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Djan’t D M’Bitako présente Kaladja Savannah. Interview

  • ELMS
  • 6 mai 2022
  • 7 min de lecture

L’homme dont il est question à travers les lignes de cet article, est un acteur vivant de la culture guadeloupéenne. Héritier des “ lokansyè”, ces conteurs qui narraient des histoires en créole, reposant sur la vie quotidienne avec toujours cette pointe de morale qui faisaient leur charme. Djant D M’bitako, c’est son nom est un passeur d’histoires. Certaines sont sorties de son imagination et couchées sur le papier. Enseignant la langue de Molière et celle de Sonny Rupaire, M’bitako, pour les intimes se livre sans concession et nous parle de sa nouvelle production littéraire, “ Kaladja Savannah “ qui est un mofwazaj (traduction) de l’oeuvre de la plus connue des auteurs guadeloupéens, Maryse Condé.


Djan't D M'Bitako posant pour ELMS Photography

Pendant très longtemps la langue créole, qui est pourtant parlé par près de 20 millions de locuteurs à travers le Monde, était interdite. En effet, pour celles et ceux qui ne le savaient pas, si aujourd’hui, le créole se retrouve partout, que la jeune génération peut prendre des cours de créole dans les établissements scolaires, c’est dû au travail acharné de certains acteurs culturels connus et inconnus qui ont parfois payer de leur vie pour que leur langue, identité de tous ces peuples puisse être un jour parlée librement.


Il faut dire que, dans un passé qui n’est pas si lointain. Parler sa langue maternelle au sein de la République était proscrit. Les personnes qui osaient s’exprimer dans la langue de leurs ancêtres étaient diabolisées voire marginalisées. Dans les années qui ont suivi l’abolition de l’esclavage jusqu’au début des années 1980, le créole que l’on nommait vulgairement “ le patois “ était tout simplement interdit. Toutefois, il est quand même bien de rappeler que c’est la langue vernaculaire de ces peuples nés dans la douleur des méandres de la colonisation mais surtout de l’esclavage. Nombreux sont ceux et celles bercée par les diverses propagandes de l’époque, avaient cette envie d’être de bons français et donc, se refusaient à communiquer dans cette langue ô combien chantante et belle.


Des lois d’interdiction existaient et toute communication verbale devait se faire en français. Même en dehors de l’école, les interactions devaient se faire dans la langue de Victor Hugo. Dans les familles, des plus fortunées aux moins avantagées socialement, le parler créole était mal vu.

Une situation schizophrénique puisque, comme le dit l’adage : La langue est pour un peuple, ce que l’ADN représente pour un être humain. Elle est, pour un peuple, l’outil nécessaire à l’expression de ses sentiments, de sa vision du monde, de ses croyances et de sa culture. Orale. Malgré les restrictions et la répression, le parler créole a résisté et de nos jours, du moins dans certains territoires, on s’exprime de façon naturelle en créole et pas uniquement lorsqu’une situation comique ou de colère se présente.


Bon c’est vrai, certains préfèrent dire “ je parle guadeloupéen”, “je parle martiniquais, guyanais ou réunionnais”. D’autres encore, proches de la mouvance panafricaniste, disent “ je parle le WOUCIKAM “. Autant de désignations utilisées, pour qu’ils ne soient pas rattachés à ceux-là même qui ont mis leurs ancêtres en esclavage. A l’origine, le mot créole désignait les enfants issus de la métropole, élevés et nourris dans les colonies d’Outre-mer de Martinique, la Guadeloupe, la Guyane-française, la Louisiane, La Réunion et Saint-Domingue (aujourd’hui la République d’Haïti). Au fur et à mesure, le terme “ créole” a fini par désigner la population noire. De ce fait, être créole, c’était provenir ou avoir été élevé dans les terres des colonies.


Parmi ces résistants au colonialisme linguistique, il y avait les lokansyè. Version créole du Griot africain, ils excellaient dans cet art oral de raconter des histoires en créole aux plus jeunes. Mais pas que puisque, comme son homologue africain, le conteur créole était apprécié de tous. Jeunes comme moins jeunes. Naguère, la communauté lui accordait son importance et écoutait avec délectation les aventures de personnages, bien souvent anthropomorphiques, avec une consonnance moralisatrice. Tout droit sortie de la tradition africaine, l’art de raconter des histoires se faisait uniquement à l’oral. De plus, des codes spécifiques régissaient cet art. Tel que le lieu où les histoires étaient racontées. Soit dans le cercle familial. Par le passé, il y avait dans chaque famille un conteur. Soit dans l’espace communautaire, en extérieur où ces spécialistes de la culture orale se rencontraient dans des rassemblements de quartiers ou dans des veillées mortuaires. Comme le relate le site “ potomitan “


On leur aménageait un abri lors des veillées ou on leur réservait la meilleure place, les marches de la véranda par exemple, lors des rassemblements de quartier.

Durant ces cérémonies, l’expression créole se déclinait sous toutes ces formes. La parole se donnait, s’échangeait, se transmettait selon des règles précises entre le conteur et l’auditoire. Les cérémonies familiales, les fêtes de quartier ou les veillées mortuaires étaient donc, des circonstances propices à l’émission du palé kréyol. Le public, la présence de la communauté, était l’élément essentiel à la viabilité du conteur créole car c’est lui qui permettait la communion entre les membres de la communauté. Il leur permettait de répondre d’une seule voix


Malheureusement, de nos jours, toutes ces règles qui régissaient l’art oral de raconter des histoires est complètement bouleversé. Entre temps, la vie moderne est arrivée. Plus personne n’a le temps de s’assoir pour écouter des histoires. Certains, d’après eux plus modernes que jamais, prétendent même que les contes créoles sont du passé et l’adage des “ vyé kò”. Puis, les enfants de nos jours sont bien plus occupés à jouer sur leurs tablettes à des jeux vidéos ou à suivre la dernière série à la mode sur les plateformes streaming.

Ainsi pour subsister dans le temps et toucher les nouvelles générations, certains se sont adaptés. L’oralité a laissé la place à l’écrit. Dans la grande littérature créole, les contes sont apparus et ils tiennent le palmarès des publications écrites. Les contes créoles se déclinent même, désormais, sous forme de vidéos animées, ou d’audio. Puis, on voit apparaître une nouvelle génération de conteur qui maitrisent les outils numériques pour toucher les générations plus jeunes. Le conte créole semble être prêt à perdurer dans le temps. C’est le combat mené par ces professionnels de l’oral.




Djan't D M'bitako posant pour ELMS Photography


D’ailleurs, l’homme dont il est question à travers les lignes de cet article, fait partie de ceux-là. Héritier des “ lokansyè”, ces conteurs qui narraient des histoires en créole, reposant sur la vie quotidienne avec toujours cette pointe de morale qui faisaient leur charme. Digne fils des Grands-fonds, élevé dans l’amour de sa langue et sa culture, Djant D M’bitako, c’est son nom est dans la droite ligne de cet héritage ancestral fait d’oralité. Passé de littérature depuis sa tendre jeunesse, c’est tout naturellement qu’il s’oriente vers un Baccalauréat Littérature & Langues (que l’on dénommait la Série A2) à Pointe-à-Pitre. Par la suite, comme bon nombre d’étudiants antillais de l’époque, il décide de travers l’Océan et c’est précisément à l’Université Charles de Gaulle, de Lille qu’il poursuit ses études et s’adonne plus que jamais à son amour des études littéraires. Il consacre son mémoire de Maîtrise en 1989 au travail de Guy Tirolien, qu’il a finalement publié en 2017 à l’occasion du Centenaire de la Naissance du poète de la Négritude. Vraisemblablement fier des auteurs de chez lui, il rédige un Mémoire de DEA (équivalent aujourd’hui du Master ) sur les Figures Féminines chez Maryse Condé dans quatre de ses romans : “ Une saison à Rihata “, “ Heremakhonon, “ La vie scélérate ” et “ Traversée de la Mangrove “.


La rédaction de ces mémoires réveille en lui, une potentialité rédactionnelle et, c’est sans doute ce qui lui donne envie de publier lui aussi des ouvrages. Sauf qu’à la différence de ses mentors. C’est en créole qu’il avait à cœur de coucher à l’écrit son imagination. Enseignant la langue de Molière et magnant celle de Sonny Rupaire, en 2001, il franchi le pas et publie son premier livre “ Nèg Mawon”, un recueil de poésie qui lui permettra de s’adonner à sa passion, l’écriture. Comme il le raconte lui-même : “


“ Depuis 2001, date de la parution de mon premier livre, Nèg Mawon, un recueil de poésie, je me suis progressivement et méthodiquement dirigé vers la profession d‘écrivain, de traducteur et d’Artiste de la Parole (Lokansyè), art de la parole ayant trait à la fois au théâtre, à la poésie/slam et au conte, carrière que j’ai réellement et définitivement embrassée (en tant que professionnel) en mars 2007, après la publication et le succès de mon quatrième livre, Lenj Sal, succès qui venait tout juste après celui non moindre de mon second recueil de poésie, Siwo-Fiyèl, poésie d’amour en langue créole. “






Djan't D M'bitako posant pour ELMS Photography

Depuis, l’homme peut se targuer d’avoir à son actif plus d’une dizaine d’ouvrages publiés, allant de la simple poésie à la pièce de théâtre. En passant par des essais, des romans, des “ Mofwazaj”. On peut citer :

- Siwo-Fiyèl

- Ti-Jan é Dyab-la version créole de l’oeuvre de Derek Walcott,

- On Lyannaj Pi Méyè qui est une traduction du discours de Philadelphie de Barack Obama, - Lenj Sal,

- Chiktay-Téyat.

- Ainsi que Kont a Lokans An-nou n° 1,

- Ti-Jan é Paren A-y Konttradisyonnèl + Désen Pou Koloryaj,

- Rézipèl & Lèspri a Krab-la,

- Dinozò, Kochon a Nwèla Ti-Bouboul


et bien d’autres ouvrages à découvrir dans ci-dessous :







Djan't D M'bitako posant pour ELMS Photography


Mis à part l’écriture, M’Bitako pour les intimes, monte également sur scène où il récite poésie et met en scène de façon vivante ses ouvrages face à un public hétérogène. Il lui arrive de réaliser des séances de contes, publiques ou privées, aussi bien dans les écoles, les CLSH, les Hôpitaux via le concept de “Culture à l’Hôpital “, que dans les EHPAD, dans les fêtes patronales et même pour des anniversaires. L’homme de culture, interview également lors des fêtes de Noël et de Pâques où les personnages sont le cochon (pour Noël) et le crabe (quand c’est Pâques). Artiste 360, l’auteur créole décline aussi son art sous forme d’illustrations en noir et blanc destinées au coloriage pour un très jeune public. Loin de se cantonner à l’écriture de livre et à la récitation de poème, il a aussi rédigé des ateliers de théâtre, des projets pédagogiques, dans plusieurs écoles et collèges de la Région.

Mardi, le professionnel des lettres, nous a convié pour un petit tour de Pointe-à-Pitre pour découvrir ses œuvres picturales préférées tout en évoquant son grand retour après cette longue période de disette culturelle du fait de la pandémie de Coronavirus. Dans une moindre mesure, il s’est livré sans concession et nous a parlé de sa nouvelle production littéraire, parue en 2021 “ Kaladja Savanna “ qui est un mofwasaj ( en français : traduction) de Savannah Blues, l’oeuvre de la plus connue des auteurs guadeloupéens : la nommée Maryse Condé qu'il présentera ce vendredi 06 mai 2022 au Pavillon de la Ville de Pointe-à-Pitre à 18h.



“ Savannah Blues raconte l'histoire d'une petite fille noire américaine dont le père est absent, la mère est dépassée par les événements, les deux frères jumeaux glissant doucement vers la délinquance. C'est la grande pauvreté, voire la misère. Mais Zora fait face et prend les choses en mains. Une happy end tout à fait dans la ligne de la réussite d'Obama redonne l'espoir dans cette famille qui se recompose progressivement. “

Pour sa grande soirée littéraire, l’écrivain sera accompagné pour cette déclinaison créole de grands noms de la scène théâtrale parmi lesquels Richard Tassot et un(e) invité surprise.

Interview complète à écouter depuis le lien Soundcloud ci-dessous :



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