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Il y a 22 ans, était adoptée la Loi Taubira.

Dernière mise à jour : 10 mai 2023

Mois de mai, mois d'histoire, mois de mai, mois des commémorations. Parmi les dates à retenir, celle du 10 mai 2001 qui est entrée dans l'histoire commune comme étant le jour où Christiane Taubira, à l'époque députée de la Guyane a fait adopter la loi reconnaissant l'esclavage comme étant un crime contre l'Humanité. Retour sur une date.





La France est sans doute le pays d'Europe voire du monde qui rend le plus hommage à ces illustres ou à des événements marquants de son histoire. Pas moins de vingt dates sont consacrées au devoir de mémoire, notion apparue à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Elle illustrait cette volonté d'honorer dans un premier temps la mémoire des Français assassinés et tous ceux tombés pour le maintien de la République, tout en rendant présent leur sacrifice dans l’esprit de tous les Français et Françaises, en dénonçant les actes de barbarie dont se sont rendus coupables les assassins nazis et leurs collaborateurs français. L'autre objectif affiché au sortir du deuxième conflit mondial était d'empêcher par cette propagande et ce rayonnement, le retour des idées extrémistes qui pourraient à nouveau menacer la République. C'est au milieu des années 1980 et principalement au début des années 1990, sous la présidence de François Mitterrand que la notion du devoir de mémoire va se généraliser. Elle concernait surtout l'hommage aux victimes de la Shoah. C'est aussi à cette période que les partis d'extrême droite faisaient leur grand retour sur le devant de la scène politique nationale et avec eux l'émergence d'idées négationnistes. Il fallait donc une nouvelle fois, les contrer.


Ainsi, quatre lois vont être votées, la loi Gayssot de 1990 suivie de la loi du 29 janvier 2001. La loi Taubira de 2001 et la loi Alliot-Marie de 2005.

Dans ce méandre des hommages et des commémorations, le mois de mai est particulièrement chargé. Entre les dates célébrant la mémoire des victimes de la Deuxième Guerre Mondiale et les dates des Abolitions de l'esclavage, au niveau national et régional, on peut dire que la mémoire est vivante.



10 mai 2001 / 10 mai 2022 : vingt et un an de la Loi Taubira.



L'esclavage est l'autre page sombre de l'histoire nationale. Durant plusieurs siècle, la France qu'elle ait pu être royaliste ou république a été au coeur de ce trafic. En effet, si nous devions faire un classement des pays qui ont le plus pratiqué à l'esclavage, le pays des Droits de l'Homme et du Citoyen, se taille une bonne place. Avec plus de 1,6 millions d’esclaves africains transportés vers les Antilles, la France fut clairement un acteur majeur dans le commerce des esclaves.


Ses ports négriers contribuèrent grandement aux progrès économiques du pays entre le XVII° et le XVIIIe siècle. Beaucoup de ses villes de la côte ouest, comme Nantes, Lorient, La Rochelle et Bordeaux, Le Havre bâtirent leur richesse grâce aux principaux bénéfices du commerce triangulaire. Ainsi, on sait qu'entre 1738 et 1745, de Nantes, leader des ports négriers de France, 55 000 esclaves furent embarqués, dans 180 navires, pour le Nouveau Monde. De 1713 à 1775, près de 800 navires négriers partirent de Nantes. Le revenu et les taxes de la production de sucre esclavagiste devinrent une source importante du budget national français. Chaque année, plus de 600 bateaux accostèrent dans les ports de Saint-Domingue ( aujourd'hui Haïti) pour y décharger le Bois d'Ebène en contrepartie des denrées produites sur place, sucre, café, coton, indigo, cacao pour les consommateurs européens.

Avec la Révolution de 1789, de grands changements politiques s'opérèrent sur le territoire métropolitain, sauf dans les territoires d'Amérique (Haïti, Guadeloupe, Tobago) et l'île Bourbon (aujourd'hui La Réunion). La demande d'émancipation des noirs commença à Saint Domingue, où les mûlatres et métisses demandèrent les mêmes droits que les blancs. Droit qu'on leur accorda à la suite d'une joute politique entre eux et les blancs de classe des grands propriétaires terriens. Face à cela, les noirs entamèrent des révoltes sanglantes pour la reconnaissance de leur droit. Il fallut attendre le 4 Février 1794 pour que la Convention, abolisse enfin l'esclavage dans toutes les possessions françaises. Cette décision aura des conséquences politiques dans les îles à sucre. Sur une proposition des députés René Lavasseur, Delacroix et Danton, l'esclavage est aboli sur tout le territoire de la République Française. A la tribune, les représentants de Saint-Domingue, principale colonie française, sont ovationnés. La loi du 16 pluviôse an II est transgressée dès 1799 quand la traite reprendra au Sénégal. En 1802, le Premier consul Napoléon Bonaparte rétablira l'esclavage en France, ce qui aura des conséquences politiques : Saint Domingue devint indépendante après des années de guerre en 1804 tandis qu'à la Guadeloupe, Delgrès, Ignace et les soldats noirs se sacrifièrent pour leur liberté. L'esclavage fut définitivement aboli en 1848.


Pourtant cette page sombre de l'histoire française fut longtemps passée sous silence, sans doute volontairement. Au point que les hexagonaux connaissent peu leur histoire coloniale et raison pour laquelle beaucoup continuent de minimiser le rôle de la France dans ce commerce, jadis lucratif.

C'est pour cela, qu'il y a vingt-deux ans était adoptée par le Parlement, la loi n°2001-434 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et faisant de la France, le premier pays à le reconnaître l'esclavage comme étant un crime contre l'humanité. Une grande première pour l'époque.


Cette loi mémorielle prévoyait entre autre, l'insertion de ces faits historiques dans les programmes scolaires et le développement des recherches scientifiques s'y rapportant mais aussi l'institution d'une date nationale des commémorations. Des prérogatives d'ailleurs fixées à travers les articles :



Article 1 :



La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.


Article 2 :


Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.


Article 3 :


Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer.


Article 4 :


Le dernier alinéa de l’article unique de la loi no 83-550 du 30 juin 1983 relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :


« Un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales visées ci-dessus ;


« En France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large ;


« Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d’associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l’ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. La composition, les compétences et les missions de ce comité sont définies par un décret en Conseil d’Etat pris dans un délai de six mois après la publication de la loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. »


Article 5 :



A l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : « par ses statuts, de », sont insérés les mots : « défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, ».



Vingt et un après, où en sommes nous ? Vingt et un après l'adoption de la loi, la question mémorielle a vraisemblablement gagné du terrain puisque les territoires ultramarins ne sont plus les seuls à commémorer le sacrifice de celles et ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté et la fin de ce commerce odieux. Désormais sur le territoire national, des hommages sont rendus, notamment les dans les principales villes de départ des navires négriers comme par exemple à Bordeaux ou à Nantes, La Rochelle. Des lieux de mémoire et des musées ont été inaugurés dans l'Hexagone comme c'est le cas à Nantes avec le Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes ou encore le Musée d'Aquitaine qui évoque l'histoire de la ville de Bordeaux et son rôle dans la Traite Négrière et dernier lieu en date, bien que décrié, le Mémorial Acte en Guadeloupe. En outre, de plus en plus de programmes télévisés traitent du sujet de l'esclavage, la Traite négrière et du colonialisme. De plus, la question de l'esclavage est abordée dans les manuels scolaires


Malgré ces avancées, il reste encore beaucoup. Il est vrai que l'histoire de l'esclavage est abordée dans les manuels scolaires des élèves principalement du ceux du collège et du lycée mais certains s'accordent à dire que ce n'est pas suffisant. Puis, revient régulièrement l'épineuse question de la réparation qui se manifeste par un long combat judiciaire du MIR représenté par les figures de Garcin Malsa, ancien maire de Sainte- Anne à la Martinique ou encore, Luc Reinette figure majeure de la lutte pour l'indépendance de la Guadeloupe. A plusieurs reprises, les différents présidents ont balayé cette question. Ce matin encore, interrogé sur la question, qui reste épidermique, de la réparation financière de l’esclavage, le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, a estimé qu’elle n’était « pas forcément quantifiable » mais qu’elle devait se traduire dans des choix de politiques publiques « qui ne doivent pas être faits dans un esprit paternaliste mais de coopération et d’égalité ».


Réparations financières pour les uns, réparations politiques pour les autres, il est vrai que la question divise, preuve que le chemin du pardon général est loin d'être abouti.



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