Haïti plonge de plus en plus dans l'insécurité et la violence des gangs fait trembler le pouvoir en place. Des bandes armées qui volent, pillent, violent et tuent quiconque se trouvant sur leur chemin. Face à eux, une police mal équipée, mal entrainée, en sous-effectifs et corrompue. L'ONU appelle à une intervention internationale.
Haïti, pays mythique entré dans l’histoire pour avoir été le premier pays noir indépendant suite à une rébellion menée par des esclaves africains. Premier pays à avoir dit non à la “ domination blanche” et à avoir refusé l’injustice raciale. Lumière dans la pénombre de la colonisation, pendant très longtemps Haïti a fait figure d’exemple pour nombres de nations opprimées désireuses de s’émanciper de quelconque domination occidentale. Pourtant, la Première République Noire a payé le prix de sa liberté chèrement acquise aux français, aux britanniques, aux espagnols et aux Etats-Unis. Deux cent dix-huit ans après ce haut fait d’armes, l’ancien pays précurseur de la liberté des peuples noirs esclavagisés n’est plus que l’ombre de lui-même. Depuis la fin du régime autoritaire des Duvaliers père et fils, François et Jean-Claude, la nation haïtienne lutte constamment pour sa survie.
Entre les cyclones destructeurs et les tremblements de terre meurtriers comme celui de 2010 de magnitude 7,0 à 7,3 dont le bilan est de deux cent quatre-vingt mille morts, trois cent mille blessés et 1,3 millions de sans-abris. Depuis cet événement tragique, le pays caribéen peine à se relever. Pire, il s’enfonce dans une crise sociétale sans précédent.
En effet, l’autre grand problème de la première république noire est bien entendu le mal développement. Pourtant le pays regorge de potentiels. A ce jour, le revenu d’un haïtien issu de la classe populaire est estimé à 3$ par jour. Cette pauvreté est accentuée par une économie en berne voire paralysée suivie d’une inflation galopante. Basée sur des données de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique ( IHSI) ( Inflation - Haiti Economie ) le taux d’inflation en Haïti est passé de 24,60% en novembre 2021 à 24,70% en décembre 2021. Tandis qu’en juillet 2022, l’inflation est établie à 30,5%. Ce qui a pour conséquences un accroissement des grandes difficultés pour les ménages haïtiens, déjà touchés par la précarité et le chômage endémiques. Disons-le clairement, l’économie haïtienne est en panne.
Autre difficulté rencontrée par les Haïtiens, le prix des carburants. Evalué il y a peu à 250 gourdes soit 2$ le gallon. Un prix astronomique pour un pays dont on connait les difficultés économiques quotidiennes d’une population qui peine à se nourrir correctement. La situation s’est même aggravée puisque le gouvernement a pris la décision de ne plus subventionner le carburant et même de l’augmenter de 128%, le faisant passer à 4$ le gallon. Une décision prise sous conseil du FMI (Fond Monétaire International) mais jugée inacceptable pour la classe populaire haïtienne obligée de recourir au système D. Une image revient souvent, celle de ces stations-services prises d’assaut par ces foules d’haïtiens, à moto, à pied, en voiture à attendre sous le soleil de longues heures que les stations-services n’ouvrent. Une image devenue malheureusement récurrente, signe visible de cette grave crise économique que traverse la nation caribéenne. Résultat, Haïti est régulièrement secouée par des manifestations d’ampleur qui virent souvent à l’émeute durement réprimée par les forces de police de la PNH (Police Nationale Haïtienne).
L’autre calamité d’Haïti est bien évidemment l’instabilité politique. Depuis son indépendance, la République caribéenne a connu de nombreuses tentatives de déstabilisation politique, des coups d’état sanglants ainsi que des renversements de régimes, même les plus démocratiques. Nous pouvons même parler d’un vrai fléau pour son développement. Comme la note sur le site Exemplaire, l’auteur Eric Sauray, avocat et auteur en 2006 de “ Haïti, une démocratie en perdition “ Depuis son indépendance, obtenue en 1804 après plus de dix ans de guerre contre l’armée française, Haïti n’a que rarement connu la sérénité. Dès 1806, le tout premier chef de l’Etat haïtien, l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, est assassiné, ouvrant la voie à une guerre civile de treize années.” Les origines de ces troubles politiques sont nombreuses. Elles proviennent soit de l’intérieur même du pays, à savoir, la haute classe bourgeoise mulâtre, blanche ou syro-libanais à la tête d’industrie et de grandes fortunes, soit de l’étranger, notamment, les Etats-Unis qui ne se sont jamais cachés pour intervenir militairement chez leur voisin caribéen. Entre 1915 et 1934, Haïti a même été occupée par l’armée américaine. Une occupation restée dans les mémoires pour sa violence. Plus récemment, en 1991, Jean-Bertrand Aristide, tout premier Président démocratiquement élu dans l’Histoire d’Haïti est renversé par un Coup d’Etat, là aussi, soutenu par le gouvernement des Etats-Unis via la puissante CIA. Encore plus récemment, l’histoire s’est une nouvelle fois écrite dans le sang avec l’assassinat le 7 juillet 2021 du président Jovenel Moïse. A ce stade nul ne peut dire et si un jour on connaîtra le ou les commanditaires et les raisons de ce nouvel attentat contre la jeune démocratie haïtienne.
Le constat est là, la plus longue période de stabilité qu’a connu la république haïtienne est le fait de la dictature des Duvaliers qui ont régné sans partage sur l’ancienne “ Perle des Antilles” de 1957 à 1986 : à sa mort en 1971, le père, François Duvalier, transmet le pouvoir à son fils Jean-Claude, ainsi que le contrôle d’une milice redoutable, les Tontons Macoutes qui ont, le temps du règne du père et du fils, terrorisé la population. Une dictature, là aussi, soutenue par les Etats-Unis, alors engagé dans une lutte d’influence à travers le monde, avec le grand rival soviétique. Certains aiment à dire qu’Haïti est une colonie des Etats-Unis. Une colonie qui ne dit pas son nom.
Entre pauvreté grandissante, économie entravée, instabilité et violence politique, l’autre affliction d’Haïti est bien entendu la violence orchestrée par les gangs qui se disputent le territoire de Port-au-Prince. Le pays francophone des Grandes Antilles connaît depuis environ une décennie une situation d’insécurité grandissante et alarmante.
Des bandes armées qui tuent, volent, pillent et violent en toute impunité.
Vingt-cinq ans après le retour de la démocratie. Douze ans après le terrible tremblement de terre de 2010, Haïti semble plonger de plus en plus dans le chaos. Pauvreté extrême, violence, kidnapping et guerre des gang sont le lot quotidien des Haïtiens. Mais il en va sans dire que, depuis la mort du président Jovenel Moïse tué par un commando armé, la situation déjà très difficile, est devenue incontrôlable. Les forces de la PNH (Police Nationale Haïtienne) peinent à endiguer le problème des 162 gangs et leurs 3000 membres actifs. Deux grosses organisations criminelles se démarquent de leurs rivaux pour leur extrème brutalité, le G9 Fanmi e Alyé dirigé par un ancien policier répondant au nom de Jimmy Cherizier alias Babekyou ( Barbecue) surnom qui lui vient du fait qu’il brule ses victimes alors qu’elles sont encore en vie. L’autre gang, tout aussi violent, c’est le 400 Mawozos qui contrôle la route principale menant de l’aéroport. Face à eux, il y a d'autres gangs, avec des noms évocateurs qui font froid dans le dos : " Nan Chabon", " 5 secondes" etc Dans leur guerre de territoire, ils sèment la mort et le chaos. Cela donne à la population un sentiment d'abandon de la part des autorités.
Toutefois, la question des gangs en Haïti est loin d'être une problématique d'aujourd'hui, comme le relatait Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l'Université d’État d’Haïti (UEH) sur RFI, la mainmise des gangs dans les affaires quotidiennes haïtiennes est : " le produit de la convergence de l'hégémonie de la grande criminalité dans les sphères étatiques et de la prolifération des gangs dans les quartiers populaires. Les gangs ont émergé sur la scène sociale haïtienne au milieu des années 1990. Au départ, on n’avait pas affaire à la grande criminalité. Des politiques, sinon des politiciens, mobilisaient de petits voyous issus des couches populaires urbaines. Cela a commencé avec les militaires : le Conseil national de gouvernement (CNG) et les autres gouvernements militaires qui se sont succédé dans la foulée de la chute des régimes des Duvalier en 1986. Les militaires recrutaient ces voyous comme supplétifs des forces de police et des services de renseignement. Pendant la période du coup d'État militaire, entre 1991 et 1994, les Forces armées d'Haïti avaient même constitué avec ces voyous une sorte de milice, le Front révolutionnaire armé pour le progrès d'Haïti (FRAPH), assez proche des groupes paramilitaires d'Amérique latine (comme les escadrons de la mort du Salvador, par exemple). Mais la répression féroce orchestrée par les militaires haïtiens, qui visait principalement des militants politiques, n'avait pas l’ampleur de celle de leurs frères d’armes des Amériques. "
Même lorsque Haïti a emprunté la voie de la démocratie, au début des années 1990, les hommes politiques issus de la myriade de partis politiques créés dans l'euphorie démocratique et qui se disputent le pouvoir, continuent d'utiliser les gangs à des fins personnelles. C'est d'ailleurs ce que relate, Jhon Byron dans son interview : " Pour tous ces politiques au pouvoir, ces bandes de voyous étaient une sorte d’extension de leurs organes de répression qui leur permettaient de réduire l’ampleur des mouvements de contestation. Elles étaient aussi mobilisées en contexte électoral, particulièrement pour empêcher le gros de la population de certains quartiers de se rendre dans les bureaux de vote"...
D'autre part, ces mêmes hommes politiques, une fois passés dans l'opposition ont recours aux services des gangs pour combattre le pouvoir, mais là encore, ils ont échoué à maîtriser les chefs de ces milices. Contrairement aux régimes dictatoriaux, les politiciens de la nouvelle ère démocratique, ne sont pas parvenus à les convertir en forces paramilitaires. Disons-le clairement, ils ne les contrôlent plus car, ces bandes de jeunes armés ont accru leur force grâce au trafic de cocaïne faisant d'Haïti le principal pays de passage de la substance illicite vers les Etats-Unis et le Canada. De forts liens entre les différents cartels sud-américains et les gangs haïtiens existent depuis deux décennies.
Hors de contrôle, les gangs sont donc partis à la conquête de zones pour assoir leur autorité sur les populations en utilisant la terreur, le vol, le viol, le kidnapping le meurtre. Loin de s'attaquer aux couches sociales les plus basses, les gangs s'emprennent à tout le monde, riches, pauvres, personnalités publiques nationales, hommes politiques, noirs, blancs, mulâtres, hommes, femmes, enfants, vieillards, plus personne n'est à l'abri de leurs méfaits.
Ainsi, la lutte pour le contrôle des territoires a des accents de guerre civile qui ne dit pas son nom. Longtemps cantonnés dans les zones très défavorisées du bord de mer de Port-au-Prince, les groupes armés ont grandement accru leur emprise à travers la ville et certains gagnent même l’intérieur du pays depuis l'automne 2020. Multipliant assassinats et enlèvements crapuleux. Ils n'ont pas de peine à recruter massivement parmi les jeunes chômeurs des quartiers défavorisés des villes et communes de la partie francophone d’Hispaniola.
D'ailleurs comme le note dans son rapport, Maria Isabel Salvador, nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, « La violence des gangs se développe à un rythme alarmant dans des zones auparavant considérées comme relativement sûres à Port-au-Prince et en dehors de la capitale. L'horrible violence dans les zones infestées de gangs, y compris la violence sexuelle, en particulier contre les femmes et les filles, est emblématique de la terreur qui afflige une grande partie de la population haïtienne ».
Selon les données recueillies par la Police nationale d'Haïti et par le BINUH ( Bureau intégré des Nations Unies en Haïti ), au cours du premier trimestre 2022, 692 incidents criminels - définis comme des homicides, des viols, des enlèvements et des lynchages - ont été signalés. Au cours de la même période en 2023, le nombre d'incidents criminels enregistrés a plus que doublé pour atteindre 1.647. Le mois dernier a montré les taux d'incidents les plus élevés depuis 2005.
Selon l’ONU, le nombre d’homicides signalés a augmenté de 21%, soit 815 homicides entre le 1er janvier et le 31 mars 2023, contre 673 au cours du dernier trimestre de 2022. Le département de l’Ouest en comptabilise 80 % à lui seul.
Par ailleurs, 637 enlèvements ont été enregistrés au cours du premier trimestre de 2023, contre 391 au cours des trois derniers mois de 2022. Ce qui représente une augmentation de 63 %.
Face à eux, une police mal équipée, mal entrainée, en sous-effectifs et corrompue. A ce sujet, la représentante de l'ONU a observé que la Police nationale d'Haïti est en sous-effectif et mal équipée pour lutter contre la violence et la criminalité. À peine 3.500 policiers sont en service de sécurité publique à tout moment, dans tout le pays. Entre-temps, le recrutement de nouveaux policiers a été interrompu en raison de la détérioration des contraintes sécuritaires et logistiques.
Pour elle, « La police nationale a réussi à monter des opérations antigangs efficaces, mais la préservation de ces gains de sécurité n'est que momentanée. On ne saurait trop insister sur la nécessité d'un soutien international urgent à la police pour faire face à la détérioration rapide de la situation sécuritaire »
Une insécurité grandissante qui repose surtout l'instabilité politique qui s'est accrue avec l'assassinat du dernier président élu au suffrage universel, Jovenel Moïse.
Une autre arme, est utilisée par les groupes armés. Une arme silencieuse mais tout aussi destructrice, le viol. Maria Isabel Salvador a souligné que les personnes vivant dans des zones contrôlées par des gangs « sont exposées au taux le plus élevé d'atteintes aux droits humains ». Des entretiens menés par le BINUH indiquent que les gangs continuent d'utiliser la violence sexuelle, y compris le viol à plusieurs auteurs, pour terroriser et infliger des souffrances aux populations vivant dans les zones sous le contrôle de leurs rivaux. D'autres formes de violence sexuelle, telles que l'exploitation sexuelle, ont également été signalées comme étant utilisées par des gangs contre des femmes et des filles vivant dans des communautés sous leur influence.
Mis à part les femmes et les jeunes femmes, les enfants sont parmi les premières victimes des crimes les plus odieux, notamment les meurtres, les enlèvements et les viols. « Au cours des trois derniers mois, des écoliers ont été touchés par des balles alors qu'ils étaient assis dans leurs salles de classe et enlevés alors qu'ils étaient déposés à l'école. En outre, de nombreuses écoles ont fermé à la fin de l'année dernière en raison de la violence et de l'extorsion par les gangs. Malgré la plupart des réouvertures au début de 2023, de nombreux enfants ne sont pas retournés en classe en raison de violences à proximité de l'école ou dans leur quartier, ou de l'incapacité de leurs familles à payer les frais de scolarité »,selon le rapport de madame Salvador.
Toujours selon le rapport de l'ONU, en Haïti, près de la moitié de la population soit 5,2 millions de personnes, a besoin d'aide humanitaire. Le nombre de déplacements internes a augmenté de 50% dans la commune de Port-au-Prince par rapport à novembre 2022. Environ 39.000 cas suspects de choléra ont été signalés depuis la réapparition de l'épidémie en octobre dernier. « Les Nations Unies et ses partenaires humanitaires restent sur le terrain et fournissent des services essentiels », a insisté l’envoyée de l’ONU.
Laissée à l'abandon par les pouvoirs publics, fragilisée par l'extrême pauvreté et grande victime des gangs et de leur violence arbitraire, la société civile haïtienne a décidé de se faire justice elle-même. Il suffit d'un simple soupçon pour qu'un individu ou un groupe d'individus soient la (les) victime(s) d'un lynchage, comme ce fut le cas ces derniers jours où treize membres de gangs supposés ont été lapidés puis brûlés vifs par la population.
Pour Maria Isabel Salvador, « le déploiement, autorisé par le Conseil de sécurité, d'une force internationale spécialisée » pour aider la Police nationale d'Haïti à lutter contre l'augmentation de la violence des gangs armés est urgent car le temps presse et les gangs continuent de tuer.
Comments