On en parle pas, on l'oublie même. Pourtant, le Chlordécone est toujours d'actualité aux Antilles. Il tue en silence, les populations. La Faute à qui ? Aux propriétaires terriens ? ou celle du gouvernement qui a laissé durant cinquante ans les agriculteurs pulvérisés cet insecticide jugé cancérigène ! Selon un rapport d’experts, les autorités françaises n’ont pu ignorer la dangerosité de ce produit.
En ce début de semaine, le gouvernement Macron est secoué une grave polémique, autour de la reprise des épandages aériens et l'utilisation de pesticides tueurs d'abeilles. C'est BFM/RMC qui dévoilait l'information dans son édition du lundi 26 Juin. Le journal, qui s'est procuré un document de travail interministériel daté du 21 Juin dernier dans lequel, le gouvernement envisagerait de revenir sur les projets d'interdiction totale, au motif que la France ferait preuve d'"un excès de précautions au regard des directives européennes.
Le gouvernement pourrait donc revenir sur l'interdiction stricte de l'épandage aérien, la pulvérisation par les airs de pesticides, mais également sur la question des néonicotinoïdes, surnommés les pesticides tueurs d'abeilles. Une décision étonnante puisque l'Anses (l'Agence de sécurité sanitaire de l'alimentation et de l'environnement) avait reconnu leur dangerosité.
L'Assemblée nationale les avait même interdits l'an dernier grâce, notamment, à Nicolas Hulot, l'actuel ministre de la Transition écologique, qui avait, à l'époque dénoncé leur toxicité. Avec sa fondation, il avait même lancé une pétition contre ces pesticides. Cependant, comme le note RMC " le document que nous nous sommes procuré envisage précisément l'inverse. On y lit, article 21, que l'interdiction des néonicotinoïdes "va plus loin que ce qui est prévu par la réglementation européenne". Or, le gouvernement veut "abroger toutes ces dispositions nationales qui excèdent les normes européennes".
Interrogé par RMC, le ministre de la Transition écologique a affirmé que le document de travail n'était plus d'actualité et que les pesticides tueurs d'abeilles resteraient interdits. Problème: interrogé lui aussi sur le sujet, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert, a affirmé à RMC que le sujet n'était pas tranché.
Inquiétudes aux Antilles : le scandale du Chlordécone encore d'actualité.
Avec cette polémique, l'inquiétude augmente en Outremer, notamment aux Antilles qui sont particulièrement concernées par les épandages, avec le problème du Chlordécone qui est un véritable scandale sanitaire. Durant près de cinquante ans, la Guadeloupe et la Martinique ont été les victimes des épandages sauvages de Chlordédone.
En 2007, le cancérologue Dominique Belpomme comparait l’affaire chlordécone à celle du sang contaminé. Une dramatisation compréhensible au regard de la désinvolture des pouvoirs publics, qui ont laissé les Antilles françaises devenir une terre de Chlordécone.
Le coup de gueule a certainement contribué à bousculer la justice, qui juge finalement recevable, après un refus initial, une plainte contre X déposée en 2006 par l’Union régionale des consommateurs de la Guadeloupe (URC) et l’Union des producteurs de la Guadeloupe (UPG), rejointes ensuite par des associations martiniquaises, puis par la Confédération paysanne, dont l’UPG. Le Chef d'accusation émis par cette plainte « mise en danger de la vie d’autrui et administration de substances nuisibles ».
Depuis, il n'y plus d'avancée dans le dossier judiciaire. Sans doute, les autorités ont peur de prendre leur responsabilité vis à vis de cet empoisonnement volontaire.
L'Etat ne peut se dédouaner de cet acte délibéré, puisque l’ensemble des travaux scientifiques portant sur les dangers aigus ou chroniques de cette molécule étaient accessibles à la communauté scientifique française, américaine et internationale, par le biais des ressources bibliographiques classiques ainsi que la littérature médicale : voilà la principale conclusion du rapport d’expertise établi par le toxicologue Jean-François Narbonne et l’épidémiologiste Luc Multigner, à la demande d’Anne Bamberge, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, et que Reporterre publie ci-dessous. Les scientifiques ajoutent que l’essentiel des conclusions sanitaire ont été établies il y a plus de trente ans — les premières alertes datent même de 1963. « Les données scientifiques disponibles au niveau international entre 1981 et 1993 tout comme celles décrites avant 1981 pouvaient renseigner avec précision et détail sur le métabolisme, la demi-vie et la toxicocinétique du chlordécone. »
L'Histoire du Chlordécone remonte au début des années 1970. La Commission des toxiques refuse à deux reprises l’homologation de la molécule : elle fait partie de la famille des organochlorés, toxiques, on a vérifié qu’elle s’accumule dans les tissus animaux ainsi que dans l’environnement, où elle est extrêmement persistante.Cela n’empêche pas le ministre de l’agriculture de donner son aval en 1972 : c’est en effet le seul pesticide qui vient alors à bout du charançon du bananier. Or il y a péril dans les îles : relent de l’économie coloniale, la Martinique et de la Guadeloupe sont dédiées à la banane, une quasi monoculture d’exportation vers la métropole française. La molécule miracle n’obtient qu’une autorisation provisoire d’une année. Elle n’a cependant été réexaminée qu’en 1976, pour être prolongée.Un an plus tôt, un grave accident marque précocement l’histoire du chlordécone. À l’usine d’Hopewell (Virginie), l’une des trois qui fabriquent le pesticide aux États-Unis, plusieurs dizaines de personnes sont en 1975 victimes d’intoxication au chlordécone en raison de mesures de précaution insuffisantes. Des employés sont affectés, mais aussi des riverains, du fait des rejets dans les eaux. Les examens établissent un lien de cause à effet avec des troubles neurologiques apparus à la suite (tremblements, nervosité…). Conséquence : les États-Unis bannissent le chlordécone dès 1977.
Pourtant aux Antilles Françaises, les pulvérisations se sont poursuivies, trente ans après. A croire qu'ils étaient sourds ou aveugles. D'aucun ne pourra dire, qu'ils ne savaient pas. A cette époque, de forts indices de pollutions et des preuves locales de contamination desécosystèmes ou des aliments ont été cités de manière récurrente depuis la fin des années 1970, notamment par les rapports suivants :le rapport Snégaroff (INRA, 1977) ;le rapport Kermarec, 1979-1980 ;une étude de l’estuaire du Grand Carbet (UNESCO, 1993) ;le rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture (1998).
D'autres rapports suivront dans les années 2000, mais aucune interdiction n'est engagée par le Gouvernement, aveuglé par l'argent du Lobby (béké) des producteurs de banane. Lobby qui tient les mêmes discours pour que les pulvérisations se poursuivent : Concurrence avec la Banane Dollar et les intempéries. Dans le reste du Monde, le pesticide est interdit , aux Antilles-Françaises, il sera utilisé jusqu’en 1990, date où il perd enfin son autorisation : l’année précédente, la Commission d’étude de la toxicité avait réitéré l’avis négatif déjà prononcé près de vingt ans plus tôt…
Cette décision pourrait sonné le glas de l'empoisonnement ? Alors que non. Car les grands exploitants brandissent encore une fois la menace économique qui pèse sur la première source de richesse de leurs îles (plus de 50 % du produit intérieur brut de la Martinique notamment), alors que la concurrence internationale est féroce. Sous la pression, les services du ministère de l’agriculture cèdent encore, accordant trois ans de bonus, jusqu’en 1993, à ceux qui réclament de pouvoir écouler leurs stocks de chlordécone… À cette époque, on connaît pourtant déjà des techniques alternatives à l’épouvantail chimique, efficaces et à faible impact — que l’on utilise aujourd’hui.S’écoulent six années de plus pendant lesquelles l’affaire semble enterrée, au propre et au figuré. Elle ressurgit en 1999 sur le terrain sanitaire, quand les services martiniquais détectent du chlordécone dans plusieurs captages d’eau destinée à la consommation humaine. Certaines mesures accusent un taux de 10 microgrammes par litre, cent fois supérieur ou plus à la norme en vigueur pour les résidus de pesticides. Même constatation en Guadeloupe.
Le profit face à la santé, les grands propriétaires terriens, ont fait leur choix avec, la complicité de l'Etat Français. prend l’ampleur d’un scandale sanitaire en 2002, non pas aux Antilles mais à Dunkerque, quand un contrôle des douanes découvre qu’une cargaison d’une tonne et demi de patates douces en provenance de la Martinique est contaminée au chlordécone.Si la molécule peut passer dans les eaux de surface, elle s’accumule surtout dans les premiers centimètres du sol des bananeraies, dont un certain nombre ont été reconverties en cultures vivrières à la suite de la crise qui a affecté le secteur dans les années 1990. Les parties aériennes telles que les fruits sont a priori indemnes de contamination, et on n’a pas relevé de chlordécone dans les bananes. En revanche, les tubercules et les légumes racines sont très exposés. Pas de chance pour les Antillais, qui apprécient particulièrement ces aliments — dachines (taro), igname, patate douce. Conséquence de la saisie dunkerquoise : dès 2003, ces légumes sont interdits à la culture sur les terrains contaminés. Sous réserve bien sûr que ceux-ci aient auparavant été identifiés comme tels…
Dès lors, on s’avise de rechercher systématiquement la molécule dans l’environnement. Et on la trouve un peu partout, chaque étude ajoutant une pièce au puzzle de la contamination : dans la viande de bovins qui pâturent sur des terres suspectes, puis chez les crabes de terre, les poissons de mers et les crustacés sur de vastes zones… De nouvelles études revoient à la hausse les« performances » du chlordécone : extrêmement stable, il pourrait persister jusqu’à sept cents ans dans l’environnement.
Comme le soulignaient nos confrères de La 1ère, " Le débat s'est éternisé sur des années, alternant consultations publiques, interdictions des tribunaux, et rétablissement de l'épandage sur décisions préfectorales. Des nombreuses associations ont milité en Guadeloupe et en Martinique pour annuler les dérogations dont pouvaient bénéficier les agriculteurs antillais. Le 26 mai 2014, la ministre de l'environnement Ségolène Royal annonçait par communiqué la fin des épandages aériens. Pourtant, cette nouvelle interdiction contenant encore des dérogations, pour la culture de riz en Guyane notamment."
Les Conséquences du Chlordécone :
Le chlordécone est connu pour provoquer des atteintes neurologiques, des perturbations du système hormonal, des troubles de l’appareil reproductif, des retards cognitifs chez l’enfant, et un accroissement du risque de survenue de certains cancers. Plusieurs études sanitaires ont été menées aux Antilles françaises pour tenter de cerner les impacts sur la population de deux décennies d’exposition continue. On y relève notamment un taux de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. L’étude Karuprostate de Luc Multigner et Pascal Blanchet au Centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre a conclu en 2010 que parmi les hommes âgés entre 45 et 75 ans, 22 % des plus imprégnés en chlordécone « présentent un risque augmenté de 77 % de survenue de cancer de la prostate » par rapport au groupe le moins contaminé, indique le rapport, qui a été remis à la juge d’instruction.
« Au cours de la dernière décennie, du fait de l’emploi du chlordécone dans les bananeraies, une fraction de la population des Antilles présentait des situations dites à risque », poursuit le document. C’est par exemple le cas de 15,6 % des plus de 16 ans en Martinique au cours de la période 2003-2004.
En 2012, l’étude dite Ti-Moun met en évidence une corrélation entre des retards de développement chez des nourrissons et le degré de contamination de leur mère au moment de la grossesse. Et d’autres investigations sont en cours. Les experts soulignent que toutes ces conclusions sanitaires concernent la décennie 2000 : le manque de données ne permet pas de se prononcer sur les périodes antérieures, en particulier lorsque le chlordécone était encore utilisé. Sans surprise, ils estiment vraisemblable que les travailleurs des bananeraies, leur familles et les riverains aient été plus massivement affectés.
Sur place, aux Antilles-Françaises, la population, s'exsaspère, elle a le sentiment que les autorités en font le minimum sans doute, ont -elles l'envie de se dédouaner, car, il est les montants des indemnisations, les milliers d’hectares à décontaminer, le traitement médical de milliers de personnes, le reclassement de groupes entiers de professionnels dont le métier est frappé d’interdiction (cultures, élevage, pêche dans les zones contaminées) tout est évalué à plusieurs milliards d'euro, ce que le gouvernement français n'a surement pas en sa possession.
En attendant, ils sont des milliers (exploitants agricoles,population) contaminés à mourir en silence sans que Justice soit faite.