Le meurtre d'Ahmaud Arbery ravive les douleurs du passé.
- ELMS
- 8 mai 2020
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 mai 2020
Faire son jogging, activité tout à fait normale, sauf quand tu es un jeune afro-américain de 25 ans et que tu vis en Géorgie, ancien Etat ségrégationniste des Etats-Unis. Il s'appelait Ahmaud Arbery, il a été abattu par un père et son fils qui pensaient avoir appréhendé un voleur. Une affaire qui rappel les douleurs du passé dans un pays de plus en plus divisé depuis l'élection de Donald Trump.

Les huit ans de présidence du premier président noir à la tête des Etats-Unis d'Amérique, pays rongé par les inégalités et la haine raciale, a ravivé les tensions d'autrefois. Sous la présidence d'Obama, il y a eu plus de noirs abattus par la police que sous les mandats de ses prédécesseurs. Ainsi, le mythe du premier président noir américain a vite été rattrapé par la réalité du contexte socio-culturel des Etats-Unis,ancien pays esclavagiste, ségrégationniste,où les préjugés raciaux sont encore très forts. Ce ne sont pas les deux mandats de Barack Obama qui auront changé la donne. En effet, le second mandat de Barack Obama (2013-2017) a vu naître le mouvement Black Lives Matter ( les vies des Noirs comptent), mouvement, né à la suite de l’acquittement en juillet 2013 de George Zimmerman, accusé de l’assassinat de Trayvon Martin, un adolescent noir, mobilisa de nombreux militants noirs et libéraux blancs contre le racisme et les violences policières dont sont tout particulièrement victimes les citoyens afro-américains. S'en suivirent une longue liste de victimes afro-américaines toutes tuées par balle par la police ou par des blancs. On peut par exemple parler de la mort d’Eric Garner à New York et ou celle Michael Brown à Ferguson durant l’été 2014 (tous deux tués par des policiers) amplifièrent le mouvement et divisèrent la société américaine.Autre exemple, le massacre de Charleston du 17 juin 2015, perpétré par Dylann Roof dans une église noire où périrent neuf fidèles, a pu être perçu comme une forme de réponse d’un terrorisme suprémaciste blanc au mouvement Black Lives Matter. Comme le souligne le site Vie Publique, " cette escalade de violence raciale culmina le 7 juillet 2016 lorsque Micah Xavier Johnson, un vétéran noir de la guerre d’Afghanistan, assassina cinq policiers blancs à Dallas lors d’une manifestation du Black Lives Matter, mobilisé contre le meurtre de deux Afro-Américains, tués par la police quelques jours plus tôt. Peu avant d’être abattu par la police, il aurait déclaré être en colère contre le mouvement Black Lives Matter et vouloir tuer des policiers blancs."
D'ailleurs, lors des élections présidentielles de 2017, les américains ont amorcé un virage à droite toute, en votant massivement pour le sulfureux magnat de l'immobilier Donald Trump, déjà connu pour sa proximité avec les milieux de l'extrême droit. Piqûre de rappel; en 2012, alors qu'il prétendait vouloir se présenter contre le président Obama, Donald Trump l'avait accusé de mentir sur son lieu de naissance, ce qui est important pour briguer un mandat présidentiel aux Etats-Unis. Il lui enjoignit de fournir un certificat de naissance et de citoyenneté américain. Puis en 2016, à la suite de l'attentat d’Orlando en Floride, le candidat Républicain prétendait que le président B. Obama était un sympathisant de l’organisation État islamique (Daech), ce qui alimenta la rhétorique d'une extrême droite qui fit son grand retour dans l'échiquier électoral. Ensuite, Donald Trump avait principalement axé sa campagne sur l'immigration clandestine des latinos et la violence dans les quartiers afro-américains. Ce qui entraîna le soutien à peine cacher de la droite radicale généralement blanche et du Sud, proche des groupuscules radicaux tels que le KKK. Au cours de cette campagne, D.Trump choisit comme proche conseiller Steve Banon, lui aussi connu pour ses liens avec l'extrême droite et les suprématistes blancs. La campagne électorale tourna d'ailleurs au drame,le 12 Août 2017, à Charlottesville, une manifestation particulièrement violente des groupuscules de l’extrême droite américaine fut à l’origine de la mort d’une femme renversée par une attaque à la voiture-bélier lancée dans la foule des contre-manifestants par un jeune néonazi. Dans un premier temps, D. Trump refusa de condamner l’attaque en renvoyant dos à dos la violence des manifestants et des contre-manifestants, mais face à la polémique que suscita cette posture, y compris dans son propre camp républicain, le candidat à la Maison Blanche finit par condamner fermement " cet acte terroriste". Au même moment, le leader du mouvement d’extrême droite Alt-Right, Richard Spencer, et celui du KKK, David Duke, remercièrent D. Trump pour la "mesure" de ses propos.
Quant à la communauté noire, bien qu'il se défende de tout racisme, D. Trump a par le passé tenus des propos limites racistes et très virulents, ( lors de l'affaire de la joggeuse de Central Park en 1989, il tint des propos virulents contre les suspects noirs qui seront acquittés sept ans après.) Plus récemment, son ancien avocat et conseiller Michael D. Cohen a récemment déclaré, tandis qu’il était sous serment devant une commission du Congrès, que D. Trump était, dans le privé, raciste et aurait affirmé que "les Noirs étaient trop stupides pour voter pour lui". De plus, une de ses anciennes éphémères conseillères de communication à la Maison-Blanche, Omarosa Manigault, a quant à elle affirmé dans ses mémoires, publiés peu après sa démission, que D. Trump était ouvertement raciste et qu’il utilisait régulièrement le terme de " Nigger" qui signifie "nègre" en français. Des positions ambiguës qui ont réconforté la droite radicale américaine.
Un meurtre qui ravive les démons du passé :
Néanmoins, ce n'est pas une élection ou un président qui donne son caractère raciste à un pays. Peu importe le candidat qui sera à la Maison Blanche ou le parti au pouvoir au Congrès Fédéral, les Etats-Unis restent un pays marqué par les divisions raciales. En effet, au pays de l'Oncle Sam, quand on est issu d'une minorité, il n'y a pas grand chose que l'on puisse faire. La moindre de nos actions est suspecte et génère des réactions violentes de la part des blancs. Par exemple, quand on est noir, marcher de jour comme de nuit, dans un quartier peuplé à majorité de blancs, peut être considéré comme un acte suspect, ou, faire son jogging, est une activité tout à fait normale dans n'importe quel pays, sauf tu es un jeune afro-américain de 25 ans et que tu vis en Géorgie, ancien Etat ségrégationniste des Etats-Unis. Il s'appelait Ahmaud Arbery, il a été abattu par un père et son fils qui pensaient avoir appréhender un voleur.
Le 23 février, Arbery fait son jogging dans les rues de Brunswick en Géorgie. L’ancien joueur de football de 25 ans s’adonne à cette pratique régulièrement. Pendant son trajet, il passe devant la résidence de Gregory McMichaels 64 ans, ancien policier à la retraite. Ce dernier croit reconnaître l’auteur de vols par effraction dans son quartier. Après avoir demandé à son fils, Travis McMichaels 34 ans, de l’accompagner, les deux hommes sautent dans leur camionnette et se lancent à la poursuite du jeune coureur. McMichaels et son fils sont armés. Ils rejoignent le coureur qui modifie sa trajectoire pour éviter la confrontation. Les deux hommes décident alors de le dépasser pour lui barrer la route et le fils McMichaels sort du véhicule en pointant son arme sur Arbery qui tente alors de s’emparer de l’arme. Des coups sont tirés, le jeune joggeur afro-américain s’éloigne de ses bourreaux, de quelques pas, avant de s’effondrer. Il est mort.
Ahmaud Arbery n’était pas recherché par les autorités policières et n’était associé ni de près ni de loin aux vols par effraction. Tout au plus, on relève dans son historique un cas de vol à l’étalage. Cette affaire aurait pu être passée sous silence, après tout un jeune afro-américain qui meurt, chose banale aux Etats-Unis, surtout quand c'est le noir l'agresseur. Les deux meurtriers ont affirmé avoir agi en toute légitime défense en appuyant leurs propos sur la loi en Géorgie qui souligne " Qu’un citoyen peut effectivement en arrêter un autre si le crime/délit est commis sous ses yeux ou qu’il en est un témoin immédiat. " Le père et le fils ont affirmé que c'est Arbery qui a tenté de s’emparer de l’arme du fils, ce serait lui qui aurait provoqué la confrontation. D'ailleurs, le second procureur ( car le premier s'est récusé parce qu'il connaissait le père), a considéré que le père et le fils ont agi en conformité avec la législation de la Géorgie. Ils poursuivaient celui qu’ils croyaient être un criminel et ont procédé à son «arrestation» avant l’arrivée des policiers.

Sauf, que cette semaine, une vidéo tournée par un anonyme et postée sur les réseaux sociaux vient contredire les propos des deux " justiciers" blancs. Dans cette vidéo de 28 secondes diffusée mardi par l’avocat de la famille du coureur, Ahmaud Arbery est vu en train de courir le long d’une route de Brunswick, en Géorgie. Alors qu’il contourne un pick-up blanc sur lequel un homme se tient, il est stoppé par un deuxième homme qui l’agrippe. On entend un coup de feu, puis un second. L’avocat de la famille du jeune afro-américain a dénoncé une « exécution horrible » et affirmé que les deux inculpés n’ont pas été inquiétés en premier lieu, parce que Gregory McMichael a servi en tant que policier puis inspecteur pour le procureur pendant plus de 30 ans. Ainsi,la légitime défense qu’ils invoquent, ils disent avoir pris leur victime pour un «voleur en train de se pavaner» ne passe pas.
La viralité de la vidéo a fait réagir de nombreuses personnalités, musiciens, sportifs, stars du show-biz ou encore des politiques ont demandé à ce que justice soit rendue. Ce qui a poussé la justice de l'Etat de Géorgie a inculpé les faux justiciers pour meurtre. Comme le rapportent les médias américains, jeudi soir,Gregory et Travis McMichael ont finalement été placés en garde à vue et inculpés pour meurtre et voie de fait grave comme l’a annoncé dans un communiqué le Bureau d’Investigation de Géorgie.
Une affaire qui rappel les douleurs du passé dans un pays divisé, où il n'y a pas si longtemps que ça, les noirs étaient régulièrement lynchés notamment dans les Etats du Sud tels que la Géorgie. C'est après la Guerre de Sécession plus spécifiquement vers 1877( date à laquelle les troupes nordistes victorieuses de la Guerre Civile ( Civil War) quittent les Etats du Sud vaincus et occupés), que les lynchages vont devenir des pratiques courantes aux Etats-Unis mais surtout dans le Sud où ils étaient pratiqués les membres du Klu Klux Klan. Pendant plus de soixante-dix ans, la violence à l'encontre de la minorité noire vont faire partie du décors de ce Sud vaincu par le Nord. Selon, l'association américaine luttant pour la défense des droits de l'homme, l'Equal justice initiative (EJI) près de 4000 Noirs auraient été exécutés sans jugement, dans des conditions sommaires, sur une période de 73 ans. Alors que se met en place, dans ces même régions, le système de ségrégation raciale, le lynchage s'instaure dans ces États pour établir «un système post-esclavagiste de domination raciale» le tout reposant les Lois Jim Crow qui ont été déclarées inconstitutionnelles en 1954 avec l'arrêt Brown v. Board of Education puis en 1964 avec le Civil Rights Act et le Voting Rights Act de 1965.
Plusieurs lynchages sont encore dans les mémoires, tels que celui de W.R Taylor pendu par la foule en 1889, celui de Ed Johnson en 1906, le lynchage de Laura Nelson et de son fils en 1911 accusés de vol de bovin, le lynchage de Jesse Washington dans la ville de Waco au Texas en 1916. En 1921, une femme blanche est assassinée de coups de feu. John Lee Eberhart, un jeune homme noir qui avait travaillé pour la famille de la victime est immédiatement suspecté ; on l’arrêta en possession d’un pistolet ayant appartenu au mari de la victime. Il fut arrêté et avoua la crime. Une foule l’enleva de la prison ou il était détenu, lui fit un procès sommaire et le brûla vif. Il y a également le lynchage de George Gay pendu par la foule qui lui tira une centaine de balles, en 1922.Ou encore l'histoire de Mary Turner, une afro-américaine enceinte, tuée pour avoir protesté contre le meurtre de son mari: elle fut pendue par les pieds, puis brûlée vive pendant qu'un homme tuait l'enfant qu'elle portait. On parle aussi du lynchage de trois hommes noirs à Kirvin au Texas en 1922, ces derniers accusés d'avoir assassiné une femme blanche, ont été battus, castrés, poignardés, leurs corps attachés furent incendiés. Autre événement historique, le Massacre de Tulsa dans l'Oklahoma entre le 31 Mai et le 1er Juin 1921 ( bilan officiel en 1921; 45 morts, mais en 2001, il a été revu à la hausse, entre 100 et 300 morts selon le rapport de la Commission d'Enquête). Dernier fait de violence, le lynchage d'Emmett Till, adolescent de 14 ans, lynché en 1955, pour avoir sifflé une femme blanche. Des exemples parmi des milliers et qui se sont déroulés en toute légalité. Le seul crime des ces milliers de victimes souvent innocentes, fut d'avoir « offensé la suprématie blanche » : un regard, une rumeur, une dispute, des insultes, un témoignage à charge contre un Blanc etc. L'affaire Arbery replonge les américains dans ce passé pas si lointain et que beaucoup tentaient d'oublier.
Comentarios