La justice est-elle a deux vitesses en Guadeloupe et plus largement aux Antilles-Françaises ? Après le Chlordécone, voici que l'on se dirige véritablement vers un non-lieu en ce qui concerne l'affaire Claude Jean-Pierre. Ce vendredi au petit matin, une vidéo devenue virale, tournée par Fatia et Christophe a annoncé les réquisitions du procureur de Basse-Terre Xavier Sicot qui demande un non-lieu sur la plainte déposée dans le cadre de l'affaire Claude Jean-Pierre. Nous leur avons donné la parole.
La Guadeloupe est-elle en train d'emprunter la même trajectoire que l'Hexagone ? A savoir celle des violences policières et de l'impunité liée à l'uniforme. Du moins, la justice est-elle a deux vitesse en Guadeloupe et plus largement aux Antilles-Françaises ? Après le Chlordécone, voici que l'on se dirige véritablement vers un non-lieu en ce qui concerne l'affaire Claude Jean-Pierre. Ce vendredi au petit matin, une vidéo devenue virale, tournée par Fatia et Christophe a annoncé les réquisitions du procureur de Basse-Terre Xavier Sicot qui demande un non-lieu sur la plainte déposée dans le cadre de l'affaire Claude Jean-Pierre.
Tout a commencé le 21 novembre 2020, lors d’un banal contrôle routier effectué par deux gendarmes dans la commune de Deshaies. Les deux militaires arrêtent un homme de 67 ans répondant au nom de Claude Jean-Pierre et surnommé par ses proches : Klodo Bibik.
La suite est depuis connue de tous. Les sapeurs-pompiers sont appelés sur les lieux pour un malaise mais très vite, c'est le SMUR qui se rend sur place et qui prend le relais car, l'état de Claude se dégrade. Conduit au CHU de Pointe-à-Pitre, plusieurs examens sont effectués par le médecin en charge et on constate une double fracture des cervicales dont une instable qui compresse la moelle épinière. Par ailleurs, des hématomes sont également constatés sur le visage de la victime qui est conduite en réanimation. Il est ensuite opéré en urgence.
L'opération se déroule 24 novembre et aurait même été un succès selon les dires des médecins du CHUG. Ces derniers auraient cependant admis à la famille que Claude ne retrouverait pas une vie normale comme avant ou du moins pas avant un bon moment car, il y a une lésion à la moelle épinière mais que son pronostic vital n'est pas engagé. Soulagement donc pour la famille et surtout la fille qui a fait le déplacement depuis l'Hexagone où elle réside. Pourtant le jeudi 03 décembre, Claude décède. Sa fille qui était retournée en France est obligée de revenir.
Face à la pression médiatique et populaire une enquête est ouverte. Celle-ci prendra du temps. En effet lorsque nous avions interview Christophe et Fatia, le gendre et la fille Klodo, ceux-ci relevaient une lenteur ( sans doute volontaire) de la part des autorités pour révéler les causes de la mort de leur père et beau-père. Un mois, c'est le temps qu'aura mis la justice pour remettre aux avocats de la famille les résultats de l'autopsie et les images des vidéos de surveillance de la municipalité de Deshaies.
Autre fait répertorié dans ce dossier, le manque de neutralité du procureur la République, Xavier Sicot, censé défendre les intérêts communs semble vouloir atténuer la responsabilité des gendarmes. Il justifie l'interpellation de Claude Jean-Pierre par une conduite hésitante causée par l'alcool. Par ailleurs, l'homme de loi estimait face à la presse que les règles d'interpellation avaient été respectées par les gendarmes mis en cause. Il n'aurait pas auditionné les gendarmes mis en cause et encore moins saisi l'IGGN. Rappelons que le Procureur a pour rôle de défendre les intérêts de la société, agit au nom de l’État et ne peut prendre position pour l'une ou l'autre des parties.
Est à déplorer notamment l'inaction des médias locaux qui n'ont pas cherché à enquêter sur les raisons de la mort du retraité. C'est le site d'investigation Le Media qui a rendu public, les images de l'arrestation de Klodo puis de son agonie sur la chaussée. Le tout, face aux caméras de vidéosurveillance de la municipalité. On y a pu voir un Claude Jean-Pierre non agressif, au contraire, il obtempérait. Ce sont bien les gendarmes qui l'ont plaqué au sol avec violence, alors qu'il sortait de son véhicule.
Malgré ces faits, deux ans après la mort de Claude Jean-Pierre, la situation ne semble guère avoir évolué. Au contraire, elle pourrait même trouver une fin amère à la fois pour la famille que pour celles et ceux. Fidèle à ses déclarations du début, Xavier Sicot a donc estimé ne pas avoir suffisamment d'éléments et a préconisé un non-lieu. Chose courante lorsque des affaires impliquent des forces de l'ordre.
Il appartient désormais au juge d’instruction de rendre justice à Klodo. En attendant, la décision finale, nous avons décidé de donner la parole à Fatia et Christophe encore sonnés par le réquisitoire du procureur.
The Link Fwi : Bonjour Fatia et Christophe, un an après votre dernière interview dans notre média, la nouvelle est tombée, bien qu'elle ne soit pas définitive, le Procureur, Xavier Sicot a demandé le non-lieu concernant les faits entourant la mort de Claude Jean-Pierre qui était votre père et beau-père. S'il y a non-lieu, les poursuites engagées contre les gendarmes seront définitivement abandonnées. Quelles sont vos réactions ? Comment vous sentez-vous après presque deux ans et demi de combat judiciaire ?
Fatia : Après deux ans et demi de combat, nous sommes toujours aussi motivés. Cette nouvelle qui est tombée, nous a quelque peu démotivé, énervé même mais ce n'est pas pour autant que cela va entacher notre hargne parce que l'on sait où l'on va. Nous nous battons. C'est combat qui est noble. Nous avons donc décidé de ne pas nous laisser faire, de monter au créneau et de montrer que nous, la famille Jean-Pierre mais également la population de la Guadeloupe sommes unis derrière ce combat et qu'on arrêtera pas.
Christophe : Effectivement, dès le début, rien n'a été facile. Dès le départ, rien que pour récupérer la vidéo cela a été un parcours du combattant, alors que cela faisait déjà six mois que le dossier était sur le dossier du procureur. Puis, là on nous prône une réquisition de non-lieu. Alors que, dès le début, le procureur Xavier Sicot avait montré son parti pris. D'ailleurs, nous l'avons toujours dénoncé. Ses récentes déclarations, nous le confirment. C'est donc à moitié une surprise pour nous. Sauf que comme nous avons des éléments graves qui sont concordants, cela n'entache pas notre motivation et notre combattivité à toujours continué afin d'obtenir justice. Puis, peu importe les réquisitions du procureur, nous sommes décidés à aller jusqu'au bout.
TLFWI : Il est vrai que vous évoquez la position du procureur Xavier Sicot. Selon vous, est-il plus du côté de la gendarmerie auquel cas, manque-t-il de neutralité. Quelle est votre opinion sur son réquisitoire ?
Fatia : Dès le départ, le procureur nous a montré son manque de neutralité. Lors de la première conférence de presse, il a clairement indiqué que pour lui, le contrôle avait été fait dans les règles et qu'il ne voyait pas de violence dans les images. Or, tout le monde a vu les images et la disproportion de la force employée par les deux fonctionnaires de gendarmerie. Nous savions déjà qu'il manquait d'impartialité et que son jugement et toutes les décisions prises allaient dans le sens des gendarmes.
Christophe : Il faut rappeler que la victime ici c'est Claude Jean-Pierre. Sauf que dans toutes les déclarations du procureur, on constate que les victimes sont les gendarmes. Il défendait les gendarmes (incriminés) et non la victime. Il y a une sorte de criminalisation mise en place par le représentant de l'autorité publique, d'ailleurs c'est la même stratégie utilisée dès qu'il y a une affaire de violence policière. Nous dénonçons cela. Nous avons toujours trouvé cela malsain venant d'un représentant du Ministère public. Le procureur représente quand même l'institution judiciaire, le Parquet, le peuple français. Selon nous, lorsque nous occupons ce genre de poste, il faut un certain recul, même s'il y un parti pris. Selon nous, il s'agit d'un manque de respect envers la population, de la famille. Quand nous regardons d'autres affaires médiatisées, nous voyons beaucoup de déclarations faites par d'autres procureurs avec une certaine mesure. Toutefois, le procureur Sicot n'en a pas fait. Il a indiqué qu'être gendarme de nos jours, n'était pas un métier facile. Nous avons toujours dénoncé son parti pris et nous continuerons de le faire. Aujourd'hui, sa prise de position est clairement exprimée et la population comprenne quelle est la position de ces institutions face à nous qui sommes victimes.
The Link Fwi : Comprenez-vous les raisons pour lesquelles la justice est-elle aussi longue et surtout pourquoi, les réquisitions ont elles pris autant de temps et pourquoi ce sont-elles faites dans ce si grand silence ?
Fatia : En fait, la machine judiciaire est lancée et ce depuis que nous avons porté plainte. Malgré tous les éléments forts dont nous disposons dans notre dossier, nous nous attendions à ce que le délai soit plus long. Dès les premières demandes d'actes, nous avons attendu longtemps pour avoir les résultats de l'autopsie. Nous avons attendu très longtemps afin de pouvoir récupérer la dépouille de mon père pour l'accompagner à sa dernière demeure. Il faut que vos lecteurs comprennent cela. Dès le début, tout a été très long. Nous avons toujours été patient malgré la tristesse, la fatigue et la rage Aussi, dans toutes les affaires de violence policière, c'est le schéma. Les affaires trainent, pire encore dans un territoire comme celui de la Guadeloupe où tout est toujours plus long.
TLFWI : Si la juge suit les réquisitions du procureur, quelle sera votre prochaine étape ?
Christophe : Nous allons utiliser tous les recours possibles que la justice nous permet. Ensuite, le but est de faire comprendre à la juge d'instruction que la Guadeloupe n'acceptera pas qu'un retraité guadeloupéen meurt dans de telles circonstances et que l'on nous dise " circulez il n'y a rien à voir." Nous avons une histoire qui est assez lourde en terme historique et même de souffrance sociale. Toutes ces institutions sont là pour éviter qu'il n'y ait de trouble à l'ordre public. Notre position n'a pas changé. Nous sommes fermes et déterminés. Il y a eu une arrestation qui a entraîné la mort d'un homme sans histoire et non, ils ne peuvent pas nier le fait et nous dire que rien ne s'est passé. D'autant plus, une caméra de vidéosurveillance a tout filmé.
The Link Fwi : Aujourd'hui, quel est votre état d'esprit ?
Fatia : Beaucoup de sentiments partagés...
Christophe : C'est vrai que lorsque notre avocat nous a annoncé les réquisitions du procureur, notre moral a pris un coup. Comme dit Fatia, nous avons plusieurs sentiments partagés. Nous sommes à la fois énervés, révoltés et en même temps serein. Nous savons que c'est aussi fait pour nous déstabiliser. Nous savions dans quoi nous allions nous engager. Nous savions qui sont les personnes et les institutions qui sont en face de nous. Nous essayons de garder la même ligne de conduite que nous avons adopter dès le début. Ce n'est pas évident. Nous sommes parfois colérique ou triste puisque nous avons quand même perdu quelqu'un. Nous parlons de la mort de quelqu'un. C'est la raison pour laquelle nos sentiments sont instables.
Fatia : C'est vrai que comme je le disais, notre moral a été impacté. Nous gardions toujours cette éventualité d'un non-lieu dans un coin de notre tête. Nous étions conscients de ce qui nous attendait. Face à nous, nous avons un système qui est en place. Nous savions que cela n'aurait pas été facile. Nous sommes fatigués, tristes, révoltés mais nous gardons le cap car, nous savons que nous sommes entourés et que nous ne sommes pas seuls. Ils sont nombreux à nous soutenir. Nous tenons.
Christophe : C'est aussi pour cela que nous avons fait cette vidéo afin que tout un chacun puisse prendre sa responsabilité dans ce combat. Il concerne tout le monde. Nous nous battons pour que cela ne se reproduise plus. C'est aussi pour cela que nous avons écrit à tous les élus pour que ces responsables politiques puissent prendre position dans cette affaire. L'affaire dure depuis deux longues années. Nous avons un procureur qui fait comme si rien ne c'était passé. Nous avons des élus qui sont censés nous représentés, il doivent se positionner. Nous avons également des associations qui nous soutiennent.
TLFWI : Très récemment, vous avez participé à un documentaire qui traitait des bavures policières en France, vous faisiez partie des familles de victimes qui témoignaient, est-ce la seule actualité médiatique de votre combat où vous en avez prévu d'autres actions ?
Fatia : Effectivement comme vous le disiez, nous avons participé à ce documentaire produit par France Télévision. Nous avons été en contact avec la réalisatrice Ines Belcacem qui est journaliste spécialisée dans ce type de dossier au sein du média en ligne Streetpress. Nous avons eu la chance de participé à ce documentaire et quand elle nous a proposé de participer nous avons accepté car, ce n'est pas tous les jours qu'une chaine publique nationale aborde ce thème. Ce documentaire a pour but de donner la parole aux parents de victimes, de les réhumaniser comme j'aime à le dire. On parle souvent de l'affaire Claude Jean-Pierre, mais on ne parle pas de qui il était vraiment ou même on ne parle pas des familles en souffrance. Ce ne sont pas que des dossiers judiciaires. Il y a des vies derrières. D'ailleurs à travers les témoignages on le constate. Sinon, nous continuons à frapper à toutes les portes comme on a l'habitude de faire. La presse indépendante continue de nous suivre et de parler de nos avancées.
Christophe : Depuis deux ans et demi, nous essayons de garder cette constance médiatique. Dès qu'un article est publié nous le partageons et même de nous-même nous relayons notre propre actualité à travers nos réseaux sociaux pour que les gens n'oublient pas. Nous avons quand même réussi à faire ça et si nous ne l'avions pas fait, beaucoup auraient oublié. Nous avons des rendez-vous avec des organes de presse nationaux. Nous continuons à communiquer sur nos passages dans les médias. Des parlementaires nous soutiennent et s'expriment à notre sujet. Le message que nous voulons faire passer est qu'il est important que les guadeloupéens soient avec nous et expriment aussi leur avis sur cette situation. Il est vrai que nous guadeloupéens nous avons peur de nous exprimer par peur ou par pudeur sur des événements qui nous touchent. Cependant, si nous voulons que certaines choses changent, il faudrait avoir le courage de s'exprimer. Nous concernant, nous le faisons dans le respect des lois et du Droit. Nous faisons du mieux que nous pouvons, ce n'est peut-être pas la meilleure des façons mais en tout cas, nous nous battons avec les armes que nous avons à notre disposition.
The Link Fwi :Vous sentez vous écouté par la population ou la diaspora antillais et bien au-delà ?
Christophe : Même au-delà ! Nous avons reçu des messages d'Afrique, des Etats-Unis ou d'ailleurs dans le Monde. Cela prouve que personne n'accepte la décision du procureur qui étonnamment persiste à soutenir ces gendarmes. De plus, il ne communique pas alors que dans ce type d'affaire, les procureurs organisent des conférences de presse pour informer la population du déroulé de l'affaire. Notre impression est que le procureur veut cacher des choses en maintenant ce silence médiatique. La preuve que si nous n'avions pas rendu public cette décision personne ne l'aurait su. Il y a donc volonté de cacher des choses à la population.
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