Le journal régional de l'île de la Réunion a titré sa Une « Sans nous », en précisant qu'il fera l'impasse sur le Mondial 2022. C'est la première fois en France qu'un média annonce boycotter la Coupe du monde.
Depuis son attribution, la Coupe du Monde au Qatar est fortement décriée. Nombreuses sont les voix, connues dans le milieu du showbizz, de la musique, du sport et même de la politique qui appellent au boycott de cette compétition mondiale. Les raisons sont multiples : le respect de l'environnement, les violations des Droits de l'Homme car, n'oublions pas que Doha est loin d'être un exemple de démocratie. Bien au contraire, le Qatar est même un pays où les libertés individuelles, telles que celles de la presse, la liberté d'opinion, la liberté d'expression sont rigoureusement limitées. De plus, ce que dénoncent, les militants des Droits Humains, les personnalités publiques et les journalistes engagés, c'est avant le non-respect des conditions de travail dans lesquelles les structures sportives ont été réalisées.
Malgré ces faits, ni la FIFA ni l'ONU n'envisagent des sanctions contre le riche état gazier du Golfe. Le petit pays du Moyen-Orient continue de bénéficier même du soutien de ces instances internationales qui voient en cette compétition un moyen de justement changer le régime grâce à cette " ouverture" par le sport. Il faut dire que le Qatar est le tout premier pays arabe a organisé une compétition internationale de football. C'est donc historique.
En 2010, Mohamed Jaham Al Kuwari, ancien ambassadeur du Qatar en France, passé depuis par les Etats-Unis, écrivait ces quelques lignes dans le journal Le Monde :
" Le 2 décembre 2010 restera à jamais une journée historique. Pour la première fois, un pays arabe organisera la Coupe du monde. Ce sera au Qatar, en 2022. Depuis plusieurs années, mon pays a mis toute son énergie pour emporter la décision, témoignant d'une volonté et d'une motivation à toute épreuve. L'implication personnelle de l'Emir, de la première dame et du premier ministre, est bien la preuve de notre extrême détermination.
Plusieurs raisons ont convaincu la FIFA de nous confier l'organisation de l'événement sportif le plus populaire au monde. Tout d'abord, la capacité du Qatar à accueillir la Coupe du monde de football ne fait aucun doute. Ces dernières années, nous avons organisé avec succès nombre d'événements sportifs majeurs, à l'instar des jeux asiatiques en 2006 ou de la Coupe du monde des moins de 20 ans en 1995, pour laquelle il a remplacé au pied levé le Nigéria, victime d'une épidémie, vingt jours seulement avant l'ouverture programmée du tournoi… En 2011, la Coupe d'Asie des Nations aura lieu au Qatar.
Sur un plan technique, la candidature qatarie était, de l'avis unanime, à la fois solide et originale. Les douze stades prévus seront tous équipés d'une technologie révolutionnaire. Et tous seront situés à proximité les uns des autres. Les joueurs verront ainsi leurs déplacements limités ; les spectateurs pourront assister à plusieurs matchs dans une même journée ; et l'ambiance et la convivialité se trouveront renforcées, les supporters étant regroupés en un même lieu.
Pour la région, les enjeux liés à cette manifestation ne sont pas simplement sportifs, ni même économiques. Ils sont aussi – et surtout – politiques et sociaux. Politiques car cette victoire peut changer la donne au Moyen-Orient. Le Mondial de football est l'un des rares événements susceptibles de renforcer à la fois la solidarité entre les pays de la région et la qualité du dialogue entre les civilisations. En outre, donner le sentiment aux jeunes arabes qu'ils ne sont pas mis aux bans des nations est d'une importance capitale.
L'enjeu est également social car la dynamique d'ouverture des sociétés arabes, amorcée depuis quelques années, se verra renforcée. A cet égard, le Qatar, pays moderne qui a su passer le cap de la mondialisation sans perdre son identité, peut montrer la voie au reste du monde arabe.
Au-delà de ces enjeux majeurs propres au Moyen-Orient et au monde arabo-musulman, la candidature qatarie était porteuse de messages universels.... "
Un message qui est loin de faire l'unanimité plus d'une décennie après. Derrière l’image tolérante et progressiste projetée par les organisateurs ces dernières semaines voire ces derniers mois, se cachent des préoccupations profondes selon lesquelles le Qatar n’est pas une nation qui mérite le plus grand honneur de la FIFA. D'autant plus que, les défenseurs des droits de l’homme restent critiques à l’égard de son bilan en matière de construction des stades dans lesquels se déroulera l’extravagance de cet hiver, et les lois anti-homosexualité sont un obstacle qui empêche certains fans,
En effet, pour construire une infrastructure compétitive, plus de 6 500 travailleurs d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au Qatar. Beaucoup de pauvres qui se sont vu refuser des passeports et n’ont pas reçu leur salaire, ont été submergés par la chaleur du chantier. Ce chiffre a été révélé mardi 23 février par The Guardian, qui a recoupé les données des gouvernements de ces pays, principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre au Qatar. Le nombre réel de morts serait même supérieur, puisque les données d’autres pays, dont les Philippines ou le Kenya, qui comptent de nombreux ressortissants travaillant au Qatar, n’ont pas été recueillies. D'autant que les morts ne concernent pas uniquement la construction ou la rénovation de stades. Depuis que le Qatar a été désigné, Doha a mené une politique de grands travaux qui comprend des aéroports, des routes, son premier réseau de métro ou encore des hôtels, des projets qui sont en liens indirectement à l'organisation du mondial. L'émirat arabe a également érigé une nouvelle ville, nommée Lusail, qui a une capacité d'accueil de 250 000 habitants. Selon les autorités qataries, tous ces travailleurs décédés sont morts de " façon naturelle".
Autre critique émise, reste évidemment la question environnementale. A l'heure où les débats internationaux sont centrés sur la crise climatique, la Coupe du Monde de Football 2022 est loin de la préservation de l'environnement. Elle est même loin d'un bilan carbonne neutre. Le Qatar est l'un des pays les plus polluants du monde. L'émirat fait même partie des pays qui rejettent le plus de CO2 par personne, avec 37 tonnes par habitant en 2017. La moyenne française se situe à 5,2 tonnes par habitant (mais 11,5 tonnes si l’on tient compte des émissions importées).
Pays désertique, l'usage de la climatisation sera obligatoire durant les matches afin que le public et les équipes puissent supporter l'extrême chaleur qui peut monter jusqu'à 40 voire 45°C. Consciente de cette problématique "naturelle" la Fifa a eu la bonne idée de déplacer la compétition en novembre et décembre, au moment où les températures avoisinent, au minimum, les 25°C.
Pourtant, nous savons qu'un système de climatisation géant a été installé dans chacun des stades, pour éviter que les joueurs et les spectateurs ne suffoquent, en cas de fortes chaleurs. Selon Gilles Paché questionné par le site Reporterre :
Lors des Mondiaux d’athlétisme d’octobre 2019, les 3.000 bouches d’aération du Khalifa Stadium ont fait tomber la température au bord des pistes à 25 °C, alors que le mercure s’élevait jusqu’à 42 °C à Doha. «Un rafraîchissement de l’air génère, par nature, des dépenses énergétiques significatives, et les climatiseurs sont responsables d’une hausse des températures dans les grands centres urbains puisqu’ils rejettent à l’extérieur la chaleur qu’ils ont pompée à l’intérieur»,
Une situation intolérable pour beaucoup d'objecteurs de conscients, des personnalités publiques connues de par le Monde, comme c'est le cas d'Eric Cantona. L'ancien international de football français a une nouvelle fois critiqué l'organisation de la compétition la plus suivie au Monde au Qatar :
Moi, l’amoureux de foot, à contre coeur, j’ai pris ma décision, je vais le suivre, lui et d’autres personnalités comme Philipp lahm, Vincent Lindon et j’en passe. Je ne regarderai pas un seul match de cette coupe du monde.
Ça me coûte parce que depuis que je suis gosse c’est un évènement que j’adore, que j’attends et que je regarde avec passion!
Mais soyons hônnètes avec nous mêmes! Cette coupe du monde là n’à aucun sens! Pire c’est une abberation!
Déjà parce que le qatar n’est pas un pays de foot! Aucune ferveur, aucune saveur.
Une abberation écologique, avec tous ces stades climatisés… quelle folie, quelle stupidité!
Mais surtout, surtout, une horreur humaine… combien de millier de morts, pour construire ces stades, pour au final quoi, amuser la galerie 2 mois… et tout le monde s’en fout…
La caricature même de ce que l’homme est capable de porter en lui comme saloperie extrême!
Le seul sens de cet évènement, on le sait tous, c’est le pognon. Il est plus fort que tout… business is business… le reste…
J’ai pris ma décision! Je ne regarderai pas! Arfff je sais bien qu’ils s’en foutent et que ma petite personne ne changera pas la face du monde.
Mais moi personnellement, je n’ai juste pas envie de participer à cette grande mascarade. Et faire gagner de l’argent à ceux qui ferment les yeux et se cachent derrière leur petit doigt en disant c’est pas de notre ressort on peut rien faire… Etats, fédérations, diffuseurs, annonceurs etc etc. Si tu peux faire, il suffit juste de prendre une décision simple.
Dire nous on joue pas, dire nous on diffuse pas, nous on fait pas de pub etc etc. C’est tout à fait faisable. Parfois dans la vie, il faut prendre des décisions, même si ça nous coûte.
Mais tous ces gens là ne l’ont pas prise… encore une fois, le pognon est plus fort que tout.
Donc moi je ne participerai pas à ça! Que la France gagne, perde, rien à carrer! Dans la vie, il y à des choses bien plus importantes que le foot! A la place, je me referai tous les épisodes de colombo, ça fait longtemps que je les ai pas vus.
En espérant que ça fasse réfléchir tous mes amis fouteux comme moi Moins de téléspectateurs, moins de pognon qui rentre dans leurs poches, aussi bête que ça…
« Le Qatar, ce n'est pas le pays du football. Je ne suis pas contre l'idée d'organiser une Coupe du monde dans un pays où il est possible de développer et de promouvoir le football, comme en Afrique du Sud ou aux États-Unis dans les années 1990. »
« Ce n'est qu'une question d'argent et la façon dont ils ont traité les gens qui ont construit les stades est horrible. Et des milliers de personnes sont mortes. Et pourtant, nous allons fêter cette Coupe du monde. Pour être honnête, je ne me soucie pas vraiment de la prochaine Coupe du monde, qui n’en est pas une, selon moi »
Eric Cantona
Sauf que l'ancien professionnel n'est pas le seul à vertement critiquer la compétition. Des voix s'élèvent de partout même là où on ne les attendrait pas.
Le Quotidien de la Réunion, l'un des deux journaux régionaux de l'île, ne couvrira pas le Mondial 2022, qui débute le 20 novembre prochain au Qatar. Le média français a titré en Une de son édition de mardi « Sans nous », sur fond de stade vide, précisant en dessous : « Au nom de ses valeurs, Le Quotidien boycotte la Coupe du monde 2022. »
Cette décision advient en raison « des atteintes intolérables à la dignité, aux libertés humaines, aux minorités, à la planète » dans l'organisation du tournoi, comme le journal le précise dans un communiqué. Elle fait notamment référence aux conditions de travail des ouvriers étrangers et à la climatisation des stades.
« Notre journal boycottera tout ce qui est en lien avec l'événement sportif, mais relayera les informations en lien avec les problématiques écologiques et humaines portées par la compétition, a expliqué à l'AFP Vincent Vibert, le directeur du Quotidien. Ce projet de boycott a été proposé par le chef du service des sports du journal. Il ne savait pas comment relayer l'événement, il a donc proposé à la direction de tout simplement le boycotter, ce que nous avons validé et présenté en interne. »
La rédaction du journal réunionnais a justifié sa décision en ces termes :
" Dans un peu plus de deux mois donc, et pourtant pas d’euphorie, pas d’excitation. D’où vient ce malaise ? D’où vient cette certitude que cette fois-ci, non, cette fois-ci ce n’est pas possible, pas les préparatifs, pas les paris, pas les on oublie, d’où vient ce sentiment tenace que cette Coupe du monde ne peut pas être traitée comme les précédentes ?
Il ne s’agit pas de donner des leçons d’élégances démocratiques et d’asséner, en jugeant les mœurs politiques et institutionnelles de ce pays, que le Qatar ne mérite pas d’organiser un tel événement. Quel pays dans le monde osera se targuer d’être irréprochable, zéro corruption, zéro atteinte aux droits fondamentaux, zéro discrimination ?
Il ne s’agit pas de condamner un État et une population mais bien de constater, observer et constater, qu’une multitude de complicités et de décisions aberrantes ont fait de cet événement le concentré absolu de tout ce qui n’est plus acceptable. Une acmé des pratiques à bannir.
Cette Coupe du monde, plus que tout autre événement sportif ou culturel avant elle, cristallise des atteintes intolérables à la dignité et aux libertés humaines, elle a piétiné les droits des travailleurs et des minorités et balayé le respect de l’environnement (voir pages suivantes). Jamais sans doute n’était-on allé aussi loin dans la caricature d’un système dévoyé.
Il est temps de dire stop, et, en ce jour anniversaire, où il fête ses 46 ans, le Quotidien décide ne plus cautionner de telles dérives. Impossible de s’extasier devant une reprise de volée ou une frappe en pleine lucarne dans ce contexte. Il faut au contraire des paroles et des actions fortes pour mettre en lumière et dénoncer tout le processus qui a conduit cet événement dans un tel abîme.
À partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus dans ces colonnes et sur notre site Internet aucun article ni annonce publicitaire évoquant l’aspect sportif de ce Mondial 2022.
C'est la première fois en France qu'un média annonce boycotter une Coupe du monde
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