En France, au gré des évolutions sociétales et économiques le schéma de la famille a évolué au fil des années. En l'espace d'une trentaine d'années, nous sommes passés d'un modèle familial paternaliste a celui d'une famille monoparentale, ou encore, il existe des familles recomposées. Selon l'INSEE, le phénomène des familles monoparentales seraient beaucoup plus présent aux Antilles-Guyane.
Le modèle familial tel que nous le connaissons, à savoir avec le père, la mère et les enfants a évolué. On parle désormais de famille recomposée, de famille monoparentale et, depuis la loi sur le mariage pour tous, est apparu la famille homoparentale, constituée d'adultes du même sexe.
Malgré ses évolutions économiques et sociétales, le schéma de la famille a encore de longs jours devant lui. En effet, selon l'INSEE, en France hors Mayotte, 14,1 millions d’enfants de moins de 18 ans vivent dans une famille. Sur 100 enfants mineurs, 68 vivent dans une famille « traditionnelle », avec leurs deux parents au domicile et leurs frères et sœurs s’ils en ont. Concernant la famille monoparentale, en France Hexagonale 21 enfants sur 100 vivent dans une famille monoparentale, et résident donc avec un seul de leurs parents, qui ne vit pas en couple, le plus souvent leur mère. Toujours l'institut, en France Hexagonale, 11 enfants sur 100 vivent dans une famille recomposée, dans laquelle, par définition, au moins un enfant n’est pas issu du couple. Parmi eux, 7 sont nés d’une union antérieure : ils vivent avec un parent, un beau-parent et éventuellement des demi-frères ou demi-sœurs.
Toujours selon l'organisme, 28 % des enfants mineurs (soit 4,0 millions d’enfants) vivent donc avec un seul de leurs parents, que ce dernier se soit remis en couple (famille recomposée) ou non (famille monoparentale). Ils vivent le plus souvent avec leur mère (82 %), et ce davantage quand il s’agit d’une famille monoparentale (85 % contre 76 % pour les familles recomposées).72 % des enfants (soit 10,1 millions d’enfants) vivent avec leurs deux parents au domicile. Parmi eux, 95 % vivent dans une famille « traditionnelle » et 5 % dans une famille recomposée.
De plus, l'institut précise aussi qu'avant l’âge de trois ans, huit enfants sur dix vivent dans une famille « traditionnelle ». L'INSEE précise qu' en raison des séparations, cette part diminue avec l’âge des enfants, tandis que celle des enfants vivant dans une famille monoparentale ou recomposée augmente. Ainsi, 13 % des enfants de moins de trois ans vivent dans une famille monoparentale, contre 27 % entre 15 et 17 ans. La part des enfants en famille recomposée passe de 8 % avant 3 ans à 12 % entre 15 et 17 ans.
Une situation tout à fait différente du côté des régions d'Outre-mer, où les familles monoparentales sont beaucoup plus répandues. Cependant, les résultats diffèrent en fonction des régions.
Ainsi, on apprend par exemple qu'en Guadeloupe ( 52%) et à la Martinique (56%) des enfants vivent dans une famille monoparentale, tandis qu'à la Guyane, bien qu'inférieur, il atteint tout de même les 50%. A la différence de l'Hexagone où la figure paternelle est encore très présente, aux Antilles-Guyane, c'est la femme, la mère qui s'occupe du foyer et du coup des enfants.
Sur l'île de la Réunion bien que les résultats soient inférieurs à ceux des Antilles-Guyane. Il atteint tout de même les 38%, une seuil quand même supérieur à celui de l'ensemble des régions hexagonales. Cependant, sur l'île de l'Océan Indien, les familles dites " traditionnelles" sont encore majoritaires, avec 52% tandis qu'en Guadeloupe et à la Martinique, 39% des enfants vivent dans une famille traditionnelle. A la Guyane, seuls 34% des enfants vivent dans une famille traditionnelle avec, un père et une mère, d'ailleurs, selon l'INSEE, en Guadeloupe 58% des enfants vivent avec un seul parent, à la Martinique, 59% d'entre eux et à la Guyane 60% des enfants vivent avec un seul parent.
La Guyane détient également le taux le plus élevé de famille recomposée. Il est de 17%, tandis qu'à la Martinique n'est que de 7%. En Guadeloupe, 9% des enfants vivent dans une famille recomposée. A la différence, à la Réunion 10% des enfants vivent dans une famille recomposée.
Une monoparentalité propre aux Antilles-Guyane ?
Au regard de ces chiffres, on serait tenté de dire que la monoparentalité est propre aux Antilles-Guyane. Il est vrai que, la société antillo-guyanaise, post-esclavagiste et post-coloniale porte encore les stigmates de ce passé douloureux. Pilier du foyer, la femme antillaise a toujours joué un rôle central au sein de sa famille. D'ailleurs en créole, on dit " fanm poto mitan". A cheval entre la lointaine Afrique, où subsiste encore des sociétés matriarcale et la société créole qu est apparue dans les Amériques, la figure féminine à la fois vulnérable, jouait un très grand rôle dans la société d'habitation. De prime abord considérée comme une " génitrice", la femme noire fut utilisée par le maître pour mettre au monde de futurs esclaves qui seront vendus par ce dernier ou qui travailleront pour son profit. En outre,
" elle porte la lourde responsabilité institutionnelle et symbolique de la transmission de la condition servile. Aussi, les femmes étaient-elles condamnées à pérenniser un système dont elles étaient elles-mêmes les victimes, et à assumer, en plus de leur propre condition d’esclave, une sorte de servitude redoublée, puisqu’elles devaient aussi être les garantes de la servitude de leurs enfants, lorsque ceux-ci ne leur étaient pas arrachés très tôt, le lait maternel de la femme esclave servant, en priorité, à nourrir les enfants du maître. "
Il y a dans ces territoires anciennement esclavagistes, un inconscient social reposant sur ce qu'Edouard Glissant nomme, le mythe du viol fondateur, réduisant la condition de la femme noire esclave qui avait la charge de sa progéniture en plus de celle des enfants du maître qui avaient la plus grande attention " C’était à elle que les maîtres blancs confiaient leurs enfants, leurs personnes âgées et malades, leur santé, leur alimentation, leur apparence et même leur sommeil." De plus, la femme esclave est celle dont l’affect a été systématiquement sollicité en plus de ses bras, ce qui n’a pas été le cas de l’esclave masculin. Cette dimension affective apporte une spécificité propre, mais également une dose de cruauté supplémentaire à son expérience de la servitude
L'homme noir esclave quant à lui, ne tint que le rôle de simple géniteur, incapable de faire preuve de sentiment et d'émotion et; du coup de prendre soin de sa progéniture. Il faut dire, qu'il en était empêché du fait de sa condition d'esclave. C'est donc autour de cette injustice historique que la société antillo-guyanaise créole s'est construite, avec une sacralisation de la figure maternelle et l'absence de figure paternelle, car,
" L’homme, à une paternité qui se résume à la fonction de géniteur, puisqu’il n’est ni le père « légal » puisque se rôle appartenait au maître , ni le père capable d’inscrire ses enfants dans une lignée. " Ce dernier pouvait à tout moment se voir séparer de sa femme et de ses enfants. La mère s’est retrouvée rapidement dans la position d’être la seule garante de l’éducation et de la survie de ses enfants. On retrouve là l’un des traits définitoires de la figure de la « fanm potomitan [...] le nègre esclave, il n’est ni un père légal, puisqu’il est destitué de tout droit par le Code noir, ni le père qui engendre les mulâtres (sauf à imaginer qu’il les ait eus avec une femme blanche). Il n’est que le géniteur d’une lignée de négrillons à qui il ne peut rien transmettre, si ce n’est son capital physique »
C'est sans doute la raison pour laquelle le modèle monoparental est si répandu aux Antilles-Guyane et que le même schéma familial se répète, des générations après la fin de l'esclavage.
source : INSEE / Pluton magazine