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Jimmy Laporal : "Soldat noir n’est pas un film de banlieue. C’est un film de société."

Dernière mise à jour : 4 nov. 2021

Jimmy Laporal-Trésor est aux anges. Son film, Soldat-Noir est le court-métrage qui fait sensation en ce moment. D’ailleurs, il a été Sélectionné lors de la Semaine de la Critique à Cannes et est en compétition pour les Césars 2022. De passage en Guadeloupe lors du Cinéstar International Film Festival, le réalisateur Guadeloupéen nous a accordé une interview exclusive au cours de laquelle il est revenu sur son parcours, le succès de son court-métrage et ce qu’il réserve aux téléspectateurs Français.




Jimmy Laporal Trésor posant pour ELMS Photography



A l’heure où nous écrivons cet article, les élections présidentielles battent leur plein. Chaque parti a officialisé son candidat. Tous sont déterminés à faire partir l’actuel président Emmanuel Macron, candidat à sa réélection. Cependant, ils ont tous la même volonté, celle d’empêcher le journaliste et polémiste Eric Zemmour de jouer les troubles fête, de monopoliser le débat public en faisant de l’ombre à Les Républicains ou encore le Rassemblement National. Ainsi, cette année, qu’ils soient de gauche comme de droite, ils misent tous sur la radicalité à la fois dans leurs programmes et dans leurs discours. Ce qui accroit les tensions communautaires dans une France du XXIe siècle qui se cherche encore et où le racisme pourtant condamnable est de plus en plus décomplexé de par la présence d’un certain discours équivoque véhiculé par voie de presse ou sur les réseaux sociaux.


Néanmoins, pour une certaine frange de la population, notamment celle issue de l’immigration, cela rappelle les années 1980. Période durant laquelle, les français issus des minorités ont été les témoins mais également les victimes directes de la montée de ce que l’on nommait jusqu’à très récemment le Front National qui mena dans son sillage une cohorte de groupuscules parmi lesquels certains groupes skinheads, ainsi que le GUD et autres mouvements identitaires d’extrême droite qui n’hésitaient pas à commettre des actes de violence envers les minorités visibles.


C’est d’ailleurs ces actes de violence qu’aborde le réalisateur Jimmy Laporal-Trésor dans son court-métrage “ Soldat noir “ dont l’action se déroule en France en 1986 avec un protagoniste Hughes, un jeune antillais qui se retrouve confronter à la nouvelle pub de Freetime, qui comparait les noirs à des cannibales. Ce sera un déclic pour le jeune français qui va se radicaliser et intégrer un groupe d’auto-défense noir, façon Black Panthers mais fortement inspiré des Black dragons, groupe des années 1980 qui a mené des actions violentes contre les skinheads d’extrême droite. Le court-métrage est déjà un succès. Il a été sélectionné lors de la Semaine de la Critique à Cannes et est en compétition pour les Césars 2022.

De passage en Guadeloupe lors du Cinéstar International Film Festival, le réalisateur Guadeloupéen nous a accordé une interview exclusive au cours de laquelle il est revenu sur son parcours, le succès de son court-métrage et ce qu’il réserve aux téléspectateurs Français.



The Link Fwi : Bonjour Jimmy Laporal-Trésor soyez le bienvenu sur The Link Fwi, première qui êtes-vous ?

Jimmy Laporal : Bonjour, je suis Jimmy Laporal-Trésor, je suis scénariste et réalisateur.

TLFWI : Quel est votre parcours, avez-vous fait carrière dans la réalisation où êtes-vous tout simplement autodidacte ?

Jimmy Laporal-Trésor : J’ai toujours été dans le domaine du cinéma, mais disons que je suis à la base un autodidacte. J’ai commencé ma carrière dans le cinéma en 2008, avec un projet cinématographique nommé la “ Cité rose “ qui devait être normalement un projet de série au sein duquel j’étais scénariste. Avec l’équipe, nous avons développé cette idée de série, mais par la suite, nous avons rencontré une production qui a voulu en faire un film donc, c’est devenu un film. Au final, nous l’avons réalisé mais pas avec la production qui l’avait commandé mais avec une autre nommée Agat Films. Puis, j’ai enchaîné avec un autre film “ Mon frère “ toujours en tant que scénariste. Puis, j’ai voulu voler de mes propres ailes avec mes propres films. De ce fait, je me suis mis à la réalisation. Mon premier projet fût un court-métrage que j’ai appelé “ Le Baiser “ qui fut un plan séquence. Ensuite, j’ai rencontré un distributeur, Manuel Chiche qui a été le distributeur notamment du film “ Parasite “ qui a reçu la Palme d’Or, il y a deux ans. Il voulait connaître mes ambitions, je lui ai présenté une idée de film, il a été très enthousiaste, le film en question est “ Rascal “ mais avant de passer à la réalisation du film, il m’a demandé de faire un court-métrage qui est aujourd’hui, Soldat-noir que j’ai eu l’honneur de présenter en Guadeloupe, lors du Cinéstar International Film Festival.

The Link Fwi : Pour les lecteurs et lectrices qui ne l’ont pas encore vu, de quoi parle Soldat Noir ?

Jimmy Laporal-Trésor : Soldat-Noir, c’est l’histoire de Hughes, jeune antillais né en France, L’intrigue se déroule en France Hexagonale en 1986. Il se pensait être un français comme tous les autres donc intégré, jusqu’au jour où il tombe sur une publicité de Free time dans laquelle on montre un personnage noir cannibale qui dit “ A quelle sauce, je vais manger le blanc” en l’occurrence la publicité parle des blancs de poulet. Quand il voit cela, il entre dans une colère profonde, ça le frustre profondément et c’est le départ d’une prise de conscience qui est vraiment violente. Je n’ai pas envie de spoiler vos lecteurs et lectrices mais en gros, c’est l’histoire d’un jeune noir frustré de voir comment la société française le perçoit.

TLFWI : Quels sont les acteurs présents au casting ?

Jimmy Laporal-Trésor : Alors il n’y a pas d’acteurs connus du grand public...

The Link Fwi : Oui mais on note la présence de Yann Gael qui a déjà fait de belles apparitions sur d’autres productions cinématographiques.

Jimmy Laporal-Trésor: C’est vrai qu’il y a Yann Gael, mais il est surtout connu de nous, public afro-descendant mais outre le fait qu’il ait joué dans des pièces de théâtre, et quelques séries, il n’est pas connu du grand public. N’oublions pas que nous sommes en France et que les seuls acteurs noirs connus sont Omar Sy et Aïssa Maïga, en tout cas pour le public large.

TLFWI : Donc pour un public non racisé, il n’est pas connu ?

Jimmy Laporal-Trésor : Je n’aime pas le terme “ racisé “ car l’utiliser est donc accepter que la personne “ blanche “ qui est en face de moi puisse mettre une étiquette sur moi. Je ne suis pas un racisé, je suis un humain comme tout le monde, donc pourquoi dire “ racisé “ ? Je n’aime pas cette étiquette. Fermons la parenthèse (rires).

Après pour revenir au casting, il y a des jeunes acteurs mais aussi des acteurs bien plus confirmés comme Vincent Vermignon qui joue le rôle du père, comme vous l’avez noté, il y a Yann Gael qui joue le rôle du chef de bande. On retrouve également Delphine Baril qui est une comédienne connue mais qui évolue plus dans le registre comique français. Ensuite, il y a plein de jeunes comédiens parmi lesquels Jonathan Feltre qui est un nouveau talent du cinéma français et pour moi, c’est une sorte de Léonardo Dicaprio français mais de la Guadeloupe parce qu’il est Guadeloupéen et je pense qu’il aura une très grande carrière nationale voire internationale si on lui donne de très bons rôles.

The Link Fwi : Pourquoi avoir choisi la banlieue, la France de la fin des années 1980 et un jeune antillais né dans l’Hexagone comme intrigue principale de votre film ?

Jimmy Laporal-Trésor : Pour tout vous dire, je suis né en France en 1976 et les années 1980 sont ma Madeleine. Les années 1980 pour moi symbolisent le mythe du Paris qui n’existe plus; Avec les bandes de jeunes ultra lookés. Les guerres de clans entre les Punks, les Skinheads, les noirs, les chasseurs de Skin etc. Il y a tout ce folklore aujourd’hui disparu et qui était nos préoccupations jadis. A l’école par exemple durant la récré ou entre deux cours, on disait “ Ah, tu as entendu, il y a un mec qu’on a agressé à Chatelet, on lui a fait le sourire du Joker “ ou encore “ Quelqu’un s’est fait tué à la station ” République “ par des Skinheads. C’était nos conversations. Puis,les films que nous regardions c’étaient “Warriors” de Walter Hil ou encore “Blood In Blood Out”, “ The Outsider “ de Francis Ford Coppola. Que des films avec des bandes. J’aimais particulièrement “ Warriors “, je m’imaginais les bandes l'époque comme celles des films. Après, ce sont des choses que l’on oublie avec le temps, ce qui fût mon cas jusqu’à ce que je tombe sur un bouquin “ Vikings et Panthers “ et ça a ravivé tous ces souvenirs et c’est à partir de là que l'idée de faire un film sur ce sujet est née et avec Virak Thun et Sébastien Birchler, nous avons commencé à écrire.



Photo de Jimmy Laporal-Trésor par ELMS Photography


TLFWI : Des réalisateurs, des films français ou des acteurs français ou étrangers vous ont-ils inspiré pour réaliser Soldat Noir ? Il y a par exemple La Haine qui a été une grande inspiration pour de nombreux réalisateurs français, était-ce votre cas ?



Jimmy Laporal-Trésor : C’est vrai que les gens parlent énormément de La Haine. Cependant, ce n’est pas un film qui m’inspire. Il ne figure pas dans mes références cinématographiques. Pour réaliser Soldat-Noir, et mon futur long métrage Rascals, qui est en ce moment en montage. Si je devais parler d’une référence c’est The Wanderers de Philippe Kaufman, en français c’est Les Seigneurs. En ce qui concerne “ Soldat Noir “, c’est vrai qu’au début, nous voulions partir sur un style comme Warriors mais au final je me rends compte que mes influences ont été diverses. Mon réalisateur préféré c’est Steeve Mcqueen et je me rends compte qu’il est très présent dans mon travail. Après, j’en ai pleins d’autres. Par exemple à Canal + : après avoir vu le film, des personnes m’ont dit que dans la mise en scène, cela faisait penser à West Side Story et Warriors. Je constate donc qu’il y a des choses qui font partie de ma culture cinématographique via les films que j’ai regardé et aimé, qui malgré moi ont infusé dans ma réalisation. Autre exemple, lors de la Semaine de la critique, il se disait que dans les thématiques et la manière dont j’aborde le sujet, on retrouvait des éléments de Spike Lee, mais encore une fois c’était à mon insu. Lors de la réalisation, jamais je me suis dit que “ tiens je vais m’inspirer de Spike Lee”, mais me concernant, je dirais que mon inspiration principale est avant tout le cinéma américain de la fin des années 1970 aux années 1980. Mélangé avec ma sensibilité, j’ai tout mélangé, cela a créé mon style. Puis, je me suis mis à la place des spectateurs et j’ai voulu réalisé un film que moi “ spectateur”, je voudrais voir, car c’est vrai que lorsque l’on fait des films de “ banlieue”, bien que je n’aime pas ce terme, moi j’appelle cela des films sociaux qui traitent de la société française, en général, pour ces films, j’ai remarqué qu’en France, nous aimions faire des films moches, avec une esthétique un peu brute juste pour montrer que c’est réel. Honnêtement, cela ne m’intéresse pas. Je suis un peu comme John Ford, si je dois choisir entre la réalité et la légende, je choisirais toujours la légende, surtout dans les thématiques sociales avec la question des bandes qui sont des communautés où la tradition orale prévaut. La particularité avec les bandes est que même quand ils racontent l’histoire, il y a déjà un mythe. On se demande s’il y a du vrai dans ce qu’ils évoquent. Donc voilà pour mes inspirations.

The Link Fwi : En terme d’écriture, de tournage, de post –production, combien de temps vous a t-il fallu pour quoi faire Soldat Noir ?

Jimmy Laporal-Trésor : L’écriture de Soldat-Noir a été très rapide puisque nous avions déjà écrit le long-métrage Rascals qui est un film d’époque avec beaucoup de rôle parlant, il y a de la bagarre, de la cascade, de la figuration etc. C’est le producteur qui a souhaité qu’avant que nous fassions le film, que nous devrions faire le court-métrage, Soldat-Noir. Les deux histoires diffèrent au sens où que Rascals se passe en 1984 tandis que Soldat-Noir se déroule en 1986 et met en avant les chasseurs de Skinhead purs et durs. L’écriture a dû nous prendre trois ou quatre semaines.


En ce qui concerne la réalisation, souvent ce qui se passe lorsque l’on est dans une production sans gros budget et que l’on tourne un film d’époque année 1980, les metteurs en scène choisissent en général de resserrer le cadre, souvent ils font en 4/3, car il faut habiller l’image, il faut comme on dit la rendre palpable et rendre crédible la scène des années 1980 et donc face au défi du manque de moyen, ils réduisent. Me concernant, j’ai choisi le cinéma scope, ça renvoie aux films western de John Ford, l’image est belle, plus large etc. J'ai donc voulu faire pareil. Il y a donc eu un mois et demi de préparation au cours duquel, j’ai d'abord fait le découpage, puis le storyboard des séquences les plus importantes, ce qui m’a permis de savoir exactement ce que j’avais dans le cadre. Ce qui fait que lorsque l’on a posé le cadre, tout l’argent que nous avions était passé dedans, tu dépassais d’un centimètre tu étais trente ans en arrière, c’était un travail minutieux, ultra précis.

Du point de vue des repérages, pareil, il fallait que ça soit très précis aussi. Le tournage, quant à lui, a duré six jours. Nous avons commencé les tournages en novembre 2020 durant la période Covid soit le premier couvre-feu, ce qui a été bénéfique pour nous car, comme nous voulions recréer la période années 80, cela n’aurait pas été crédible de voir des passants avec des masques sur leur visage. Les rues étaient donc vides, nous pouvions tourner comme bon nous semble. La post-production a duré un mois et demi. Une fois terminé, nous avons envoyé le court-métrage à Cannes pour le Festival.

TLFWI : Quel fut le déclic et pourquoi parler de ces groupes de noirs qui se donnaient pour mission de protéger leur communauté dans cette France de la fin des années 80 où le racisme était très violent ?

Jimmy Laporal-Trésor : Comme je l’ai dit, c’est quelque chose qui m’a longtemps fasciné. Puis, si je dois revenir sur l’affiche Freetime, dans Soldat Noir, quand elle est sortie, j’avais dix ans. Pendant longtemps, elle m’a hanté. J’en parlais souvent autour de moi. Beaucoup ne me croyaient pas et me prenaient même pour un fou (rires) et il y a quatre ans, je trouvé un livre “ Négripub “ qui compile toutes les publicités racistes depuis les années 1900, donc beaucoup d’affiches d’époque dont une grande partie a été oubliée et là en feuilletant le bouquin, je retrouve la publicité Freetime du blanc de poulet. J’avais donc la preuve que je n’affabulais pas et que je n’étais pas fou. Aujourd’hui, quand tu montres cette affiche, ainsi que les autres, à des enfants, ils n’y croient pas et se demandent même comment il a été possible que ce genre d’affiche publicitaire ait pu exister. Là où j’ai un peu modifié les choses est que l’affiche n’était pas en 4/3 dans la rue, mais elle figurait dans les prospectus que l’on met dans les boîtes aux lettres que les français regardaient ou encore sur les transports en commun que nous empruntions quotidiennement. Au final, c’était pire qu’un panneau publicitaire dans la rue que tu croises de temps à autre, là nous l’avions au quotidien. J’ai volontairement grossi la chose pour que les gens puissent se rendre compte que de nos jours, lorsqu’une certaine catégorie de personnes dit que l’ “ on ne peut plus rien dire” quand on parle de racisés etc, bien au contraire pendant des siècles, vous avez pu vous exprimer librement et qu’il faut s’arrêter. Même du point de vue de la nouvelle génération, comme je le soulignais, elle ne voit pas qu’il y a environ vingt, trente voire quarante ans, le racisme s’exprimait dans la rue de façon violent. Des gens mouraient, et même si encore aujourd’hui, le racisme est présent. On ne se fait plus tuer dans la rue parce que tu es noir ou arabe. Après, il y avait une sorte de banalisation de l’acte racisme. A savoir que même nous, lorsque nous étions enfants, le racisme était tellement présent qu’on n’y prêtait pas attention. Nous consommions des articles qui véhiculaient une image négative de nous-même. Nous mangions des biscuits “ Bamboula”, buvions notre lait avec un chocolat “ Ya bon banania”, tu entrais à la boulangerie et tu pouvais manger des “ têtes de nègres.” Nous mettions des vêtements dont des t-shirts avec “ Magic Doudou “ représentait une femme noire avec de grosses lèvres. Nous avons grandi avec cela.


Ce qui a de bien désormais, c’est que la nouvelle génération n’accepte plus et elle dénonce tous les actes de racisme et donc les personnes qui se plaignent que l’on ne peut plus rien dire, si on les écoute, ils auraient aimé revenir à cette période. Je dis non.




Photo de Jimmy Laporal-Trésor par ELMS Photography.


The Link Fwi : C’est vrai que le racisme en France est moins violent du fait de nombres années de lutte : contre le racisme, par le biais de manifestations, de lois mémorielles comme la Loi Taubira, de politique d’intégration des minorités, on voit malgré tout une résurgence de la parole raciste en France. Selon vous, pourquoi ? La France est-elle plus raciste que par le passé ?

Jimmy Laporal-Trésor : Tout dépend là encore de ce que l’on qualifie de violent, car il y a encore des discours racistes et des actes violents. Le problème avec le racisme est quand tu dis à quelqu’un que ce qu’il ou elle a dit est raciste, il ou elle le prend comme une agression et pense que tu l’accuses d’être un(e) raciste. Il/elle va essayer de se défendre. Or dans la vie, nous avons tous à un moment donner dit ou fait des actes racistes, sexistes ou même homophobes. Il faut juste s’en rendre compte et si nous ne le faisons pas, nous reviendrons à cette époque où l’on pouvait faire des publicités ou des blagues racistes et dire “ je rigole, détends-toi. “ Pour ce qui est de la société française, elle a toujours été raciste, l’héritage colonial est là. C’est indéniable. Ce n’est pas en trente ans de politique antiraciste que l’on effacera les deux cent ans voire trois cent ans d’histoire coloniale raciste et violente. Ce n’est pas en un coup de baguette magique que l’on va décider qu’aujourd’hui c’est terminé. C’est aussi vrai qu’il y a des gens qui disent ne pas avoir participé à l’esclavage ou à la colonisation et que leurs ancêtres non plus, sauf que l’héritage colonial marque aussi bien les peuples qui ont été colonisés, esclavagisés et infériorisés que les peuples qui ont bénéficié des privilèges liés à leur couleur de peau. Si on devait prendre un exemple, c’est l’Allemagne qui a connu le IIIe Reich avec Adolph Hitler et son lot de morts, jamais les allemands te diront qu’ils n’ont pas fait ça. Il y a donc eu une histoire, des actes violents, des exactions ont été commises, il faut juste les reconnaître parce que si on met sous le tapis les blessures en se disant que c’est du passé, comment pouvons-nous prétendre vouloir vivre en harmonie ? Surtout que nous sommes condamnés à vivre ensemble sur ce territoire. Qu’on le veuille ou non, nous avons participé à la construction de ce pays. Il faut juste se dire qu’il y a des choses positives mais aussi des choses négatives et il faut le reconnaître. Il faut que nous en parlions justement pour ne pas recommencer.

TLFWI : Quelles ont été les réactions des différents publics issus de la minorité ou blancs à la sortie de votre court-métrage ?

Jimmy Laporal-Trésor : Pour le moment, Soldat Noir vient tout juste de sortir. A Cannes il a été très bien reçu lors de la Semaine de la Critique. C’est vrai que c’est un public particulier, il est constitué de critiques de cinéma, des professionnels de la réalisation et de la production cinématographique ou des journalistes spécialisés, mais eux, ils ont été impressionnés car, ils ont découvert une histoire qu’ils ne connaissaient pas et qui les a remis en quelque sorte face à eux-mêmes. Selon leurs termes, le film et l’histoire ont été bien fait (rires). Figurez-vous que tout récemment, j’ai reçu le mail d’une amie qui travaillait avant à Radio Nova, elle m’a avoué que la fille que l’on peut voir dans Soldat Noir, celle qui a un badge antiraciste “ touche pas à mon pote” mais qui porte un t-shirt “magic doudou “ c’était elle à cette période. Grâce au film, elle a été confrontée à ses propres contradictions. Elle m’a aussi avoué que le film l’avait profondément bouleversé. Cela m’a sincèrement rassuré au sens où si je fais un film et que j’arrive à toucher celles et ceux qui ignorent ces problématiques ou qui tout simplement ne sont pas confrontés à cela ou qui participent de manière passive à ce racisme, là j’ai l’impression d’avoir avancé, même un peu sur la question. Globalement, nous, issus de la population noire, même si nous avons des désaccords sur la façon de mener les actions, nous allons tous dans la même direction. Sauf que si nous sommes d’accord qu’entre nous, le problème ne va jamais se résoudre. D’ailleurs, Aïssa Maïga l’avait dit lorsqu’elle avait reçu les Césars, " la bonne nouvelle, c'est que ça ne va pas se faire sans vous." Il faut donc amener les gens qui sont dans leurs petits privilèges, à se sentir concerner par notre problématique. Aux Etats-Unis, ils l’ont bien compris. Une fois, je regardais une interview d’un basketteur de la NBA qui était blanc, qui disait au sujet d’une polémique raciste “ jusqu’à présent je ne mettais pas rendu compte que j’étais pris dans un système de privilèges et tant que je ne disais rien et que je fermais ma bouche, j’étais complice de ce système raciste ” En France, c’est donc aussi le cas. Tant que les personnes qui ne se sentent pas racistes, ne font rien pour le combattre, le racisme gagnera toujours. Notre travail est donc de ne pas nous convaincre entre nous mais de montrer à l’autre qu’il est complice du système et qu’il doit aussi mener le combat avec nous. Lorsque nous y parviendrons, nous n’aurons même plus besoin de parler de “ racisés “, nous parlerons en tant qu’hommes et femmes qui ont du talent, des connaissances, et avant cela, juste se dire que nous sommes juste des Hommes. Sur ce point, nous avons trente ou quarante ans de retard sur les Américains, parce que nous ne sommes pas ne sommes pas encore arrivés au stade où nos décideurs, nous considèrent comme des êtres humains à part entière. Par moment c’est inconscient. Rien que l’expression “ pour un noir tu es “, la personne qui le dit, n’est même pas méchante, c’est ça le pire. Pour elle, ce qu’elle dit c’est de la bienveillance. Il faut vraiment combattre ça.

The Link Fwi : Il y aura-t-il une suite à Soldat Noir ? Nous demandons cela car, nous sommes sur notre faim, on veut une suite.

Jimmy Laporal-Trésor : Pour Soldat Noir, à la base, nous ne devions faire qu’un court-métrage et au final, ce sera décliné en série que l’on développera avec les studios de Canal + Création Original. Il s’agira d’une série de dix épisodes de vingt-six minutes. Nous voulons mettre en avant deux points de vue, celle de la bande de chasseurs de skinheads et celle des skinheads. Je suis convaincu que pour combattre le mal, il faut le montrer tel qu’il est . Dans le monde médiatique, c’est trop facile de dire que, par exemple, les gens qui votent FN, votent par dépit que ce n’est pas vraiment leur opinion moi, je ne prends pas les gens pour des idiots. Selon moi si, tu t’es levé un matin, tu as pris ta carte d’électeurs, tu y a mis un bulletin de vote FN, je pars du principe que la personne a réfléchi. Le vrai danger est de faire passer cette personne pour une idiote et de se dire qu’il a voté parce qu’il ne réfléchit pas. Faux. Les gens ont une opinion légitime qui est la leur, ils y vont et si on croit qu’ils le font par dépit, nous n’avancerons jamais. C’est comme si l’on sous-estimait l’adversité et il ne faut surtout pas la sous-estimer. Montrer le Skinhead tel qu’il était à l’époque. Dans les années 80 quand on évoquait les skins, les personnes issus de la minorité ou qui n’étaient pas en accord avec leur idéologie avaient très peur d’eux. Pour nous, les Skinheads étaient semblables aux membres du Klu Klux Klan aux Etats-Unis tel un croquemitaine qui avait le droit de vie ou de mort sur les personnes dans certains quartiers de Paris. Il y avait une vraie méconnaissance du Skin, car derrière, ce n’était pas simple le groupe de mecs qui frappaient ou tuaient au hasard dans les rues. Il y avait une vraie dimension politique, un engagement, une idéologie etc. Nous allons donc mettre en avant ce point de vue dans la série et du coup.

TLFWI : Quels sont vos futurs projets et où pouvons-nous suivre votre actualité ?

Jimmy Laporal-Trésor : Déjà “ Black Mambas” la série qui fait suite à Soldat-Noir, ensuite il y a RASCALS et je commence à réfléchir à un film abordant le sujet de Mè 67 en Guadeloupe. J’ai déjà écrit une première version et actuellement je rencontre des productions pour le développer.




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