du pain, le processus de fabrication de la pâte etc” “ Tu veux faire de la musique ? “ Il faut que tu connaisses ce qu’est une note, ce qu’est le temps. Pareil, tu ne peux pas prétendre être cuisinier uniquement en regardant ta mère faire la cuisine. Dans tout, il faut un apprentissage. Cependant, le “ I bon konsa “ “ sa ké sufi “ qui est assez récurent chez nous, ne mène pas loin. Pourquoi ? Parce que ça va être bon aujourd’hui, demain, ce sera plus dur et tu n’auras pas forcément l’aptitude ou les compétences à le réaliser. Si les autres excellent, ils ont tout simplement la rigueur. Je voudrais donc dire aux enfants qu’ils ont le droit d’avoir des rêves mais, il faut qu’ils se donnent les moyens de les accomplir. Pour cela, il faut apprendre. Me concernant, jusqu’à aujourd’hui, je me forme. J’apprends des logiciels pour développer mes affaires. Ce que je prenais quatre heures pour faire, désormais je le fais en une demi-heure.

Pour revenir aux chansons, les titres sont en créole bien évidemment parce que j’aime cette langue là. Il y a des extraits de chansons car, les gens ne prennent pas forcément le temps d’écouter les paroles des chansons. Il y a des textes que j’ai écrits et qui font ressortir des choses qu’on ne parvient pas forcément à comprendre en première écoute. Dans le livre, il y a des traductions avec pour ceux qui ne comprennent pas le créole. C’est donc l’occasion de lire en créole et en français, d’avoir le ton de chez nous etc.



1976 Anthony : Dans les jardins de la Résidence Universitaire d’Anthony

The Link Fwi : C’est à Paris, grâce à votre frère que vous devenez au départ choriste puis choriste professionnelle, quel souvenir gardez-vous de ces moments de jeunesse ?

Jocelyne Beroard : C’est surtout grâce à Rolland Louis. Mon frère m’a présenté à lui et celui-ci m’a introduit dans le milieu professionnel de la musique.

TLFWI : A la lecture, nous constatons que vos parents n’étaient pas trop d’accord

Jocelyne Beroard : A vrai dire, ils n’étaient pas trop au courant surtout. (rires) C’est par la suite qu’ils l’ont su. Quand je suis arrivée à Paris pour les études, au début ma mère m’envoyait de l’argent pour ma scolarité, payer mon loyer et mon restau U. Quand j’ai commencé à plus que ce qu’elle m’envoyait, je lui ai demandé d’arrêter de m’envoyer de l’argent. A ce moment, mes parents ne pouvaient plus dire grands choses, car, j’étais une professionnelle, je gagnais ma vie avec la musique.




1973 Etudiante Caen : Photo d’identité ,  époque afro

The Link Fwi : Avant Kassav’, en tant que jeune chanteuse vous faites vos premières tournées hors de la France, vous faites de belles rencontres, vous nouez de franches amitiés avec des artistes jamaïcains et puis vous voyagez même en Jamaïque que vous visitez et vous collaborez même avec Lee “ Scratch “ Perry aujourd’hui décédé, quel souvenir gardez-vous de ces étapes dans votre jeune carrière ?

Jocelyne Beroard : En fait, à cette période de ma vie, je ne me posais pas de questions. Je trouvais que ça se passait bien. Puis, je pense que le fait d’être constamment positive, d’aimer ce que je faisais. Du coup, toutes les fois où le compte bancaire passait au rouge. Je restais sereine. Je n’étais pas en panique. Je n’allais pas faire n’importe quoi. Je ne me plaignais pas. Il faut dire que je ne restais jamais bien longtemps dans les difficultés. Il y avait toujours quelqu’un qui m’appellait pour un contrat etc. Je crois que j’ai sans doute eu de la chance. Peut-être que c’est vrai. Sans doute que ma façon de penser, de ne pas être en panique. Je relativisais toujours, même quand le compte bancaire était à zéro. Je me disais que les choses s’arrangeraient et que la situation financière s’améliorerait. Pour ce faire, soit je trouvais un travail le temps d’avoir un contrat ou une mission dans la musique soit quelqu’un me contactait pour du chant.


Ce qui m’intéressait c’était de rencontrer des gens. Je ne vais pas le nier, j’ai eu la chance de côtoyer des personnes aux univers musicaux différents. Je n’ai pas fait simplement Bernard Lavillier et les Gibsons Brothers. J’ai travaillé avec Manu Dibango, j’ai chanté pour des artistes africains. D’ailleurs, le premier chœur que je fais, c’était sur un disque d’un artiste africain dont je me souviens même plus du nom, je ne sais même pas si le disque a été publié ou s’il y a des traces de ce travail. J’ai travaillé avec Zachary Richard qui est la Louisiane. J’ai chanté sur différents projets et dans des langues que je ne parlais même pas au départ. C’était une passion qui m’amusait. Cela me permettait de rencontrer des gens d’horizon différents, d’avoir une autre vision de la musique et du monde. Cela me replongeait dans ma période estudiantine où je rencontrais du monde de partout, Afrique, Maghreb, Cambodge, des Gabonais, des Sénégalais, des Ivoiriens etc. J’avais donc cette habitude de rencontrer des personnes aux cultures différentes, je n’étais pas renfermée, je n’étais pas sectaire. Je savais d’où je venais, je ne me faisais passer pour personne. Je suis Martiniquaise. Lorsque j’ai été chanté du jazz en anglais, j’y ai rajouté ma touche avec de vieilles biguines. A la différence de beaucoup de chanteuse de mon époque, je ne jouais aucun rôle, je ne prenais aucun accent anglais. J’étais moi tout simplement. Après, si elles le faisaient c’est qu’elles n’avaient pas le choix. Dans ce Paris des années 1970, quand tu étais noir(e) et américain, tu avais plus de chance de passer, d’être contacter pour des prestations. Il y avait donc des antillais qui se faisaient passer pour des américains car, c’était beaucoup plus simple. Moi, je disais que j’étais de la Martinique. Bon, c’est vrai qu’ils applaudissaient moins fort (rires). Chaque fois que je chantais dans ces clubs, à chaque fin de prestation, je riais. (rires).


1981 Lavilliers PS: Choriste de Bernard Lavilliers au Palais des Sports avec Maria Popkievich et Carol Rowley



TLFWI : Dans votre ouvrage vous écrivez “ Kassav’ est né des frustrations artistiques de Pierre-Edouard Décimus, bassiste des Vikings de la Guadeloupe. Son frère cadet George Décimus également bassiste et Jacob Desvarieux, guitariste guadeloupéen né à Paris et élevé au Sénégal… Tous trois ont l’idée géniale de se nourrir de notre identité musicale extraordinairement plurielle… de proposer un style spécifiquement de qualité équivalente. C’est ce que les gens vont se mettre à appeler le Zouk : un style bien antillais qui sonne moderne “ C’est donc ça qui vous a donné l’envie d’intégrer cette nouvelle formation musicale ?

Jocelyne Beroard : C’est à dire que le premier album de Kassav’ “ Love and Ka Danse “ sur lequel se trouvait la chanson “ Lévé o Ka “ et moi, qui aimait les musiques traditionnelles de chez nous que j’ai notamment découverte durant mes études à Caen. Je me souviens, j’avais un ami, Luc Hubert Séjor ( Likibè Senjo) qui montait à noël nous voir à Caen avec son Ka et je m’amusais comme une folle sur les sons du tambour. J’ai découvert toutes ces choses de notre culture avec des amis de Martinique, de Guadeloupe durant ma résidence universitaire car, avec mes parents, je ne sortais pas beaucoup. Ainsi, la musique gwoka, bélè me parlait. Quand j’étais sur Paris et que je commençais le chant professionnel, je chantais principalement sur de la biguine traditionnelle, mais le gwoka et le bélè ne figuraient pas dans le répertoire. J’étais à une période de ma vie où je voulais revenir aux racines même de notre musique et lorsque j’ai entendu la chanson “ Lévé o Ka” je me suis dit, c’est là que je veux et que je dois être, car, cette musique me parlait. Certes, il y avait un petit son funky mais ce n’étais pas du jazz ou de la musique américaine, c’était de la musique antillaise. On entendait le “ lévé o ka “, le tambour, le groove, les paroles me parlaient. C’est dans ce groupe que je voulais évoluer. Je l’ai dit avec tellement de foi que sans doute les astres se sont alignés et j’ai été appelée (rires).


The Link Fwi : Pourtant quand vous les rencontrez, vous le dîtes vous-même c’est un fiasco ? Pourquoi ?


Jocelyne Beroard : Qui ? Jacob ? Mais non. Vous savez, nous avons eu un petit quiproquo. Il n’était pas content, je lui ai répondu et voilà. Après, je me suis dit qu’ils n’allaient jamais me recontacter. En fait non, ils sont venus me voir juste après la Chanson Féminine caribéenne. Après, la dispute entre nous repose juste sur le fait que j’ai crié sur un homme qui l’a mal pris. Vous connaissez les hommes.(rires).

TLFWI : A travers votre livre on est plongé dans l’univers de Kassav’, on sent un respect mutuel, un lien fraternel, une équité dans les avis et les décisions, est ce que ce sont les raisons de la longévité de Kassav’ ?

Jocelyne Beroard : Vous savez, Pierre-Edouard a une jolie phrase qu’il dit : “ Avant l’amour, il y avait le respect que l’on avait les uns pour les autres. “ Il n’a pas tort. Pour rappel, lorsque nous sommes arrivés, nous étions vraiment différents. Nous avions une façon de penser qui nous étaient propre. Il fallait donc que l’on apprenne à cohabiter. En plus moi j’étais une femme. Toutefois, je suis arrivée dans ce groupe sans me poser de questions et me dire que je suis une femme entourée d’hommes etc. Je voulais faire partie de cette formation musicale, je suis arrivée, je me suis investie Je n’étais pas là pour faire du charme mais pour bel et bien participer. C’est ce que j’ai fait et ce que l’on a tous fait. Quand tu participes et que l’on constate que ce que tu fais n’est pas négligeable et a autant de valeurs que ce que les autres font, tu fais partie du groupe.



Katpostal : Carte Postale du groupe en 1992. Photo Michel Bocande

The Link Fwi : Ce n’était donc pas difficile d’être une femme dans un groupe d’hommes ?

Jocelyne Béroard : Absolument pas. Je pense que mon avantage reposait sur le fait que j’avais déjà eu des expériences avant. J’avais déjà chanté dans des formations où il y avait plus d’hommes que de femmes. De toutes les façons, depuis l’époque où j’ai quitté la maison de mes parents pour aller faire mes études, je me suis retrouvée en résidence universitaire. J’ai fréquenté quasiment que des garçons. Je n’étais pas garçon manqué ou autre mais juste que j’étais à l’aise avec les garçons. La plupart des filles aimaient parler de choses banales comme les vêtements, les chaussures mais ce n’était pas mon truc. J’aime ça de temps en temps mais à petite dose (rires) et peut-être est-ce ma façon d’être libre.

eTLFWI : Dans votre livre, on voit que vous débordez de sensibilité, vous abordez même votre vie privée et sentimentale, on apprend que vous avez été en couple et que vous deviez même vous marier, pourtant aucune de vos romances n’a tenu du fait de votre carrière. Est-ce difficile de concilier vie privée et vie publique faite de concerts, de séances studio, et de tournées mondiales ?

Jocelyne Béroard : Non. La preuve. Surtout lorsque vous devenez un personnage public ce n’est vraiment pas évident. Dans mon cas j’étais avec Kassav’ on tournait beaucoup. C’était lors de la période SIWO, j’étais avec quelqu’un et avec le succès, la personne devient Mr Beroard alors que j’étais censé l’épouser. Du coup, l’égo de la personne en prend un coup. De plus quand vous devenez populaire, il y a des choses de votre vie que vous apprenez et que vous ignorez (rires). Votre vie est médiatisée. On recrée votre vie. Vous êtes à chaque fois obligé de vous justifier, démentir des choses que l’on affirme sur vous. A force, ça pèse sur votre vie personnelle.



Photo des 10 ans de Kassav' en Guadeloupe. ©Michel Bocande


The Link Fwi : Mais votre livre se lit tellement vite, était-ce volontaire de votre part ?

Jocelyne Beroard : Il y a des gens qui le lisent en une journée. Ceux qui ont l’habitude sont en mesure de le faire. J’ai voulu justement faire un livre facile à lire, à comprendre. La question de la vie privée est aussi volontaire. Certains me disent que je me mets à nu etc. Mon objectif est juste de montrer que je susi juste quelqu’un de normal. Je n’ai pas une vie extraordinaire, que je suis quelqu’un qui a de l’argent, qui a du succès, qui roule en Porsche. An pani Porsche (rires)

TLFWI : Dans votre livre, à plusieurs reprises, vous dévoilez la réalité du métier d’artiste très difficile, les producteurs malhonnêtes, les relations avec les maisons de disque et aujourd’hui, la fin du disque et l’apparition du streaming. Comment Kassav’ a t-il pu surmonter ses problèmes financiers ? Comment êtes-vous parvenus à tenir tête aux Major et gardez votre cap ?

Jocelyne Beroard : Oui, c’est vrai qu’à plusieurs reprises, j’ai entendu des personnes dire que Jocelyne Beroard a gagné beaucoup d’argent “ i té ja pé konstwi on lékol a mizik “. Chaque fois, j’ai envie de leur répondre clairement “ que Dieu vous entende” (rires) Peut-être que je vais réussir. Il faut que les gens comprennent que KASSAV’ c’était au moins six personnes donc les cachets étaient divisés en six. Quand Pierre-Edouard était dans le groupe, la somme gagnée était divisée en sept. Ensuite, c’est tombée à cinq, mais c’est toujours une division. Tout simplement un chanteur qui vend 1/5 de ce que nous vendons nous gagne autant voire plus que nous. C’est uniquement lorsque nous faisons des albums solos, du coup, les sommes nous reviennent mais autrement, tout est divisé. De plus, quand un artiste solo, demande, je ne sais pas moi, disons trois mille euros pour monter sur scène, cet argent lui revient. Par contre, quand “ l’artiste “ KASSAV’ demande la même somme de trois mille euros. Elle est divisée en cinq. C’est quand tu deviens ton propre producteur que tu peux gérer autrement, avoir plus de gains etc. Cependant, avant cela, ce n’était pas du tout ça et pourtant les gens ont toujours cru que nous roulions sur l’or. Quand Jacob a acheté sa Rolls Royce, cela a beaucoup fait parler, mais il faut savoir que c’était un véhicule de deuxième main, ce qui fait que le montant du véhicule coutait moins cher qu’au départ.


Jocelyne Beroard sur scène. Photo : ©Gilles De La Croix

The Link Fwi : Dès sa création, Kassav’ a fait le choix du créole dans ses textes cela ne vous a pas empêcher de jouer dans plus de 80 pays et tourner dans le monde entier plusieurs dizaines de fois, pourtant aujourd'hui, les jeunes artistes de chez nous délaissent le créole pour l’anglais, l’espagnol ou le français, qu’en pensez-vous ?

Jocelyne Béroard : “ A mon avis, les gens qui ne se sont pas intéressés à la langue créole, ne se sont pas suffisamment intéressés à cette langue. Personne ne leur a donné envie de la travailler alors que cette une langue est très belle. S’il y a un manque de vocabulaire, c’est tout simplement que le créole est une langue qui est jeune. Si on regarde bien ce qui se fait au niveau du dictionnaire français, chaque année, le français s’enrichi de mots nouveaux et pourtant le français est une langue qui date de plusieurs siècles, or chez nous, notre langue est beaucoup plus jeune. C’est à nous de l’enrichir de mots nouveaux, grâce à notre façon de penser créole, grâce à notre imaginaire créole. Si nous menm nou paka fè lang nou vansé i pé pa vansé. Si nous décidons d’abandonner la langue, nous abandonnons notre culture aussi. Fok pa ou konpran kè ou kay rété an fransé é kilti kréyol kay kontinyé ekzisté. Kilti nou ké mò. Tout est une question de choix. Moi, personnellement, j’ai fait le choix de donner au créole sa poésie, son énergie et ça me remplit de joie de devoir écrire un texte en créole , de trouver une belle formule, une belle tournure de phrase en créole. Je me dis que le public sera content et effectivement quand j’ai des retours de personnes qui viennent me dire que tel ou tel texte les a touchés, je suis heureuse. Honnêtement, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse avoir. Il faut redonner à cette langue qui était considérée comme celle du moins que rien, la langue du juron, une langue qui était piétinée sans cesse et se dire qu’au contraire, heureusement ceux qui n’étaient pas considérés juste parce qu’ils la parlaient l’ont fait perdurer, parce qu’aujourd’hui, elle est encore là et que c’est grâce à eux et leurs tournures, leurs imaginaires qui fait que le créole ait toute son intensité, sa beauté et sa richesse. Tous nos arrières grands-parents parlaient créole et ce n’est pas parce que tu as réussi ta vie financièrement parlant que tu dois l’abandonner. Après les gens sont libres de l’aimer ou pas et peuvent donc apprendre l’anglais, l’espagnol, le portugais etc mè man ka di lang tala bèl, i ka sonné. Elle a vraiment un beau son. Autant que l’on s’extasie sur la sonorité du français, du brésilien etc autant qu’il faille nous extasier sur les sons de notre langue.



KassavKapv  : Le groupe au Cap Vert 2004


TLFWI : Malgré le fait que vous chantiez en créole, l’Afrique a été véritablement le continent qui vous a le mieux accueilli, des générations d’africains francophones, lusophones, anglophones chantent et dansent sur du Kassav’ sans même réellement comprendre ce qu’ils chantent, vous attendiez-vous à un tel succès sur le continent et comment expliquez-vous un tel succès là-bas ?

Jocelyne Béroard : Selon moi la musique est quelque chose qui touche. La musique des Antilles puise ses racines dans les rythmes africains. Lorsque l’on jouait dans certains endroit, il y avait des jeunes que nous rencontrions et qui nous disaient que notre musique ressemble à celle de telle région de leur pays. Les gens s’y reconnaissaient. Je crois que la musique est un médium qui parle à tout le monde. Me concernant, j’ai été élevée dans la musique classique, cette dernière me touche. J’ai aussi écouté durant mon enfance et ma jeunesse de la musique traditionnelle martiniquaise, mazurka, biguine ce qui mené à la musique Bélè, musique racin péyi, cela me touche aussi. Toutes les musiques que j’ai dousiné, aimé écouter, m’ont donné de l’émotion. Je pense qu’il y a des morceaux qui nous touchent et d’autres non, c’est normal. Pour ma part, je ne suis pas obtus, je trouve ce monde magnifique, il est immense. Je n’ai pas envie de rester enfermer ce qui fait que quand je voyage dans d’autres pays et que je rencontre des personnes de ces pays et que je vois leur culture, cela me nourrit pour que je puisse faire perdurer la mienne. Comme on dit, nous apprenons toujours des autres. Ainsi, ceux qui n’ont pas la chance d’avoir cet engouement pour notre langue, je dis qu’ils perdent quelque chose. Après, s’ils doivent faire quelque chose dans d’autres langues. Qu’ils le fassent bien. “ Si tu écris un texte en français, fait le bien. Si tu es en manque d’inspiration. Va lire un livre é pi matché on bagay ki byen.

The Link Fwi : Comment expliquez-vous que Kassav’ soit le seul groupe français à s’exporter aux quatre coins du monde et pourtant, en France, vous êtes encore classés dans la catégorie “ World Music “ “ Musique du monde “ ? Ce manque de considération de la presse n’est-il pas lié que vous soyez un groupe des îles, avec une musique dansante venue de cet Outre-mer lointain ?

Jocelyne Béroard : ( rires) Un jour ils sauront. (rires). Je pense qu’il y a soit de l’ignorance ou bien de la peur. Je ne sais pas. Ils ont sans doute peur d’être envahis. Man pa konnèt zafè yo. Peut-être que pour le reggae au Royaume-Uni, les gens agissaient de la sorte, puis ils ont vite compris et puis eux-mêmes aujourd’hui, ils écoutent le reggae. Je ne saurais dire. Cependant, je me dis que leur façon de faire ou de penser, ne doit pas me freiner. Je ne vais pas perdre du temps à décortiquer ce que l’autre pense car, j’estime que je dois passer suffisamment de temps sur ce que dois faire. L’autre pense comme il veut. Il fait ce qu’il veut, le monde est vaste. J’avance. Tout ce qui compte pour moi, c’est aller de l’avant. Transmettre aux jeunes. Leur donner envie. Les aider à être eux-mêmes. Leur permettre de comprendre la richesse de ce qu’ils ont entre les mains. Je veux les aider à réaliser qu’ils ont quelque chose à apporter à ce monde. Ce n’est pas parce que nous venons de toutes petites îles qu’ils ne sont pas aussi grands que les autres. Néanmoins, le tout n’est pas simplement de dire “ man gran” il faut le devenir. On devient grand chaque jour. Un pas après l’autre, comme des marches à monter.

TLFWI : Une dernière question Jocelyne Béroard, dans votre livre, vous évoquez les travers du monde musical. Les problèmes avec les Majors, les maisons de disques, les problèmes de managers. Quels seraient vos conseils pour les jeunes artistes qui débutent pour qu’ils ne tombent pas dans les nombreux pièges du métier ?

Jocelyne Béroard : Je crois que les jeunes ont beaucoup plus de choses à m’apprendre qu’eux de moi. Ils ont des conseils à me donner avec toutes ces évolutions de l’internet parce que là, bay la vinn on jan ba mwen. (rires) Aujourd’hui il faut être né avec Internet. Il faut savoir exactement comme ça fonctionne, parce que c’est bizarre et compliqué. Toutes ces choses autour des NFC, du Bitcoin... Je veux dire aux jeunes : “ Bon courage” car le monde virtuel, nous sommes en permanence dedans et il faut savoir que pour le moment, nous sommes dans le monde réel (rires). Tout ce que je veux dire, c’est que les gens qui aiment vraiment la musique. Qu’ils l’aiment réellement et qu’ils sachent bien la faire. Amuse-toi avec la musique mais apprends convenablement parce qu’il y a tellement de plaisir, tellement de bonheur à être sur scène avec un micro, un piano ou une guitare, qu’il ne faut pas passer à côté de ceci.


The Link Fwi : Merci beaucoup Jocelyne Béroard pour ce moment.


Jocelyne Béroard : C’est moi qui vous remercie.




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