Istwa a Mas : Voukoum 35 lanné mas é Rézistans. Reportage.
- Emrick LEANDRE
- 15 avr. 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 avr. 2023
Voukoum, groupe mythique mais ô combien mystique est l'autre pilier de la tradition " Mas a po " de la Guadeloupe. Créé en 1988 par des jeunes des quartiers populaires de la ville de Basse-Terre, chef-lieu de la Guadeloupe, Voukoum a apporté sa touche particulière à la culture " Mas " de l'archipel. Pour nous en parler, nul autre que Fred Démétrius, ancien président et membre fondateur du mouvement culturel guadeloupéen.

Une saison chaque année :
Passionnés de carnaval, il nous est venu comme idée d'aborder l'histoire de ces groupes extrêmement populaires qui animent chaque dimanche les rues des villes guadeloupéennes dont principalement les villes de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre.
C'est donc sous la forme de série avec plusieurs saisons que nous rencontrons depuis 2019, les membres de ces groupes qui font la beauté du carnaval guadeloupéen. Le nom de cette série : ISTWA A MAS.
Vous l'aurez compris, l'objectif d'Istwa a Mas est de dresser un portrait de chaque gwoup a po. A travers ces reportages, c'est l'histoire du style " Mas a po" qui est abordée. Pour les deux premières saisons, nous sommes allés à la rencontre des groupes Le Pwen, Nasyon a Neg Mawon, Mas Ka Klé, VIM, Klé La et Ti Kanno.
Malheureusement, Covid-19 oblige, fortement impactée par la pandémie, la Guadeloupe a à contre cœur, mis sur pause, durant deux ans, son carnaval. Entre les restrictions, les avis de décès quotidiens et les flambées de cas, autant vous dire que, l'ambiance n'était pas à la fête. Elle était même anxiogène.
Néanmoins, après deux ans de pandémie de la Covid-19, le carnaval a fait son grand retour en Guadeloupe et Istwa a Mas est également de retour. Le premier épisode de cette nouvelle saison a été consacré à l'histoire du groupe 50/50 qui est le deuxième plus vieux gwoup a po de la Guadeloupe après AKIYO. Le deuxième épisode était axé sur l'histoire d'un autre groupe ( de plus en plus populaire ) de la région pointoise, Mas a Wobè, dont la musique si particulière qui le démarque des autres formations carnavalesques faisant de lui, un groupe notable du carnaval de Guadeloupe.
Carnaval vecteur social, sociétal et culture de la Guadeloupe :
Le Carnaval est la période que les guadeloupéens ne rateraient pour rien au monde. Carnaval c'est la période où les groupes se défient en terme de musicalité, de déguisement. Le mot d'ordre : être original ! Le carnaval est aussi la période durant laquelle, les Gwoup à Po sont de sortie et présentent les différents déguisements traditionnels.
Les Mas a po sont la touche d'originalité du carnaval de la Guadeloupe. Ils sont même les uniques formations du genre parmi tous les carnavals existant dans le monde.
Généralement quand on parle de Mas a po on cite Akiyo, groupe fondateur du style né dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre en 1979 par des jeunes désireux de revendiquer leur identité propre longtemps brimée par l'histoire coloniale. L'autre volonté de ces jeunes passionnés de gwoka fut de moderniser le carnaval guadeloupéen et d'éliminer les costumes en satin-paillettes et les bidons en plastique qui servent à l'époque d'instruments aux carnavaliers. Ils les remplacent alors par des masques et des tambours traditionnels à peaux (boula et maké) et adaptent le jeu en ré-introduisant le rythme du gwo-ka traditionnel, né en Guadeloupe.
Renvoyant aux oubliettes le carnaval « satin », ils choisissent de choquer avec ces masques, voire de faire peur en s'enduisant parfois le corps de goudron ou de roucou.
Leur objectif est de revaloriser la culture guadeloupéenne, souvent auto-dénigrée par les Guadeloupéens. L'idée plaît et Akiyo devient vite le groupe de carnaval préféré des Guadeloupéens.

Qu'est ce qu'un gwoup a po ?
Dans une définition simple, on peut dire que le gwoup a po ou "Màs a Po" utilisent des tambours à peau d’animal, des chachas et cornes (ou conques) à lambis. Sur la région Pointoise ils jouent la musique "Sen Jan" (Saint Jean) (ex : le groupe Akiyo) et sur la région Basse-terrienne c'est plus généralement la musique Gwo Siwo qui est jouée (ex: le groupe Voukoum). Leur marche est vigoureuse et ils sont souvent surpeuplés.
Présents dans le paysage carnavalesque depuis les années 1960-1965, les "Gwoup a Po" ont marqué la culture guadeloupéenne. Normal, ils ont puisé dans ce que les ancêtres avaient légué aux guadeloupéens, ils les ont remis au goût du jour. C'est dans un contexte social difficile : répression de 1967, grèves ouvrières, apparition des mouvements indépendantistes, qu'apparaîtront dans les quartiers populaires de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, les premiers "Gwoup a Po" , Akiyo et Voukoum (aux sonorités bien distinctes) devenus depuis, les piliers du "Mas" traditionnels. Pour ces groupes, il s'agissait d'affirmer la culture guadeloupéenne, par des instruments tels que le "Ka" et des masques rendant hommage à la lontaine Afrique mais également aux peuples amérindiens qui jadis peuplaient les îles de l'Archipel. Longtemps réprimés, car contestataires, les "Gwoup a Po" se sont imposés dans le paysage carnavalesque guadeloupéen. Ils sont même devenus incontournables.

L'objectif du mas a po était de permettre à la classe populaire de la Guadeloupe de participer au carnaval, héritage de l’Europe esclavagiste, avec ses propres codes. Loin du strass et paillettes des groupes dits à caisse claire, les membres des gwoup a po créent des costumes à partir d'éléments naturels, roukou, gwo sirop issu du sirop de canne à sucre, vêtements usagés, tissus de vieux draps, feuilles de bananiers, feuillage etc.. Ces costumes feront naître des masques ou mas traditionnels encore présents dans le carnaval guadeloupéen :
Mas a lan-mò, mass a konn, mas a fwet, mass a miwa, mass a kongo ou mass a goudwon, mass a rubans, mass a hangnion ou mas a rannyon, mas a Lous, mass a roukou ou Mas a woukou, mass a zonbi ...
Avec Akiyo, le carnaval longtemps l'adage de l'élite locale " claire de peau" est devenu populaire. Depuis, ils sont des dizaines de formations à se revendiquer de la mouvance du groupe mythique pointois et tous jouent ce qu'on appelle communément le Senjan.
Pourtant, de l'autre côté de la Guadeloupe, un groupe a lui aussi décidé d'apporter sa touche à LA culture guadeloupéenne. Son nom c'est Voukoum.
Pour nous en parler, nul autre que Fred Démétrius, ancien président et membre fondateur du mouvement culturel guadeloupéen.
Groupe mythique mais ô combien mystique, Voukoum est l'autre pilier de la tradition " Mas a po " de la Guadeloupe. Créé en 1988 par des jeunes des quartiers populaires de la ville de Basse-Terre, chef-lieu de la Guadeloupe, Voukoum a apporté sa touche particulière à la culture " Mas " de l'archipel.
Si nous devions traduire, un voukoum signifie « CHAHUT, CHARIVARI, TUMULTE, TAPAGE, BRUIT » Comme pour Akiyo, quelques années avant, les jeunes de Basse-Terre désiraient perturber l'ordre établi. Quoi de mieux qu'un désordre pour remettre de l'ordre dans toutes ces valeurs inculquées par l'histoire coloniales ?
Pour ce faire, ces jeunes des quartiers populaires du chef-lieu de la Guadeloupe, vous faire un virage à 360° en revenant aux racines ancestrales (Traditions, Coutumes, Moeurs et Habitudes, etc...)

« GRAN VOUKOUM KILTIREL AN VIL BASTE »
C’est par ces mots que la population Basse-Terrienne, conviée à une réunion le 20 Mars 1988 au Bas du Bourg (BADIBOU), entendait pour la première fois parler de VOUKOUM.
Loin de tout folklore, ils se réapproprient leur histoire et leur identité pour mieux questionner la société guadeloupéenne contemporaine.
Les carnavaliers de 1988 venaient tout juste de brûler VAVAL et se remettaient petit à petit des frasques du Carnaval, que certains décidèrent de monter un COMITE DE REFLEXION pour la création d’un Mouvement Culturel à Basse-Terre : « un Mouvement qui permettrait aux hommes et aux femmes de cette région d’être des acteurs participant au développement de leur propre culture ».
Le Carnaval 1989, première cible de ce mouvement en création, fut un succès au delà de toute espérance et le travail de CONSCIENTISATION CULTURELLE de la population entamé.
Dès lors, VOUKOUM entrait de plain-pied dans l’histoire CULTURELLE BASSE-TERRIENNE et GUADELOUPEENNE;
La structure administrative de ce VOUKOUM prendra en 1989, la forme d’une association LOI 1901 dénommée : VOUKOUM - Mouvman Kiltirel Gwadloup.

D'autre part, désirant se démarquer des autres formations " Mas a Po " qui se créaient dans la foulée d'Akiyo, les membres de Voukoum vont démarquer leur mouvement culturel par une musique inspirée de la réalité de leur ville.
Ainsi, au lieu de jouer du Senjan comme sur la zone pointoise, les fondateurs de Voukoum vont s'inspirer des chants, musiques et autres traditions chantées de leur région. Ils vont créer une musique unique qui mêle les sept rythmes du gwoka( le woulé, le kaladjya, le Graj, le toumblak, le léwòz indèstwas, le menndé court, le granjanbèl ) au Mayolè. En y ajoutant les rythmes des musiques des îles anglophones de la Dominique et de Sainte-Lucie au chant Bélè de Guadeloupe représentées dans le temps par deux grandes figures du style : Aksidan et Médé ( Médélice Baptista).
Lameca raconte :
Après l’abolition de l’esclavage et jusqu’au début du XXème siècle, les échanges maritimes et commerciaux entre la Dominique et la partie Sud de l’île de la Basse-Terre sont fréquents. Les maraîchers viennent y vendre leurs produits. Ceux qui ne peuvent repartir le soir passent la nuit. Certains Dominicais s’installent dans cette région pour travailler dans les plantations de bananes notamment à Capesterre Belle-Eau et à Gourbeyre.
Le soir, Bas-du-Bourg, le quartier le plus populaire de la ville de Basse-Terre, quartier dit "malfamé", lieu de jeux, de bagarres, bik de soûlards, de vyé-nèg, de musique, de danse, brasse une population hétéroclite en quête de divertissements nocturnes : des riverains, des marins, des dockers, des Haïtiens, des Dominicais, des gens venus d’autres villes (dont Pointe-à-Pitre). Ici, le gwo-tanbou inlassablement frappé, fait résonner ses éclats tandis que - comme le veut la coutume en Basse-Terre - deux baguettes le percutent dans un braké effréné… là, on chante sur un accompagnement rythmique du braké reproduit sur les tables, avec les mains, sur le sol avec les pieds…, chacun puisant dans ses traditions. Des pratiques musicales, des répertoires d’origines diverses se croisent et se mêlent et des formes musicales sans doute se créent dans ce Bas-du-Bourg, lieu incontournable de la création du gwosiwo…

C'est de cette volonté que naquit le Mas Gwo Siwo, musique du peuple de Basse-Terre. Pourtant, loin de se cantonner uniquement à la ville de Basse-Terre, Voukoum est devenu l'autre pilier de la culture Mas de l'archipel au point de devenir l'un de ses ambassadeurs avec des voyages de représentations en France Hexagonale et même au-delà. Ne vous détrompez pas, Voukoum n'est pas uniquement un groupe de carnaval, car comme le dit lui-même Fred Démétrius, " Voukoum n'est pas un groupe de carnaval, mais un mouvement culturel et comme le carnaval fait partie des us et coutumes de la Guadeloupe, nous faisons du carnaval".
Avec les années, VOUKOUM n’a cessé de travailler pour la sauvegarde du patrimoine culturel guadeloupéen. C’est sa ligne directrice (LAREL VOUKOUM LA) : pour preuve, chaque année, ils sont nombreux à se presser pour venir assister au traditionnel " Dékatman a mas " du groupe. Le dékatman est l'événement incontournable durant lequel, le temps d'une soirée, le mouvement culturel dévoile l'ensemble de ses " Mas" créé depuis ses débuts.

( Voukoum à Pointe-à-Pitre photos par ELMS Photography )
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