Chlordécone : le non-lieu confirmé par la justice. Un mépris pour les peuples.
- ELMS
- 6 janv. 2023
- 7 min de lecture
Le Chlordécone c'est le scandale écologique de ces quarante dernières années en France. C’est surtout un scandale politique, aux accents post-coloniaux. Près de quatre décennies d’une pollution volontaire pensée par les producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique avec des complicités au plus haut sommet de l’Etat. Pourtant, après des mois d'enquête, le couperet est tombé. Le non-lieu a été confirmé par les deux-juges d'instruction en charge du dossier.

Le Chlordécone, c'est le scandale écologique de ces quarante dernières années en France. C’est surtout un scandale politique, aux accents post-coloniaux, qui s'est déroulé principalement aux Antilles-Françaises. Près de quatre décennies d’une pollution volontaire pensée par les producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique avec des complicités au plus haut sommet de l’Etat.
Un scandale d'Etat qui s'est déroulé en toute impunité durant quarante ans et le tout en toute impunité. Quatre décennies au cours desquelles les différents gouvernements de droite comme de gauche ont délibérément fermé les yeux sur les pratiques de non-respect de l'environnement orchestrées par les planteurs, en grande majorité issus de la caste des békés. Le scandale du Chlordécone s’est notamment illustré par un très long bras avec l’Etat pour la reconnaissance de ce crime écologique. Un combat qui se poursuit encore à ce jour.
Autant dire que la question de la pollution au Chlordécone a déjà fait couler beaucoup d'encre. La nouvelle qui a été diffusée par l'ensemble des organes de presse antillais ou nationaux risque fort de détériorée les relations entre les Outremers et l'Hexagone déjà au plus mal depuis qu'a été évoquée un possible non-lieu du scandale sanitaire par les juges d'instruction en charges du dossier.
En effet, dès la fin de l'enquête des deux juges d'instruction, le Parquet de Paris avait requis un non-lieu dans l'enquête sur les procédures engagées par les différentes associations constituées en partie civile. Cette décision était attendue et même redoutée depuis que les juges d'instruction parisiens du pôle de santé publique avaient annoncé fin mars la clôture de leurs investigations sans avoir procédé à des mises en examen.
Dans son réquisitoire définitif daté de jeudi 24 novembre, le parquet considèrait notamment que les faits semblent prescrits, s'agissant notamment de l'empoisonnement, ou non caractérisés, concernant l'administration de substances nuisibles. Il appartient désormais aux juges d'instruction de rendre leur décision finale dans ce dossier très sensible en Guadeloupe et en Martinique où plus de 90% de la population adulte est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France.
C'est malheureusement confirmé. Il n'y aura plus de procédures judiciaires ni de mises en examen.
Une source judiciaire a confirmé à l'Agence France Presse cette décision à haute valeur symbolique, qui était également demandée par le parquet de Paris dans ses réquisitions fin novembre, et était redoutée par des élus et habitants de Martinique et de Guadeloupe, qui ont régulièrement dénoncé un risque de « déni de justice ».
Selon des éléments de l'ordonnance de non-lieu dont l'Agence France Presse a eu connaissance, les deux magistrates instructrices reconnaissent un « scandale sanitaire », sous la forme d'« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe. Mais elles prononcent un non-lieu, évoquant la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », « commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes », la première l'ayant été en 2006.
Les magistrates soulignent également « l'état des connaissances techniques ou scientifiques » au moment où les faits ont été commis : « le faisceau d'arguments scientifiques » au début des années 1990 « ne permettait pas de dire que le lien de causalité certain exigé par le droit pénal » entre la substance en cause d'un côté et l'impact sur la santé de l'autre, « était établi ».
Elles ont avancent notamment divers obstacles liés au droit, à son interprétation et son évolution depuis l'époque d'utilisation du chlordécone, les magistrates attestent de leur « souci » d'obtenir une « vérité judiciaire », qui a toutefois abouti à une impossibilité à « caractériser une infraction pénale ».
Petite histoire du scandale Chlordécone :
l'histoire du Chlordécone remonte au début des années 1970 lorsque la Commission des toxiques refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : elle fait partie de la famille des organochlorés, toxiques. Après vérification, les chercheurs ont constaté qu’elle s’accumulait dans les tissus animaux ainsi que dans l’environnement, où elle est extrêmement persistante. Cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture, un certain Jacques Chirac ( qui deviendra président en 1995) de donner son aval en 1972. Il délivre une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) provisoire pour le chlordécone sous la dénomination commerciale de Képone. Trois ans plus tard, le chlordécone est interdit aux Etats-Unis.
A cette période, pour les planteurs locaux, le Chlordécone était le seul pesticide qui parvenait à éliminer le charançon du bananier, ce parasite qui mettait régulièrement en péril les plantations dans les îles de la Martinique et de la Guadeloupe dont l'économie tournait (et reste encore aujourd'hui principalement centrée) autour de la culture de la banane et de la canne à sucre. Une quasi monoculture d’exportation vers l'ancienne métropole coloniale. La molécule miracle n’obtient qu’une autorisation provisoire d’une année. Elle n’a cependant été réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée. Pourtant, un an plus tôt, en 1975, un grave accident marque précocement l’histoire du pesticide. Pour la petite histoire, à l’usine d’Hopewell (Virginie), l’une des trois qui fabriquent le pesticide aux États-Unis, plusieurs dizaines de personnes sont victimes d’intoxication au chlordécone. Des employés sont affectés, mais aussi des riverains, du fait des rejets dans les eaux. Les examens établissent un lien de cause à effet avec des troubles neurologiques apparus par la suite (tremblements, nervosité…). Conséquence : les États-Unis bannissent le chlordécone en 1977.
Pourtant aux Antilles Françaises, les pulvérisations se sont poursuivies trente ans après les premières mises en gardes. D'aucun ne pourra dire, qu'il ne savait pas ou qu'il ignorait les recommandations. En effet, de forts indices de pollution et des preuves locales de contamination des écosystèmes ou des aliments ont été cités de manière récurrente depuis la fin des années 1970, notamment par les rapports suivants : le rapport Snégaroff (INRA, 1977) ;le rapport Kermarec, 1979-1980 ;une étude de l’estuaire du Grand Carbet (UNESCO, 1993); le rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture (1998).
D'autres rapports suivront dans les années 2000, mais aucune interdiction n'est engagée par le Gouvernement, bien trop aveuglé par l'argent du Lobby (béké) des producteurs de banane. Lobby qui a tenu pendant longtemps les mêmes discours pour que les pulvérisations se poursuivent : Concurrence avec la Banane Dollar (banane sud-américaine), les intempéries, les ouragans mais surtout le charaçon. Dans le reste du Monde, le pesticide est interdit. En France, en 1990 le Chlordécone est finalement interdit sur le territoire hexagonal pour protéger la santé de la population. Sauf aux Antilles-Françaises, où le pesticide est utilisé jusqu’en 1993, date où il perd enfin son autorisation. Malgré son interdiction complète et définitive, l'insecticide est toujours présent dans les sols où il peut persister environ 700 ans. De plus, on sait qu'un trafic de Chlordécone aurait eu lieu dès l'année de son bannissement. Des révélations portées par le chercheur Eric Godard, ancien fonctionnaire de l'ARS de la Martinique. Des trafics de chlordécone qu'il supputerait étant donné le très bon état des sacs du pesticide saisis en 2002. Plus probant encore, il expliquera avoir été témoin de plusieurs échanges de mails entre la DIREN (Direction de l'environnement) et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) faisant état de fraudes, de trafics organisés. Un trafic, sans doute pensé par les puissants planteurs de bananes regroupés que depuis 2003, au sein de l'Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Martinique et de Guadeloupe (UGPBAN) avec la complicité d'anciens membres des gouvernements précédents.
Plus de quinze ans de combat judiciaire bientôt annihilé :
Pour rappel, le scandale sanitaire a débuté en 2002, avec l’arrivée des patates de Martinique au port de Dunkerque en 2002 a rendu l’affaire publique. Sans aucune hésitation, au nom de la santé de la population française, les patates empoisonnées ont été détruites.
Après 15 ans de silence et de négation qui ont laissé la place aux aveux et aux investigations, le chapitre judiciaire s'était ouvert laissant espérer une possible justice rendue.
Attention, par volet judiciaire, beaucoup ont pensé à l'ouverture d'un procès avec dans le box des accusés, le lobby des grands planteurs et l'Etat en tant que personne morale qui a couvert ce crime environnemental et humanitaire, il n'en est rien. Détrompez-vous, il s'agissait simplement d'auditions des plaignants. A savoir, les associations écologistes représentées par leurs avocats, les syndicats du monde agricole qui représentent les ouvriers agricoles qui ont été de près comme de loin en contact avec le pesticide ou encore les avocats des régions impactées. Très attendues du grand public, ces auditions ont eu lieu le mercredi 20 Janvier et le Jeudi 21 janvier 2022 à Paris avec des visio-conférences vers Fort-de-France et Pointe-à-Pitre.
Une lueur d'espoir semblait s'être profilée, avec enfin une justice qui aurait pu se mettre du côté des victimes. Néanmoins, l'espoir a vite été balayé par les juges du Pôle Santé du Tribunal de Paris qui dès le début de leurs investigations avaient évoqué la prescription de certains faits. De plus toujours selon les hauts magistrats, des pièces manqueraient au dossier. Elles auraient vraisemblablement disparu. Ce qui a joué en la faveur d'un non-lieu reposant sur une prescription. Ce qui signifie qu'aucune mise en examen, aucun procès ne pourront avoir lieu et que les coupables continueront de couler des jours heureux alors que, plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et à la Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France. En outre, les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Dans ce cas comment ne pas être révolté par cette injustice puisant ces racines dans l'histoire coloniale ? Un sentiment d'injustice qui montre à nouveau que les antillais ne sont pas des français à part entière mais qu'ils ne sont qu'entièrement à part.
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