Villes paralysées, écoles fermées, desserte aérienne perturbée : la grogne sociale s'amplifie en Guyane et c'est l'impasse entre le gouvernement et les grévistes. Une tension sociale qui rappelle le mouvement social qui a secoué les Antilles en 2009.
Que se passe t-il en Guyane ? Depuis plusieurs semaines, le plus grand département de
France connait des mouvements sociaux sans précédents. Insécurité, santé, transports,
agriculture : aucun secteur n'est épargné par les mouvements de grève et les
protestations.
Tout a débuté à la mi-février le collectif des "500 frères contre la délinquance" fait une démonstration de force dans les rues de Cayenne. A peine créée, il rassemble près de 600 personnes lors d'une manifestation. Leur objectif : dénoncer la violence qui règne dans ce département qui bat le record de criminalité en France. Toujours vêtus de noir et cagoulés, depuis cette première manifestation, les membres des "500 frères" ont été reçus à plusieurs reprises par la préfecture. Selon eux, l'insécurité en Guyane est due en partie à la forte immigration clandestine en provenance des pays voisins. Vendredi 17 mars, ils se sont rassemblés devant plusieurs consulats, à Cayenne, pour demander aux autorités des pays voisins de "rapatrier leurs délinquants". Le même jour le collectif investit l'enceinte de la CTG, Collectivité Territoriale de Guyane, où se tenait une conférence entre différents pays de la Caraïbe, en présence la Ministre de l'environnement Ségolène Royal, la ministre devait défendre la protection du milieu marin de la région des Caraïbes, devant des représentants de pays de la zone, tels que les Etats-Unis, les Bahamas, le Suriname, le Guyana...Face au mouvement de grève, Ségolène Royal a écourté son déplacement ministériel. Un départ précipité qui rappelle celui d’Yves Jégo alors Secrétaire d’État à l’Outre-Mer convoqué à Paris par François Fillon, lors du LKP en 2009.
En parallèle, depuis lundi 20 mars, des grévistes d'EDF UTG Eclairage et du collectif citoyen les Toukans ont érigé des barrages au rond-point Carapa à Kourou. Un carrefour stratégique qui mène au centre spatial guyanais où devait se tenir un tir de la fusée Ariane 5, mardi 21 mars, qui a été annulé. Le 21 Mars toujours, le collectif des "500 frères" venu leur prêter main forte. Depuis, le mouvement se durcit. Des échauffourées ont même ont éclaté entre grévistes et forces de l'ordre sur ce rond-point, mardi matin. Les gendarmes mobiles ont fait reculer les manifestants en utilisant des gaz lacrymogènes. Le même jour, après les tensions sur le rond-point de Carapa, des discussions ont été organisées à la mairie de Kourou en présence du préfet, d'élus, du président de la Collectivité Territoriale de Guyane, Rodolphe Alexandre, et des différents porte-paroles des salariés et des collectifs. Eclats de voix, tensions, inquiétudes : après un début de discussions dans la confusion, plusieurs acteurs ont quitté la réunion, c'est l'échec. Dans une lettre adressée au président de la République François Hollande et daté du 21 mars, Rodolphe Alexandre, président de la Collectivité Teritoriale de Guyane met en garde. "Il devient absolument vital d'envoyer un signal fort, sous peine de voir le territoire sombrer dans une crise socio-économique sans précédent, qu'il s'agisse de la santé, de la sécurité, du logement, de l'éducation, ou encore des infrastructures routières", écrit Rodolphe Alexandre qui demande "un plan ambitieux de relance économique" pour la Guyane.
Mercredi 22 mars la grève se poursuit, les sénateurs et députés de Guyane ont interpellé le Président de la République au sujet des conflits sociaux qui « se multiplient de toutes parts » sur le territoire et ont entraîné le troisième report du lancement de la fusée Ariane, lui demandant « un vaste Plan Marshall ». « Depuis de nombreux mois, parlementaires et élus guyanais n’ont eu de cesse d’alerter le gouvernement sur l’imminence d’une crise sociale en Guyane. Aujourd’hui la Guyane connaît cette crise annoncée et les conflits sociaux se multiplient de toutes parts: salariés d’EDF, sous-traitants de la base spatiale, transporteurs, agriculteurs, chauffeurs de bus, agents de la Caf et employés du Centre Médico-Chirurgical de Kourou (CMCK) et du Centre Hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) font à présent front commun » écrivent les députés Chantal Berthelot et Gabrielle Serville, et les sénateurs Antoine Karam et Georges Patient.
Entre temps, le terrain, les mouvements sociaux continuent de bloquer le Grand Port Maritime, la collectivité territoriale, la préfecture et les axes routiers. Plusieurs échaufourés ont eu lieu entre en les forces de l'ordre et les manifestants.
Le jeudi 23 Mars au matin, des barrages sont érigés aux ronds-points d'entrée de plusieurs villes du département. Les entrées de Cayenne, Kourou, Rémire-Montjoly ou encore Saint-Laurent du Maroni sont paralysées, entraînant la fermeture des établissements scolaires. Plusieurs centaines d'étudiants, de lycéens ont aussi rejoint le mouvement. Eux aussi ont des revendications à formuler : (photo de Radio Péyi)
Autre conséquence des mouvements sociaux, le vol Air France 852 parti de Paris Orly ce jeudi 23 mars, à destination de Cayenne a fait demi-tour au-dessus de l'Atlantique. Résultat : le vol Air France AF853 au départ de Cayenne et à destination de Paris est annulé. La compagnie aérienne propose à tous les passagers voyageant entre le 24 et le 28 mars, de et vers Cayenne, de reporter leur voyage. Le vol d'Air Caraïbes n'a lui pas effectué son escale prévue à Cayenne. Air Guyane a également suspendu tous ses vols intérieurs ce jeudi.
Des revendications diverses et variées :
La mobilisation guyanaise soutenue par des collectifs de citoyens, met en exergue les différents problèmes auxquels fait face la Guyane. Ainsi, le collectif citoyen kouroucien nommé Les Toukans, exige «le gel de la vente de l’hôpital de Kourou» et protestent contre «l’insécurité»
Les salariés UTG Eclairage d'EDF sont en grève illimitée. Leurs revendications sont axées sur l'emploi, l'embauche locale, les conditions de travail, la formation, la sécurité et l'avenir énergétique du pays.
Les Jeunes agriculteurs de Guyane bloquent la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) à Cayenne. Ils dénoncent le non-paiement des subventions et des aides européennes. Le collectif « Sauvons la Guyane » réclame sur le plan économique, le déblocage du Pacte d’avenir, l’accès aux marchés publics pour les TPE/PME, ainsi que la mise en place d’un plan de développement jusqu’en 2040.
De leur côté, les salariés d’EDF affiliés à l’UTG Eclairage militent entre autres pour davantage d’embauches locales, l’arrêt de la suppression de certains postes.
Un soutien de la population et des élus :
Comme le rapporte nos confrères d'Outremer 360, le mouvement guyanais continue à engranger des soutiens politiques. Les parlementaires de Guyane ont, dans un communiqué commun, interpellé le Président de la République et le Gouvernement « à envoyer un signal fort à la population, en dépêchant instamment en Guyane une délégation interministérielle capable de mener à bien ces discussions et de déboucher sur des solutions concrètes pour l’intérêt supérieur de la Guyane et des Guyanais ». Ils précisent que l’organisation d’une réunion à Paris, proposée par Ericka Bareigts est « inopérante » . « La solution à cette crise majeure ne pourra être trouvée que sur le sol guyanais, au travers d’une négociation apaisée et constructive avec les parties prenantes, au plus près de la population et des élus », souligne le document. Ils ont réclamé « un vaste plan Marshall ». Le président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), Rodolphe Alexandre, a demandé l’envoi de membres du gouvernement en Guyane. Autre soutien inattendu, celui de Christiane Taubira. L'ancienne Garde des Sceaux, a rendu visite aux manifestants qui tenaient un barrage à l'entrée de Kourou. Interviewée par nos confrères de Radio Péyi, elle s'est dite prête aider les élus à surmonter la crise que connaît le département. L'ex-garde des Sceaux a échangé des mots avec les manifestants, visiblement ravis de la voir parmi eux, les remerciant pour leur accueil et échangeant nombre de poignées de mains.
Bras de fer entre la ministre des Outremers et les grévistes :
Trois jours après le début des blocages en Guyane, et alors que l'accès au Centre Spatial est bloqué, la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts réagit depuis La Réunion où elle est actuellement en visite. Dans un communiqué publié ce jeudi 23 mars, la ministre des outre-mer annonce que des réunions se tiendront à partir de la semaine prochaine à Paris sur la situation en Guyane. Ericka Bareigts parle d'une "démarche visant à la fois, à traiter sans délai les problèmes immédiats, à finaliser le contenu du Pacte pour l'Avenir de la Guyane mais aussi à lancer en urgence les travaux d'élaboration pour la Guyane d'un plan de convergence prévu par la loi de programmation relative à l'Egalité Réelle Outre-mer".
Pour se faire, la ministre prévoit plusieurs réunions préparatoires à Paris, mais pas avant le mardi 28 mars. Ces rencontres se tiendront en présence des représentants des parties qui ont exprimé leurs revendications, les élus guyanais et les ministères concernés. Le communiqué précise qu'elles s'articuleront autour de trois thèmes : l'économie, la santé et la sécurité. Ericka Bareigts parle "d'une réponse concrète et immédiate à la crise que traverse la Guyane" et "appelle les responsables des différents mouvements et organisation à se saisir de cette opportunité". Elle demande également la levée des blocages qui "permettrait que ces discussions se déroulent dans un climat apaisé et constructif".
Dilemme, les manifestants ont d'ors et déjà prévenu : ils ne se rendront pas à Paris. "Les négociations doivent se tenir en Guyane", disent-ils.
La grève a prit une telle ampleur que plusieurs les médias nationaux ont évoqué la mobilisation dans leurs titres, parmi ces quotidiens, citons : Les Echos,Le Monde, Europe 1, Le Parisien