Gilbert Pincemail, le journaliste qui avait les yeux plus gros que le ventre. L'enquête de Blast.
- ELMS
- 6 juin 2023
- 9 min de lecture
Il a été l'un des journalistes les plus populaires en Guadeloupe. Le journaliste était une véritable star locale mais surtout un homme de réseau, proche de la classe politique passée comme présente, le professionnel qu'il a été, a pourtant eu à affaire à la justice et pas qu'une fois. L'ami Gilbert a eu les yeux plus gros que le ventre.

Si un nom est une référence dans le monde médiatique guadeloupéen c'est bien celui de Gilbert Pincemail. Sa longue carrière en radio a fait de lui, l'un des journalistes les plus suivi et aimé du public.
Il faut dire que sa voix retenait les auditeurs guadeloupéens et certains lui vouaient un amour sans faille. Ses interventions radiophoniques rassemblaient des milliers d'auditeurs et dans la rue, on l'arrêtait pour le saluer. Disons-le, le journaliste est une véritable star locale mais surtout un homme de réseau, proche de la classe politique passée comme présente, le professionnel qu'il a été, a pourtant eu à affaire avec la justice et pas qu'une fois.
Comme le déclame Jean De la Fontaine dans sa célèbre fable " La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf"
Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
- Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point. » La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Pour que vous compreniez, disons-le, Gilbert Pincemail a eu les yeux plus gros que le ventre et il en paye les conséquences.
Plus qu'un journaliste, l'homme est surtout un « spécialiste du décryptage de la vie politique guadeloupéenne». Une spécialisation qui lui a permis en parallèle de devenir un homme de réseau avec des liens politiques très profonds avec la classe politique locale, qu'elle soit du Parti Socialiste que du GUSR. Ses liens étroits ont commencé lorsqu'il fut attaché parlementaire de Frédéric JALTON puis lorsqu'il est devenu journaliste ( toujours politique) à VDC, RCI, 7 MAG et en enfin Guadeloupe la 1ère la radio.
De plus ses liens sont si profonds qu'il s'est même mis en couple avec une femme politique, une certaine Maguy Céligny qui siège à la région et qui a beaucoup fait parler d'elle dans plusieurs affaires judiciaires qui ont émaillé l'actualité politique de l'archipel français des Caraïbes. Des affaires pour lesquelles elle a été condamnée à plusieurs reprises et pour chacune d'entre elles, son conjoint de journaliste jouait lui aussi un rôle.
Citons en 2013 où Gilbert Pincemail avait fait de la garde à vue aux côtés de sa compagne et de deux autres personnes que sont Jean-Marc Solvar directeur de cabinet de l'ancien maire de Pointe-à-Pitre Jacques Bangou et d'un entrepreneur répondant au nom d'Antoine Sahaï dans une affaire de détournements de fonds au coeur de l'ancienne équipe municipale. Tout ce beau monde avait été entendu par les enquêteurs pendant 12h pour Maguy Céligny, 24h pour Sahaï et 48h pour le journaliste et l'ancien directeur de cabinet de la ville. A travers ces auditions, les enquêteurs cherchaient à comprendre comment fonctionnait un système triangulaire qui aurait servi à détourner des fonds.
Jean-Marc Solvar aurait bénéficié de sommes versées par la commune de Pointe-à-Pitre sur un compte de la société de communication que gère Maguy Céligny pour la livraison de matériaux de construction fournis par la société d'Antoine Sahaï. Des perquisitions avaient également été menées aux domiciles des quatre personnes inquiétées.
Par la suite, un an après, soit en 2014, Gilbert Pincemail et Jean-Marc Solvar avait été convoqué au Tribunal de Pointe-à-Pitre pour cette sordide affaire de trafic d'influence, détournement de fonds. ( source : France Antilles )
En 2018, avec sa compagne Maguy Céligny alors vice-présidente du Conseil régional de la Guadeloupe, et de la communauté d’agglomération CAP EXCELLENCE, le journaliste avait rendez-vous au Tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre, pour des abus de biens sociaux entre 2008 et 2012, à savoir des dépenses personnelles avec les comptes de la société Vigilan’s. Une condamnation qui fait suite aux investigations des enquêteurs de la DIPJ qui avaient noté des versements et retraits suspects sur ce compte d’entreprise, un système de vases communicants avec d’autres sociétés toujours gérées par Madame Céligny qui avait expliqué que c’était pour payer les salariés. Mais quand ils ont poussé leurs recherches, les policiers ont découvert que des virements pour ses enfants à Marseille avaient été réalisés. Lors de ces perquisitions, une quarantaine de sacs à main de luxe ont été saisis au domicile de la conseillère municipale. Des "cadeaux de proches" avait-t-elle répondu. Autre élément jugé intéressant par les enquêteurs et le juge, l’obtention d’un document fiscal sans doute délivré par une connaissance ou un proche travaillant aux impôts. Au final, le couple avait été condamné par les juges à 1 an de prison avec sursis et 50.000€ d’amende pour Maguy Céligny et à 9 mois avec sursis 30.000€ pour Gilbert Pincemail alors qu’était requis, une simple peine d’amende pour lui. De plus, tous deux avaient une interdiction de gérer une entreprise pendant une période de 5 ans. ( source : RCI )
L'année suivante, en 2019, le nom de l'homme de presse ressurgit dans l'une des plus grosses affaires politico-financières de l'histoire politique des îles de Guadeloupe. Le bien nommé " Scandale de l'eau " qui jusqu'à présent continue de faire couler beaucoup d'encre. Le journaliste est à nouveau dossier judiciaire que nous avions suivi. Il a été clairement identifié comme l’un des bénéficiaires du système monté par feu Amélius Hernandez, l’ancien tout puissant du grand syndicat d’eau et d’assainissement, le SIAEAG et qui était naguère aussi président du parti politique GUSR qui comme on vous le disait, a soutenu Ary Chalus en 2015. S’il n’a pas eu à comparaître lors du procès, sa compagne elle était assise sur le banc des accusés. Rappelons que des déplacements d’élus sans rapport avec l’objet social du SIAEAG (notamment pour le congrès des maires dans l’Hexagone) ont été effectués.. D'autre part, l'enquête avait révélé qu' Amélius Hernandez comparaissait également pour non respect du Code des marchés publics, pour l’attribution de certains marchés à des agences de communication et d'événementiel. La liberté d'accès à ces marchés n'aurait pas été respectée pour plusieurs lots et quatre entrepreneurs proches du président du SIAEG en avaient bénéficié. Leur noms : Maguy Céligny (par ailleurs vice-présidente de la Région), Francine Chammougon, Joël Compper et Eulalie Fiston. Les sommes de ces marchés étaient conséquentes : 654 000 euros pour l'un, 578 000 pour l'autre ou encore 623 000 et 578 000 euros pour les dernières.
Au cours de l'audience, nous avions appris également que la structure avait payé des voyages personnels vers des destinations étrangères, d’élus ou de salariés sans justificatifs.
Malgré autant de noms de bénéficiaires, la justice ne condamnera finalement que l’ex-président du syndicat intercommunal. Disons que le défunt président du SIAEAG a servi de bouc-émissaire à une grande partie de la classe politique qui a mangé dans l'argent de l'eau des guadeloupéens dont une majorité vivent avec les tours d'eau. Quant au SIAEG il a été dissout et remplacé par une nouvelle structure.
Face à autant de condamnations judiciaires ou de citations, on aurait pu croire que l'homme se serait calmé. Au contraire !
Dans leur série d'articles sur la corruption au cœur de l'équipe régionale actuelle dirigée par Ary Chalusle site d'information BLAST évoque dans un article daté du 2 mars 2023, la part d'ombre du journaliste Gilbert Pincemail qui n'a jamais caché sa proximité avec le président de la Région qui risque l' inégibilité du fait de ses comptes de campagnes de 2015. Pour rappel, la justice reproche au président du conseil régional un gros dépassement de ses frais de campagne lors des élections qui l’ont fait roi de Guadeloupe en 2015, le plafond était alors fixé à 168 833 euros.
Toutefois comme le relate encore une fois BLAST, parmi les personnes qui auraient perçu de l'argent durant les régionales de 2015 le nom d'un journaliste très connu en Guadeloupe est revenu. L'homme de média aurait perçu la somme de 21 989€ payé en trois chèques. Il est clairement identifié parmi les personnes ou entreprises qui auraient bénéficié des largesses du président du conseil régional, somme perçue pour son expertise lors de l'élection de 2015 . Pourtant, il couvrait la campagne sur l'anterre de Guadeloupe 1ère.
Ainsi , une nouvelle affaire judiciaire Gilbert Pincemail a été mise au grand jour.

Il s'agit clairement d'un conflit d'intérêt au cœur même de la machine médiatique de France Télévision en Guadeloupe car comment peut-on être journaliste et communicant politique percevoir donc un salaire de journaliste tout en recevant des sommes d'argent de la part d'un candidat politique en lisse pour des élections régionales ? Il n'y a sans doute qu'en Guadeloupe que l'on peut voir cela.
Conflit d'intérêt et manque de neutralité journalistique sont les mots puisque comme le relate Blast : " Lors de la campagne des régionales de 2015, le comportement de Gilbert Pincemail à l’antenne avait provoqué un certain émoi, en particulier dans l’entourage de Victorin Lurel, le président socialiste sortant qui sera finalement battu. Le journaliste de Guadeloupe La 1ère, qui couvrait cette élection, avait donné le sentiment de prendre fait et cause en faveur de son opposant Ary Chalus, soutenu par le parti autonomiste GUSR..."
Dans l'article on apprend, bien des années avant, soit en 2004, le journaliste politique avait approché l'équipe de Victorin Lurel qui était opposé à une certaine Lucette Michaux Chevry, aujourd'hui décédée.
Certains d'entre vous, pourraient penser à une vengeance personnelle mais c'est même plus grave vu qu'il y a eu des transactions financières occultes entre le candidat Ary Chalus, tête de liste de « Changer l’avenir » et le journaliste phare de Guadeloupe 1ère la radio. Une situation embarrassante pour le groupe médiatique d'Etat auquel appartient Guadeloupe la 1ère. D'autant plus que, selon les bruits de couloir, à prendre au conditionnel donc, l'homme aurait bénéficié d'avantages en nature comme des facilités d'acquisition de terrains ( à investiguer pour les plus téméraires donc).
Ainsi, la question qui se pose est celle de savoir si un journaliste du service public peut durant une campagne électorale réaliser des « collaborations extérieures » ? Question restée en suspend vu que comme le dévoile Blast : Alexandre Kara, le directeur de l’information du groupe public à Paris, n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ces surprenantes atteintes aux principes éthiques les plus élémentaires. Un refus que le porte-parole de France Télévisions justifie en expliquant que Guadeloupe La 1ere « n’est pas dans [son] périmètre ». De son côté, le Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire à France Télévisions, n’a pas donné suite à notre demande de réaction.
La décision d'exclure le journaliste guadeloupéen de la première chaîne locale n'a pas tardé. En effet, il a été tout simplement licencié par la directrice nationale.
La désormais “Affaire Pincemail” déclenche une crise sans précédent dans le service public régional, en raison du motif invoqué à travers nos lignes que le 11 avril dernier, l'ensemble de la rédaction, à l’appel du syndicat SNJ, fait bloc derrière son confrère et annonce un mouvement de grève pour protester contre son licenciement. Grève peu suivie qui n'a duré qu'une matinée au final.

Comme le révèle notre confrère de bigidi.tv : il y a quelques semaines, le journaliste a été convoqué devant le Conseil de discipline de France Télévisions. Il a reconnu ne pas avoir mesuré l’importance de ses agissements durant toutes ces années. L'homme qui n'est plus journaliste aurait bénéficié d'une clémence de la direction nationale puisque le licenciement pour faute lourde a été requalifié en faute "simple". Ce qui aurait donné lieu à une négociation de départ car, comme le rappelle le site, en cas de faute lourde : pas de négociations et indemnités minimales.
Néanmoins, Gilbert Pincemail ne serait pas le seul à avoir louer ses services à la classe politique locale. Si bien que la direction nationale de France Télévision aurait réclamé un audit sur le respect des règles éthiques et déontologiques au sein de la rédaction de Guadeloupe La 1ère.
S'il s'avèrerait que des « collaborations extérieures » existent au sein de Guadeloupe La 1ère, c'est toute la direction locale qui devra être nettoyée parce que, ces collaborations extérieures nécessitent en amont un avis de la Direction du média et s’accompagnent d’un congé sabbatique pour la période considérée…Quand on sait que d'autres journalistes locaux eux aussi spécialistes politiques ont soit participé à des élections entant que candidats ou soit ils ont conseillé des hommes politiques locaux sans vraiment prendre de pause dans leur carrière médiatique, il y a un PROBLEME !
Nous nous sommes procurés les documents relatifs à l’avis d’audience à victime délivré par le procureur de la République de Basse Terre le 13 janvier 2023, dans le cadre de l’affaire Chalus.. Ce sont des documents Blast :
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