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Chlordécone : A qui la faute ?


Après six mois d'enquêtes et d'auditions en France mais principalement en Guadeloupe et à la Martinique, la Commission d'enquête sur l'utilisation du Chlordécone dans les deux îles, a remis son rapport. Plusieurs responsables ont été identifiés dans ce rapport, en premier lieu desquels : l'Etat.

Demandée par les députés socialistes de Guadeloupe et de la Martinique suite au refus en Janvier dernier de l'Assemblée Nationale d'indemniser les victimes potentielles du pesticide Chlordécone. Après six mois d'enquêtes, d'auditions des divers acteurs économiques, politiques qui étaient ( ou qui sont encore) en lien de près ou de loin avec le pesticide.

L'un des buts de cette commission était de comprendre clairement comment ce pesticide jugé toxique dès la fin des années 60 a pu être utilisé en toute connaissance de cause dans les bananeraies antillaises jusqu'en 1993.

Parmi toutes les auditions conduites par Serge Letchimy, celle d'Eric Godard ancien fonctionnaire de l'ARS, a retenu l'attention des parlementaires ainsi que des associations et des populations concernées par ce scandale. Ce dernier révélait que la pollution des eaux en Guadeloupe et à la Martinique était connue des autorités depuis longtemps. L'Etat aurait donc laissé volontairement, les populations locales boire de l'eau contaminée au Chlordécone, alors ce dernier affirmait contrôler régulièrement la qualité des eaux et prétendait même qu'il n'y avait aucune présence de Chlordécone dans l'eau consommée par les guadeloupéens et les martiniquais.

Toujours selon Eric Godard, un certain Luc Multigner lui aurait dit,( et dont les propos émanent de l'ancien Directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé) que la molécule de Chlordécone avait été détectée dès 1991 suite à des analyses demandées par l'ARS. L'ancien directeur du Laboratoire d'Alcool et de la Santé aurait rapporté cela à l'autorité sanitaire qui, lui aurait répondu " qu'il fallait recherché la liste des molécules demandées et non celles qui n'ont pas été demandées ". Le chlordécone n'en faisait pas partie. L'Etat savait que le Chlordécone était présent dans les eaux et dans les aliments des guadeloupéens et des martiniquais depuis plusieurs années, mais n'aurait rien fait.

Des propos qui ont confirmé les doutes et les accusations déjà émises par les grands acteurs de la lutte anti-chlordécone et qui ont sans doute agis sur les conclusions de la Commission.

Le Chlordécone un scandale d'Etat :

A travers son rapport, la Commission pointe clairement la responsabilité de l'Etat dans ce scandale que Serge Letchimy a qualifié de scandale d'état. D'ailleurs l'ancien président de la Région Martinique désormais député s'est une nouvelle fois exprimé sur le sujet face aux journalistes conviés pour la grande conférence de presse :

«L’ampleur du drame environnemental devenu un scandale d’Etat, doit faire l’objet des procédures exceptionnelles, des réponses apportées à la hauteur de l’anxiété que nous avons en Martinique[...] L'État a autorisé l'emploi d'une substance, et maintenu son usage, en dépit des connaissances scientifiques et des signaux d'alerte [...]. Sans contestation aucune, la responsabilité de l'État est reconnue et l'engage à mettre en place des mesures de réparation exceptionnelles.».

Cependant, comme le soulignent nos confrères de la 1ère s'appuyant sur les propos de la députée ( MoDem) Justine Benin, rapporteuse de cette commission, interrogée par l'Agence France Presse ( AFP), une responsabilité partagée entre l'État, les fabricants et distributeurs, les groupements professionnels, les grandes exploitations bananières et leurs représentants « Indéniablement, l'État est le premier responsable pour avoir autorisé la vente de ce produit, ces responsabilités sont partagées avec les industriels, mais aussi les groupements de planteurs et certains élus, qui ont défendu jusqu'au bout l'usage du chlordécone, qu'ils considéraient à tort comme un produit miracle sans possibilité d'alternative ».

Sitôt le rapport publié, les exploitants agricoles continuent de refuser d'endosser le rôle de Bouc-Emissaire, rejetant les responsabilités sur l'Etat, qui ne leur aurait pas signifié la toxicité du produit. Ne savaient-ils pas les vraies conséquences de ce pesticide interdit sur le sol du pays qui l'a fabriqué ? Ils le savaient mais, en ce temps, ils obéissaient à la logique mercantile, faite de profits au détriment du respect de la vie humaine et de l'environnement. En même temps, il faut dire qu'à cette époque, aux Antilles-Françaises, la culture de la banane était un levier économique majeur, aux mains de grands groupes familiaux békés. Au delà d'un simple scandale environnemental d'ampleur nationale voire internationale, c'est encore une fois une remise en question de la mainmise béké sur l'économie et l'agriculture antillaise. Comme en 2009, la communauté d'ordinaire discrète est une nouvelle fois pointée du doigt et doivent de nouveau se justifier. Ces descendants d'aventuriers, de marins, de cadets de familles nobles désargentées ou même de relégués de justice ont finir par former une aristocratie encore très présente de nos jours. Haïs par une grande partie de la population, ces capitaines d'industrie tropicaux, ont amassé une fortune familiale considérable qui a pour origine l'esclavage. Ils ont été payés pour libérer leurs esclaves en 1848,ont survécu aux crises agricoles qui frappèrent les deux îles dans les années 1960, 1970 et 1980. Chaque fois, ils ont su rebondir à chaque mutation de la société antillaise. Ils ont profité de toutes les subventions allouées par l'Etat qui les a toujours jugés comme ses meilleurs relais. Certes l'esclavage a disparu mais ils sont restés les maîtres de la Martinique et de la Guadeloupe.

La communauté des grands planteurs est accusée d'avoir fait un trafic illégal de chlordécone malgré les interdictions gouvernementales après 1993, où des épandages aériens auraient continué en toute illégalité. C'est ce qu'Eric Godard va révéler lors de son audition. Le chercheur va expliquer qu'il n'a pas de preuves de vente du chlordécone après 1993 mais qu'il en a souvent entendu parler. Il évoquera aussi des trafics de chlordécone qu'il suppute étant donné le très bon état des sacs du pesticide saisis en 2002. Plus probant encore, il expliquera avoir été témoin d'échanges de mails entre la DIREN (Direction de l'environnement) et la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) faisant état de fraudes, de trafics organisés même. Un trafic, sans doute organisé par les puissants planteurs de bananes regroupés que depuis 2003, au sein de l'Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Martinique et de Guadeloupe (UGPBAN) avec la complicité d'anciens membres des gouvernements précédents.

Christophe Lèguevaques, avocat des associations qui ont décidé de mener les actions sur plan judiciaire souligne un point important. Si la question de la responsabilité de l’Etat ne fait plus de doute, il reste en suspens deux questions d’importance : comment les responsables et autres profiteurs de ces comportements délictueux répondront ils de leurs actes ? Comment indemniser les peuples de Guadeloupe et de Martinique qui voient leur avenir hypothéqué pour avoir versé de substantiels dividendes à une chaine de production regroupant les principaux intérêts économiques des Antilles ? Au nom des associations qu'il représente, l'avocat propose la création d’une commission Justice & Vérité sous l’égide d’une haute autorité, garante de la neutralité et de l’équité entre les différentes parties. Le postulat de départ serait que les responsables et les coupables reconnaissent leurs erreurs et celles de leurs prédécesseurs. Ils doivent avoir le courage de reconnaitre leur tort, et accepter de régler les indemnisations et réparations. Une commission qui pourrait apaiser les esprits et atténuerait le ressentiment et la colère vis à vis de l'Etat et des planteurs békés.

Que préconise le rapport ?

A l'issue de ces travaux, la commission a établi une très forte responsabilité de l'Etat mais comme le soulignaient nos confrères de la 1ère, les implications exactes ne sont pas tout à fait claires en raison d'archives manquantes, car les compte-rendus du comité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés n'ont pas été retrouvés pour la période allant de 1985 à 1993. Cependant face à cette responsabilité attestée, la commission préconise un fonds d'indemnisation pour réparer les préjudices subis par les victimes atteintes d'une pathologie résultant directement d'une utilisation du chlordécone ou occasionnée par l'exposition au chlordécone", mais demande "une expertise avant toute initiative".

De plus, pour aider la population à se protéger, la commission préconise la généralisation de la prise en charge du coût de l'analyse des sols, oscillant aujourd'hui entre 87 et 142 euros. Sachant qu'il est encore impossible de définir à partir de quel taux dans le sang le chlordécone est dangereux pour l’homme,la commission recommande de faire de la recherche sur l’insecticide une priorité stratégique nationale, sur la santé et sur les possibilités de dépolluer les sols. Toujours dans son rapport, elle demande une cartographie intégrale de l'état de contamination des sols susceptibles d'être pollués" et renforcer les moyens financiers alloués à la prévention pour la culture dans les jardins privés, dits "jardins familiaux".

Les petits exploitants agricoles, les pêcheurs sont les victimes directes de cette pollution de grande ampleur. En effet, ils ont été exposés au pesticide ou bien que leurs productions ont été touchées par la pollution. Depuis, les agriculteurs sont contraints de respecter des limites maximales de résidus (LMR) dans leurs produits, tandis que les pêcheurs sont forcés d'aller plus au large, ce qui coûte plus cher. De ce fait, la commission par la voix de Justine souligne qu'il serait urgent d'accompagner financièrement ces professionnels par la création d'un fond d'indemnisation. Pour la commission, il faudrait mobiliser les aides de l'État afin de renouveler les flottes de pêche, exonérer de charges les marins-pêcheurs pendant 3 ans, mettre en place des primes pour les agriculteurs et les pêcheurs entrant dans une démarche "zéro chlordécone" ou encore, créer des lycées professionnels maritimes aux Antilles afin de développer le secteur de la mer. Elle suggère également d'aider au développement de nouvelles pratiques agricoles "saines et respectueuses de l'environnement" en faisant mieux connaître l'agriculture hors sol et les aides à la conversion en agriculture biologique. Cela pourrait permettre l'élaboration d'un label de production de qualité pour favoriser la consommation locale, limiter les importations et garantir la traçabilité des produits. En outre, elle propose également de mettre en place une loi d'orientation et de programmation afin de guider la gestion du dossier chlordécone. " Cette loi-cadre devra donc servir à piloter la mise en application des mesures du prochain Plan chlordécone, le quatrième depuis 2008. Et afin de piloter ce plan, la commission propose la création d'un poste à plein temps de délégué interministériel "chlordécone", nommé en Conseil des ministres.

Pour finir, pour payer la prise en charge des préjudices et la dépollution des terres, elle recommande d’instaurer « une contribution de la filière économique de la banane », selon le « principe du pollueur-payeur »

Le Chlordécone un poison autorisé :

L'Histoire du Chlordécone remonte au début des années 1970 la Commission des toxiques refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : elle fait partie de la famille des organochlorés, toxiques, on a vérifié qu’elle s’accumule dans les tissus animaux ainsi que dans l’environnement, où elle est extrêmement persistante.Cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture, un certains Jacques Chirac de donner son aval en 1972. Il délivre une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) provisoire pour le chlordécone sous la dénomination commerciale de Képone. Trois ans plus tard, le chlordécone sera interdit aux Etats-Unis.

Le Chlordécone est en effet le seul pesticide qui vient alors à bout du charançon du bananier. Or il y a péril dans les îles : relent de l’économie coloniale, la Martinique et de la Guadeloupe sont dédiées à la banane, une quasi monoculture d’exportation vers la métropole française. La molécule miracle n’obtient qu’une autorisation provisoire d’une année. Elle n’a cependant été réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée.Un an plus tôt, un grave accident marque précocement l’histoire du chlordécone. À l’usine d’Hopewell (Virginie), l’une des trois qui fabriquent le pesticide aux États-Unis, plusieurs dizaines de personnes sont en 1975 victimes d’intoxication au chlordécone en raison de mesures de précaution insuffisantes. Des employés sont affectés, mais aussi des riverains, du fait des rejets dans les eaux. Les examens établissent un lien de cause à effet avec des troubles neurologiques apparus à la suite (tremblements, nervosité…). Conséquence : les États-Unis bannissent le chlordécone dès 1977.

Pourtant aux Antilles Françaises, les pulvérisations se sont poursuivies trente ans après. A croire qu'ils étaient sourds ou aveugle. D'aucun ne pourra dire, qu'il ne savait pas. A cette époque, de forts indices de pollutions et des preuves locales de contamination desécosystèmes ou des aliments ont été cités de manière récurrente depuis la fin des années 1970, notamment par les rapports suivants :le rapport Snégaroff (INRA, 1977) ;le rapport Kermarec, 1979-1980 ;une étude de l’estuaire du Grand Carbet (UNESCO, 1993) ;le rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture (1998).

D'autres rapports suivront dans les années 2000, mais aucune interdiction n'est engagée par le Gouvernement, aveuglé par l'argent du Lobby (béké) des producteurs de banane. Lobby qui tient les mêmes discours pour que les pulvérisations se poursuivent : Concurrence avec la Banane Dollar et les intempéries. Dans le reste du Monde, le pesticide est interdit , aux Antilles-Françaises, il sera utilisé jusqu’en 1993, date où il perd enfin son autorisation. Malgré son interdiction, l'insecticide est toujours présent dans les sols où il peut persister environ 700 ans.

Les auditions de la commission d'enquête parlementaire sur la pollution au chlordécone et au paraquat se poursuivent avec dans quelques jours les membres de l'État. Le rapport final devra être rendu le 4 décembre prochain.

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