Face au cancer du sein : l'art est sa thérapie. Le message d'Anaïs Verspan
- ELMS
- 30 oct. 2022
- 17 min de lecture
Artiste multimodale, sensationnelle et engagée, Anaïs Verspan est une référence dans le milieu artistique guadeloupéen voire même plus largement dans les milieux artistiques antillo-guyanais et français. , Anaïs Verspan fait partie de cette nouvelle génération d'ambassadeurs de l'art guadeloupéen. Pourtant en 2016, alors qu'elle allaite sa fille en bas-âge, on lui détecte un cancer du sein très avancé. L'annonce de la maladie, les traitements, les mastectomies, ont modifié son quotidien de mère de famille mais surtout de femme. L'art a été son remède, sa thérapie. Toutes ces expériences lui ont fait prendre conscience que la chose la plus importante, c'est la vie. Elle nous en parle.

Le mois d’octobre est un mois particulier, tant pour les saisons qui changent que pour les célébrations qui y sont faites. En effet, on passe de la période estivale, sèche à une période plus grisonnante, plus pluvieuse et plus froide. On dit aurevoir à notre short de bain et notre bikini achetés dans nos boutiques favorites situées dans les plus beaux centres commerciaux de nos régions ou pour les plus connectés d’entre nous, sur les sites de e-commerce tel que Shein, Bananamoon, Mademoizellebikini ou Milanoo. Non, il n’y a aucun partenariat sponsorisé avec ces entreprises en ligne.
Ainsi, en octobre, nous disons aurevoir aux coups de soleil, aux moments de farniente au bord des plages paradisiaques de nos îles pour accueillir les cyclones, les tempêtes, les longues journées de pluie. Vous l’aurez compris octobre signe le retour de l‘hivernage ou de l’automne pour celles et ceux d‘entre nous qui résident dans un pays tempéré. Quoique cette année, l’hiver semble faire son timide à moins que ça soit l’été qui refuse de tirer sa révérence. Les écologistes diront : réchauffement climatique, l’être humain est le seul responsable. Mention spéciale à Greta Thunberg.
Toutefois, soyons bien clairs. Cet article n’a pas pour vocation de parler de météo ou de vacances au soleil. Nous ne sommes pas un site de voyage. Il s’agissait simplement d’une introduction. A travers ces lignes, nous allons aborder un sujet de société. De santé publique, même : le cancer du sein. Cet article tombe à point nommé puisque, nous sommes en octobre. Qui dit mois octobre dit : Octobre rose. C’est le mois de la prévention autour de ce cancer qui touche en général les femmes mais, messieurs, vous êtes aussi concernés.
Depuis 1992, du 1er au 31 octobre, une campagne d’information et de dépistage contre le cancer du sein se déroule dans le Monde entier. Soit un mois de campagne de sensibilisation. Pour y parvenir, les membres des associations régionales, nationales vont la rencontre des citoyens. Les actions menées sont diverses et variées, il y a des spots publicitaires, des activités ludiques comme un marathon. C’est principalement par des actions de terrain que l’information est véhiculée auprès d’un public hétérogène, tels que des salariés,(és), des personnes demandeuses d’emploi, des écoliers, des lycéens et des étudiants car, il n’y a pas d’âge pour avoir un cancer. L’idée est de lutter contre la maladie. Depuis vingt-neuf ans, ces actions sont également menées en France. Cette mission d’information se fait principalement par le dialogue.
La France fait même partie des pays où l’incidence du cancer du sein est très élevée sur un plan mondial. Selon Santé Publique France, le cancer du sein est l’un des cancers les plus fréquents au niveau national. Une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie. Il représente un tiers de l’ensemble des nouveaux cas chez la femme et c’est la première cause de décès par cancer toujours chez la femme. Point positif, la mortalité (taux standardisé) est en baisse depuis les années 1990 alors que l’incidence est en augmentation. Une augmentation liée à des dépistages plus récurrents.
En effet en 2015, 54 062 personnes dont une grande majorité de femmes ont été diagnostiquées avec le cancer du sein. Près de 80% des cancers du sein se développent après 50 ans. Des chiffres nuancés car, en augmentation, puisque selon la Fondation de la Recherche Médicale, en 2017, près de 60 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en France. Si cette maladie est encore responsable de 12 000 décès cette même année, le taux de mortalité qui y est associé a diminué en 15 ans. Cette amélioration s’explique par un meilleur dépistage mais également par le développement de thérapies toujours plus efficaces. Actuellement, plus de 87 % des patientes sont en vie, 5 ans après le diagnostic.
Le site national de la santé publique évoque plusieurs facteurs de risque parmi lesquels, nous retrouvons le tabagisme et l’alcool mais c’est à nuancer car, toutes les personnes ayant été diagnostiquées du cancer du sein, ne sont pas toutes des fumeuses ou des buveuses régulières. D’autres critères entrent en jeu, comme l’âge, la prédisposition génétique, un antécédent personnel de pathologie mammaire ou un antécédent personnel d’irradiation thoracique médicale à forte dose. D’autres facteurs de risque sont suspectés parmi lesquels on retrouve des expositions hormonales endogènes (allaitement, surpoids ou obésité, âge à la puberté, âge à la première grossesse) et exogènes (traitement hormonal de la ménopause.)
Les territoires ultramarins sont également concernés voire même plus encore que les territoires hexagonaux. En effet, à la Réunion, 300 nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués chaque année. Une pathologie qui est la première cause de décès par cancer sur l’île. D’où l’importance du dépistage. Entre 2012 et 2014, le cancer du sein est le deuxième type de cancer le plus pris en charge dans les établissements de La Réunion après les cancers digestifs.12 156 hospitalisations et séances de chimiothérapie ont été réalisées à La Réunion dans le cadre du cancer du sein pour la période. Pour les femmes réunionnaises, le décès par cancer du sein est la cause de décès par cancer la plus fréquente (14,8 % des décès par cancers féminins).
En Guyane, on détecte "456 nouveaux cas de cancer par an (toutes localisations cancéreuses confondues) dont 54% chez l’homme. Le cancer du sein représente 26% des cancers détectés chez les guyanaises. Chez les femmes, le décès par cancer occupe la deuxième place derrière les "maladies de l’appareil circulatoire" (20,6 %).
A la Martinique, chaque année, 1.583 nouveaux cas de cancer en tout genre sont détectés, dont 61% chez l’homme. Evidemment chez la femme, le cancer le plus fréquent est le cancer du sein qui représente 33 % des cas.
En Guadeloupe, chaque année, 1.528 nouveaux cas de cancer en tout genre sont diagnostiqués, dont 62% chez l’homme. Chez la femme, le cancer le plus fréquent est le cancer du sein (37 %). Environ 194 cas de cancer du sein sont détectés chaque année en Guadeloupe.
Parmi tous ces cas, un, nous a particulièrement touché. C’est celui du jeune femme, une artiste multimodale, artiste visuelle, artiste sensationnelle et engagée, Anaïs Verspan est une référence dans le milieu artistique guadeloupéen voire même plus largement dans les milieux artistiques antillo-guyanais et français. Elle fait partie de cette nouvelle génération d'ambassadeurs de l'art guadeloupéen.
Une carrière commencée en 2009 avec la première exposition de ses premières toiles au Carrefour des Arts du Gosier. Puis, l’année suivante, elle enchaîne avec sa première exposition “ solo”: Bigidiplakata à la galerie Imagin’art de Sainte-Rose. Dès lors, la machine Verspan est lancée. Depuis, l’artiste guadeloupéenne a à son actif plusieurs expositions en solo ou collectivement, tant au niveau local, régional, national et même international ( Guadeloupe, Martinique, Sénégal, Allemagne, Monaco, Portugal etc). Artiste dans l’âme, au talent indégnable, Anaïs Verspan est aussi une mère de famille heureuse.
Pourtant en 2016, alors qu'elle allaite sa fille en bas-âge, on lui détecte un cancer du sein très avancé. L'annonce de la maladie, les traitements, les mastectomies, ont modifié son quotidien de mère de famille mais surtout de femme. L'art a été son remède, sa thérapie. Toutes ces expériences lui ont fait prendre conscience que la chose la plus importante, c'est la vie. Elle nous en parle.
The Link Fwi : Bonjour Anaïs Verspan, bienvenue sur The Link Fwi, mercie de nous recevoir chez toi, dans ton atelier. C’est donc ici que naissent tes idées et tes réalisations. Que représentent ce lieu pour toi ?
Anaïs Verspan : Bonjour, c’est moi qui vous remercie. Pour répondre à la question, que représente mon atelier ? C’est un tout. C’est la première fois que j’ai un atelier. Cet espace qui m’appartient que je nomme mon laboratoire, car il est en mutation tout le temps. Il est un atelier quand je suis en création. Il est un laboratoire lorsque je teste des nouveautés. Parfois, il est aussi une mini galerie. Je reçois, comme en ce moment où je vous reçois pour cette interview. C’est l’espace que j’aimerais avoir comme galerie.
TLFWI : Avant tout, qui est Anaïs Verspan ? Peux-tu te présenter à ceux qui nous regardent ?
Anaïs Verspan : Comment me présenter et être juste en même temps ? Bonne question. (rires). Je suis une artiste visuelle. Je suis une Guadeloupéenne. Je le suis, je le vis et en même temps, je l’examine. Je trouve que la Guadeloupe est une matière brute pour tous les artistes. J’ai une vision anthropologique du pays. C’est difficile de se dire qui “ suis-je ? “ Cependant, je pense que lorsque les gens sont en contact de mes œuvres, ils ont un bout de moi. Venez à la rencontre de mon art et vous verrez qui je suis (rires).
The Link Fwi : Comment définirais-tu ton art ? Et comment te définirais-tu artistiquement ?
Anaïs Verspan : Alors tout d’abord, je voue un amour profond à la peinture. On va dire que c’est mon premier vocabulaire. J’aime le travail de la couleur, de matière, d’une organisation d’une écriture plastique. Après je me nourris beaucoup de vidéos, de photos et d’installations et de plus en plus, mon art se mêle à d’autres médiums tellement que maintenant en tant que directrice artistique pour d’autres artistes pour un nouveau produit ou même l’ouverture d’un lieu. J’aime ce travail de discrétion et en même temps de garde-fou de notre tradition qui voit l’universalité à travers ce que nous sommes : des caribéens, des afro-descendants, des Guadeloupéens.
TLFWI : Justement, quel fût le déclic pour toi et de vivre de ton art ?
Anaïs Verspan : Alors, il y a plusieurs déclics. Premièrement, il y a eu mes parents. Ils vous vous dire que dès ma naissance, ils avaient pressenti que je deviendrais artiste. Me concernant, ce fut un long parcours. Un parcours classique en art. C’est vrai que j’ai cette chance d’avoir des parents qui sont amoureux et aussi faiseurs de culture. J’ai donc eu cette première ouverture. Je pense que même avant de pouvoir m’exprimer oralement, je le faisais en crayonnant. Ils ont beaucoup poussé à cette expression. Pour mon parcours scolaire, comme je le disais, il était très classique. J’ai eu un BAC Littéraire option art. Après, je suis partis à la Martinique à l’Ecole d’Art visuel de la Martinique ( IRAVM : (Institut Régional d’Arts Visuels de la Martinique). A cette période, je n’assumais pas encore cette définition de l’artiste surtout qu’après l’école, ce fût très dur de me retrouver. Au sens où quand tu es à l’école, tu es un peu formaté alors que moi, je créais déjà. Je faisais des œuvres abstraites. Une fois ma scolarité terminée, j’avais deux champs artistiques qui se présentaient à moi. C’est pour cela que je dis que ce fut un long parcours de déconstruction pour savoir qui je suis et c’est toujours lors d’événement très marquant, personnellement que je me suis dit d’arrêter de tourner en rond et d’exceller dans ce que je sais faire. Cependant, depuis 2013, je peux dire que je suis une artiste professionnelle. Quand je dis professionnelle, je vis de mon art et j’ai une posture d’artiste. Je vis, je respire l’art.
The Link Fwi : Quels sont ou quelles ont été tes expériences dans le domaine artistique ? As-tu fait des expositions solos et/ou collectives ?
Anaïs Verspan : Je pense que je n’assumais le fait que je le sois car, je n’avais pas la définition de l'artiste qui me ressemblait. J’ai cette chance d’avoir des artistes autour de moi. Quand je suis revenue ici il y a dix ans, j’ai eu la chance d’exposer aux côtés de grands noms de l’art antillais comme Richard Sainsily, Joel Nankin, de Gonfier et d’autres noms que j’oublie. Toutes ces personnes m’ont encouragé, et m’ont fait comprendre que je fais partie de la nouvelle génération et que j’ai ma place. J’ai grandi avec eux. C’est vrai qu’aujourd’hui, j’ai dix ans d’expérience, mais je n’ai pas eu leurs opportunités. Je suis encore une jeune artiste. J’ai ce profil particulier qui a eu cette expérience mais je reste une jeune et je trouve que tout est à faire et, on apprend tous les jours.

The Link Fwi : Est-ce difficile d’être une femme et d’évoluer dans le domaine artistique et d’en faire métier ?
Anaïs Verspan : De moins en moins. Bien sûr, nous sommes très peu contrairement aux hommes. De nos jours, il y a de plus en plus de jeunes femmes qui investissent le monde de l’art et cela démontre qu’il n’est pas réservé uniquement aux hommes, mais quand même il faut savoir s’imposer. Quand on est une femme artiste, on pense en général que notre art est juste un loisir récréatif. Il faut donc s’imposer, s’affirmer et avoir un discours et être très rigoureuse même plus que les hommes. Cependant, question de qualité de travail, je ne trouve pas que c’est genré et c’est là que tout se joue. Après, selon moi, la chose la plus ingrate en tant que femme c’est son évolution. Quand on est mère, on veut se développer, la société veut que nous ne soyons pas aptes, mais, est-ce qu’on nous demande si nous le sommes ou pas ? Lorsque j’ai été malade, pareil, on disait que je n’étais pas à apte à produire et à élever mon enfant. Posez-moi la question pour savoir si je le suis ou pas. Ne m’otez pas ce choix. Quand c’est un homme, la société ne voit pas le changement quand il est devenu père. Nous les femmes, nous devons toujours prouver nos valeurs. Nous devons prouver constamment que nous sommes capables de travailler et d’élever nos enfants. Voilà, nous devons montrer notre légitimité, les hommes eux non. Me concernant, le travail est là et quel que soit ce que les gens peuvent dire, l’œuvre est là. Elle parle. On peut ne pas aimer mon écriture plastique mais on reconnaît la facture.
TLFWI : Nous sommes au mois d’Octobre, mois consacré à la sensibilisation du cancer du sein. Nous savons que toi-même, tu as eu le cancer du sein. Quand as-tu appris que tu avais un cancer du sein ? Comment as-tu réagi lorsque le diagnostic est tombé ?
Anaïs Verspan : C’était en 2016. Année de mon premier cancer. J’étais une jeune maman. Ma fille avait six mois. J’allaitais. Donc quand j’entends les gens dire que l’allaitement aide à prévenir du cancer du sein. C’est faux. Je cumule les choses qui sont fausses. En fait je me suis rendue compte car, j’ai toujours été à l’écoute de mon corps. Lorsque j’allaitais ma fille, que mon sein soit vide ou plein. Je sentais une excroissance.
The Link Fwi : Nous pouvons dire que tu as bien vécu la perte de ce sein ?
Anaïs Verspan : Oui. De toutes les façons que peux-tu faire ? Pleurer ? Oui, j’ai pleuré. Qu’est-ce que ça change ? Il faut accepter et avancer. Il faut aussi aider la science. Cependant, le plus dur ce n’est pas la maladie, mais bel et bien le traitement. Je compare la chimio à Tchernobyl. Si tu as des troubles psychiques que tu ignorais, elle peut te les révéler. Tu as chaud, tu as froid. On aurait dit que tu es comme dans un bateau en pleine tempête. Tu as les mêmes effets qu’un mal de mer alors que tu es juste là, couché sur ton lit. Tu ne peux que lâcher prise et espérer que les effets secondaires vont s’arrêter. D’ailleurs ils s’arrêtent pendant dix jours. Puis retour à la chimio, tu retrouves les mêmes effets. Cette période est selon moi, là c’est un conseil qui peut s’appliquer à un moment très dur, il faut vraiment lâcher prise. Soit tu te cognes sur la porte et tu ne cesses de le faire au point que tu te blesses. Soit, tu t’élèves un peu et que tu te dises que ce temps, tu l’optimises.
Pour ma part, j’ai pris la maladie comme un défi à relever. Je me disais : “ un sein en moins un premier défi. Deux seins en moins, deux défis. “ Ce que j’aime c’est que tu es tellement face à la mort que tous les choix que tu auras à faire, tu les feras pour toi. Ce que les autres pensent, tu ne t’en occupes pas. Tu les fais pour toi. Mon message pour toutes ces personnes qui passent des moments difficiles, que ces moments doivent être optimiser. Je sais, c’est facile à dire et difficile à faire mais soit tu te complètes dans tes peurs et tu en auras. Soit, tu es dans les pleurs, là aussi, tu pleureras. A force, tu en as marre de pleurer, puisqu’à force de le faire, tu n’as plus de larme pour le faire. Du coup, tu te relèves, tu dois te fixer des objectifs, avoir des projets. Il faut occuper l’esprit. Pour y parvenir, il faut se nourrir de choses positives. Le karma se nourrit de choses négatives mais aussi de choses positives. Je dirais que tu nettoies plus facilement les choses. Tu te nourris de choses bien plus fertiles.
TLFWI : Tu as eu le cancer au moment où tu allaitais ta fille. Comment as-tu vécu cette période ?
Anaïs Verspan : Pour rien cacher, ce fut horrible. J’étais dans la phase où j’anticipais le sevrage de mon enfant. Je l’idéalisais même. L’arrêt de l’allaitement a été extrêmement brutal parce que vous les examens, il fallait arrêter, vu les produits que l’on m’injectait pour combattre ce cancer. J’ai dû arrêter l’allaitement en un week-end et j’étais seule. Je ne pouvais pas déléguer, c’était mon enfant. Elle sentait mon lait dans mon sein, elle le voulait mais je ne pouvais pas le lui donner. Il fallait que je la rassure. Résultat, ma fille et moi avons une relation très fusionnelle. Elle est extraordinaire. Elle fait partie de toutes ces nourritures qui me permettent chaque fois de pousser ma frontière. De plus, un enfant ne demande rien. Il a juste besoin d’attention et d’affection, deux choses extraordinaires. Tu fais en sorte d’être à la hauteur. Malgré le fait qu’il arrive qu je sois fatiguée, elle me permet de me surpasser. Malgré ce moment pénible, nous y sommes arrivés et je suis très fière de nous deux.

The Link Fwi : As-tu été entourée ? Selon toi, est-ce important d’être soutenu ?
Anaïs Verspan : Oh oui ! Ma famille c’est ma tribu. Pourquoi je dis cela ? Déjà, être une femme et une mère artiste, il faut avoir sa tribu, parce que par moment, il faut déléguer et que les gens respectent votre manière de vivre et d’éduquer et qu’ils pallient à ce manque maternel. Souvent je compare la création artistique à la maternité. Ces deux choses donc demandent beaucoup, notamment la maternité. C’est la même énergie. Pour y arriver, il faut avoir sa tribu. Mes parents ont été omniprésents. De toutes les façons, la relation que j’ai avec mes parents est particulière. Maintenant que je suis adulte, je les considère comme mes potes, mes confidents. Ils sont mes “ tout”. Je ne suis pas bourgeoise de terme, mais je suis une bourgeoise de connaissance et de l’essence de la vie. Rien que pour ça, j’ai de l’adoration pour eux. J'ai des amis, je ne les considère plus comme tel mais comme des frères et sœurs. J’ai vraiment une tribu autour de moi. Ils se complètent. Ils ont été automatiquement là. Je sais que je suis quelqu’un d’exigeante, je suis extrêmement indépendante. J’attends beaucoup des autres mais comme dit mon arrière-grand-mère, “ qui m’aime me suive” (rires) Le “ La “ c’est moi. Je ne voulais pas de gens qui pleurent autour de moi. Je désirais une seule chose :la vie près de moi. En gros, si tu es avec moi, tu dois être là dans la joie. Si c’est pour pleurer près de moi, ce n’est pas la peine. Après, je sais que c’est dur d’être accompagnant d’une personne malade du cancer et je les remercie beaucoup pour ce qu’ils font, tous.
TLFWI : Est-ce compliqué d’être mère d’un enfant en bas âge, artiste demandé et malade du cancer du sein ?
Anaïs Verspan : Oui, mais ce n’est pas plus difficile qu’autre chose. Je me dis que j’ai cette capacité de rebondir. Ma vie n’a pas été forcément facile, ce qui fait que j’ai la capacité de rapidement détourner les choses. J’accepte. J’ai l’habitude de sublimé l’horreur. Ce n’est pas facile d’être au top. On me le dit souvent ça mais, je ne vois pas comment surtout que l’on ne voit pas souvent quand je demande de l’aide. Après, là encore c’est ma personnalité. Bien souvent, les gens pensent que je vais mieux, cependant, je prends sept médicaments par jour. Jusqu’à présent, j’ai des effets secondaires. Malgré cela, je m’adapte. Je suis à l’écoute de mon corps, j’apprends mes limites et j’adapte ma vie à toutes les situations.
The Link Fwi : Est-ce que le cancer a eu une influence dans ton art ? Ou influence t-il ton travail artistique ?
Anaïs Verspan : Non, je ne pense pas que la maladie ait eu une quelconque influence sur mon art. Je pense que je suis une vraie artiste. En disant cela, j’évoque la partie sensible. J’avais réalisé ce que j’appelle un tableau. Il s’agit d’une photo que beaucoup de gens connaissent. Sur cette photo, je porte un masque de la mort avec une robe de mariée et le personnage a une mastectomie et il se trouve dans un champ de bananes. Cette image a été réalisée en 2016 pour la Carte Blanche du musée Schoelcher. C’est une œuvre que je veux vulgariser au maximum car, c’est un hommage au travail de la banane, qui ont eu le cancer de la prostate du fait de l’usage du chlordécone dans nos champs. Ce travail a été fait alors que je ne savais même pas qu’un cancer se développait en moi.
Sinon dans ma manière de créer, oui. A cause de la maladie, il y a des jours où je suis fatiguée. Les effets secondaires font que, tu peux avoir ton emploi du temps, avoir des objectifs mais, une fois que le corps a décidé de ne pas vouloir faire grand-chose, pas d’autres choix que de rester allonger. Il arrive que je me réveille avec des étourdissements ou des vertiges. Ce qui fait que je ne peux rien faire de ma journée. Je ne peux pas me déplacer. Pour arriver à créer, je lâche prise et je crée autrement. C’est en partie grâce à cela que j’ai appris d’autres médiums. Pour moi, c’est positif parce que j’exige dans mes collaborations et dans ma manière de travailler ce respect. Le respect de mon temps lié.
TLFWI : Actuellement, quel regard portes-tu sur la vie après avoir traversé tout ceci ?
Anaïs Verspan : Comme on dit en kréyol, vu que c’est aussi le mois du créole : “ la vi sé on fanm fol” mè an pli fol ki’y. (rires) Tout peut arriver. Tout peut s’effrondrer du jour au lendemain. En même temps, nous avons tellement de chance de voir la science évoluer. Nous vivons plus long avec la maladie. Nous vivons tout court. Ensuite, je pense que la vie est une question de choix à assumer. C’est ça être libre. Quand on a vécu tout ce que j’ai traversé, on va à l’essentiel. On perd moins de temps pour des choses inutiles et on avance. Je vais à l’essentiel mais surtout, mon essentiel.

The Link Fwi : Comment vois-tu l’avenir après toutes ces années passées à te soigner ?
Anaïs Verspan : Il faut savoir que la vie elle est belle, elle est vraiment belle mais alors, j’insiste sur ça. Elle est vraiment très belle. D’où mon choix de vivre à la campagne, qui est un lieu où les gens sont accessibles. Ils travaillent très tôt. Ils sont dans la transmission. Tu apprends à vivre avec la nature. Tu es en connexion avec toi-même. Jusqu’à maintenant, je suis là car j’ai senti qu’avant la maladie, quelque chose n’allait pas. Il faut donc être à l’écoute de soi. Il est vrai que nous vivons dans un monde où tout va vite. Il y a beaucoup de facteurs qui font que nous soyons occupés et que l’on ne s’entend pas. Nous n’écoutons plus notre corps et il faut savoir que celui-ci ainsi que la nature donnent toujours des signes. Si on parvient à l’écouter et à comprendre ses messages, nous avons toutes les chances de vivre une vie équilibrée. Je suis contente de ma vie même si c’est ambivalent car, la période est difficile. Il y a pleins de choses injustes dans cette société. Toutefois, j’apprends à lâcher prise. Désormais, je m’accroche aux choses qui sont impalpables. Puis, comme je le disais au début de l’interview, tant qu’il y a des projets, il y a de la vie et je ne peux pas m’autoriser à broyer du noir pour ma fille.
TLFWI : Nous avons presque terminé, mais avant de clôturer notre bel échange. Petite question. Est-ce que à ce stade, tu es en rémission ?
Anaïs Verspan : Alors, la dernière fois que j’ai posé la question à mon oncologue ( spécialiste du cancer), il était enthousiaste et m’a dit que je pouvais dire que j’étais en rémission. Pourtant, quelques mois après, j’ai appris que je faisais une récidive. Nous avons toujours cette épée de Damoclès, ce coutelas, vu que nous sommes en Guadeloue (rires), au-dessus de nos têtes. Nous sommes dans une phase où nous ne savons pas mais, nous aidons la science. Toute la médecine parallèle, j’y inclus, notre culture, mon rapport à la nature, les gens. On verra. Je vis la vie pleinement. Sereinement. J’essaie en tout cas.

The Link Fwi : Avant de conclure, quelle est ton actualité ? Prépares-tu une nouvelle exposition, une collaboration à venir ?
Anaïs Verspan : Alors oui, je suis présente sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, heureusement qu’ils existent parce que je travaille autrement. Ces temps-ci, je fais moins d’expositions donc, on m’entend beaucoup moins. Sinon, on peut me parler sur mes différents pages : Facebook : Anaïs Verspan Art. Pareil pour Instagram : Anaïs Verspan Art. Sinon, pour me rencontrer, il suffit de venir dans mon laboratoire, là où je me réalise.
TLFWI : Si tu avais une message à faire passer à toutes ces personnes qui, comme toi ont un cancer, passent par des moments difficiles au niveau de la santé où celles et ceux qui souhaitent tout simplement faire et vivre de l’art, quel serait-il ?
Anaïs Verspan : Alors, le premier c’est d’être à l’écoute de son corps, de se palper. De profiter de ces instants où on est sous la douche, de s’observer, de se toucher les seins. Il faut désexualiser le sein. Il n’existe pas simplement sous les draps pour le compagnon où les compagnes. Il nous appartient. Le 2e serait, là c’est ma phrase, mon slogan : “ viv aw pa vann nanm aw”
The Link Fwi : Merci beaucoup Anaïs. Merci pour ces beaux messages.
Anaïs Verspan : C’est moi qui vous remercie. Merci beaucoup.

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