top of page

Vivre avec les tours d'eau malgré le coronavirus. #2

  • ELMS
  • 19 avr. 2020
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 avr. 2020


L'une des principales mesures d'hygiène barrières face au Corovanirus, est le lavage régulier des mains, des vêtements et des sanitaires, pourtant en Guadeloupe, l'eau manque à l'appel. Depuis plusieurs années, les guadeloupéens vivent au gré des tours d'eau et des coupures qui peuvent durer des jours, des semaines voire des mois entiers. Face à la pénurie la préfecture a mis en place des points de ravitaillement en eau pour les zones les plus impactées. Témoignage des ces guadeloupéens qui vivent sans eau !

La Guadeloupe est un archipel au milieu de l'arc caribéen. Elle est donc bordée d'eau avec l'Océan Atlantique et la Mer des Caraïbes. De plus, ce chapelet d'îles et d'îlots disposent en son sein de plusieurs sources et de rivières. Ainsi, l'eau ne devrait pas être un problème pour les habitants. Pourtant, pour les 400 000 personnes qui peuplent l'archipel, l'eau est une denrée rare. Dans plu

sieurs communes et sections de la Guadeloupe, l'eau fait défaut et il est très courant que les habitants restent plusieurs jours et même plus. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à faire état de coupure d'eau record; deux semaines et même trois semaines sans eau. Une situation déplorable que dénonce plusieurs collectifs de citoyens sur différents groupes Facebook.

Comprendre le problème de l'eau en Guadeloupe en quelques points :

Le problème de l'eau en Guadeloupe ne date pas d'aujourd'hui. Ce problème remonte à environ une trentaine d'années, mais de mémoire de guadeloupéens, il y avait de l'eau dans les robinets mais les coupures ne se faisaient qu'en période de sécheresse, après le Carême. Depuis une dizaines d'années, la situation s'est détériorée et plus encore, depuis 2016, date de départ de la Générale des Eaux. Depuis, ce sont plusieurs organismes locaux qui l'ont remplacé ( le Siaeag, Eau d'Excellence fournit par la communauté d'agglomérations Cap Excellence et la Communauté d'Agglomération du Nord Grande-Terre, ndlr). Les collectivités locales enthousiastes au départ d'une gestion locale de l'eau se sont retrouvées face un « service d'exploitation déficient » vu que des travaux d'amélioration du réseau d'eau n'avaient pas été effectués correctement depuis des années. C'est ce que soulignait l'ancien directeur générale de la Générale des Eaux, « La situation de la distribution de l'eau potable en Guadeloupe n'est pas acceptable. Les réseaux et le service se dégradent alors que partout ailleurs, ça s'améliore. (...). Un tuyau a une durée de vie de 50 ans. Tous les ans, il faut en rénover 2%. En Guadeloupe, les communes n'ont rien fait pendant vingt ans. Il y a donc un retard sur 40% du réseau. Il faudrait 800 millions d'euros d'investissement pour le restaurer. Des investissements difficiles à faire aujourd'hui. D'abord parce que le prix de l'eau n'a pas augmenté depuis 2008 -ce prix était d'ailleurs 25% moins cher que celui de 2007. Ensuite, parce que les impayés explosent, en raison des coupures d'eau et de l'appauvrissement de la population. Et moins les investissements se feront, plus la situation se dégradera et moins les gens paieront. La Guadeloupe est dans une spirale mortifère. (...) »

Par ailleurs, quand les travaux sont effectués, ils ne se font pas selon les règles du droit. Selon le rapport d'audit demandé par le Ministère de l'Environnement en 2018, « Les autorités organisatrices guadeloupéennes exploitent des ouvrages, parfois considérables, qui ne leur appartiennent pas. Conséquence : entamer des travaux sur certains ouvrages, les financer ou même intervenir sur une défaillance, revient à se poser la question : « qui doit faire ça ? [...] Certains n'ont pas été accompagnés d'expropriation ou même simplement de l'achat du foncier nécessaire au passage des ouvrages » pointe le rapport qui note également que « les droits d'accès ont été négociés avec les propriétaires, qui ont abouti à des accords formels, mais également, souvent informels » . Ce qui contraire au droit.

En outre, pendant des années, l'argent versé par le Gouvernement pour entretenir et rénover le système de distribution d'eau courante a tout simplement été détourné à des fins personnelles, par Armélius Hernandez, ancien président du SIAEAG, qui a depuis été condamné à 3 ans de prison dont deux assortis du sursis et 150 000 euros d'amende à l'issu de douze années de procédure judiciaire. Au cours de ces " Procès pour l'eau", plusieurs personnalités de la politique locale, mais aussi des entrepreneurs qui ont pignon sur rue ( Joël Compper et Eulalie Fiston qui ont été relaxés) et même un journaliste local très connu ont été cités soit en tant que témoins soit en tant que complices avérés ou non. Au côté de l'ancien président se trouvaient Maguy Céligny, Francine Chammougon qui n'est autre que l'épouse du député Max Mathiasin. Toutes deux étaient poursuivies pour recel de favoritisme dans l'attribution de marchés publics mais elles ont été relaxées par le Tribunal de Grande Instance de Pointe-à-Pitre. Le verdict de ce procès a laissé un goût amer et surtout un sentiment d'impunité vis à vis de ces personnes citées.

L'autre problème vient des guadeloupéens eux-même qui, à juste titre, refusent de payer les factures d'une eau qui ne leur parvient pas. Ces actions de boycott et de désobéissance civile sont soutenues par les syndicats locaux, les collectifs d'usagers de l'eau ainsi que par les partis de la gauche radicale. Ce qui a pour conséquence, un manque de recettes dans les caisses des organismes de distribution locaux qui peinent à entretenir le réseau. L'ancien directeur de la générale évoquait cette situation et préconisait de changer la donne, afin de parvenir à une sortie de crise : « Il est urgent de convaincre les usagers de payer leurs factures d'eau. Il est profondément démagogique d'affirmer le contraire. L'eau ne reviendra pas à chaque robinet sans un effort financier partagé et compris par les consommateurs. Sachant que 30 millions de m3 sont facturés par an. En augmentant le prix du m3 d'un euro et à condition que chacun paye sa facture, l'ensemble du réseau pourrait être rénové en dix ans. » Pas sûr que les habitants changent d'avis vu la piètre qualité de l'eau quand elle coule. Elle est tout simplement imbuvable.

Ces dernières années, l'eau s'est régulièrement invitée dans les débats politiques. Elle est même devenue un enjeu électoral. En effet lors du premier tour des Elections Municipales du 15 Mars dernier, plusieurs candidats des communes les plus touchées de l'archipel, ont évoqué les problèmes d'eau dans leurs discours ou spots de campagne. Quant aux maires, bien qu'une bonne partie d'entre eux aient été réélus dès le premier tour,du fait de la forte abstention, il leur a été reproché justement, cette gestion calamiteuse de l'eau. Jusqu'à présent, la question de l'eau n'a pas encore été résolue.

Vivre sans eau pendant le confinement général :

A ce jour, aucune nation, ni aucun territoire ne peut dire qu'il a été épargné par l'actuelle pandémie de coronavirus. La Guadeloupe est elle aussi concernée puisque officiellement 148 cas et huit décès ont été confirmés par l'ARS. Des chiffres qui ont très vite été mis en doute par l'ensemble des médecins généralistes de l'île qui, eux, évoquent des chiffres beaucoup plus importants mais non recensés par les services étatiques. Certains parlent de 2000 cas de Covid-19 en Guadeloupe. Il n'existe aucun vaccin ni aucun remède contre le Coronavirus, seules le respect des mesures barrières préconisées par l'OMS ( Organisation Mondiale de la Santé) et appliquées par l'ensemble des gouvernements dont la France permettent de ralentir l'épidémie.

- éviter les contacts proches en maintenant la distance d'au moins 1 mètre avec les autres personnes surtout quand elles toussent, éternuent ou ont de la fièvre .

- éviter de se toucher les yeux, le nez et la bouche car, les mains sont en contact avec de nombreuses surfaces qui peuvent être contaminées par le virus. Si vous vous touchez les yeux, le nez ou la bouche, vous risquez d’être en contact avec le virus présent sur ces surfaces.

- Respecter les règles d'hygiène respiratoire en couvrant la bouche et le nez avec le pli du coude ou avec un mouchoir en cas de toux ou d’éternuement, jeter le mouchoir immédiatement après dans une poubelle fermée.

Parmi ces règles, l'une des plus importantes concerne le lavage régulier des mains, des vêtements et des sanitaires, mais, en Guadeloupe, cette règle est difficile à appliquer pour une grande majorité des guadeloupéens(nes) vivant au gré des tours d'eau ou des coupures générales. D’après l’ARS, 62 % de l’eau potable produite est perdue. Un chiffre catastrophique qui a pour conséquences des coupures interminables. Une catastrophe pour les hôpitaux déjà en manque d'équipements et en sous-effectifs bien sûr, mais aussi pour les particuliers. Difficile donc pour ces personnes d'appliquer les mesures d'hygiène et surtout impossible pour elles de respecter le confinement vu qu'il faut s'approvisionner en eau. Face à la pénurie la préfecture a mis en place des points de ravitaillement en eau pour les zones les plus impactées. La Croix Rouge est également intervenue afin de fournir des bouteilles d'eau comme le prévoit la loi, en cas de coupure. Certains habitants excédés ont décidé de témoigner pour dénoncer ce scandale sanitaire.

Ericka : « Nous avons emménagé à Saint-Marthe à Saint-François, début décembre justement à cause des problèmes d’eau qui sont très fréquents dans le secteur Sèze où nous vivions, là bas, nous étions coupés plusieurs fois par semaines en plus des tours d’eau et de manière très aléatoire. Pendant un mois nous n’avions aucun soucis d’eau et début février les coupures ont lieu presque tous les jours. On a eu jusqu’à 16 jours d’affilés sans une goutte d’eau. Avec trois enfants dont un bébé c’est une catastrophe. , l’eau est revenue pendant quelques heures mais il s'agissait d'un filet qui n’a même pas permis de faire une machine et nous avons été de nouveau coupés. Au moment où je vous parle, cela fait quatre jours que nous sommes sans eau. Avant ça c’était 16 jours... et avant ça on avait des quatre à cinq jours sans eau. Je suis incapable de vous dire combien de jours nous avons de l’eau, car un filet d’eau deux heures d’affilées ce n'est pas avoir de l’eau pour moi. Nous ne remarquons même pas les tours d’eau vu que nous avons des coupures incessantes, jour et nuit. Je dois mettre mon réveil à 3 heures du matin pour voir si on a de l’eau... et neuf fois sur dix il n’y en a même pas. Depuis le début du confinement, c'est une catastrophe. Nous ne nous lavons pas les mains comme nous le devrions car nous devons économiser le peu de réserve d’eau que nous allons chercher à l’extérieur pour pouvoir nous laver au moins une fois par jour, nous préparons à manger avec l’eau de bouteille que nous achetons et comble de l'ironie même nos chiens boivent de l’eau en bouteille.»

André : « Je vis Dubedou sur la Route de l'Anse à l'EAU situé sur le territoire de la commune de Saint-François. C'est vrai que chez moi, je dispose d'une citerne mais quand ça dure comme en ce moment, pendant onze jours, à la fin c'est dur. Les coupures sont régulières, nous sommes restés neuf jours sans eau et depuis, nous bénéficions d'une heure d'eau au robinet par jour, juste le temps de remplir quelques bidons et notre réservoir de secours pour tenir 24h. Sans mentir, nous vivons très mal le confinement sans eau et nous espérons une solution rapide, mais, ce qui m’exaspère le plus, c'est qu'il n'y a aucune manifestations de la part des élus. J'exagère peut-être mais même les favelas à Rio au Brésil, n'ont pas ce problème, c'est une honte ! »

Patrick : « Ecoutez, je suis natif de saint François et j'ai bien observé l'évolution de ma commune. Depuis une trentaine nous vivons avec les problèmes d'eau mais année après année cela s'aggrave. Pour commencer,nous vivons en hauteur à Saint-François. Par conséquent, même hors coupure générale nous n'avons pas d'eau car il n'y a pas de pression. Et quand ça coule,c'est un filet. Nous avons de l eau une fois sur deux, avec évidemment très peu de pression. Aujourd'hui cela fait dix jours où pas une goutte n'est sortie du robinet et ce même la nuit, je précise. Depuis le confinement c'est pire! Les tours d'eau ne sont pas respectés ou alors, nous ne les constatons pas; car c est perpétuel. En ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir une cuve de 3000L mais avec ces problèmes d'eau, je suis devenu le SIAEAG de mon quartier. Ma cuve a tenu deux jours. De plus, sans eau pendant ce confinement cela coûte très cher, récemment, j'ai dépensé 156€ pour rajouter des gouttières pour récupérer l'eau pour la douche et les toilettes. Nous cuisinons avec l'eau en bouteille et je précise que mon père qui est mon voisin et est paraplégique, moi-même, je suis en situation de handicap,et la majorité des personnes du quartier son âgées. Je dirais que cette situation est pénible, mais le mot pénible est bien trop faible, je dirais que je suis révolté ! Inutile de vous préciser que certains quartiers "huppés de la commune, avec une certaine catégorie de population, ne connaissent pas cette crise. Il y a un réseau qui a été créé à l'époque uniquement pour le Méridien( hôtel situé à Saint-François) certains quartiers sont branchés dessus. Par exemple, la dernière fois, je transportais des bidons d'eau et j'ai vu des enfants jouer dans leur piscine, je me suis cru en Afrique du Sud du temps de l'Apartheid. Jamais je ne me permettrais de mentir sur cela. D'ailleurs, si vous établissez une carte et vous le constaterez par vous-même»

Estelle : « J'habite à Ste marthe sur Saint-François. J"ai eu ma fille en 2013, à cette période, nous sommes bien restés deux à trois ans à avoir de l'eau une fois toutes les deux à trois semaines. J'ai contactée une fois le SIAEAG qui m'a répondu qu'ils n étaient pas au courant. Ensuite, on a commencé à avoir de l'eau plus souvent mais, là, depuis deux ans la situation s'est encore dégradée donc je dirais, que je vis avec les problèmes d'eau depuis six ans. A ce jour, j'ai de l'eau une à deux fois par semaine selon leur volonté ! La dernière fois, nous sommes restés dix jours sans eau. Depuis le confinement, il n'y a pas de tours d'eau , il n y a pas d'eau tout simplement»

Agacés, confinés, ils devront pourtant continuer à patienter car, les tours d'eau et les coupures se poursuivent. Sur son site, l'organisme de l'eau informe la population que de nouvelles coupures auront lieu dans les semaines à venir.

bottom of page