Dans les années 1970, plusieurs cas de d'avortements et de stérilisations forcés ont été signalés par un médecin en poste à La Réunion. Des pratiques encouragées par le Gouvernement français de l'époque. Cinquante ans après, des députés réclament la création d'une commission d'enquête sur ces faits.
La France en tant que puissance coloniale a elle aussi commis des atrocités. Que ça soit en Afrique, à Madagascar, aux Antilles où à la Réunion, les victimes coloniales se comptent par centaines de milliers voire par millions. Dernier acte en date, la stérilisation et l'avortement forcé des femmes noires réunionnaises, le tout sous la complicité des autorités politiques locales et nationales.
Tout remonte en 1970, lorsque le docteur Serveaux, un médecin est appelé à Trois-Bassin, petit village de La Réunion. Sur place, il découvre une patiente de 17 ans dans le coma dû à une grave hémorragie après un avortement suivi d’un curetage pratiqué à la Clinique orthopédique de Saint-Benoît du docteur David Moreau. Le problème c'est que l'avortement n'était pas encore légal en France à cette époque. Le médecin porta plainte contre X pour avortement illégal. La police judiciaire découvrit qu’elle n’était pas un cas isolé: des milliers de femmes y avaient subi des avortements et des stérilisations, souvent sans consentement.
En parallèle de la police, des journalistes menèrent l'enquête et découvrirent que des milliers d'avortements et des stérilisations ont été pratiqués sans le consentement des victimes. Ces pratiques illégales auraient débuté en 1966 dans cette clinique.
Après plusieurs mois d'enquête et d'instruction, un premier procès pour «manœuvres abortives», s'ouvre en première instance puis en appel, contre trois médecins et un infirmier de la clinique orthopédique de Saint-Benoît. Les peines allèrent de deux ans d’emprisonnement (avec interdiction d’exercer pendant quelques années) à la relaxe. Reconnu civilement responsable, le docteur David Moreau, directeur de la clinique fut dispensé de peine.
Des complicités au sommet de l'Etat :
Loin d'être une affaire banale, le scandale des avortements et des stérilisations forcés va beaucoup plus loin que l'île de La Réunion. C'est ce que révélera l'un des accusés dans un courrier adressé au journal Le Monde et dont les extraits furent publiés dans le numéro du 2 février 1971. Ce dernier écrit que : «La Sécurité sociale, le président du conseil général [ndlr: Marcel Cerneau de 1966 à 1967 puis Pierre Lagourgue de 1967 à 1982] m’ont donné le feu vert pour les stérilisations. [...] Comment expliquer que tous ces actes aient été fait en plein jour et tous remboursés par la Sécurité sociale? Il faudrait donc inéluctablement supposer celle-ci complice. La quasi-totalité des malades m’étaient envoyés, eux aussi, par trente deux médecins. Eux aussi doivent donc être inculpés si tout cela était vrai.»
Comment se fait-il que la France, pays des Droits de l'Homme puisse avoir donné son feu vert pour des pratiques barbares à des milliers de km. La réponse est donnée par Françoise Vergès dans son livre : « Le ventre des femmes»
Dans les années 1960-1970, l’État français encourage l’avortement et la contraception dans les départements d’outre-mer alors même qu’il les interdit et les criminalise en France métropolitaine. Dès 1945, invoquant la « surpopulation » de ses anciennes colonies, l’État français prône le contrôle des naissances et l’organisation de l’émigration ; une politique qui le conduit à reconfigurer à plusieurs reprises l’espace de la République, provoquant un repli progressif sur l’Hexagone au détriment des outre-mer, où les abus se multiplient.
De plus, selon Françoise Vergès, " à la Réunion, Michel Debré ( NDLR Député de La Réunion et gaulliste de la première heure) régnait sur le monde des «Gro-Blan», les vieilles fortunes du sucre. Un marigot d’anciens pétainistes devenus gaullistes, de notables, de propriétaires et d’investisseurs.Parmi eux, le président du Conseil d’administration de la Sécurité sociale, lié au syndicat des fabricants de sucre. Parmi eux aussi, David Moreau, conseiller général, président du syndicat des médecins, propriétaire de supermarchés, actionnaire du Club Med, époux de la fille du PDG des sucreries de Bourbon et… directeur de la clinique de Saint-Benoît, où les Réunionnaises noires se faisaient stériliser sans le savoir. Soutien de Debré, Moreau ne sera jamais inquiété par le procès, qui finira comiquement par condamner les seuls non-Blancs de l’établissement: un infirmier major d’origine indienne, et le docteur Ladjadj, d’origine marocaine. Les victimes de la clinique ne reçurent pas d'indemnisation."
L'auteure avance le chiffre de 8000 femmes réunionnaises avortées ou stérilisées de force par an à la Clinique de Saint-Benoît. Des chiffres impossible à confirmer.
Des députés demandent une commission d'Enquête :
Cinquante après les faits, alors que l'on pensait cette affaire oubliée, plusieurs députés de La Réunion, parmi lesquels des élus des groupes La France Insoumise, Les Républicains, l'UDI, le GDR ( Communistes et élus ultramarins de gauche) , demandent que la lumière soit faite sur ces événements afin d’avoir « une idée précise de l’ampleur des faits (les déclarations de journées d’hospitalisations et les témoignages laissant penser que le nombre de victimes peut s’élever à plusieurs centaines ou milliers de femmes) » et évaluer « l’étendue des responsabilités personnelles et institutionnelles ». Ils soulignent par exemple « le nombre relativement bas d’accusés, au regard du nombre d’actes rapportés dans la presse à l’époque (seulement trente-six avortements ont fait l’objet de poursuites et condamnations) », « la disparition du registre des patients de la clinique avant le début de l’instruction » ou encore « l’existence de spots publicitaires pouvant caractériser l’existence d’une politique anti-nataliste de la part de l’État à La Réunion. Sans oublier, la déclaration du docteur Lejade selon laquelle il aurait reçu l’assurance d’un ancien ministre des «DOM» que les interruptions de grossesses auxquelles il se livrait ne donneraient pas lieu à saisine de la justice ; la déclaration, en 1969, de 112 000 journées d’hospitalisation correspondant à 307 lits alors que la clinique n’avait autorisation que pour 80 lits ; la disparition aux archives de La Réunion du dossier contenant les pièces relatives au procès en première instance."
Les députés signataires estiment en conséquence qu’il est du devoir de la représentation nationale de "se donner les moyens d’une recherche approfondie pour faire la lumière sur les événements survenus à La Réunion jusqu’au début des années 1970 et pouvoir avoir une idée précise de l’ampleur des faits (les déclarations de journées d’hospitalisations et les témoignages laissant penser que le nombre de victimes peut s’élever à plusieurs centaines voire milliers de femmes)". L'examen de cette proposition pourrait intervenir en février.