Chlordécone : la lutte continue.
- ELMS
- 7 mai 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mai 2020
Alors que les médias locaux comme nationaux sont focalisés sur l'actualité liée au coronavirus, les militants anti-chlordécone continuent leur lutte dans le silence le plus assourdissant. Le 30 Avril dernier, la lutte contre le chlordécone a pris une tournure judiciaire. En effet, le Tribunal de Paris a été saisi par trois associations ainsi que part 500 plaignants qui ont été en contact direct avec le pesticide. Ces personnes demandent une indemnisation pour préjudice moral d'anxiété.

Avec l'actuelle crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, on oublierait presque les problèmes que traversent la Guadeloupe et la Martinique. Parmi toutes ces problématiques, il y a évidemment, le scandale du Chlordécone qui, jusqu'à ce jour n'a pas trouvé de conclusion favorable pour les populations empoisonnées.
Le Chlordécone c'est le scandale écologique de ces quarante dernières années en France. Mais,c'est surtout un scandale politique, aux accents post-coloniaux, qui s'est déroulé durant toutes ces décennies aux Antilles-Françaises, au cours desquelles les différents gouvernements de droite comme de gauche ont délibérément fermé les yeux sur les pratiques de non respect de l'environnement orchestrées par les planteurs, en grande majorité issus de la caste des békés.
En effet, l'histoire du Chlordécone remonte au début des années 1970 la Commission des toxiques refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : elle fait partie de la famille des organochlorés, toxiques, on a vérifié qu’elle s’accumule dans les tissus animaux ainsi que dans l’environnement, où elle est extrêmement persistante.Cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture, un certains Jacques Chirac de donner son aval en 1972. Il délivre une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) provisoire pour le chlordécone sous la dénomination commerciale de Képone. Trois ans plus tard, le chlordécone sera interdit aux Etats-Unis.
Le Chlordécone est en effet le seul pesticide qui vient alors à bout du charançon du bananier. Or il y a péril dans les îles : relent de l’économie coloniale, la Martinique et de la Guadeloupe sont dédiées à la banane, une quasi monoculture d’exportation vers la métropole française. La molécule miracle n’obtient qu’une autorisation provisoire d’une année. Elle n’a cependant été réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée.Un an plus tôt, un grave accident marque précocement l’histoire du pesticide. À l’usine d’Hopewell (Virginie), l’une des trois qui fabriquent le pesticide aux États-Unis, plusieurs dizaines de personnes sont en 1975 victimes d’intoxication au chlordécone en raison de mesures de précaution insuffisantes. Des employés sont affectés, mais aussi des riverains, du fait des rejets dans les eaux. Les examens établissent un lien de cause à effet avec des troubles neurologiques apparus à la suite (tremblements, nervosité…). Conséquence : les États-Unis bannissent le chlordécone dès 1977.
Pourtant aux Antilles Françaises, les pulvérisations se sont poursuivies trente ans après. A croire qu'ils étaient sourds ou aveugle. D'aucun ne pourra dire, qu'il ne savait pas. A cette époque, de forts indices de pollutions et des preuves locales de contamination desécosystèmes ou des aliments ont été cités de manière récurrente depuis la fin des années 1970, notamment par les rapports suivants :le rapport Snégaroff (INRA, 1977) ;le rapport Kermarec, 1979-1980 ;une étude de l’estuaire du Grand Carbet (UNESCO, 1993) ;le rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture (1998).
D'autres rapports suivront dans les années 2000, mais aucune interdiction n'est engagée par le Gouvernement, aveuglé par l'argent du Lobby (béké) des producteurs de banane. Lobby qui tient les mêmes discours pour que les pulvérisations se poursuivent : Concurrence avec la Banane Dollar et les intempéries. Dans le reste du Monde, le pesticide est interdit , aux Antilles-Françaises, il sera utilisé jusqu’en 1993, date où il perd enfin son autorisation. Malgré son interdiction, l'insecticide est toujours présent dans les sols où il peut persister environ 700 ans. Après des années de procédures, des années de silence et de refus, en 2019, le Gouvernement par la voix du président Macron a finalement reconnu ses erreurs dans ce dossier. Dans la foulée, une Commission demandée par les députés socialistes de Guadeloupe et de la Martinique, suite au refus en Janvier dernier de l'Assemblée Nationale d'indemniser les victimes potentielles du pesticide fut créée avec pour but principal, de comprendre clairement comment ce pesticide jugé toxique dès la fin des années 60 avait pu être utilisé en toute connaissance de cause dans les bananeraies antillaises jusqu'en 1993.
Parmi toutes les personnes auditionnées, c'est le témoignage d'Eric Godard qui a retenu le plus l'attention. Ce dernier révélait que la pollution des eaux en Guadeloupe et à la Martinique était connue des autorités depuis longtemps. L'Etat aurait donc laissé volontairement, les populations locales boire de l'eau contaminée au Chlordécone, alors ce dernier affirmait contrôler régulièrement la qualité des eaux et prétendait même qu'il n'y avait aucune présence de Chlordécone dans l'eau consommée par les guadeloupéens et les martiniquais. Toujours selon Eric Godard, un certain Luc Multigner lui aurait dit,( et dont les propos émanent de l'ancien Directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé) que la molécule de Chlordécone avait été détectée dès 1991 suite à des analyses demandées par l'ARS. L'ancien directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé aurait rapporté cela à l'autorité sanitaire qui, lui aurait répondu " qu'il fallait recherché la liste des molécules demandées et non celles qui n'ont pas été demandées ". Le chlordécone n'en faisait pas partie. L'Etat savait que le pesticide était présent dans les eaux et dans les aliments des guadeloupéens et des martiniquais depuis plusieurs années, mais n'aurait rien fait. Des propos qui ont confirmé les doutes et les accusations déjà émis par les grands acteurs de la lutte anti-chlordécone.
Suspicion de trafic de pesticide et des épandages qui se poursuivaient malgré les interdictions :
Par ailleurs, bien qu'il n'en ait pas la preuve, l'ancien fonctionnaire a affirmé avoir souvent entendu parler d'épandages aériens se seraient poursuivis en toute illégalité. Cependant le gouvernement était au courant de ces pratiques illégales tout comme le trafic de Chlordécone. Plus probant encore, il expliquera avoir été témoin d'échanges de mails entre la DIREN (Direction de l'environnement) et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) faisant état de fraudes, d'un trafic organisé sans doute par les puissants planteurs de bananes, les békés. Surtout quand on sait que le Chlordécone a été interdit sur le territoire de la France Hexagonale en 1990 pour protéger la santé de la population alors qu'aux Antilles-Françaises,à la demande des planteurs Békés, l'Etat l'autorisait. Il y a donc eu, un empoisonnement volontaire des sols et des populations avec la complicité de l'Etat.
Pour rappel, le scandale sanitaire a débuté en 2002, avec l’arrivée des patates de Martinique au port de Dunkerque en 2002 a rendu l’affaire publique. Sans aucune hésitation, au nom de la santé de la population française, les patates empoisonnées ont été détruites.
Où en sommes-nous désormais ?
Loin d'être achevée la lutte se poursuit. Le 30 Avril dernier la lutte contre le Chlordécone a pris une tournure judiciaire. En effet, le Tribunal de Paris a été saisi par trois associations (le CRAN, l’association Vivre de Guadeloupe et le collectif Lyannaj pou depolye Matinik) ainsi que part 500 plaignants qui ont été en contact direct avec le pesticide. Ces personnes représentées par Me Christophe Lèguevaques demandent une indemnisation du préjudice moral d'anxiété. Dans son mémoire introductif envoyé au Tribunal, l'avocat est revenu sur la tragique histoire des Antilles, terres d'esclavage désormais polluées pour 700 ans :
« Au commencement était l’esclavage, système inégalitaire, injuste mais légal, organisé par un « Code noir » qui laissera une cicatrice durable sur les terres de Guadeloupe et de Martinique et entre les occupants de ces territoires.
A l’autre bout, il existe une crise sanitaire majeure qui affecte 95 % de la population antillaise résultant de l’usage d’un pesticide organochloré, le CHLORDECONE, dans des conditions qui ont mis, mettent et mettront durablement en danger la santé des populations.
Si trois siècles nous séparent de la politique de déportation massive liée à la colonisation des Antilles, après une destruction systématique et définitive des premiers occupants caribéens, la crise sanitaire, ouverte par un usage intempestif de ce pesticide, dont la dangerosité était connue de tous depuis le début, est source, pour les générations actuelles et futures, d’une angoisse et d’une anxiété qui peuvent générer, ici et maintenant, des troubles et des préjudices. Les populations exposées craignent pour leur vie et leur santé tout comme pour leur avenir. Elles déplorent également l’impuissance d’un Etat, qui a failli à sa mission de protection, afin de protéger principalement les intérêts économiques des héritiers des principales familles de colonisateurs.»
En conclusion, Me Lèguevaques affirme que les requérants souhaitent que la justice reconnaisse ainsi la responsabilité de la France dans l'attribution des dérogations successives qui ont conduit à l'utilisation de la molécule, jusqu'en 1993, en Guadeloupe et en Martinique, et ce, contre l'avis de toutes les autorités sanitaires de l'époque.Les requérants demandent également que la Justice reconnaisse les carences de l'Etat dans son utilisation de son pouvoir de police et demandent que ce dernier soit condamné à verser 15 000 euros, à chaque requérant au titre du préjudice moral d'anxiété.
"Nous n'avons pas eu de réponse et nous attaquons devant le tribunal administratif le refus implicite d'indemniser les 500 demandeurs initiaux de leur préjudice moral en raison de l'exposition au chlordécone", a expliqué à l'AFP leur avocat, Me Christophe Lèguevaques.
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