Selon les services de police et de douane, le phénomène des mules s'intensifierait. Elles seraient de plus en plus nombreuses à risquer leur vie pour transporter de la cocaïne vers l'Hexagone depuis la Guyane. La plus grande région de France est devenue la nouvelle plaque tournante du trafic de cocaïne dans la région.
De la coke en stock ! Ne vous inquiétez pas, il ne s'agit pas du 19e album des Aventures de Tintin et Milou. Et non, l'histoire ne se déroule pas en 1958. Nous sommes en Guyane, en 2020. En moins de cinq ans, la plus grande région de France est devenue la plaque tournante du trafic de cocaïne à destination de l'Europe mais principalement de l'Hexagone. Ironie de l'histoire ce véritable joyaux de la couronne a tout pour devenir l'une des régions si ce n'est pas la Région la plus riche de France. Région tropicale, riche en biodiversité, en matières premières et aurifères figure pourtant en deux positions des régions les plus pauvres de la République, juste après Mayotte.
En effet, comme le souligne Les Echos, " dotée d’une superficie comparable à celle du Portugal, mais d’une densité de population proche de celle de la Mongolie, la Guyane est un territoire essentiellement recouvert de forêts. Le département possède d’importantes ressources naturelles (minières, biologiques, halieutiques, énergétiques…), conférant à l’économie locale un fort potentiel de développement. "
Autre force de ce territoire français de l'Amérique du Sud, sa population extrêmement jeune. Une population en constante augmentation du fait de la forte pression migratoire. En 2018, selon les données de l'INSEE, la Guyane-Française Le département français de l'Amérique Latine affiche la plus forte hausse pour la période, avec 3,62 bébés par femme en moyenne en 2016, contre 3,46 l'année précédente. Depuis plusieurs années, la région française sud-américaine figure parmi les régions avec les parts les plus élevées d'immigrés dans la population. C'est donc en partie grâce aux immigrés que la natalité augmente en Guyane.
Ainsi comme le rapporte Les Echos, " La démographie guyanaise se caractérise par le doublement de la population en vingt-cinq ans, phénomène nourri par une immigration importante jusque dans les années 1990, mais surtout par une forte natalité. Si la population guyanaise n’excédait pas les 260 000 habitants en 2015, l’INSEE anticipe à l’horizon 2040 un nouveau doublement de celle-ci, qui atteindrait alors les 574 000 habitants."
Cette démographie florissante est stimulée par la jeunesse de la Guyane : la part des moins de 20 ans y culmine à 42,3 %, contre moins de 25 % en métropole. L’explosion démographique guyanaise pose avec acuité la question du développement et de la croissance économique du DOM. Néanmoins malgré tous ces atouts, la Guyane, région d'avenir, peine à trouver son essor économique et les premières victimes de ce manque de perspectives sont les jeunes. Le chômage en Guyane est nettement plus élevé qu’en France métropolitaine (8 %) et qu’en Martinique (15 %). En revanche il est de niveau comparable en Guadeloupe (21 %), comme dans les autres régions d’outre-mer, le chômage est d’abord structurel. Il résulte de l’étroitesse du marché guyanais et de l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. En 2019, 17 700 personnes sont au chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) soit 20 % de la population active. Il touche particulièrement les jeunes de 15 à 29 ans (31 % de la population active). L’accès à l’emploi est prioritairement donné à ceux qui disposent d’une expérience professionnelle et d’une qualification supérieure. En Martinique et en Guadeloupe, le taux de chômage chez les moins de 30 ans est plus conséquent (respectivement 36 % et 41 %), tandis qu'en France Hexagonale, le taux de chômage chez les 15-29 ans n’atteint que 15 %. Toujours selon l'Institut de Sondages, 25 600 Guyanais œuvraient dans la fonction publique en 2015, faisant ainsi de l’État français le premier pourvoyeur d’emplois du DOM. Plus de 30 % de la population active bénéficie ainsi du statut d’agent public, contre 18,7 % en métropole. compenser le coût de la vie et l’enclavement du territoire, la rémunération des fonctionnaires en poste en Guyane est 40 % supérieure à celle de leurs homologues métropolitains. Ces deux particularités structurelles produisent un effet paradoxal : le salaire moyen en Guyane est paradoxalement supérieur à celui en vigueur en métropole, handicapant la compétitivité économique du DOM par rapport aux économies voisines (Surinam, Guyana, Brésil).
Il y a deux ans, la Région était secouée par de grandes manifestations populaires menées par le collectif des 500 frères. Au delà de violence qu'ils dénonçaient, c'est tous les maux de la société guyanais que ce collectif citoyen dénonçait. Chômage de masse, pauvreté, déscolarisation, insécurité sont le lot quotidien des guyanais. Face à un avenir économique incertain, une partie de la jeune guyanaise bascule davantage vers l’inactivité que l’emploi ou le chômage et beaucoup se tournent donc vers des activités illicites comme le trafic de drogue. Conséquence, un taux de violence plus élevé que dans l'Hexagone et des saisies records. En première ligne de ce trafic lucratif, les mules.
Phénomène que nos confrères de La 1ère pointaient du doigt en 2018 et en forte augmentation ces dernières années. Les mules, ce sont ces personnes, au départ il s'agissait de jeunes femmes mais maintenant, ce sont généralement de jeunes hommes, bien souvent originaires de l'Est Guyane ou du Suriname. Ces personnes à la fois victimes et complices sont en général très pauvres, au chômage vivant des aides sociales. N'ayant pas de quoi subsister, elles tombent sous la coupe des trafiquants qui leur font miroiter une belle vie vers l'Hexagone, à la seule condition qu'elles avalent ces ovules chargées de cocaïne. Pour les trafiquants, le procédé est rentable: les mules sont payées 3.000 euros pour le voyage, le kilo de cocaïne est acheté 3-4.000 euros et se revend minimum 35.000 euros en France. Les passeurs peuvent avaler, parfois sur un ou deux jours, jusqu'à une centaine d'ovules. Elles ne sont pas bien grosses, elle font la taille d'une saucisse apéritif. Avant d'ingurgiter les capsules, les mules se préparent en avalant soit des graines de raisins soit en ingurgitant des morceaux de bougies.
Malgré le risque, elles sont de plus en plus nombreuses à risquer leur vie pour transporter de la cocaïne vers l'Hexagone depuis la Guyane. Selon les responsables des aéroports de Paris Orly et Charles De Gaulle, il y aurait des arrestations de mules tous les jours. Un seul vol Cayenne-Paris, peut contenir 15 mules. Sur les 15 en général sont arrêtées 4 voire 5 mules par les équipes de police ou de la douane au départ ou à l'arrivée à Paris Orly. Les autres ne sont pas repérées. Puis il y a celles que les enquêteurs laissent volontairement passer dans le but de remonter la filière dans l’hexagone. Quand on les arrête, elles sont amenées à l'Unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu situé au coeur de Paris. Une les examens médicaux terminés et qu'elles ont évacué les boulettes, elles passent en comparution immédiate au TGI de Créteil dont dépend Orly. Leur avocat est commis d’office, l’audience dure environ quarante-cinq minutes, et à l’issue de celle-ci, elles sont incarcérées en région parisienne. Pour jusqu'à 1 kilo de cocaïne, les mules sont condamnées à un an de prison ferme.
Selon, Stéphane Noël président du Tribunal de Créteil interviewé à l'époque par La 1ère, "Certains assurent venir voir de la famille. Les autres sont très transparents, expliquent comment ils ont procédé, disant: Je n'avais à m'occuper de rien, j'avais les billets, je retrouvais quelqu'un sur un parking de l'autre côté, je devais expulser les ovules et puis ça allait je ne sais pas où. D'autres racontent comment ingurgiter les ovules et parlent des "plantes magiques pour éviter les contrôles. Ce sont des gens à qui on a fait miroiter des millions, et à qui on dit : si tu nous dénonces, on s'en prendra à ta famille. C'est toujours le même refrain."
La Guyane française un territoire au coeur du narcotrafic :
Dans notre article de 2016, LES ANTILLES-GUYANE AU CENTRE DU TRAFIC DE COCAÏNE, nous évoquions le cas de la Guyane. Contrairement aux autres régions françaises d'Amérique, Saint Martin, Guadeloupe et Martinique, la Guyane a été pendant longtemps épargnée mais, depuis quelques années, le phénomène s'accroît.
" La Guyane est une région enclavée entre le Suriname et le Brésil, avec lequel il partage plus de 1 200 km de frontières terrestres, la Guyane, située non loin de la Colombie, du Pérou et du Venezuela et dotée d’une large façade maritime s’ouvrant sur l’Atlantique, est affectée par le développement du trafic de cocaïne dans la région. La topographie du département pré- sente en outre de multiples avantages pour les trafiquants, notamment un réseau fluvial très dense, vecteur traditionnel des échanges commerciaux et humains dans la région, comme c’est le cas avec le Suriname par le fleuve Maroni. En outre, la forêt équatoriale – couvrant près de 90 % de la superficie du territoire – est un lieu idéal pour l’implantation d’aérodromes clandestins. Tous ces facteurs contribuent à compliquer largement le travail des forces de l’ordre. Comme en Martinique et en Guadeloupe, le trafic de cocaïne est apparu au début des années 1980 dans le but de répondre à la demande d’une population plutôt marginalisée la consommant principalement sous sa forme « basée » dite « crack », pour l’essentiel fabriqué au Suriname. C’est seulement à partir du début des années 1990 que le trafic de cocaïne en direction de l’Europe s’est lentement développé pour s’accélérer depuis cinq ans. Cette attractivité pour les trafiquants de cocaïne est attestée par l’augmentation importante et régulière des saisies réalisées à la fois localement et en métropole. Entre 2012 et 2014, les saisies en provenance de la Guyane ont augmenté de 64 %, passant de 86 à 141 kilogrammes. " Les saisies de cocaïne ont encore atteint un record en 2019 selon un premier bilan des services de l’Etat. 25% de la cocaïne consommée en France transiterait par la Guyane.
L'usage des mules un trafic plus facile :
Les trafiquants de drogue jamais à court d'idées, mettent en place des procédés ingénieux. Il y a la livraison dans les porte-conteneurs et autres bateaux de marchandise, qui est la modalité significative du trafic de cocaïne vers la France Métropolitaine. Pour les trafiquants cette méthode présente plusieurs avantages très importants en termes de quantités transportées et de coûts du fait des économies d’échelle réalisées. Le troisième avantage tient à la difficulté pour les services répressifs de détecter la cocaïne dans les immenses cargaisons de marchandises. Au gré des saisies, les trafiquants ont su s'adapter et les méthodes de dissimulation se perfectionnent. Exemple : la cocaïne est cachée dans des fruits ou légumes, dans du poisson, dans des objets, dans des meubles, dans la structure même des conteneurs (parois, blocs réfrigérants)...
2) Les trafiquants tendent aussi à atomiser les livraisons de cocaïne en utilisant la technique dite du rip-on/rip-off, laquelle consiste à placer, avec la complicité de certains membres du personnel portuaire, des sacs de cocaïne contenant quelques dizaines de kilos.
3) Le troc qui est la tendance du moment. Les trafiquants installés dans la Caraïbe et ceux d'Europe, s'échangent de la résine de cannabis d’origine marocaine contre de la cocaïne en provenance de la Colombie ou du Vénézuela.
5) Les vols aériens, . La plupart des saisies sont réalisées sur des vols commerciaux transportant des passeurs convoyant de la cocaïne. Très souvent, la poudre blanche est saisie dans les colis ou dans les bagages.
Cependant c'est l'usage des mules que préfèrent les trafiquants, car comme le fait remarquer La 1ère, " Car si les quantités sont minimes par rapport aux envois par porte-conteneurs, le trafic est "plus facile" à mettre en place, explique-t-il. Cayenne-Orly "c'est un vol intérieur", et la Guyane met la France "à côté des pays producteurs" que sont la Colombie, le Pérou et la Bolivie. "Les trafiquants saturent les vols, ils envoient énormément de mules, une vingtaine par vol. Il y en a trois-quatre qui sont interpellées, et les autres passent "
En 2016, Michel Gandilhon, chargé d'étude à l'observatoire français des drogues et toxicomanies, soulignait déjà le fait que les filières de Guyane pourraient prendre de l'importance dans les prochaines années car,
" Forts de leur capacité à recruter des mules françaises pour partir depuis l’aéroport Felix-Eboué de Cayenne vers Paris, certains groupes criminels, principalement originaires de l’ethnie Bushinenguè, aussi nommée les gens de la forêt, vivant à la frontière surinamienne, sont en pleine expansion [...] Pour ne pas se heurter directement aux autres grossistes de cocaïne en France, ils choisissent de s’implanter dans des villes de petite et moyenne importance plutôt que Paris ou Marseille. La cocaïne est achetée au Suriname où le kilogramme se négocie autour de 5 000 euros en moyenne, selon la police et la douane. Ainsi, avec un taux de pureté qui dépasse 70 %, la cocaïne transitant par la Guyane est équivalente en qualité est deux fois moins chère que celle acquise aux Antilles ou en République dominicaine. Au regard de ce prix, la filière guyanaise pourrait prendre de plus en plus d’ampleur dans les mois et les années à venir. Selon les autorités guyanaises, il pourrait y avoir plus de 10 mules par jour partant de Guyane. "
A plusieurs reprises interpellé par les sénateurs et les députés guyanais, le Gouvernement tente de réagir oscillant entre répression et prévention comme le souligne le rapport parlementaire daté du 15 Septembre 2020 du sénateur Antoine Karam. " La mission d'information recommande d'intensifier les contrôles et les saisies pour diminuer la rentabilité du trafic sur l'axe Paris-Cayenne et décourager les trafiquants [...] La mission plaide pour la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100 % » à l'arrivée des vols en provenance de Guyane, à l'image de ceux pratiqués par les Pays-Bas sur les vols venant de pays à risques[...]Il alléger au maximum les procédures en utilisant les possibilités existantes (telles les procédures douanières simplifiées qui permettent d'éviter le placement en retenue douanière ou la garde à vue) et employer chaque administration selon ses capacités. La mission demande la mise en place d'une politique de prévention ambitieuse, pilotée par l'Etat et dotée de financements conséquents. Elle suggère de confier explicitement au Préfet, en y associant étroitement la Collectivité territoriale de Guyane, une mission d'impulsion de la politique de prévention et de coordination des initiatives conduites au plan territorial. La mission a également identifié un certain nombre de pistes de nature à améliorer la portée et l'efficacité de la politique de prévention : acquérir une meilleure connaissance du profil des passeurs et du contexte de l'entrée dans le trafic, impliquer davantage les publics visés - par la participation de passeurs repentis -, mais aussi les représentants des forces de sécurité, dans les actions proposées, étendre le champ de cette prévention à l'entourage familial et aux plus jeunes, pour contrer le recrutement précoce. Il faudrait aussi prévoir des structures ou lieux d'accueil où les personnes souhaitant sortir du trafic, ou sur le point d'y basculer, pourraient trouver aide et conseil...." ( A lire le Rapport du sénateur Karam : ICI )
En attendant que toutes ces mesures soient appliquées, aujourd'hui les services de police et judiciaires ne savent plus où donner de la tête tant le nombre de passeurs est en explosion. Il faut dire aussi que la consommation de cocaïne s'est démocratisée. Longtemps considérée comme la drogue du showbusiness, du star-system et des ultra-riches, la poudre blanche est partout, dans les fêtes étudiantes, dans les boîtes et bars branchés, chez le particulier. en France n'importe qui ( même les SDF) vous dira qu'il a déjà sniffé, fumé de la cocaïne et ce malgré un prix assez élevé, entre 65 et 80€ le gramme. La prévention devra donc se faire de part et d'autre de l'Atlantique.