Nous sommes en Guadeloupe en 1840, Lucille âgé de 40 ans porte plainte contre son maître pour mauvais traitement. Grâce au témoignage de son commandeur, le béké Douillard-Mahaudière fut acquitté. Il accusa Lucille d’avoir empoisonner ses bêtes et ses esclaves. Cependant, Lucille fut enlevée à Mahaudière et placer dans l’atelier colonial en tant qu’esclave appartenant à l’administration.
Cette histoire est issue de l’ouvrage « Voix d’esclaves: Antilles, Guyane et Louisiane françaises » qui réunit des textes du 18e et 19e. Ces textes se font l'écho de la souffrance des esclaves dans les colonies françaises. Issus de sources judiciaires et infra-judiciaires, ils impliquent directement des esclaves, donnant à découvrir leur histoire.
Lucile, l'esclave qui eut le courage de porter plainte contre son maître. Récit d'une souffrance.
« J'ai toujours éprouvé les meilleurs traitements sur l'habitation de mon maître jusqu'au moment où j'ai encouru sa disgrâce.
C'est moi qui le soignais dans ses maladies, il me promit la liberté, mais la première fois que je lui demandai de réaliser sa promesse, il en remit l'exécution à un autre temps, sur le motif qu'il était malade.
Après son rétablissement, mes prières devinrent plus pressantes. Je lui offris même ma rançon; il me refusa toujours, sous prétexte que mes soins lui étaient indispensables. Un jour, à mon grand étonnement, il me fit arrêter sans aucun motif. Va malheureuse, me dit il, va pourrir au cachot !
Et je fus enfermée, le pied gauche et les deux mains passées dans un anneau de fer. La main gauche était superposée au pied gauche, de façon à ne pouvoir s'en écarter. Dès le premier jour, la douleur fut si forte, qu'à mes cris on vint me tirer le fer de la main droite.
On ne me donnait qu'une nourriture insuffisante, l'eau m'était également épargnée, je n'en recevais qu'une bouteille par jour. Privée d'air et de clarté, la souffrance repoussait le sommeil et l'appétit.
Je ne respirais que lorsqu'on ouvrait mon cachot : ce qui n'arrivait qu'une fois toutes les vingt-quatre heures, lorsqu'on apportait ma nourriture.
JE RESTAI VINGT-DEUX MOIS ENFERMÉE, QUAND ON VINT ME DÉLIVRER, MES YEUX NE PURENT SUPPORTER LA LUMIÈRE ; MES JAMBES REFUSAIENT DE ME PORTER.
Sans les secours de mes enfants, on m'aurait laissée dans mes ordures, et j'étais couverte de vermine. L'amaigrissement de la main enchaînée me permit un jour de la retirer de l'anneau qui la fixait. Mon maître l'ayant appris fit venir un charron, qui resserra mes fers.
Je restai vingt-deux mois enfermée, quand on vint me délivrer, mes yeux ne purent supporter la lumière ; mes jambes refusaient de me porter. L'air oppressait ma poitrine, et je fus prise de vomissements.
Quelquefois, mes enfants m'apportaient du pain ; on le coupait en menus morceaux, et on me le faisait passer par dessous la porte, je l'attirais ensuite à moi à l'aide d'un bâton.
Me voyant condamnée à périr dans le cachot, je demandai un prêtre pour mourir au moins en chrétienne ; on me le refusa. Je ne concevais pas tant de rigueur de la part d'un maître si bon. »
Sources : Lucile de Guadeloupe. De l’intimité à l’empoisonnement, 1840 Voix d’esclaves: Antilles, Guyane et Louisiane françaises, XVIIIe-XIXe siècle page 146 Facebook : Kofi Jicho Kopo