Sénatrice de la Guadeloupe depuis le 24 Septembre 2017, très active sur la scène politique locale comme nationale. Assidue aux réunions sénatoriales, présente sur les réseaux sociaux, Victoire Jasmin est dans la lignée de ces femmes politiques guadeloupéennes charismatiques. De passage à Paris, nous l’avons rencontré pour une interview durant laquelle, elle est revenue sur plusieurs étapes de sa carrière politique.
Victoire Jasmin, ce nom ne vous dit sans doute rien et pourtant, elle est l’une de nos représentants au plus haut sommet de l’échiquier politique national. Élue sénatrice de la Guadeloupe le 24 Septembre 2017, sous les couleurs du Parti Socialiste, elle est présente dans le paysage politique local depuis plusieurs années. Née dans une famille ayant pour passion la politique, elle a su franchir les étapes pour finir au poste qu’elle occupe depuis un an. En effet, avant de siéger au Sénat, Victoire Jasmin a été suppléante aux élections municipales de sa commune, Morne-à-L’Eau dans les années 2000, avant d’occuper diverses fonctions municipales. Aujourd’hui, au Sénat, la mornalienne figure dans le top 100 des sénateurs les plus actifs au Palais du Luxembourg, avec 29 semaines d’activité, 98 présences en Commission, 87 interventions en Commission. Victoire Jasmin c’est également 54 interventions longues en Commission, 727 amendements signés, 2 propositions de loi signées ainsi que 2 rapports écrits, 5 questions écrites et 3 questions orales ( d’ailleurs, la sénatrice fait partie des 100 plus actifs sur ce critère). ( source : nossenateurs.fr ) Malgré tout ce palmarès à faire rougir les moins assidus de nos élus, peu de gens la connaissent. Aujourd’hui, Victoire Jasmin se confie sur The Link Fwi, où elle revient sur son parcours politique et aborde les questions d’actualité de ces derniers mois.
TLFWI : Bonjour Mme Jasmin, soyez la bienvenue sur The Link Fwi, premièrement, pourriez-vous, vous présentez à nos lecteurs et lectrices ?
Victoire Jasmin : Bonjour à tous, je me présente Victoire Jasmin, je suis née le 23 Décembre 1955 en Guadeloupe où je réside, plus particulièrement, à Morne-à l’Eau mais dans le cadre de mes activités, je vis à Paris. En fait, je fais l’aller et retour, tantôt en Guadeloupe, tantôt en France, car depuis le 24 Septembre 2017, je suis sénatrice de la Guadeloupe. Plus personnellement, je suis mère de trois enfants.
En ce qui concerne mes qualifications, J’ai un DUT en biologie appliquée option biochimie- biologie et j’ai une Maîtrise en santé publique. De plus, je suis titulaire d’un titre européen de Bio technologiste médical et d’un titre cadre de laboratoire d’analyses médicales.
J’ai débuté ma carrière professionnelle en Guadeloupe à l’Institut Pasteur. Par la suite, j’ai intégré le CHU de la Guadeloupe en qualité de cadre de santé, responsable du laboratoire de microbiologie. J’ai publié en tant que Cosignataire d’une étude sur la découverte de l’hémoglobine en 1985, (Roseau -Pointe-à-Pitre.)
TLFWI : Qu’est ce qui ou qui vous a donné l’envie de faire de la politique ? La politique était- elle une passion chez vous ?
Victoire Jasmin : A vrai dire, la politique a toujours fait partie de mon quotidien. Vous savez, je suis née dans une famille de militants communistes. Très jeune,j’ai adhéré au parti et j’ai obtenu ma carte des jeunes communistes.. Ma mère était membre de l’union des femmes Guadeloupéennes. Son implication était partielle. Cependant mes tantes, Mesdames LOMBIONS étaient vraiment très actives. Un de mes oncles ne vivait qu’à travers sa section (rire). Dès mon plus jeune âge, j’ai été plongée lors des rencontres familiales dans les débats politiques animés. Je peux donc dire que ce sont mes parents qui m’ont donné cette passion qui m’anime toujours. (rire).
TLFWI : Quand avez vous décidé de rentrer en politique ?
Victoire Jasmin : C’est en 2001, que ma carrière politique a démarré. Cette année là, j’ai été en seconde position sur la liste portée par le parti des Verts, lors des élections municipales à Morne-à-l’Eau. L’année suivante, soit en 2002, j’ai été suppléante pour les élections législatives sur la deuxième circonscription en Guadeloupe, sur la liste des Verts et en 2008, j’ai été en seconde position sur une liste du mouvement populaire Morne-à-l’Eau (MPM). Après, j’étais élue en tant que 1èr Adjoint du Maire. Lors des élections municipales de 2014, je suis élue 3eme adjoint au Maire sur une liste remaniée suite à une fusion au second tour où je deviens membre du Bureau Communautaire. Suite au décès du Maire, , je suis redevenue après le vote de mes collègues, 1ere adjointe au Maire de la ville de Morne-à-l’Eau et conseillère communautaire. Enfin, en Septembre 2017, je suis élue Sénatrice sur la liste de PS présentée par Victorin LUREL qui n’est autre que l’ancien Ministre des Outre-Mers, et ancien Président du Conseil Régional de la Guadeloupe.
En parallèle de mes activités politiques, je suis très active au niveau associatif. J’ai été Présidente de l’association inter laboratoires d’analyses médicales, j’ai aussi été Présidente de la FAPEG Fédération des Associations de Parents d'élèves. J’ai été Secrétaire adjointe de la Fédération FORCES, qui est une association qui vient en aide aux femmes victimes de violence conjugale. J’ai été Secrétaire adjointe de l’Observatoire Féminin et Secrétaire de l’association Guadeloupéenne de prévention des maladies génétiques et métaboliques (AGDPH) association qui gérait autrefois le centre intègre de la Drépanocytose.
TLFWI : Vous êtes sénatrice de la Guadeloupe depuis Septembre 2017, pour nos lecteurs, quel est votre rôle au sein de la République ? A quoi sert un sénateur ?
Victoire Jasmin : C’est vrai que pour beaucoup de guadeloupéens, comme pour la grande majorité des français, ils ne savent pas réellement ce qu’est un sénateur ou quels sont ses rôles, ses tâches au sein de la République. Pour faire simple, mon rôle est celui de tous les Sénateurs et Sénatrices, contrôler le Gouvernement, examiner et proposer des amendements, voter des textes de loi... Tout ce que prévoit la législation en vigueur. Je suis membre de la Commission des affaires sociales, des délégations Outre-Mer et droits des femmes. Le travail des Sénateurs est méconnu, et pourtant nous jouons un rôle important pour défendre notre démocratie.
TLFWI : Abordons maintenant les questions d’actualité. Il y a quelques mois de cela, le site spécialisé Capital a pointé du doigt des investissements trop coûteux pour les Outremers. Parmi ces investissements, il y a le Cyclotron, le Mémorial Acte et la rénovation du Port Autonome, que répondez vous à cela ?
Victoire Jasmin : J’en ai eu lecture, et si je peux dire, au sujet du Cyclotron, en qualité de professionnel de santé, je considère que nous avons aussi le droit à la santé et à la prévention. Pour se faire soigner, nos compatriotes étaient contraints de prendre l’avion et de séjourner à Paris pour certains examens. Quelques fois il était nécessaire de faire plusieurs aller et retour. Cela engendrait des frais importants. Tous les citoyens ne peuvent pas assumer ses charges et cela provoquait un système de santé à deux vitesse, uniquement accessible aux plus aisés. Nous avons un équipement que les français de l’hexagone possèdent et utilisent quotidiennement sans que personne ne se soucie de son coût ou ne se soit insurgé lors de son achat. D’autre part, il y a des surcoûts qui sont liés à l’insularité, aux frais d’approche d’installation de qualification, d’entretien régulier et de personnel pour son fonctionnement. La santé des Guadeloupéens vaut aisément celle d’un français de l’Hexagone.
Concernant le Mémorial Acte,j'ai eu vent des critiques mais il faut souligner à ceux qui l’oublient, que le Mémorial Acte est avant tout un lieu de mémoire. Mes aïeux viennent d’Afrique, que dis-je, nos aïeux viennent d’Afrique et je ne renierai pas mes origines. Nous ne pouvons renier cette partie de notre histoire. Ils ont travaillé pour des coups de fouets et des coups de pieds. Ce mémorial ne vaut pas tout les sacrifices qu’ils ont faits, tous les sévices qu’ils ont endurés, ou encore moins les conditions atroces qu’ils ont sans doute dû supporter dans les bateaux des négriers.
En ce qui concerne, la rénovation du Port Autonome, elle est nécessaire a bien des égards, les infrastructures sont vieillissantes. Les travaux ont pour objectif :
- d’améliorer les conditions de travail de ceux qui s’y trouvent.
- d’assurer un meilleur transport de nos produits, et de promouvoir le développement de notre relation avec la Caraïbe et à l’international
Je souhaite en tout cas que les travaux réalisés aillent dans ce sens.
TLFWI : Depuis quelques mois, on assiste à un certaine médiatisation de ce qu’on peut qualifier de scandale du Chlordécone. Certains affirment qu’il y avait une sorte d’omerta de la part du gouvernement. Pourtant, depuis plusieurs décennies, des militants écologistes de Guadeloupe comme de Martinique demandent des réparations et des excuses. Quelle est la position du gouvernement concernant ce dossier ? Cette position a t-elle évolué ? Et pourquoi ce silence toutes ces années ?
Victoire Jasmin : Alors, premièrement, le problème du chlordécone avait été évoqué depuis très longtemps, mais les réseaux sociaux n’existaient pas et n’étaient pas aussi utilisés que maintenant. Des études avaient été réalisées et des publications sont restées dans des tiroirs. Aujourd’hui la réalité refait surface. Des autorisations avaient été données pour poursuivre leur utilisation. Aujourd’hui, nos produits, sont encore comparés avec ceux des populations qui ne répondent à aucune norme. L’utilisation de certains produits continuent.
Les évolutions concernant les indemnisations sont en cours, mais beaucoup d’agriculteurs sont morts de cancers ou en souffrent. Des enfants sont victimes des perturbateurs endocriniens et on un réel dérèglement de leur croissance. C’est un scandale national !
TLFWI : Ary Chalus est à la tête de la Région depuis bientôt trois ans, certains de vos collègues socialistes à la Région disent qu’il ne fait pas assez pour la Guadeloupe que plusieurs dossiers traînent. Quel jugement faites vous de sa politique ?
Victoire Jasmin : Mes collègues socialistes sont dans leur rôle, ils sont à la Région et ont des éléments leur permettant de juger et d’évaluer le travail du Président. Je n’ai pas pris connaissance des dossiers. Je constate par contre, qu’il y a des carences concernant le transport. Les appels d’offre ne sont pas maîtrisés. La loi NOTRE permet un certains nombres d’action, mais tout stagne à ce niveau.
Dans le domaine de la formation professionnelle des jeunes il y a aussi des problématiques non résolues. Les jeunes qui sont en formation se sont manifestés récemment, j’entend les souffrances lors des actualités.
TLFWI : Cette année, plusieurs problèmes ont bouleversé le paysage social de la Guadeloupe, parmi eux le problème de l’eau, le CHU, les Sargasses. Les guadeloupéens ont vertement critiqué les actions du gouvernement. Qu’avez vous à dire là dessus ?
Victoire Jasmin : En tant que Sénatrice mais surtout en tant que guadeloupéenne, je suis concerné par ces problématiques qui frappent mon île. Le problème de l’eau est très grave et impacte quotidiennement la vie de très nombreux Guadeloupéens. Il faut que les coupables soient identifiés et punis. L’eau est très importante on ne peut cautionner une situation catastrophique. Il y a des gens qui font des effets d'annonce. Il faut leur pardonner.
Ces personnes, sont de bonne foi mais n'analysent pas vraiment la situation. Les politiques en Guadeloupe, le président de Région, la présidente du conseil départemental, les présidents des communautés d'agglomération, se sont engagés mais il faut qu'ils prennent cette affaire en main. Il ne faut pas trop compter sur l'État, il faut faire un réel suivi de ce qui a été décidé pour faire avancer le dossier. C'est de nous que viendra la solution. »
Quant au CHU, la situation est inédite et la gestion de ce dossier est vraiment délicate. Les propositions actuelles permettront d’améliorer le quotidien des patients, des personnels et des prestataires. C’est difficile mais aucune structure ne pouvait à elle seule phagocyter le CHU complètement. Cette répartition n’est pas une fin en soi, cependant il était difficile de faire mieux compte tenu de la situation. Il s’agira aussi de mieux prendre en compte certains éléments afin de : - utiliser l’hôpital de Marie-Galante, - favoriser les soins en ambulatoire, - faciliter les circuits des différentes spécialités, - communiquer et de mieux informer les usagers. - créer une vraie relation public-privé, - d’orienter les maisons médicales de garde et les centres de santé de proximité. - d’impliquer les élus locaux dans les démarches visant à mieux aménager le territoire pour éviter les déserts médicaux et l’accès aux soins
A propos des sargasses, je rappelle que j’ai été la première à interpeller le gouvernement sur le sujet. Je regrette que la réaction ait été si tardive. Je ne vais pas en rajouter ou revenir sur mes propos et sur les propositions que j’ai formulé et que j’ai fais remonté, mais c’était vraiment trop tard.
TLFWI : Le Président Macron est venu aux Antilles pour une visite post- Irma et Maria. Quelles sont vos réactions face aux annonces qui ont été faites ?
Victoire Jasmin : Le Président Macron est venu conformément à son annonce suite aux
ouragans Irma et Maria de septembre 2017, il a tenu parole. Toutefois, je regrette qu'il n'y ait pas eu de véritables moments de rencontres et d'échanges avec les élus locaux, qu'il ait préféré organiser des rencontres pour les fustiger et les laisser sans possibilités de répondre à certaines accusations publiques. un Chef d'Etat doit en toutes circonstances se comporter en Chef d'Etat.
TLFWI : D’autres problèmes continuent de toucher la société guadeloupéenne tel que le chômage de masse notamment des jeunes qui partent par milliers vers l’Hexagone ou l’étranger. Ils ne veulent pas partir mais pourtant ils sont contraints, quelle est la position du gouvernement, quelles sont les solutions pour enrayer le départ de ces jeunes ?
Victoire Jasmin : J’ai évoqué lors de la première interview que j’ai donné à un média au Sénat, le chômage et le vieillissement de la population. Situation critique qui en même temps m’interpelle. Nos enfants ne trouvent pas d’emplois en Guadeloupe même quand ils sont diplômés. D’autres personnes trouvent grâce à des réseaux établis qui ne tiennent pas compte des diplômes et des compétences. C’est un constat. A mon avis, il faudrait que les patrons, les recruteurs, les DRH, bref, il faudrait que ces personnes prennent en compte cette situation pour intégrer les jeunes Guadeloupéens dans leur entreprise. Je ne comprends pas pourquoi ils agissent de cette manière. Je le redis, c’est intolérable !
TLFWI : Selon plusieurs rapports, les violences conjugales seraient beaucoup plus importantes en Outremer qu’en France Hexagonale, pourquoi tant de violences sur les femmes en Outremer ? En tant que sénatrice de Guadeloupe quelle est votre position sur ce dossier et quelle serait la position du gouvernement ?
Victoire Jasmin : Les violences intra familiales sont en augmentation, c’est aussi la résultante des problèmes sociaux, de la proximité et de l’oisiveté. Il faut combattre ces situations. En qualité de Sénatrice, je joue pleinement mon rôle au sein de la délégation des droits des femmes. Je contribue énormément aux travaux et à l’élaboration des lois. Lors de la récente présentation de la loi contre les violences sexuelles et sexistes, j’ai présenté plusieurs amendements. J’ai participé à des émissions sur Public Sénat la chaine parlementaire. J’ai organisé deux débats publics en Guadeloupe retransmis par le biais de Facebook live. J’ai aussi participé a des débats au Sénat le 8,9,10 mars dernier.
TLFWI : Actuellement, on le voit à travers les médias nationaux et européens, l’Union Européenne est profondément divisée sur la question des migrants. Plus d’1 million de migrants ont trouvé refuge en Allemagne si bien que Angela Merckel fait face à une forte percée de l’extrême droite. La Hongrie, la Slovaquie, la Pologne et l’Italie refusent d’accueillir ces personnes en détresse et Emmanuel Macron lui n’a pas encore donné de véritables consignes : Quelle est votre opinion sur la question ?
Victoire Jasmin : vous savez, la question de l’immigration est difficile en Europe, comme dans la Caraïbe comme ailleurs dans le Monde. C’est difficile quand les problèmes sociaux biaisent le débat. Avec la crise qui a touché notre pays mais aussi l’Europe, les gens sont plutôt sceptiques à l’idée d’accueillir de nouvelles personnes. Sur ce sujet, l’Europe est profondément divisée. Comme vous l’avez cité dans votre question, il y a des pays qui accueillent et d’autres qui, au contraire, ferment leurs frontières. La France, elle, depuis quelques années, accueille difficilement des migrants. L’Europe c’est fragilisée après le Brexit et la la nouvelle situation de l’Italie. Chez nous, en Guadeloupe, le problème se complique en Haïti et au Venezuela non loin de nous et pourtant, nous guadeloupéens, nous sommes opposés à toute arrivée de migrants, haïtiens etc sur notre territoire. Cependant, je souligne qu’un texte récent concernant l’immigration a été voté pour déterminer les règles d’accueil en France, et pour Mayotte le droit du sol. Donc, nous verrons ce qu’il en sera.
TLFWI : Dernière question et non des moindres. Si aujourd’hui, un jeune homme ou une jeune femme guadeloupéenne ou ultramarin souhaite faire de la politique, quel serait votre conseil ?
Victoire Jasmin : Je conseille à tous ceux qui souhaitent faire de la politique de s’engager, de rester les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Je leur conseille également de lire beaucoup pour avoir la capacité d’analyser chaque situation, de réfléchir avant d’agir. La politique est une très bonne et belle chose, il faut s’engager avec sérénité.