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Chlordécone : “ l’Etat a été le premier responsable. Il faut qu’il paye" Interview de Me Lèguevaques

  • ELMS
  • 9 juin 2022
  • 20 min de lecture

Le Chlordécone c'est le scandale écologique de ces quarante dernières années en France. C’est surtout un scandale politique, aux accents post-coloniaux, qui s'est déroulé principalement aux Antilles-Françaises. Près de quatre décennies d’une pollution volontaire pensée par les producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique avec des complicités au plus haut sommet de l’Etat. Le scandale du Chlordécone s’est notamment illustré par un très long bras avec l’Etat pour la reconnaissance de ce crime écologique. Un combat qui se poursuit encore à ce jour. Dans cette interview, Me Christophe Lèguevaques avocat des associations (Vivre, Le Cran et Liyannaj pou DépoliyéMatinik) revient sur ce scandale sanitaire et les actions entreprises pour contrer la décision des juges.

L'avocat Christophe Lèguevaques (Crédits : DR)

Le Chlordécone c'est le scandale écologique de ces quarante dernières années en France. C’est surtout un scandale politique, aux accents post-coloniaux, qui s'est déroulé principalement aux Antilles-Françaises. Près de quatre décennies d’une pollution volontaire pensée par les producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique avec des complicités au plus haut sommet de l’Etat.


En effet, l'histoire du Chlordécone remonte au début des années 1970 lorsque la Commission des toxiques refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : elle fait partie de la famille des organochlorés. Toxique, elle s’accumule dans les tissus animaux ainsi que dans l’environnement, où elle est extrêmement persistante. Pourtant, cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture, un certains Jacques Chirac de donner son aval en 1972. Il délivre une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) provisoire pour le chlordécone sous la dénomination commerciale de Képone.


Le Chlordécone est en effet le seul pesticide qui vient alors à bout du charançon du bananier. Qui mettait en péril l’agriculture des îles. Relent de l’économie coloniale, la Martinique et de la Guadeloupe dont le gros des productions agricoles sont dédiées à la banane. Une quasi monoculture d’exportation vers l’Hexagone, relent de l’économie coloniale, faisant de la Martinique et de la Guadeloupe, les principaux fournisseurs en banane de la France post-gaullienne. Malgré les alertes et les mises en garde, la molécule miracle obtient une autorisation provisoire d’une année. Elle n’a cependant été réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée. Un an plus tôt, un grave accident marque précocement l’histoire du pesticide. À l’usine d’Hopewell (Virginie), l’une des trois qui fabriquent le pesticide aux États-Unis, plusieurs dizaines de personnes sont en 1975 victimes d’intoxication au chlordécone en raison de mesures de précaution insuffisantes. Des employés sont affectés, mais aussi des riverains, du fait des rejets dans les eaux. Les examens établissent un lien de cause à effet avec des troubles neurologiques apparus à la suite (tremblements, nervosité…). Conséquence : les États-Unis bannissent le chlordécone dès 1977.

Pourtant aux Antilles Françaises, les pulvérisations se sont poursuivies. A croire qu'ils étaient sourds ou aveugle. D'aucun ne pourra dire, qu'il ne savait pas. A cette époque, de forts indices de pollutions et des preuves locales de contamination des écosystèmes ou des aliments ont été cités de manière récurrente depuis la fin des années 1970, notamment par les rapports suivants : le rapport Snégaroff (INRA, 1977) ;le rapport Kermarec, 1979-1980 ; une étude de l’estuaire du Grand Carbet (UNESCO, 1993) ; le rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture (1998).

D'autres rapports suivront dans les années 2000, mais aucune interdiction n'est engagée par le Gouvernement, aveuglé par l'argent du Lobby (béké) des producteurs de banane. Pendant très longtemps, le lobby des planteurs a tenu les mêmes discours pour que les pulvérisations se poursuivent : Concurrence avec la Banane Dollar et les intempéries. Dans le reste du Monde, le pesticide est interdit, aux Antilles-Françaises, il sera utilisé jusqu’en 1993, date où il perd enfin son autorisation. Malgré son interdiction, l'insecticide est toujours présent dans les sols où il peut persister environ 700 ans. Après des années de procédures, des années de silence et de refus, en 2019, le Gouvernement par la voix du président Macron a finalement reconnu ses erreurs dans ce dossier. Dans la foulée, une Commission demandée par les députés socialistes de Guadeloupe et de la Martinique, suite au refus en Janvier dernier de l'Assemblée Nationale d'indemniser les victimes potentielles du pesticide fut créée avec pour but principal, de comprendre clairement comment ce pesticide jugé toxique dès la fin des années 60 avait pu être utilisé en toute connaissance de cause dans les bananeraies antillaises jusqu'en 1993.

En effet, l’usage du pesticide était bien connu des autorités de l’époque. Soupçons confirmés lors des auditions menées en 2019, par la Commission d’enquête nationale sur l’utilisation du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, présidée par Serge Letchimy. Information que nous avions relevé dans notre article daté de septembre 2019. Chlordécone : L'Etat savait tout ! (thelinkfwi.com) Parmi toutes les personnes auditionnées, c'est le témoignage d'Éric Godard qui a retenu le plus l'attention. Ce dernier révélait que la pollution des eaux en Guadeloupe et à la Martinique était connue des autorités depuis longtemps. L'Etat aurait donc laissé en tout état de cause les populations locales boire de l'eau contaminée au Chlordécone, alors que ce dernier affirmait contrôler régulièrement la qualité des eaux et prétendait même qu'il n'y avait aucune présence de Chlordécone dans l'eau consommée par les guadeloupéens et les martiniquais. Toujours selon Eric Godard, un certain Luc Multigner lui aurait dit, (et dont les propos émanent de l'ancien Directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé) que la molécule de Chlordécone avait été détectée dès 1991 suite à des analyses demandées par l'ARS. L'ancien directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé aurait rapporté cela à l'autorité sanitaire qui, lui aurait répondu " qu'il fallait rechercher la liste des molécules demandées et non celles qui n'ont pas été demandées ". Le chlordécone n'en faisait pas partie. L'Etat savait que le pesticide était présent dans les eaux et dans les aliments des guadeloupéens et des martiniquais depuis plusieurs années, mais n'aurait rien fait. Des propos qui ont confirmé les doutes et les accusations déjà émis par les grands acteurs de la lutte anti-chlordécone. A la fin de son enquête et à la lecture de son rapport, la Commission a clairement mis en avant la responsabilité de l’Etat dans ce scandale environnemental que Serge Letchimy a qualifié de scandale d’Etat. Le parlementaire avait écrit : «L’ampleur du drame environnemental devenu un scandale d’Etat, doit faire l’objet des procédures exceptionnelles, des réponses apportées à la hauteur de l’anxiété que nous avons en Martinique[...] L'État a autorisé l'emploi d'une substance, et maintenu son usage, en dépit des connaissances scientifiques et des signaux d'alerte [...]. Sans contestation aucune, la responsabilité de l'État est reconnue et l'engage à mettre en place des mesures de réparation exceptionnelles.». Chlordécone : A qui la faute ? (thelinkfwi.com) Après toutes ces décennies d’un long silence, les choses semblaient avancer. Nous avons eu droit à un mea-culpa à demi-mot du président Emmanuel Macron. La mise en place de commissions d’enquête conduisant l’ouverture d’une enquête par des juges d’instruction. Sans oublier, l’ouverture à tous les citoyens à des dépistages gratuits votée en première lecture par les parlementaires en 2019. Chlordécone : Prise en charge du dépistage gratuit adopté au Sénat (thelinkfwi.com) Dispositif visant à la prise en charge intégrale par l'État du test de dépistage du taux de Chlordécone dans le sang pour les populations de la Guadeloupe et de la Martinique. Il s’adressait principalement aux ouvriers agricoles et désormais, il englobe l’ensemble de la population des deux territoires. Toutefois, en Guadeloupe, la campagne de dépistage concernerait en priorité

  • Celles ayant bénéficié du programme JAFA ; ( s’adresse aux particuliers habitant dans les zones où les terres sont potentiellement polluées par la chlordécone et s’alimentant régulièrement des productions issues de leur jardin, de celui de leur voisinage ou de circuits informels de distribution (dons, échanges, marchands de bord de route…)

  • Les femmes enceintes ou allaitantes ;

  • Les travailleurs agricoles ;

  • Les résidents du croissant bananier, entre Goyave et Vieux Habitants ;

  • Les consommateurs des produits de la pêche.

Pour y avoir droit, il suffit d’être muni d’une prescription médicale pour se rendre dans un laboratoire biologique où l’opérateur médical prélèvera deux tubes de 3ml de sérum. L’analyse est réalisée localement.

Avec autant d’avancées dans le dossier, on espérait que l’Etat ferait amende honorable et aborderait, sans difficultés la question des indemnisations. Déjà qu’en janvier 2019, l’Assemblée Nationale a balayé le projet de loi des parlementaires socialistes de Guadeloupe et de Martinique qui visait à l’indemnisation des victimes du chlordécone, écartant définitivement toute idée d’indemnisation. Coup de théâtre, les juges d’instruction du Pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, ont clos l'enquête sans établir de mis en cause. On s'oriente bien vers un non-lieu basé sur la prescription de certains faits. C'était la plus grande crainte des syndicats de planteurs, des avocats des parties civiles et des associations écologistes.

Aujourd’hui, le Chlordécone se retrouve dans l’eau, dans certains légumes, viandes et poissons. Entraînant des interdictions de cultiver certains produits et des interdictions de pêche, aux conséquences économiques importantes puisque des secteurs économiques locaux traditionnels sont impactés et c’est bien des populations qui on dû modifier leur façon de consommer voire même de vivre avec les risques éventuels d’être contaminées.

Dans cette interview, Me Christophe Lèguevaques, avocat des associations (Vivre, Le Cran et Liyannaj pou DépoliyéMatinik) revient sur ce scandale sanitaire, les actions entreprises pour contrer la décision des juges et sa volonté de changer la Loi pour enfin condamner les pollueurs.


The Link Fwi : Bonjour me Me Lèguevaques bienvenue sur The Link Fwi, premièrement pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, qu’est-ce que le Chlordécone ? En quoi et comment est-ce devenu un scandale sanitaire ?

Christophe Lèguevaques : Bonjour, merci de me donner l’occasion de m’exprimer à travers les lignes de votre média. Premièrement, le Chlordécone est un pesticide organochloré, qui a été mis au point aux Etats-Unis dans les années 1950. Cependant, on sait depuis le début des années 1960, qu’il est extrêmement dangereux et, depuis, nous savons qu’il reste longtemps dans les eaux et dans la terre quand il est utilisé. Cette connaissance est établie depuis 1968, puisque dans le Rapport Letchimy, des documents rédigés par la Commission des Toxiques au sein du Ministère de l’Agriculture français qui marquent le refus d’utilisé le Chlordécone justement en raison de sa dangerosité. A partir de 1972, sous la pression de plusieurs groupes économiques locaux, pour ne pas les citer, les békés, grands propriétaires terriens aux Antilles-Françaises, obtiennent une dérogation spéciale pour tester ce produit efficace dans les bananeraies de la Guadeloupe et de la Martinique car, à cette période, les champs étaient envahis par le charançon, insecte ravageur. Cette autorisation était valable quatre ans mais elle va être renouvelée quatre de plus.


Entre les années 1970 et 1980, la science avance sur les recherches sur le chlordécone. En 1975, aux Etats-Unis il y a eu un problème de contamination au Chlordécone dans l’usine Hopewell qui était la seule usine qui fabriquait le pesticide. La contamination des ouvriers, de l’eau et des sols, poussera le Gouverneur de l’époque d’interdire tout simplement la production du pesticide dans la région. Un an plus tard, c’est au tour de l’Etat fédéral d’interdire le Chlordécone sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis. En 1979, nous avons une décision de l’OMS qui classe le Chlordécone comme un cancérigène potentiel notamment (mais pas uniquement) facteur de cancer de la prostate. A partir des années 1980, dans plusieurs pays de l’Union Européenne, commencent à arriver des interdictions d’utilisation du Chlordécone par rapport à sa toxicité, sa dangerosité, son influence dans le développement du cancer et son rôle de perturbateur endocrinien. En France, la question de la dangerosité prendra du temps et aux Antilles-Françaises notamment, on va continuer à l’utiliser. Il y a une petite nuance à connaître. Le Chlordécone n’étant plus fabriquer aux Etats-Unis, les propriétaires terriens des Antilles-Françaises, vont racheter le brevet et iront le faire fabriquer au Brésil. Il y a donc une usine qui fabriquait du Chlordécone pur, qui l’envoyait à Port-la-Nouvelle du côté de Narbonne et qui va faire du Chlordécone à 5% et c’est ce dernier qui va être envoyé, distribué par une société proche des békés, son nom c’est Société Lagarrigue. On retrouve les mêmes personnes qui sont à la fois producteurs, distributeurs et utilisateurs finaux, puisque, par exemple : Yves Hayot est le propriétaire de la Société Lagarrigue et qui est également président du syndicat des bananiers de Martinique. Tout ce petit monde fait tout ce qu’il peut pour maintenir les autorisations gouvernementales afin de continuer l’usage du pesticide. Sauf qu’avec la pression de plus en plus grande venant de l’Europe, la France est obligée de reconnaître la dangerosité de ce produit pour la santé et pour l’environnement. Le Gouvernement décide d’en interdire la vente et l’utilisation. Des élus locaux de Guadeloupe et de Martinique sous pression des producteurs de banane iront demander au Ministère de la Santé pour obtenir des délais pour continuer à écouler les stocks de Chlordécone qui restaient. Ils vont obtenir des délais d’un an à chaque fois renouvelés tous les un an et un de six mois. Cela veut dire que le Chlordécone est considéré comme dangereux en 1990 mais l’Etat va laisser les békés l’utiliser jusqu’en 1993. Ce n’est même pas le plus grave.


Entre 1993 et 2003, soit pendant presque dix ans, il ne va rien se passer. Aux Etats-Unis lorsque l’on a découvert la dangerosité du produit, en un mois, le Gouverneur a pris des décisions très importantes pour empêcher son utilisation. En France, on l’interdit parce qu’il est dangereux mais, il n’y a aucune action de faite. Les populations à risque ne sont pas informées. L’eau et les terres (terres où il a été utilisé) ne sont pas vérifiées. Il y a eu des conséquences, car entre 1993 et 2003, l’eau consommée par les populations, est contaminée par le Chlordécone. Une eau qui provient principalement des rivières situées dans les zones de production de bananes. Autre conséquence, non des moindres, c’est qu’à cette période, de grands travaux vont être réalisés et pour les chantiers, les entrepreneurs (sans doute non informés) vont utiliser de la terre contaminée pour faire des remblais ou des lotissements. Il y aura des zones qui étaient jusque-là préservées de la contamination et qui vont être touchées. Jusqu’à présent, il est quasi impossible de savoir quelles sont les zones contaminées et celles qui ne le sont pas ou moins. Résultat, nous avons 90% de la population antillaise (93% de la population de la Martinique, 95% de la population de la Guadeloupe) qui est contaminée.


Autre problème, c’est qu’aujourd’hui, on nous dit que l’eau est filtrée avec du charbon actif à la sortie des usines de traitement et donc l’eau distribuée ne contient pas de Chlordécone. Toutefois, ce n’est pas vraiment exact. Si vous utilisez une théière, quand bien même vous la nettoyez, la récurez. Il y aura toujours des dépôts. Pendant trente ans, nous avons utilisé de l’eau contenant du Chlordécone, ce qui fait que dans les tuyauteries de distribution d’eau, il y a un dépôt permanent de Chlordécone. L’eau qui est nettoyée dans les usines de traitement va être de nouveau polluée dans les tuyaux d’alimentation. Certains diront que les normes journalières de consommation de Chlordécone sont respectées, sauf que ces normes sont fixées par l’Etat, nous ne savons pas très bien comment elles sont établies. De plus, ils oublient que le pesticide est un produit bio-accumulatif, ce qui veut dire que même à petite quantité, le Chlordécone n’est pas évacué avec les déchets de l’alimentation, il va rester dans les parties molles de l’organisme notamment le foie et si vous consommez, même de très infimes quantités, au fil du temps ces particules vont devenir extrêmement dangereuses pour la santé. Sur cette question, le Gouvernement continue de faire la sourde oreille et feint de ne pas le comprendre. Autre point scandaleux, est qu’ils acceptent de reconnaître que le Chlordécone soit l’une des sources les plus importantes du cancer de la prostate. Néanmoins, ils ne reconnaissent que les ouvriers qui ont travaillé dans les champs de banane et l’Etat exclu le reste de la population, qu’il considère qu’elle n’est pas influencée par le pesticide. De plus, ils nient toutes les autres maladies qui sont liées, cancer mais pas que, même les maladies qui concernent les femmes. C’est donc toute la population antillaise qui est concernée en étant exposée et peut donc avoir des problèmes de santé plus ou moins grave en fonction de l’exposition.


A ce jour, nous sommes dans une situation où les Gouvernements successifs, droite comme gauche, ont d’abord nié la dangerosité pour ensuite la minoré. Il y a donc un sentiment notamment celui des associations pour lesquelles je travaille (Le Cran à Paris, Vivre en Guadeloupe, Liyannaj pou Dépoliyé Matinik), que rien n’est fait véritablement pour lutter contre le Chlordécone. Qu’il y a de vagues promesses qu’un jour que l’on arrivera à traiter les terres et l’eau mais encore une fois, ce ne sont que des promesses et que la situation aujourd’hui, les populations de la Guadeloupe et de la Martinique sont exposées à un risque chimique vraiment préoccupant et qu’elles ne sont pas accompagner comme cela le devrait être cela donne le sentiment d’injustice.

TLFWI : Selon vous, les populations ont-elles conscience du risque qu’elles encourent et avec lequel elles vivent ?

Christophe Lèguevaques : Ne vivant pas sur place, je ne peux vous dire précisément si elles en ont conscience. Ce que je sais, des campagnes d’information ont été faites par le Gouvernement. Des associations, des syndicats ainsi que des politiques sont mobilisés. Est-ce que toutes ces actions permettent la diffusion de l’information ? Je ne peux pas vous le dire. J’espère que dans les écoles, les jeunes générations ont été informées et sensibilisées ? Je ne suis pas allé vérifier.

The Link Fwi : Vous avez longuement énuméré les problèmes que cause le Chlordécone mais, en quoi ce pesticide est-il vraiment dangereux ?

Christophe Lèguevaques : Il est à la fois dangereux pour les populations mais aussi pour l’environnement. Il est dangereux car c’est un produit qui a une rémanence, ce qui signifie qu’il est extrêmement stable. Il va rester pendant très longtemps dans les sols et dans les eaux. Dans le cas du Chlordécone, on parle de plusieurs siècles, jusqu’à sept siècles sans être dégradé ou détruit. D’autre part, c’est un produit qui est biocide pour le charançon du bananier mais aussi pour l’être humain ainsi que pour les autres espères présentes dans les îles. Nous avons des analyses réalisées aux Etats-Unis dans les années 1960, avec des rats et des souris ayant développé des cancers. Il est donc source de cancer, notamment celui de la prostate. Il y a aussi des problèmes de santé sur les femmes, car il est un perturbateur endocrinien. Il perturbe tout ce qui touche au régiment hormonal qui est nécessaire pour le développement des grossesses. Il peut avoir une influence sur le développement de l’embryon dans les cas de grossesses et même du développement des nouveau-nés même après leur naissance. C’est la raison pour laquelle nous disons que 90% de la population qui est concernée. Quel que soit votre âge, votre sexe, vous êtes exposé à ce produit et nous savons de manière certaine qu’il est à un rôle dans d’autres maladies. Il y a des études réalisées à l’international qui prouvent que le Chlordécone a un impact sur l’aggravation de certaines maladies. Il y a un an ou deux, une étude scientifique publiée prouve que la présence de Chlordécone rend plus difficile le traitement de certains cancers et ceux-ci récidives plus facilement parce que le corps n’est plus en mesure de se défendre et de tuer les cellules cancéreuses.




Me Christophe Léguevaques. Photo DDM, archives.

TLFWI : Malgré sa dangerosité, les juges d’instruction parlent d’une possible prescription des faits. Sur quoi basent-ils leur argumentaire ?

Christophe Lèguevaques : Il y a plusieurs éléments dans cette question. Tout d’abord, là, vous vous placez du point de vue pénal. Il y a deux types de procédure qui sont en cours. Une procédure pénale qui a été lancée en 2006 et qui cherche à trouver les responsables et les couples et dans une moindre mesure à obtenir des condamnations des coupables mais surtout des réparations. Dans ce dossier pénal, les juges prennent le prétexte de la prescription pour dire qu’ils ne sont plus en mesure d’enquêter donc, qu’il faudrait arrêter l’instruction. Pour mieux comprendre, la prescription qui est une règle de Droit, elle veut qu’au bout d’un certain temps, on ne peut plus poursuivre un criminel parce qu’il y a un risque de déni de justice et qu’avec le temps qui passe, nous aurons moins de preuve de sa culpabilité. Nul ne peut l’ignorer que l’un des principes du Droit pénal français est la présomption d’innocence. Donc, tant que l’on n'a pas prouvé que vous êtes coupable, vous êtes présumé innocent. Plus le temps passe et plus il est difficile d’avoir des preuves, ce qui est vrai. Si on prend le cas du dossier du Chlordécone, certains éléments du dossier ont disparu, opportunément d’ailleurs. Il y a des archives du Ministère de l’Agriculture qui ont soit été dérobés, ce que j’en doute fort, soit perdus. Ce qui ne permet pas de faire le lien complet entre des faits ayant eu lieu entre les années 1970 et 1980 et ceux des années 1990. Il y a donc un mystère auquel nous n’aurons sans doute jamais de réponse.

Pour la prescription, il y a deux points qui sont importants. Il y a la LOI qui fixe à la fois la durée de la prescription et son point de départ. La durée dépend de la nature du délit ou de l’infraction. S’il y a crime, viol ou assassinat, la prescription est de vingt ans. Lorsqu’il s’agit d’un délit, donc une infraction moins grave, elle (la prescription) est de six ans. Par ailleurs, comme je l’ai évoqué, l’autre paramètre à prendre en compte est le point de départ de cette prescription. Quand il s’agit d’un crime, son point de départ commence par le fait de tuer quelqu’un, le jour où le meurtre est commis. C’est à partir de ce jour-là que le décompte des vingt ans commence. En matière de pollution, d’administration de produits nuisibles, le point de départ débute le jour où la pollution a commencé. Pour le cas du Chlordécone, les juges se basent donc le début de la pollution dans les années 1970 plus six ans. La dernière action de pollution date de 1993, donc plus six ans donc nous sommes en 1999, si à cette date personne n’avait porté plainte, c’est terminé, surtout quand on sait que les plaintes qui ont été déposées l’ont été en 2006 donc, trop tard. Toutefois, nous savons qu’entre 1999 et 2006, il y a eu des plaintes ou du moins des procès-verbaux qui ont été établis par les Douanes qui ont été relevés la présence de Chlordécone sur le territoire de la Guadeloupe et de la Martinique. De même, il existe une plainte de la société Capes Dolé qui avait porté plainte au Pénal, ce qui vient porter un coup d’arrêt à la prescription. Tous ces éléments permettent d’affirmer qu'elle était interrompue.


De plus, autre élément à prendre en compte, nous sommes face à un délit continu. La pollution ne s’est pas arrêtée en 1999. Bien au contraire, elle continue jusqu’à nos jours et ce pour des siècles à venir. Nous ne pouvons pas faire partir le point de départ de la prescription de la pollution, mais il faut attendre la fin. A ce sujet, la jurisprudence n’est pas très claire. En plus, nous avons le sentiment que les juges veulent jouer la montre contre nous donc, la position qu’est celle des signataires de la pétition dont nous parlions en début d’interview, consiste à dire que nous poursuivons le combat devant les juges pour leur démontrer qu’ils ont tort et qu’il n’y a pas de prescription. Puis, sans attendre la décision d’une Cours de Cassation qui arrivera sans doute dans cinq ou dix ans. Il faut que nous forcions le législateur à modifier la Loi afin de protéger les victimes des pollutions tant aux Antilles-Françaises, dans les Outremers que dans l’Hexagone. C’est ce que nous cherchons à imposer dans le débat sur la question de la pollution. Voici donc la raison principale de cette pétition. Ce n’est certainement pas pour accepter que la prescription soit acquise. Pour nous, elle ne l’est pas, car le délit continue et nous nous reposons sur l’ensemble des arguments que j’ai évoqué précédemment.

The Link Fwi : Selon vous est-ce qu’il y a une volonté de la part des représentants de l’Etat de clore ce chapitre de l’histoire antillaise sans que qui que ce soit ne soit poursuivi ?

Christophe Lèguevaques : Malheureusement, j’irai dans votre sens. D’un point de vue historique, rappelons-nous que les associations qui ont porté plainte en 2006, ce sont heurter à un refus d’enquête de la part du Parquet. Il a fallu qu’elles se battent pour que leurs plaintes soient validées et elles sont même allées jusqu’à la Cours de Cassation, ce qui au passage a fait perdre beaucoup de temps, près de sept de procédure. Ce qui prouve que le Parquet qui dépend du Ministère de la Justice, ne voulait pas que l’enquête avance. Là, le débat est différent, puisque les investigations sont menées par un juge d’instruction qui est censé être indépendant. Pourtant, nous constatons, mais ce n’est que mon point de vue, dans ce dossier, depuis 2010, rien n’est réellement passé. Les juges n’ont pas été très intrusifs. Ils n’ont mené aucune perquisition intéressante. Ils ne sont pas allés poser des questions aux personnes responsables de cette pollution et responsables de la mort de centaines voire des milliers de personnes. Bien au contraire, ils les ont laissé souvent mourir dans leurs lits. Quand je dis cela, je pense bien évidemment à Yves Hayot, à l’ancien président et ministre de l’agriculture Jacques Chirac ou encore Mr Pons. Il n’y avait pas une volonté farouche de savoir ce qui s’était réellement passé. Le risque que prennent nos gouvernants actuels, c’est que si jamais, ils se maintiennent dans l’erreur de la prescription en fermant le chapitre du Chlordécone, cela risque d’ouvrir de nouveaux. Cela risque bien de créer des troubles dans l’opinion publique. Qui plus est, du point universel, vu les valeurs prônées par la République, cela relèvera de l’injustice criante.


TLFWI : N’y a t’il pas d’autres moyens pour empêcher la prescription judiciaire de ce scandale sanitaire ?

Christophe Lèguevaques : Pour ce qui est des moyens, comme je l’ai évoqué, nous allons nous battre devant les juges mais aussi changer la Loi. Cependant, la question que vous posé, si je la comprends, est de savoir s’il n’y a pas d’autres procédures pour faire reconnaître la responsabilité de l’Etat. Sur ce point, il y a un élément très important à comprendre, c’est qu’en Droit Pénal français, nous ne pouvons pas obtenir la condamnation pénale de l’Etat français. Il bénéficie d’une immunité. Ce qui signifie que quand bien même nous arriverions à faire supprimer la question de la prescription, nous ne parviendrons jamais à faire condamner l’Etat. Nous pourrions obtenir la condamnation de certaines personnes physiques, certaines entreprises ou organismes mais jamais celle de l’Etat.

En 2019, à l’initiative des trois associations que je représente, j’ai proposé une tout autre procédure qui diffère du pénal. Il s’agit d’une procédure devant le juge administratif. Pour ce faire, je propose deux choses. Tout d'abord que ce juge administratif reconnaisse la responsabilité de l’Etat dans la pollution et dans ses effets. Là, nous ne faisons que reprendre les paroles du président Emmanuel Macron qui a lui-même dit que “ l’Etat était le premier responsable.” De ce fait, s’il est responsable, il faut qu’il paye. Pour éviter les débats sur les préjudices corporels qui nécessiteraient une expertise médicale. J’ai avancé l’idée que l’on se limite à indemniser dans un premier temps, le préjudice dit moral d’anxiété. Qu’est-ce qui se passe actuellement aux Antilles ? Vous vivez sur ces terres et maintenant, on vous interdit de manger les légumes, de ne pas pêcher les poissons, ou cultiver pour consommer les racines et même boire l’eau de chez vous. Il y a une contradiction à chaque propos tenu par l’Etat. On vit dans une sorte de méfiance à son égard, il y a des tensions et des doutes permanents. Ainsi, pour chaque participant à la procédure, qui sont au nombre de 1200, j’ai demandé 15 000€. Je ne suis pas sûr que nous les ayons, mais ce n’est pas ça le problème. L’unique volonté des participants est qu’un juge dise “ au nom de tous les français, que l’Etat est responsable ou est l’un des principaux responsables de la pollution au Chlordécone aux Antilles. “ Cette procédure est en cours, elle a été plaidée le 17 mai dernier. Au cours de l'audience, le rapporteur public reprend plusieurs de nos arguments, certes avec moins de véhémence et de colère mais l'essentiel est présenté au tribunal. Il a même conclu que l’Etat avait fait preuve d’une négligence fautive, ce qui signifie que l’Etat est bel et bien responsable.


Cependant dans son argumentaire, le rapporteur public explique pourquoi, selon lui, le tribunal ne peut pas condamner à indemniser le préjudice moral d'anxiété des demandeurs, car, d’après lui, le dossier manquerait de preuves et que l'on ne sait pas si chaque demandeur est malade et peut craindre pour sa vie. Il a conclu au rejet de la demande indemnitaire. Une position que j’ai combattue bien évidemment en reprenant des faits avérés que j’ai longuement énuméré dans cette interview. D’ailleurs, vos lecteurs pourront relire le compte rendu de l’audience du 17 mai 2022 sur mon site. En attendant, d’ici la fin de l’été 2022, nous devrions avoir une décision du Tribunal administratif.



Christophe Lèguevaques (Crédits : Rémi Benoit)

The Link Fwi : Si on revenait à votre pétition. Elle en est où ? Combien de personnes l’ont signé ?

Christophe Lèguevaques : A ma connaissance, quatre cent personnes l'ont signé, ce qui peut paraître faible vu la teneur du sujet. Mais, après, je ne sais pas comment localement l’information a été traitée. J’ai mis en place cette pétition. C’est à travers les médias, les associations, les syndicats, que cette pétition peut toucher les citoyens et donc vivre pour avoir son impact. J’ai cru comprendre qu’elle venait à contretemps, que ce n’était pas le bon moment etc. Pour moi, ceux qui le pensent, ont tort. Selon moi, il faut faire en même temps, la contestation devant les juges d’instruction afin de leur faire comprendre l’inexactitude de leur possible décision et parce que le temps est compté et qu’il est impératif de faire changer la Loi. Il n’y a rien de pire que d’entendre un juge dire qu’il y a prescription et qu’à ce moment même si on change la Loi, nous ne pourrons pas revenir sur cette décision du juge. C’est pour cela qu’il faut forcer les juges à changer leur positionnement et dans un même temps, demandé au législateur de modifier la Loi. ( Signez la pétition : Petition-Chlordecone | MyLeo )

TLFWI : Vous avez répondu à la totalité de nos questions. Avant de mettre un terme à notre entretien, quels sont les prochains rendez-vous judiciaires ?

Christophe Lèguevaques : Alors vous en avez deux qui sont très rapprochés. Il y a eu la plaidoirie devant le Tribunal administratif et fin juin la décision des juges d’instruction au sujet de la possible prescription.

The Link Fwi : Nous vous remercions me Lèguevaques. Ce fût un réel plaisir d’échanger avec vous.

Christophe Lèguevaques : C’est moi qui vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer sur ce dossier que je défends.

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