Elisabeth II symbole d'un passé colonial jamais guéri
- ELMS
- 12 sept. 2022
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La mort de la reine Elisabeth II jeudi 8 septembre à 96 ans, ravive les critiques et les tensions sur le rôle de la famille royale dans la colonisation. Il est vrai que lorsqu'elle accède au pouvoir, elle arrive à la tête du plus grand Empire colonial de l'histoire. Explications.

La mort de la reine Elisabeth II jeudi 8 septembre à 96 ans, ravive les critiques et les tensions sur le rôle de la famille royale dans la colonisation. Symbole de la grandeur passée pour les uns. Représentante de l'ordre colonial pour d'autres, jamais la mort d'une cheffe d'Etat n'aura suscité autant de passions. Il est vrai que lorsqu'elle accède au pouvoir, elle arrive à la tête du plus grand Empire colonial de l'histoire.
Durant plusieurs siècles le Royaume d'Angleterre a dominé le monde sur terre et dans les mers. De l'Amérique à la Caraïbe en passant par l'Afrique. Sans oublier les Indes joyaux de l'Empire, l'Asie et l'Océanie.
Du XVIe siècle des Tudors aux années 1960, l'Angleterre a étendu sa domination sur des territoires de plus en plus vastes, au point que son empire a représenté, au début du XXe siècle, le quart des terres émergées et une proportion similaire de l'espèce humaine. On estimait à 500 millions de sujets britanniques disséminés aux quatre coins du monde au début du XXe siècle. À son apogée à la veille de la Première Guerre mondiale, en 1914, l’Empire britannique s’étend sur 13 millions de milles carrés, soit environ 23 % des terres de la planète. Aujourd'hui, le Commonwealth rassemble 2,5 milliards d'habitants.
L'Empire britannique, à l'opposé d'autres grandes constructions historiques, a, dès le départ, été un empire des mers. L'Empire était si vaste que dès 1850, Lord Palmerston s'exaltait déjà à la vision du « nouvel Empire romain, sur lequel le soleil ne se couche jamais".
Un empire qui a perduré près de quatre siècle et qui a pris fin avec les indépendances entamées dès 1947 avec l'indépendance des Indes et terminées à la fin des années 1960 en Afrique et dans les Caraïbes.
Elisabeth II accède au trône britannique le 6 février 1952, à l'âge de 25 ans, à la mort de George VI. Son couronnement, le 2 juin 1953, est le premier à être retransmis à la télévision.
Elle devient la souveraine de sept États indépendants du Commonwealth : l'Afrique du Sud, l'Australie, le Canada, Ceylan ( aujourd'hui le Sri Lanka), la Nouvelle-Zélande, le Pakistan et le Royaume-Uni.
Entre 1956 et 2021, le nombre de ses royaumes diminue, car des territoires obtiennent leur indépendance. De ce fait, certains royaumes deviennent des républiques. Dernier territoire en date, la Barbade. Une majorité de ses 290 000 habitants ont élu leur première présidente de la République, Sandra Mason, 73 ans, et abrogé la monarchie constitutionnelle conservée après l’indépendance, en 1966.
A sa mort, Élisabeth II était reine d'Antigua-et-Barbuda, des Bahamas, du Belize, de la Grenade, de la Jamaïque, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Saint-Christophe-et-Niévès, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Sainte-Lucie, des Îles Salomon et des Tuvalu.
Ancienne souveraine d'un pays qui a dominé le monde. Il lui a souvent été reproché de ne pas avoir formulé d'excuses sur le rôle de la Couronne dans l'expansion coloniale britannique entre le XVIe et le XIXe siècle.
Souveraine d'une monarchie constitutionnelle, la reine ne doit d'aucune manière donner son avis ou son opinion. Selon la tradition, elle doit rester en dehors du débat politique. C'est le Parlement et le Premier ministre qui exercent le pouvoir.
Tout au long de son règne, long de 70 ans, elle n'a jamais pris le temps d'ouvrir le débat concernant le passé colonial, l'esclavage et les crimes coloniaux perpétrés lors des règnes de ses ancêtres. Il est aussi reproché l'enrichissement de la famille Windsor grâce à la colonisation.
De plus, descendante d'une famille royale à la tête d'un Empire colonial d'envergure planétaire, elle était donc perçue pour beaucoup de peuples comme le symbole d'une histoire coloniale violente, donc, symbole de l'oppression coloniale qui a duré quatre cent cinquante ans. Une histoire faite de massacres des peuples autochtones en Amérique comme en Australie, le tout couple par la spoliation de leurs terres ancestrales au profit des colons britanniques incités à peupler ces espaces colonisés pour une logique de profits économiques mais aussi pour faire perdurer la grandeur de l'Empire aux quatre points cardinaux du globe. Aussi, pendant près trois siècles, le Royaume d'Angleterre a été le plus grand exportateur d'esclaves arrachés d'Afrique et transportés sur les terres arables des Amériques. Un esclavage qui s'est terminé le 23 août 1833. Résultante d’un long combat mené tant dans les plantations des colonies que sur le terrain politique à Londres.
Autre part sombre de l'histoire coloniale britannique, le système de séparation des peuples ( sous le principe de la race) avec une distinction visible entre les autochtones et les colons Appliqué dès le début du XVIIIe siècle, il est dans un premier temps appliqué en Australie (à l'égard des aborigènes). Par la suite, il s'est propagé sur l'ensemble des territoires de l'Empire mais c'est en Afrique du Sud que la division sociale sous le principe de la différence raciale sera le plus appliqué et même institutionnalisé. Connu sous le nom de l'apartheid. Système qui a perduré même après l'indépendance de l'Afrique du Sud en 1948 et ce jusqu'à la libération de Nelson Mandela qui devint le premier président noir élu démocratiquement en 1994.

En outre, pendant de nombreuses décennies, le Royaume-Uni a véhiculé l'image d'une nation de gentils hommes, humanistes, ouverte à l'émancipation des peuples. Cependant, l'envers du décor fut tout autre. Comme l'ensemble des puissances coloniales du siècle précédent, l'Angleterre n'a pas hésité à utiliser la violence pour calmer les velléités d'autodétermination des peuples qui étaient sous sa domination. La violence était même institutionnalisée, donc encouragée à travers tout l'Empire. Une décolonisation loin d'être pacifique. On peut citer la guerre de décolonisation en Malaisie, la répression brutale des manifestants indépendantistes pacifiques aux Indes, ou encore l'étouffement contre insurrectionnel de la Révolte des Mau Mau au Kenya, pays de l'Est de l'Afrique où en octobre 1952, après une campagne de sabotages et d'assassinats imputée à des Mau Mau, le pouvoir colonial anglais déclare un état d'urgence et organise des opérations militaires à l'encontre des rebelles. Fin 1956, selon l'historienne Caroline Elkins, près de 100 000 rebelles et civils ont été tués au cours des combats ou dans les massacres qui caractérisent la répression et plus de 300 000 autres Kikuyu sont détenus dans des camps de concentration à l'intérieur desquels des tentatives pour les amener à adopter les vues politiques du gouvernement ont été entreprises. Les prisonniers, hommes comme femmes subirent des violences, des tortures et même des violences sexuelles.
Parmi les nombreux autres sujets de tension, il y a notamment, la couronne que portait Elisabeth II lors de ses cérémonies officielles. Une couronne d'une très haute valeur puisque, la reine Elizabeth II de Grande-Bretagne possédait le plus gros diamant pur du monde. Cette pierre précieuse de cinq cent trente carats, connue sous le nom de "Grande étoile d'Afrique", a été extraite en Afrique du Sud en 1905 et est estimée à quatre cent millions de dollars.
Elle possédait aussi le diamant le plus célèbre de l'histoire de l'humanité, le Ko-i-Noor (Cochinor) d'Inde, qui est aujourd'hui estimé à plus de 350 millions de dollars. Au total, elle portait donc dans sa couronne environ 750 à 800 millions de dollars de diamants. Des pierres précieuses extraites par le travail forcé des peuples colonisés du sous-continent indien et d'Afrique.
Une mort qui pourrait sonner la fin de la domination britannique dans le monde :
La mort de la reine Elisabeth II pourrait sonner le glas de la domination britannique dans le monde. En effet, depuis une décennie, certains territoires du Commonwealth demandent des changements de statut pour devenir des républiques avec pour chacune un président élu au suffrage universel direct. C'est le cas d'Antigua-et-Barbuda, petit archipel des Caraïbes.
Peu après la proclamation officielle de Charles III comme nouveau roi samedi 10 septembre, Gaston Browne, Premier ministre d’Antigua-et-Barbuda, réitérait son intention d’organiser, sous trois ans, un référendum sur la question de faire de son pays une république.
D'autres territoires pourraient suivre l'exemple de la Barbade car un vent républicain souffle sur les territoires de l'Empire. On parle du Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. D'ailleurs, en Australie, l'hostilité à la Monarchie gronde de plus en plus. En juin 2020, un sondage montrait que 62% des Australiens ne voulaient plus de la reine Elizabeth comme monarque. Un renversement notable de l’opinion, vingt ans après le rejet de l’abolition de la royauté par référendum, en 1999. Tandis qu'au Canada, les enquêtes d’opinion révèlent de façon constante qu’au moins 50% des personnes interrogées accepteraient la disparition de la monarchie, avec un pic antiroyaliste parmi les électeurs francophones du Québec. De plus, un sondage publié en avril dernier montrait que 67% de la population n'était pas favorable à ce que Charles succède à sa mère. Au Québec, cet appui à la fin de la monarchie monte même à 71 %.
De plus, ces dernières années, des éruptions contestataires ont eu lieu dans d'autres pays concernés: Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, le Belize, la Grenade, la Jamaïque, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les Îles Salomon et Tuvalu. Justement, à la Jamaïque, lors du voyage officiel du prince William et de son épouse Kate sur l'île caribéenne au printemps, le couple a dû faire face aux critiques sur le passé esclavagiste du Royaume-Uni, le Premier ministre Andrew Holness a estimé "inévitable" la transition de son pays vers un régime républicain. Le gouvernement de Kingston a indiqué que le peuple jamaïcain désignera son propre chef d’état d’ici 2025 et que « le processus de transition vers une république a officiellement commencé ».

Ainsi, le nouveau roi Charles III devra trouver un moyen d'empêcher les contagions républicaines et les volontés d'émancipation des peuples. Le nouveau souverain britannique sait donc qu’il ne lui sera pas facile de maintenir dans le giron de son trône les 15 Etats dont il est encore le chef suprême, le plus souvent représenté par un Gouverneur général. Son premier défi sera l’Ecosse. En septembre 2014, le «non» à l’indépendance l’avait emporté en Ecosse à 55%. Le conseil de «prudence» donné par la reine Elizabeth avant de se rendre aux urnes avait été entendu. Toutefois, cette partie du Royaume n’a pas renoncé à faire sécession, avec la volonté de rejoindre l’Union européenne.
Bien avant de devenir roi, Charles a sillonné le Commonwealth, le site officiel de la famille royale indiquant qu'il a visité 45 des 56 Etats membres. Il a souvent affiché son attachement à l'organisation, affirmant en 2013 qu'elle est "dans (son) sang" et estimant dans un discours en 2010 qu'elle "encourage et célèbre la diversité culturelle". Cependant, le nouveau monarque, à l'époque encore simple principe avait indiqué qu'il ne s'opposerait pas à ce que les derniers territoires de l'Empire prennent leur indépendance de façon pleine et entière.
Le Commonwealth est composé d'un nombre de pays qui a varié au cours du temps. Ils étaient six états fondateurs en 1926 après la Déclaration de Balfour ( le Royaume Uni, l'Afrique du Sud, l'Australie, le Canada, ainsi que l'Irlande et Terre-Neuve). Lorsque la reine Elizabeth II arrive au pouvoir en 1952, il y avait neuf pays au sein du Commonwealth, à savoir le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande, l'Afrique du Sud, le Pakistan, l'Inde et le Sri Lanka.
Désormais, cinquante-six états forment cette union : Afrique du Sud, Antigua-et-Barbuda, Australie, Bahamas, Bangladesh, Barbade, Belize, Botswana, Brunei, Cameroun, Canada, Chypre, Dominique, Eswatini (ex-Swaziland), Fidji, Gambie, Ghana, Grenade, Guyana, Inde, Jamaïque, Kenya, Kiribati, Lesotho, Malaisie, Malawi, Malte, Maurice, Mozambique, Namibie, Nauru, Nigeria, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Royaume-Uni, Rwanda, Sainte-Lucie, Saint Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent et les Grenadines, Salomon (Îles), Samoa, Seychelles, Sierra Leone, Singapour, Sri Lanka, Tanzanie, Tonga, Trinité-et-Tobago, Tuvalu, Vanuatu,
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Parmi les nations du Commonwealth, il existe 15 royaumes dans lesquels le souverain britannique est chef d’État, y compris le Royaume-Uni. Une situation qui pourrait changer dans un futur proche si les volontés d'indépendance parmi ces quinze royaumes se font sentir.
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