top of page

Affaire Claude Jean-Pierre : " Nous avons l'impression que la justice joue le contre la montre"

  • ELMS
  • 30 août 2021
  • 22 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 févr. 2023

Connaîtrons nous un jour, le fin mot de cette sordide affaire ? C'est en tout cas l'espoir de la famille de Claude Jean-Pierre, ce retraité décédé dans d'étranges circonstances en décembre dernier, suite à un contrôle de gendarmerie. Aidés de leurs avocats, depuis près d'une année, Fatia et Christophe mènent un combat sans relâche pour que la justice soit faite et qu'enfin, ils puissent faire leur deuil. Nous les avons retrouvé pour parler des suites de l'affaire et des conséquences de la publication de la vidéo.


Fatia et Christophe les poings levés demandent justice pour Klodo. Photo : ELMS Photography

La Guadeloupe est-elle en train d'emprunter la même trajectoire que l'Hexagone ou encore celle des Etats-Unis ? A savoir, celle des violences policières et de l'impunité liée à l'uniforme. Vraisemblablement.

Dans la pensée commune, lorsque l'on évoque la question des brutalités policières, on pense d'emblée au pays de l'Oncle Sam. Il faut dire que ces dernières années, nombreux ont été les cas de violences policières relayées dans la presse nord-américaine ou internationale. Pour la grande majorité d'entre-elles, les victimes sont bien souvent des afro-américains. Ce qui a favorisé à partir de l'année 2014, l'apparition du mouvement Black Live Matter qui a pris une envergure internationale suite à la mort de George Floyd.


La France, quant à elle, n'est pas en reste. Depuis la fin des années 1980, la presse nationale se fait l'écho de ces cas où des policiers ou des gendarmes sont accusés d'usage excessif de la force face à des populations, provenant en général des banlieues et issues de l'immigration. Mauvaise élève de l'Europe, la France figure en bonne place des pays européens où les violences policières sont courantes. Longtemps passées sous silence ou classées sans suite, quelques unes ont quand même défrayées la chronique. On pense aux affaires Zyed et Bouna en 2005,Lamine Dieng en 2007. Plus récemment ce sont les morts de Liu Shaoyao, El Yamni, Bah, Gaye Camara, Elabdani, Mederres, Gomes, Dramé, Legay, Kébé ,Kameni, Touat, Laronze, Rousseau Sissoko. Ce sont bien les médiatiques affaires Adama Traoré et les interpellations violentes de Théo Luhaka ainsi que celle de Michel Zecler , (ce producteur de musique d'origine martiniquaise qui a été véritablement agressé par la police dans son immeuble, le motif de l'arrestation fut celui du non port du masque alors qu'il rentrait dans les locaux de son studio de musique.)


Cependant, c'est bien la violente répression du mouvement Gilets Jaunes entre 2018 et le début de l'année 2020, qui a mise en lumière ces problèmes. Manifestants éborgnés ou amputés dû aux usages excessifs des flashballs, des grenades de désencerclement de type GLIF-4, au passage des armes proscrites ailleurs en Europe, car considérées par certains fabricants d'armes justement comme des armes de guerre, pourtant en France, elles sont encore utilisées sur le terrain.


Plus récemment, le 16 Août 2021, aux environs de 1h30, un contrôle routier anodin a dégénéré dans la ville de Stains en Seine-Saint-Denis. Trois policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de Stains ont ouvert le feu, blessant grièvement Nordine 37 ans conducteur d'un véhicule ainsi que sa compagne présente au moment des faits. La scène filmée par un témoin a été diffusée sur les réseaux sociaux. Sur cette vidéo, on y voit trois hommes sans signes distinctifs montrant qu'ils sont policiers, procéder au contrôle d'une voiture à l'arrêt. Le conducteur du véhicule redémarre alors brusquement et percute un premier policier en reculant, tandis qu'un deuxième membre des forces de l'ordre est entraîné sur quelques mètres en voulant arrêter la voiture. Deux policiers ouvrent alors le feu à plusieurs reprises sur le véhicule, blessant gravement Nordine et sa compagne. Face aux réactions et à la colère des habitants de Stains, une guerre de l'image s'engage entre la famille des victimes épaulé par des collectifs et la Préfecture de Police.


Selon les forces de l'ordre, la suite d'un refus d'obtempérer, un équipage de trois policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de Stains a tenté de contrôler le conducteur d'un véhicule qui, après avoir coupé le contact, a redémarré brusquement. Lors d'une marche arrière, il a percuté un premier policier. Un deuxième policier a alors tenté d'immobiliser le véhicule mais a été entraîné sur plusieurs mètres alors que le conducteur était reparti en marche avant.




Comme pour toutes les affaires de violence policière, une enquête a été ouverte, la Sous-direction de la Police Judiciaire du 93 et l'IGPN sont saisies, afin de comprendre pourquoi des policiers, sans brassard distinctif ont ouverts le feu alors que visiblement leur vie ne semblait pas en danger. De ce fait, ils ont été placés en garde à vue mais relâchés 48h après. Officiellement, l'enquête continue.


Toujours à l'hôpital, "sous morphine et encore sous le choc" selon l'une des sœurs de la victime, Nordine n'a pas encore été entendu par les enquêteurs. Il devrait donner sa version des faits prochainement. L'avocat de la victime, maître Yassine Bouzrou, qui a notamment défendu la famille Traoré, a déposé plainte pour tentative d'homicide volontaire


Dans ce type d'affaires, malgré les preuves, une grande majorité d'entre-elles n'aboutissent pas ou bien souvent, les policiers incriminés sont relaxés l'affaire traine durant des années jusqu'à un classement sans suite. Donnant un sentiment d'impunité voire d'injustice, avec un pouvoir régalien du côté des hommes en uniforme.



Des violences policières par le passé :


Eloignée de l'Hexagone, la Guadeloupe s'est longtemps crue épargner par les violences policières; bien que de nombreuses affaires de brutalités policières jalonnent l'histoire de l'Archipel. Celle qui revient le plus évidemment est la répression de Mè 67 dont le bilan humain fut dramatique et la blessure est jusqu'à présent béante. Autre affaire, celle du lycéen Charles-Henri Salin, assassiné par un gendarme alors qu'il sortait du cinéma Rex. Une affaire qui n'a jamais été résolue puisque le gendarme Maas (c'est son nom), coupable de ce crime, a été dans un premier temps acquitté avant d'être déclaré coupable d'avoir «provoqué la mort sans intention de la donner». Cependant, toujours selon le Tribunal, il aurait eu «un motif légitime». Il fut même décoré pour ses états de service. Autre affaire, plus récente celle-là, en 2017, à Trois-Rivières, commune du Sud Basse-Terre, un père de famille appelle les secours pour son fils schizophrène. Au final, ce dernier est abattu par les hommes du RAID. Résultat 8 balles tirées, une famille endeuillée qui a porté plainte contre l'usage excessif de la force et un système judiciaire toujours silencieux, même 5 ans après les faits.


Affaire Claude Jean-Pierre, bientôt un an


Depuis décembre 2020, une affaire ébranle la tranquillité des îles. Celle de Claude Jean-Pierre, du nom de ce retraité, de 67 ans décédé dans d'étranges suite à un contrôle de gendarmerie opéré le 21 novembre 2020 sur le territoire de la petite commune de Deshaies en Guadeloupe.



La suite on la connaît, les sapeurs-pompiers sont appelés sur les lieux pour un malaise. Très vite, c'est le SMUR qui se rend sur place et qui prend le relais. L'état de Claude se se dégrade. Conduit au CHU de Pointe-à-Pitre, plusieurs examens sont effectués par le médecin en charge. Ce dernier constate une double fracture des cervicales dont une instable qui compresse la moelle épinière. Par ailleurs, des hématomes sont également présents sur le visage de la victime, qui est entre temps conduite en réanimation. Il est ensuite opéré en urgence. L'opération se déroule le 24 novembre et aurait été un succès selon les dires des médecins du CHUG. Cependant, ils auraient admis à la famille que Klodo ne retrouverait pas une vie normale ou du moins pas avant un bon moment car, il y a une lésion à la moelle épinière mais que son pronostic vital n'était pas engagé. C'est donc le soulagement pour la famille et surtout pour la fille qui a fait le déplacement depuis l'Hexagone où elle réside. Pourtant, le jeudi 03 décembre, il décède. La famille porte plainte. Face à la pression populaire, une enquête est ouverte. Un mois, c'est le temps qu'aura mis la justice pour remettre aux avocats de la famille les résultats de l'autopsie et les images des vidéos de surveillance de la municipalité de Deshaies. Autre fait répertorié dans ce dossier, le manque de neutralité du procureur la République, Xavier Sicot, censé défendre les intérêts communs semble vouloir atténuer la responsabilité des gendarmes. Il justifie l'interpellation de Claude Jean-Pierre par une conduite hésitante causée par l'alcool. Par ailleurs, l'homme de loi estimait face à la presse que les règles d'interpellation avaient été respectées par les gendarmes mis en cause. Il n'aurait pas auditionné les gendarmes mis en cause et encore moins saisi l'IGGN


Bientôt un an et l'affaire semble être au point mort. Connaîtrons nous un jour, le fin mot de cette sordide affaire ? C'est en tout cas l'espoir de la famille Aidés du collectif d'avocats , Fatia et Christophe, fille et gendre de Klodo mènent depuis décembre, un combat sans relâche pour que justice soit faite et qu'enfin, ils puissent faire leur deuil. Notre journaliste les a retrouvé lors de leur passage en Guadeloupe pour parler des suites de l'affaire et des conséquences de la publication de la vidéo.


Fatia fille de Klodo lève ses poings et demande justice pour son père. Photo : ELMS Photography


The Link Fwi : Bonjour Fatia et Christophe, on se revoir sept mois après le début de l'affaire, première chose quel est votre état d'esprit à ce jour ?



Fatia : Nous sommes actuellement en Guadeloupe, cela nous replonge effectivement dans le douloureux souvenir du mois de Décembre 2020. Les choses qui nous permettent de tenir sont le soutien de nos compatriotes, des personnes que nous avons rencontré quotidiennement. Notre sentiment vis à vis de l'avancée de l'affaire est plutôt mitigée. C'est vrai que nous avons vu que les lignes ont un peu bougé, les deux gendarmes mis en cause bénéficient désormais du stat de témoins assistés mais, nous sommes partagés puisque nous restons dans cette soif de vérité, de justice et nous attendons vraiment cette mise en examen qui nous permettra vraiment d'avancer dans le dossier et nous avons l'espoir de voir un jour s'ouvrir le procès.


Christophe : Selon moi, c'est important pour nous de revenir sur place. Cela s'est passé en Guadeloupe, c'est donc une histoire Guadeloupéenne. Nous nous battons pour Claude, pour un Guadeloupéen et pour sa mémoire et son image. Aujourd'hui, c'est naturel d'être ici avec nos premiers soutiens, notre peuple, pour continuer sur la même recherche de vérité même si on en a une forte idée.


TLFWI : Justement si nous revenions sur cette affaire ? Qu'est-il arrivé à votre père ?


Fatia : Le 21 novembre 2020, mon père Claude Jean-Pierre a été contrôlé aux environs de 14h par les gendarmes dans la ville de Deshaies qui est une commune d'ordinaire paisible. Ce jour-là, il a été contrôlé par deux gendarmes qui ont procédé à un contrôle tout à fait normal et à un test d'alcoolémie. A la suite de ce contrôle, il a été admis aux urgences du CHU de Pointe-à-Pitre. Les médecins du CHU ont décelé deux fractures des cervicales et une compression de la moelle épinière. Ma famille résidant en Guadeloupe, puisque Christophe et moi résidant dans l'Hexagone, a été contactée car les blessures par les médecins étaient arrivées dans des circonstances troubles. Au sens où les services d'urgences ayant déposé mon père à l'hôpital ont dit que mon père avait fait un malaise, en tout les cas ce sont les informations qui leur ont été données par les gendarmes. Ainsi, dans un premier temps, ils ont réussi à nous faire croire à cette hypothèse de malaise mais, malheureusement pour ces gendarmes et heureusement pour nous, sur les lieux de l'interpellation, il y a une caméra de vidéosurveillance mise en place par la municipalité. Il faut savoir que la commune de Deshaies est équipées de ce type de moyen de surveillance et de protection sur son territoire et notamment dans le centre-ville. Le 3 décembre 2020, la famille et donc en l'occurrence moi, nous avons décidé de porter plainte afin d'avoir accès à ces images. Nous avons pu visionner les images en présence de nos avocats. A partir de là la procédure a vraiment été compliquée notamment à partir du 10 décembre. Date à laquelle, nous avons été reçus par le Procureur de Basse-Terre qui nous a présenté quelques cliché de la vidéo mais nous avons été déçus car, nous estimons que ces images sont sujettes à interprétation. Le Procureur nous montre trois photos en nous disant qu'un juge est saisi et qu'à partir du lendemain, nous aurions accès au dossier. Le lendemain, notre avocat, maître Bernier s'est présentée au Tribunal malheureusement le Juge saisi était parti en congé. Un congé qui devait durer une semaine. Elle s'est donc rendue au Tribunal la semaine suivante, sur place, elle apprend que la Juge a prolongé ses congés d'une semaine. A partir de là, Christophe et moi avons décidé d'informer la population de problème. Nous nous sommes dit, un homme à la suite d'un banal contrôle de gendarmerie se retrouve dans le coma, en plus au moment de son admission au CHU, il était déjà en situation de tétraplégie. Je suis arrivé le 25 novembre sur le territoire et jusqu'à son décès, le 3 décembre 2020, je suis allé voir mon père tous les jours. Je salue le professionnalisme des médecins car, tous les jours, ils me faisaient des compte rendus sur la façon dont ils procédaient. Ils ont tout fait pour le réveiller, de lui parler, lui expliquer où il se trouvait, malheureusement sans grand résultat. Mon père a toujours été plongé dans un profond coma pour éviter d'aggraver sa situation et le soulager. A l'hôpital, je me suis rendu compte de la gravité de la situation en entendant le mot tétraplégie. Cela n'arrive par comme cela. Ce sont véritablement les deux vertèbres brisées et la compression de la moelle épinière qui ont conduit à cet état. Une fois que nous avons eu accès au dossier, à la vidéo, Christophe, nos avocats et moi-même avons été choqués par la violence de l'intervention procédée par les deux gendarmes qui jusqu'à maintenant, essaie de minimiser leurs actions. Pour eux et pour le Procureur, il y aurait eu une tentative de fuite de la part de mon père qui n'a pas été révélée par la vidéo. Jusqu'à ce jour, nous nous demandons où ils sortent cette information. Pourtant, les images que nous avons pu voir et que le public a pu voir après la diffusion via le site Le Média sont édifiantes. Jusqu'à ce jour, je n'ai pas la force de visualiser ces images, je me suis arrêté à l'extraction du véhicule. Plusieurs personnes m'ont évoqué la violence des actes des deux représentants de la Loi. Christophe lui a regardé mais me concernant, je n'ai pas la force et je ne veux pas regarder l'ensemble de cette vidéo, car tout simplement, je ne veux pas avoir cette image là de mon père.


Christophe : Il y a une chose qui ressort, le visionnage de la vidéo a choqué l'opinion publique suite à sa diffusion. Tout le monde s'est rendu compte de la violence qui n'est pas que physique mais psychologique, morale qu'a subi Claude. Il y a tout le traitement après l'extraction du véhicule dont on peut discuter. Par ailleurs, on se rend compte qu'au cours de l'enquête les gendarmes se contredisent. Leur version est discordante et, nous avons l'impression que leur vision des chose ne correspond pas à la vidéo que tout le monde a vu alors que, les principaux concernés ce sont eux. A ce moment là, nous nous demandons comment pouvons nous avoir confiance en leurs propos quand ils nous parlent de course poursuite. Jusqu'à présent, rien ne prouve qu'il y a eu une course poursuite....


The Link Fwi : Jusqu'à présent, ils maintiennent cette version, ( course poursuite) malgré la divulgation de la vidéo ?


Christophe : C'est à dire que, le terme " course poursuite " n'est pas clairement dit dans le dossier. Ils affirment avoir suivi Claude mais, eux, ils ne sont pas d'accord sur le moment où ils ont déclenché les gyrophares. Un dit qu'ils les ont allumé à un moment, l'autre affirme le contraire. Les deux gendarmes se fourvoient....


Fatia : Il y a des divergences dans leurs témoignages.


Christophe : Voilà. Si eux-mêmes ne savent pas à quel moment ils ont allumé les gyrophares pour demander à quelqu'un de s'arrêter, il y a un vrai problème et pour Claude, cela devait être encore plus compliqué de savoir quand et où se garer. En plus, on parle de quelques centaines de mètre. On ne parle pas d'une course poursuite de deux, trois ou quatre kilomètres. Puis, lorsque l'on connaît le bourg de Deshaies, on a du mal à s'imaginer une course poursuite là. Cela nous pose un problème de partialité et nous voyons que ces propos sont repris par le Procureur de la République qui est censé être impartial. Dans le droit français, le Procureur n'a pas à prendre la défense d'une partie contre l'autre. Il est là pour relayer des faits établis dans le dossier. Sauf que nous nous rendons compte qu'à chaque fois, qu'il prend la parole, il est plus question de Claude que des deux gendarmes mis en cause. Cela pause un réel problème au niveau de l'enquête et au niveau de notre confiance.



Fatia et Christophe les poings levés demandent justice pour Klodo. Photo : ELMS Photography



The Link Fwi : Aujoud'hui, presque huit après les faits, où en est le dossier ? Quelles sont les avancées et les nouveaux éléments apportés ?



Christophe : Nous avons une commission rogatoire qui entrée. Cette dernière comporte l'audition de plusieurs témoins présents au moment des faits et visibles dans la vidéo mais aussi les gendarmes par les enquêteurs et la juge d'instruction. On découvre avec effroi des propos horribles tenus par les gendarmes. Nous découvrons également que ce qui a été vu par tout le monde sur la vidéo, ce n'est pas ce qui a été dit aux pompiers au moment du contrôle. Cela pose question pour une prise en charge correcte. Un considère que c'est violent, l'autre non, alors qu'ils( les gendarmes) étaient présents. Un ne sait pas où il était positionné lors de l'extraction. En fait, ils oublient. Ils ont la mémoire courte voire très sélective...


Fatia : Une mémoire et une audition sélective. Evidemment nous respectons le secret de l'instruction mais comme l'ont dit nos avocats lors de la conférence de presse organisée récemment, " il y a un problème d'appréciation de la situation et de l'état de mon père au moment de l'extraction du véhicule". C'est un gros problème qui a déjà été constaté par nos avocats et que nous avons nous mêmes noté quand on a pris connaissance de cette commission rogatoire.


Christophe : Les gendarmes sont là pour sécuriser, protéger, pour intervenir en faisant usage d'une force proportionnelle. Nous avons à faire à un homme de 67 ans, qui était, eux-mêmes le disent, ni violent ni menaçant, donc pourquoi avoir fait une usage de la violence. D'autant plus que les clés du véhicule lui avaient été retirées au moment du contrôle donc, il n'allait pas fuir. Sur les vidéos, nous l'avons vu. Il a les jambes posées au sol, il n'a pas l'air plus menaçant que ça. De plus, nous apercevons une deuxième voiture de gendarmes qui passe au moment du contrôle. S'il y avait un réel danger pour ces deux gendarmes, cette autre patrouille serait restée en renfort. Là nous sommes dans le cas d'un homme de 67 ans face à deux gendarmes en pleine possession de leurs moyens. Clairement, un homme qui se retrouve au sol avec des vertèbres cassées, il s'agit de cela. Nous ne voyons pas à quel autre moment Claude aurait pu se faire ça, hormis lors de l'extraction du véhicule. Les rapports médicaux soulèvent cette hypothèse, ce n'est pas nous qui l'inventons. Il y a des documents qui le soulignent. Malgré tous ces éléments factuels, nous avons des gendarmes qui font une garde à vue de quatre heures. En Guadeloupe, des gendarmes mis en cause dans la mort d'un homme font une garde à vue de quatre heures. Alors que très récemment, nous avons eu nos hommes politiques qui eux ont fait des gardes à vue de 24 à 48h. Il y a ce deux poids deux mesures qui nous dérange fortement.



TLFWI : Nous savons que vos avocats ont demandé une expertise, la Juge a elle aussi mandaté des experts, mais combien sont ils pour cette affaire ?



Fatia : Une autopsie a été effectues au CHU de Pointe-à-Pitre. A la suite de cela, nous avons le médecin qui fait plusieurs hypothèses. Il nous donne ces suppositions et résultats d'analyse. Pour corroborer et appuyer ces versions, il a été demandé l'intervention de trois spécialistes. Un médecin urgentiste, un expert en radiologie et un expert en neurologie. La juge a pris connaissance de ces éléments et pourtant, elle demande l'expertise d'un médecin généraliste. Ce dernier fait son travail, rend son compte rendu dans lequel il dit que la mort de mon père pourrait être occasionnée par telle chose. Cependant, tous ces éléments ne font pas avancer le dossier. Nos avocats ont donc demandé une contre-expertise...


Christophe : En fait, quand le juge mandate le médecin généraliste, il lui demande les causes réelles du décès. Sachant que ce n'est pas un expert. Le médecin légiste demande des expert pour déterminer les véritables causes de la mort de Claude. Surtout que la médecine est très protocolaire. Chaque personne à son domaine de compétences. Pour avoir des explications sur certains éléments, le légiste demande des experts pour avoir leurs avis et là, on nous mandate une médecin généraliste qui n'est pas expert. De plus ce médecin généraliste est connu pour être très partial sur ce type d'affaire. Son nom reviendrait souvent dans des affaires dans lesquelles les gendarmes sont mis en cause, après c'est à prendre avec des pincettes. Face à cela, nous nous posons des questions surtout que lorsque nous analysons son rapport, nous nous disons qu'il y a un problème. Normalement, un médecin qui n'est pas spécialiste dans un domaine ne peut pas se prononcer sur ce genre de chose. Pourtant, ce monsieur se permet de se prononcer sur des choses qui ne sont pas de sa compétence. Nous n'avons rien contre lui mais, ce n'est pas un expert ni en neurologie ni en radiologie et encore moins en médecine de réanimation. C'est un médecin généraliste...


Fatia : Par rapport à cette demande de contre-expertise, le dossier sera traité dans l'Hexagone par ces trois experts et les résultats devraient arriver normalement au mois de novembre. Croisons les doigts pour cela arrive un peu plutôt car, sans vous le cacher le mois de novembre est assez particulier pour nous puisque cela fera un an qu'a débuté l'affaire. Nous espérons que les différents rapports de ces experts feront bouger les choses. De plus, avec nos avocats nous continuons de nous battre pour qu'il y ait cette mise en examen.


Fatia : Rien n'empêche que la procédure suive son cours tout en mettant les deux agents en examen.


Christophe : Le problème c'est que nous avons des éléments accablants, des versions discordantes de deux personnes qui étaient là au même endroit au même moment. C'est très problématique car, ce sont des forces de l'ordre, ils sont censés être formés pour ce genre de situation. Nous avons des rapports médicaux qui montrent qu'il y a eu des traumatismes qui ont peut-être jouer un rôle dans le décès de Claude. Face à tous ces faits évoqués, pour nous, il devrait y avoir une mise en examen et pourtant, ils bénéficient du statut de témoins assistés et dans ce cas précis, personne ne comprend la raison de ce statut. En plus, nous avons l'impression qu'ils sont protégés et nous, nos droits nous sont retirés au sens où Fatia, les autres membres de la famille ou même moi, chaque fois qu'un nouvel élément arrivait dans le dossier au début nous pouvions faire la demande par écrite au juge pour voir ces éléments tout en respectant le secret de l'instruction. Sauf que, dès lors que la vidéo a fuité et que la commission rogatoire a commencé, ils nous ont retiré le droit de consulter le dossier sans la présence de nos avocats.



Fatia : Cela ne nous poserait pas de problèmes si nous étions sur le territoire alors que Christophe et moi ainsi qu'une cousine qui s'est aussi constituée partie civile, résidons dans l'Hexagone, c'est donc problématique pour nous trois, parce que quand le résultat de cette contre-expertise arrivera, nous serons obligés de payer des billets pour prendre un avion afin de pouvoir. De plus, faudra encore payer les avocats vu qu'ils passent aussi du temps sur le dossier. Ce sont des dépenses pour nous, surtout qu'il s'agit juste d'une lecture du dossier et du nouvel élément et sois pour protéger les sources, protéger les enquêteurs et nous protéger, les parties civiles. Le motif principal du dossier c'est cela, la protection de sources. Nous avons fait appel de cette décision, notre demande a été refusée par la juge. C'est vrai que là nous sommes en vacances, c'est très bien, mais nous aimerions consacrer nos vacances à autre chose. Vous imaginez, nous avons passé deux demi-journées avec Maître Bernier à analyser les nouveaux éléments qui sont entrés dans le dossier. Nous profitons de nos vacances c'est vrai pas comme le voulions mais pour nous, ce n'est pas normal.


Christophe : Effectivement c'est du temps, c'est de l'argent. Pour notre avocate aussi c'est du temps passer sur le dossier, surtout que nous ne sommes pas ses seuls clients, elle n'est pas l'avocate personnelle de la famille Jean-Pierre. Nous devons la rémunérer. De plus, ce sont des documents écrits de plusieurs pages qui prennent des heures à lire. Les analyser prend du temps. Nous aurons donc une lecture furtive des éléments. Alors qu'en droit, nous savons que chaque mot et chaque contexte ont leur importance. Il faut pouvoir entendre les propos de tout un chacun et dans ce genre d'affaire, c'est un travail de fourmi. Lorsque vous êtes privé de ce droit, celui de pouvoir consulter afin de pouvoir se défendre comment voulez-vous que l'on se défende ? Sachant que nous sommes déjà des victimes cela commence à faire beaucoup.



Fatia fille de Klodo lève ses poings et demande justice pour son père. Photo : ELMS Photography

The Link Fwi : Justement, la divulgation de la vidéo par le site d'investigation Le Média a t'elle été déterminante dans l'affaire ?




Christophe : Clairement oui ! Il faut savoir que, nous avions déjà du soutien mais le fait que Le Média publie la vidéo, a persuadé les plus sceptiques. Après tout, c'est comme cela, il y a des personnes qui ont besoin de voir pour croire. Nous dirons que la vidéo a remis tout le monde à l'heure. Désormais, nul ne peut ignorer l'évidence. Autant que nous voyons que l'opinion publique a été choquée, je dirais même a été outrée par la violence de la scène, même certaines personnalités issues du monde politique, médiatique et artistique sont montées au créneau. Le seul domaine que ça ne révolte pas c'est le domaine judiciaire et c'est effarant . Cela nous interpelle vraiment. Pour répondre à la question, cette vidéo a joué un rôle déterminant dans l'avancée de l'enquête notamment auprès de l'opinion publique.



TLFWI : En parlant de vos soutiens quels sont les messages que vous recevez et qui sont ces soutiens ?


Fatia : C'est vrai que nous avons été soutenus en Guadeloupe. Cependant, au pays, nous n'avons pas rencontré de familles de victimes des violences policières. Une fois arrivé dans l'Hexagone que là, nous avons été confrontés à ce monde familles de victimes. Nous avons rencontré la famille Traoré, la famille Dieng etc. Ce sont des familles qui se battent depuis des années pour un frère perdu, un père, un cousin, un oncle etc. De ces personnes, nous avons appris beaucoup. Par exemple, la famille Dieng a créé le réseau Entraide Justice et Vérité qui regroupe plusieurs familles de victimes. Toutes ces personnes sont venues à notre rencontre, nous ont tendu la main, nous ont accompagné dans les démarches et beaucoup conseillé également. Nous avons été beaucoup touchés par autant de soutiens, notamment ceux de Ramata Dieng qui a été la première personne à nous tendre la main. Par la suite, nous avons eu celui de Claudy Siar, sans oublier Assa Traoré. S'en est suivi de personnalités, de beaucoup de familles de victimes, membres de plusieurs associations implantées dans l'Hexagone avec lesquelles nous avons participé à plusieurs marches. Cela nous a remotivé car, tant que nous étions en Guadeloupe, nous étions entourés de notre famille, mais une fois que nous sommes retournés sur Paris, Christophe et moi, nous nous sommes retrouvés seuls chez nous avec notre chagrin et ce combat à porte, c'était très dur et le fait d'avoir tous ces messages de soutien de ces personnes qui elles aussi ont traversé les mêmes choses que nous. Le fait d'entendre leurs mots, de reconnaître ce que l'on vit et le fait de voir qu'il y a quand même de l'espoir dans tout ça, nous a fait beaucoup de bien. Pour preuve, nous sommes encore en contact avec ces personnes là.


Christophe : C'est clairement de l'amour que ces personnes nous donnent. Elles ne nous connaissent pas forcément et pourtant, elles sont touchées par notre situation. Je pense que c'est véritablement l'injustice qui créée ce sentiment là. Lorsque vous voyez que quelqu'un est victime d'injustice, vous êtes sensible à cela. Je pense que ce fût naturel pour ces gens de montrer qu'ils nous soutenaient et que notre combat était juste. En fait, à travers ces soutiens, cela montre juste que ce que nous faisons est bien. Premièrement pour le père de Fatia et si nous parvenons à aller jusqu'au bout de cette histoire là, nous espérons pouvoir éveiller les consciences sur cette problématique des violences policières que l'on a tendance à trop souvent à dissimuler dans le pays des Droits de l'Homme. Pour moi, il est important de communiquer, de faire de la pédagogie puisque les gens sont réceptifs quand il y a injustice et cela permettrait de créer une unité autour d'une cause. Lorsque vous parvenez à créer cette unité, cela permet de tout simplement rendre meilleur la société et nous, nous y croyons.



The Link Fwi : Depuis la mort de son frère Adama, Assa Traoré est devenue un symbole de la lutte contre les violences policières en France, elle est scrutée par la presse, critiquée par les partis de droite et d'extrême droite, donc elle a beaucoup de détracteurs qui la voient plus comme une opportuniste que d'un symbole, est-ce la cas pour vous ? Avez-vous des détracteurs ou des personnes qui critiquent votre démarche et soutiennent les gendarmes ?



Christophe : Nous ne pouvons pas dire qu'il y a eu des personnes qui se soient frottés à nous. Tous sont bienveillants, tous comprennent notre combat. Pour le moment, nous avons réussi à médiatiser l'affaire jusqu'au niveau nationale mais nous n'avons pas encore la portée internationale des combats comme celui d'Assa Traoré. Elle est arrivée à toucher l'opinion américaine et nous savons tous que, lorsque la France est mal vue hors de ses frontières ça pose problème. Nous concernant, il est vrai que notre affaire a été relayée sur plusieurs médias nationaux avec quelques articles mais, nous n'avons pas la portée médiatique du combat d'Assa Traoré. C'est sans doute pour cela qu'elle a autant de critiques et de détracteurs même au niveau de la presse. Nous, nous nous battons de notre côté, nous essayons de faire avancer les choses du mieux que nous pouvons. C'est pour cela que la solidarité que nous avons avec les uns et les autres est très importante parce que cela peut servir les uns et les autres. Pour nous, c'est ce qui est essentiel.


TLFWI : Vous avez évoqué le rôle des médias hexagonaux mais, au niveau local est-ce que votre affaire a été médiatisée ?


Fatia : Au niveau de la presse locale, nous avons été soutenus dès le début par Canal 10, avec l'animateur Chicanos qui nous a suivi depuis le début. Nous avons eu quelques interventions à Guadeloupe 1ère. Je dis bien quelques unes. Après, nous avons aussi reçu le soutien de nombreux sites d'information indépendants comme le vôtre qui mène le combat depuis le début. Mais, lorsque Christophe et moi avons su que cette fameuse vidéo avait fuité et qu'elle avait été diffusée par un média indépendant national, nous avons été choqués. Puis, nous nous sommes demandés " pourquoi les gros médias présents en Guadeloupe, qui ont des budgets conséquents, pourquoi, n'avaient-ils pas fait ce travail conséquent ? Pourquoi et comment se fait-il que nous n'avons pas été plus soutenus que cela, vu la gravité de la chose.



Christophe : A part Chicanos et Canal 10 qui nous ont ouvert leur antenne. Radyo Tanbou, radio Sofaïa également mais pour les gros médias, je dirais qu'ils sont plus dans la réaction que dans l'action. Au sens où, quand nous aurons une actualité, nouveaux éléments dans le dossier qu'ils viendront vers nous mais, je n'ai pas l'impression qu'ils font un travail d'investigation. Tandis que les médias nationaux, ce n'est qu'après investigation qu'ils viennent vers nous. C'est vraiment dommage. C'est une cause Guadeloupéenne, une affaire Guadeloupéenne, un fait divers Guadeloupéen, nous souhaitons que les plus réactifs soient les Guadeloupéens. En plus, l'affaire n'est pas terminée. Rien n'empêche les journalistes de poursuivre les investigations. La presse représente le quatrième pouvoir, ce n'est pas pour rien. De plus, nous avons besoin de cette constance populaire et médiatique puisque si nous tombons dans l'oubli, cela signifiera que les gens ne se sentiraient plus concerner par notre cause. La justice aura toutes les cartes en main pour gagner ce combat. S'il n'y a pas ce minimum de pression, forcément cela pose problème.



Fatia fille de Klodo lève ses poings et demande justice pour son père. Photo : ELMS Photography


The Link Fwi : Selon vous, il y aurait un manque de réactivité de la part de la presse locale ?



Fatia : Clairement oui ! Comme je le disais, beaucoup de petits médias qui nous ont aidé et qui le font encore. Beaucoup de petites radios qui nous reçoivent, de presses en ligne qui parlent de notre combat, alors que l'on pourrait faire tellement plus. Nous attendons et nous espérons que ça bougera, que les médias viendront plus vers nous, que nous ayons une actualité ou pas. Pour toujours essayer de garder cette pression qui nous permettrait d'éviter un non lieu et que l'affaire parte aux oubliettes.



TLFWI : Quel est votre état d'esprit ?


Fatia : A ce stade, nous n'avons pas encore fait notre deuil. Me concernant, c'est un combat intérieur constant. Je me sens un peu frustré de l'avancée de l'affaire. Après, j'essaie de toujours garder cette part d'optimisme et de ne pas sombrer dans la colère parce que c'est une énergie avec laquelle je pourrais me consacrer à d'autres choses. C'est le travail que nous faisons avec Christophe. Nous nous battons pour ne pas tomber dans la colère mais surtout pour avancer mais aussi comme on nous a tendu la main, Christophe et moi voulons tendre nos mains aux personnes qui auraient besoin d'être assistées, accompagnées dans une éventuelle injustice, c'est aussi important pour nous d'offrir pour pouvoir recevoir afin que nous puissions tous ensemble garder cet esprit de solidarité.



Christophe : Nous avons aussi le projet de monter une association, le nom c'est AJPK ( Association Jistis pou Klodo ). Cette association nous permettra de récolter un peu de fonds puisque ça à un coup tout ce que nous faisons; entre les frais juridiques à régler, les déplacements, le faire avec nos petits moyens, c'est assez compliqué. Nous avons aussi créé une cagnotte en ligne qui nous permettra de concrétiser toutes ces actions. Il faut savoir que, notre objectif n'est pas de s'enrichir. Nous le faisons à titre juridique pour nous aider à couvrir nos dépenses. Ensuite, nous espérons que cette association perdurera dans le temps car, avec l'expérience que nous commençons à acquérir, si nous pouvons d'autres personnes en situation d'injustice, nous ambitionnons de le faire.



Pour soutenir Fatia et Christophe, cliquez sur le lien : Soutien à la famille Jean-Pierre

Comentarios


bottom of page